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     IMM-850-97

OTTAWA (ONTARIO), le 15 août 1997

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE

     FEROZ ADEEL KAZI,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 YVON PINARD

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     IMM-850-97

ENTRE

     FEROZ ADEEL KAZI,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

         Le requérant demande le contrôle judiciaire de la décision en date du 13 février 1997 dans laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention, compte tenu de la définition figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.

         La SSR a conclu que le requérant était crédible, mais qu'en raison du changement de situation au Bangladesh, il n'avait plus raison de craindre d'être persécuté. Les raisons de cette conclusion se trouvent dans les passages suivants extraits des motifs de la SSR :

         [TRADUCTION]
             En juin 1996, l'Awami League a gagné une victoire écrasante aux élections générales tenues au Bangladesh, et y a formé le gouvernement. Le revendicateur, du fait de sa qualité de membre du BCL, est aussi membre de l'Awami League, l'organisme central de ce dernier...
             Particulièrement, ce sont les hommes de main du BNP qui sont l'agent principal de persécution du revendicateur. Ce sont ceux qui l'ont fait quitter le pays parce qu'il craignait pour sa vie. La capacité des hommes de main du BNP de faire peur à leurs rivaux découlait principalement de l'observation selon laquelle le gouvernement du BNP ne voulait pas mettre un frein à leurs excès et à leurs actes d'abus criminels; évidemment, ces activités assuraient ses intérêts politiques.

             [...]

             Il est utile de se rappeler ici que le fondement de la crainte de persécution du revendicateur réside dans ce que le gouvernement du BNP ne voulait pas - ce n'est pas nécessairement le cas où il ne pouvait pas - assurait sa protection contre les hommes de mains du BNP. Certainement, il ne peut raisonnablement porter la même accusation concernant le gouvernement de son propre parti. De plus, il ressort des pièces produites en preuve à l'audience que le gouvernement Awami League a déclaré son intention de juguler l'usage peu approprié ou illégal de l'influence politique...a pris des mesures pour mettre un frein au terrorisme..., a établi des alliances de fonctionnement avec d'autres partis rivaux..., et que la police intervient quand même de façon politiquement impartiale pour supprimer les combats violents...les incidents sporadiques ou gratuits.
             Ayant presque changé d'avis, le revendicateur a tenté de justifier sa crainte de retourner au Bangladesh en prétendant qu'il avait critiqué les cadres armés au sein de son groupe. Il laisserait entendre qu'il existe une certaine fureur durable à son encontre, ce qui le priverait de la protection de son parti et de son gouvernement. Compte tenu du propre témoignage du revendicateur, le tribunal a remarqué qu'il avait simplement été réprimandé, mais en était sorti indemne. Particulièrement, il avait continué de faire partie du groupe, et avait participé aux activités politiques de ce groupe bien au-delà du moment de la survenance de cet incident.

         Pour ce qui est de la question particulière de "changement de situation", l'arrêt de principe est l'arrêt Yusuf c. M.E.I. (1995), 179 N.R. 11. Dans cette affaire, la Cour d'appel a clarifié la règle dans ce domaine en jugeant que la question de savoir s'il existe un "changement de situation" dans un pays est une question de fait et non de droit. Il s'agit d'examiner principalement si les changements de la situation politique sont réels et durables, par opposition aux changements purement transitoires, et déterminer l'influence, si influence il y a, que ces changements ont sur la situation particulière du revendicateur. Ainsi que l'a dit le juge Hugessen, à la page

12 :

         Nous ajouterions que la question du "changement de situation" risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a, au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun "critère" juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme "important", "réel" et "durable" n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'art. 2 de la Loi : le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté? Étant donné qu'en l'espèce il existe des éléments de preuve appuyant la décision défavorable de la Commission, nous n'interviendrons pas.

         En l'espèce, la Commission a conclu qu'il y avait eu un [TRADUCTION] "changement de situation" au Bangladesh qui était suffisant pour étayer la conclusion que le requérant n'avait plus raison de craindre d'être persécuté dans ce pays. La Commission a conclu qu'il existait la preuve que le gouvernement de l'Awami League avait déclaré son intention de juguler l'usage illégal de l'influence politique, avait pris des mesures pour mettre un frein au terrorisme et avait pris d'autres mesures permettant à la Commission de conclure que le requérant pouvait obtenir la protection des autorités au cas où des hommes de main d'autres partis politiques cherchaient à le contrarier. La Commission a également conclu que le requérant ne courait pas de risque au sein de son propre parti en conséquence de sa critique des activités violentes des cadres armés du BCL, étant donné qu'il avait maintenu son adhésion et avait continué ses activités avec ce parti longtemps après la survenance de cet incident.

         Compte tenu des éléments de preuve, je ne saurais conclure que la conclusion de la Commission était abusive, arbitraire ou si déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour. Certes, la Cour aurait pu tirer une conclusion différente relativement à la durabilité et à la réalité des changements politiques au Bangladesh; mais il ne lui appartient pas de substituer sa propre interprétation des éléments de preuve à celle de la Commission. À mon avis, il existait au dossier des éléments de preuve pour étayer la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait [TRADUCTION] "des changements dans le milieu politique du Bangladesh...[qui] sont de nature suffisamment importante et réelle pour que le revendicateur n'ait plus raison de craindre de vivre dans son pays natal". En conséquence, il n'y a pas lieu de toucher à la décision de la Commission à cet égard.

         Le requérant conteste également la décision de la Commission au motif que celle-ci a commis une erreur susceptible de contrôle en n'examinant pas le paragraphe 2(3) de la Loi. Le paragraphe 2(3) est inclus dans la Loi pour faire face à des situations où, malgré le "changement de situation" dans le pays d'origine d'un revendicateur, il peut néanmoins être reconnu comme réfugié au sens de la Convention si la persécution passée dont il a souffert était tellement épouvantable qu'il ne devrait pas être forcé de retourner à ce pays. Les dispositions applicables sont ainsi rédigées :

         2.(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où :
         [...]
         e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.
         (3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de craindre d'être persécutée.

         Dans l'affaire Canada c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739, la Cour d'appel fédérale a conclu que les circonstances envisagées par le paragraphe 2(3) de la Loi, bien qu'elles ne s'appliquent qu'à une petite minorité de demandeurs du statut de réfugié, font néanmoins partie du règlement global de la question de savoir si une personne a la qualité d'un réfugié au sens de la Convention selon la définition figurant dans la Loi.

         En l'espèce, il est clair que le requérant n'a pas expressément soulevé la question du paragraphe 2(3) à l'audition. Dans la transcription, il n'est nullement fait état de cette disposition. Le requérant cherche néanmoins à alléguer que la Commission a commis une erreur de droit en n'examinant pas le paragraphe 2(3), invoquant le motif que son avocat a abordé les points litigieux découlant du paragraphe 2(3) dans ses observations devant la Commission, même s'il n'a pas mentionné directement l'article lui-même. À mon avis, la Cour peut se prononcer sur l'argument du requérant sans nécessairement décider si un revendicateur doit expressément faire état du paragraphe 2(3). Outre l'omission du requérant de soulever la question du paragraphe 2(3), j'estime, ayant pris connaissance de la transcription, qu'on ne saurait dire de la question des "raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures" qu'elle est établie à partir des faits et des observations présentés à la Commission. Plus particulièrement, il n'a pas été rapporté la preuve que le requérant continuait de souffrir "des effets psychologiques de sa persécution passée" (voir Arguello-Garcia c. M.E.I. (1993), 70 F.T.R. 1 (C.F.1re inst.); et Shahid c. M.C.I. (1995), 89 F.T.R. 106, à la page 111 (C.F.1re inst.). En conséquence, la Commission n'a commis aucune erreur en n'abordant pas le paragraphe 2(3) de la Loi dans ses motifs.

         Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

         Étant donné les circonstances, il n'y a pas lieu à certification en application du paragraphe 18(1) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration.

        

OTTAWA (Ontario)

Le 15 août 1997

                                 YVON PINARD

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-850-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              FEROZ ADEEL KAZI c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 13 août 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD

EN DATE DU                      15 août 1997

ONT COMPARU :

Mitchell Goldberg                  pour le requérant

Sebastien Dasylva                  pour l'intimé

                    

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Mitchell Goldberg                  pour le requérant

Montréal (Québec)

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                             pour l'intimé


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