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Date : 20060317

Dossier : T-600-02

Référence : 2006CF355

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2006

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

JEAN-CLAUDE DROLET

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

Dossier : T-601-02

ENTRE :

GEORGES DUMONT

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit de la seconde tentative de la défenderesse pour faire rejeter les actions des demandeurs de façon sommaire en vertu de la Règle 221 des Règles des Cours fédérales.

[2]                En effet la Cour d'appel fédérale, dans un jugement daté du 15 décembre 2003 (Dumont c. Canada (C.A.F.), [2004] 3 C.F. 338, 2003 CAF 475, ci-aprPs "Dumont"), se prononçait sur une premiPre requLte présentée par la défenderesse par laquelle elle recherchait la radiation des actions en vertu de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (la "Loi sur la responsabilité de l'État"), ou, subsidiairement, la suspension des procédures jusqu'B ce que les conditions du paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6 aient été satisfaites. Par son jugement, la Cour d'appel accueillait en partie la requLte de la défenderesse et rayait les actions dans les deux dossiers, sauf cependant en ce qui a trait B leur partie basée sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la "Charte"). A l'égard de cette partie des actions, la Cour accordait aux demandeurs le droit d'amender leurs actions afin de préciser en quoi l'article 7 de la Charte avait été violé, et suspendait les actions jusqu'B ce que les conditions prescrites par l'article 111(2) de la Loi sur les pensions aient été satisfaites.

[3]                Suite au jugement de la Cour d'appel fédérale, les actions ont été amendées, puis précisées; les demandeurs ont de plus déclaré avoir satisfait aux exigences du paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions.

[4]                C'est dans ce contexte que la défenderesse propose sa seconde requête en radiation, aux motifs que les déclarations ré-amendées ne respectent pas l'ordonnance de la Cour d'appel, que les faits tels qu'allégués ne révèlent aucune cause d'action raisonnable en vertu de l'article 7 de la Charte, que les actions, telles que ré-amendées, demeurent interdites par l'article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État, et que le recours approprié en l'instance aurait été le contrôle judiciaire des décisions accordant une pension aux demandeurs.

LES FAITS ET LES PROCÉDURES

[5]                Rappelons que les demandeurs sont d'anciens membres des Forces armées canadiennes. Par leurs actions initiales, ils recherchaient une condamnation monétaire contre Sa Majesté la Reine en guise de compensation pour les pertes et préjudices soufferts en raison de maladies, principalement, le syndrome de stress post-traumatique, subies et aggravées lors de leur service militaire. Les déclarations initiales invoquaient, comme cause d'action, la responsabilité civile découlant de la négligence des employés, préposés ou mandataires de la défenderesse, l'abus d'autorité de la part des supérieurs des demandeurs, le manquement à leurs obligations de fiduciaire et légales et le manquement à l'article 7 de la Charte.

[6]                Les faits allégués dans les déclarations initiales, et que la Cour d'appel a tenus pour avérés pour les fins de son jugement, étaient les suivants.

[7]                Les demandeurs sont devenus membres des Forces armées en 1981 et ont été libérés pour causes médicales en 2001. Tous deux, à différentes époques, ont été affectés à diverses missions de maintien de la paix à l'étranger, par exemple, à Chypre, en Croatie, en Yougoslavie, en Somalie, à Haïti et au Timor oriental. Il est allégué que ces missions comportaient des aspects traumatisants bien connus de leurs supérieurs, mais que malgré cela, aucun traitement ou suivi médical ne leur fut prodigué à leur retour de mission. On leur a de surcroît imposé des tâches et responsabilités supplémentaires, pour lesquelles ils n'étaient pas qualifiés, augmentant ainsi le stress subi et aggravant leur état. On reproche aussi à la défenderesse de n'avoir pas mis sur pied de système visant à offrir un service de thérapie ou d'aide au retour de missions traumatisantes, ou pour empêcher les abus d'autorité et l'imposition de surcharge de travail dans ces circonstances.

[8]                La Cour d'appel dans son jugement constate que tous les dommages réclamés sont relatifs à des maladies ou affections subies lors du service militaire, et pour lesquels les demandeurs peuvent faire des demandes de pension.

[9]                Elle conclut donc que les actions en responsabilité civile sont interdites en vertu de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État. Quant à la relation fiduciaire aussi invoquée par les demandeurs au soutien de leurs actions, la Cour conclut que cette allégation n'enlève pas aux actions leur caractère d'action en responsabilité civile délictuelle. La Cour d'appel conclut donc au rejet des actions, sauf cependant en ce qui concerne la violation alléguée des droits garantis par la Charte.

[10]            Eu égard à cet aspect des actions, la Cour d'appel note ce qui suit :

« [78]       Les appelants n'ont aucunement précisé en quoi l'article 7 de la Charte a été violé. Dans l'éventualité toutefois où l'intimée aurait violé les droits des appelants garantis par cet article, il est loin d'être certain que l'article 9 de la Loi puisse être invoqué pour écarter une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances. Il appartiendra au juge, chargé d'appliquer le paragraphe 24(1) de la Charte, d'apprécier si la pension qui pourrait éventuellement avoir été accordée constitue une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances, ou s'il y a lieu d'y ajouter une autre compensation. »

[11]            Cependant, puisque le paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions prescrit comme condition préalable à la poursuite d'une action qui n'est pas interdite par l'article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État, que le demandeur fasse et poursuive une demande de pension jusqu'à ce que l'inexistence du droit à la pension ait été reconnue, la Cour d'appel suspend donc les actions jusqu'à ce que cette condition ait été rencontrée. Elle permet de plus aux demandeurs d'amender leurs actions en conséquence du jugement.

[12]            Bien que le dossier d'appel ne le démontrait pas, les demandeurs avaient, bien avant l'audition de l'appel, présenté des demandes de pension pour les affections décrites aux déclarations, demandes de pension qui ont été accordées. En fait, contrairement à la prescription stricte du paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions, qui prévoit la suspension des actions « jusqu'à ce que l'inexistence du droit à la pension ait été constatée en dernier recours » , les demandeurs déclarent avoir rempli les conditions énoncées par la Cour d'appel fédérale en incluant, dans leurs déclarations amendées et précisées, la déclaration suivante :

« Les demandes de pension ont été faites en vertu de la Loi sur les pensions pour toutes les blessures ou maladies énumérées au paragraphe 61. Les affectations [sic] desquelles découlent les symptômes décrits au paragraphe et toute aggravation de ceux-ci. Toutes les demandes ainsi faites ont été reconnues comme donnant ouverture à une pension. L'inexistence du droit à la pension n'a été reconnue pour aucune de ces blessures, maladies, affections ou symptômes. »

(Les soulignés sont de moi)

[13]            Pour ce qui est des autres amendements aux déclarations, les demandeurs n'ont pratiquement rien retranché des déclarations initiales, mais se sont d'une part employés à reformuler certaines allégations, requalifiant comme manquement à la Charte certains faits qui avaient déjà été allégués à titre de manquement aux obligations fiduciaires ou négligence. Ils ont d'autre part ajouté des allégations supplémentaires à l'effet que :

a.        Les Forces armées imposent un système de tutelle et d'obéissance totale, dans tous les aspects de la vie des militaires, y compris l'accès aux soins médicaux.

b.       La maladie chez les membres - et particulièrement la maladie mentale ou psychologique - est systématiquement ignorée par les Forces armées.

c.        Les Forces armées ont omis de se conformer à leur obligation d'analyse et de préparation préalable aux missions étrangères visant à éviter de mettre en péril la vie ou la santé des militaires.

d.       Les Forces armées savaient ou devaient savoir que cette omission mettait en danger la vie et l'intégrité physique des demandeurs.

e.        Les Forces armées n'ont pas adéquatement préparé les demandeurs aux risques exceptionnels mais bien connus des missions.

[14]            Ainsi donc, les amendements ont principalement pour effet d'ajouter aux actions des allégations de conduite systémique de la part des Forces armées et de manquements préalables aux missions alors que les actions initiales mettaient plutôt l'emphase sur le comportement de certains préposés de l'État et se limitaient aux manquements postérieurs aux missions, c'est-à-dire, aux actes ayant aggravé un état de santé dont la cause n'était pas autrement reprochée.

ARGUMENTS DE LA DÉFENDERESSE

[15]            La défenderesse propose un argument en plusieurs volets. Tout d'abord, elle soumet que les actions - dans leur entier - doivent être radiées au motif d'abus de procédure, parce que les déclarations amendées contreviennent aux exigences du jugement de la Cour d'appel, et ce, en deux aspects distincts. Le premier aspect a trait aux causes d'actions formant la base du recours : la défenderesse soumet que, contrairement au jugement de la Cour d'appel rayant les recours basés sur la responsabilité civile et la relation fiduciaire, les demandeurs n'ont éliminé aucune des allégations de faits donnant ouverture à la responsabilité civile, mais ont plutôt procédé à reformuler ou maquiller les faits déjà allégués afin de faire croire à un recours basé sur la Charte, alors que la nature du recours demeure inchangée. Comme second aspect de l'abus de procédure, la défenderesse plaide que les demandeurs n'ont pas satisfait aux conditions prescrites par le paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions, tel qu'ordonné par la Cour d'appel, puisque aucune des demandes de pension formulées par les demandeurs n'a résulté en une décision constatant l'inexistence du droit à la pension. Bien au contraire, toutes les demandes ont été accueillies et les demandeurs s'en déclarent satisfaits.

[16]            Outre la radiation au motif de l'abus de procédure, la défenderesse soutient que les déclarations, telles qu'amendées, continuent de ne révéler aucune cause d'action raisonnable. À ce titre, la défenderesse plaide que les faits allégués ne démontrent aucun manquement à l'article 7 de la Charte, et que puisque les pertes alléguées font l'objet d'une compensation en vertu d'un régime d'indemnisation statutaire, l'action du demandeur vise à obtenir double compensation pour une même perte. Une telle double compensation ne serait pas permise par l'article 24 de la Charte et demeurerait, par ailleurs, interdite par l'article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État. Finalement, la défenderesse soumet que la seule voie de recours des demandeurs, s'ils étaient insatisfaits des prestations reçues ou des limites imposées par l'article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État, était d'attaquer, par voie de révision administrative et de contrôle judiciaire, la quantum de la pension accordée ou d'attaquer la validité constitutionnelle de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État.

[17]            Comme remède subsidiaire, dans l'éventualité où la Cour se refuserait à radier les actions en entier, la défenderesse demande que la Cour radie les paragraphes servant de base aux recours en responsabilité délictuelle ou découlant d'une obligation fiduciaire, tant en application du jugement de la Cour d'appel qu'en application de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État.

ANALYSE

L'abus de procédures

Remarques préliminaires

[18]            Il est important de rappeler ici que ce que la défenderesse demande par ce moyen n'est pas la radiation partielle des déclarations ou la suspension des actions en application du jugement de la Cour d'appel, mais le rejet total des actions au motif d'abus de procédure. Afin d'en arriver à la conclusion recherchée par la défenderesse, il me faudrait donc conclure, non seulement que les amendements ne respectent pas le dispositif clair du jugement de la Cour d'appel ou son esprit, mais que le non-respect du jugement de la Cour d'appel est tel qu'il mérite d'être sanctionné par le rejet total des actions, plutôt que simplement par ordonnance exigeant ou permettant aux demandeurs de se conformer au jugement de la Cour d'appel.

[19]            La Cour note que dans l'arrêt Burberry Ltd. c. Colton, [2003] A.C.F. no. 149, la seule autorité soumise par la défenderesse au soutien de cette proposition, la Cour n'avait fait que radier une défense amendée qui circonvenait à une série d'ordonnances de la Cour, sans toutefois aller jusqu'à rejeter la défense antérieure. Je conçois, comme la Cour l'a par ailleurs noté dans l'arrêt Burberry, que la Cour a le pouvoir de radier un plaidoyer qui ne respecte pas une ordonnance de la Cour, et que ce pouvoir peut même s'étendre au rejet de l'action ou de la défense sous-jacente. Toutefois ce pouvoir - et plus particulièrement le pouvoir de rejeter non seulement la procédure mais le recours même - ne doit être exercé que dans les cas où l'abus est manifeste et l'intérêt de la justice l'exige. En l'instance, et pour les motifs ci-après, je ne suis pas convaincue que les déclarations amendées contreviennent clairement au jugement de la Cour d'appel. De plus, même si contraventions il y avait, elles ne justifieraient ni la radiation des déclarations amendées, ni le rejet des actions.

Les amendements relatifs aux causes d'actions

[20]            La défenderesse reproche aux demandeurs de n'avoir pas éliminé de leurs déclarations les allégués ouvrant droit à une action en responsabilité civile ou fondée sur l'obligation fiduciaire. Il faut toutefois se rappeler que le jugement de la Cour d'appel ne portait pas radiation de paragraphes spécifiques des déclarations, mais portait, pour chaque dossier, que « l'action est rayée sauf en ce qui a trait à la portion de l'action visée par l'article 7 de la Charte. [...] L'appelant devra [...] modifier sa déclaration pour la rendre conforme aux motifs du jugement. » . Les demandeurs n'avaient donc, à prime abord, aucune obligation d'éliminer ou de retirer de leurs déclarations quelque paragraphe ou allégation que ce soit, sauf dans la mesure où cela soit nécessaire à rendre leurs déclarations « conformes aux motifs du jugement » . Pour leur part, les motifs du jugement n'identifient aucun paragraphe ou allégation qui dût nécessairement être retiré en raison du rejet d'une portion des actions. Puisque le dispositif du jugement ne comporte aucune prescription claire à l'effet que des allégations doivent être radiées, il me faudrait conclure que par ses motifs, la Cour d'appel a déterminé que certains des faits allégués aux déclarations initiales ne pouvaient servir ou même être pertinents à appuyer une action fondée sur l'article 7 de la Charte et qu'ils devaient donc être éliminés. De toute évidence, une telle conclusion est impossible. Qui plus est, l'argument de la défenderesse semble procéder de la prémisse, incorrecte à mes yeux, que des faits donnant ouverture à une cause d'action reconnue ne peuvent, à la lumière de faits additionnels, donner ouverture à une cause d'action différente.

[21]            Le même argument vaut, à mon avis, à l'égard du reproche qu'adresse la défenderesse aux demandeurs, à l'effet que les déclarations amendées n'aient subies que des modifications cosmétiques visant à requalifier juridiquement les même faits. Certes, et la jurisprudence citée par la défenderesse l'illustre bien, le simple remaniement ou la requalification de faits identiques ne peut suffire à modifier l'essence d'un litige. Cependant, ce que l'argument de la défenderesse prend pour acquis - et c'est là où la Cour ne partage pas son opinion - c'est que les amendements se limitent à une reformulation et n'ajoutent aucun élément nouveau.

[22]            En effet, dans sa plaidoirie, le procureur de la défenderesse a procédé à une analyse comparative détaillée des déclarations initiales et amendées identifiant les éléments qui ont été retranchés, ceux qui ont été reformulés et ceux qui ont été ajoutés. Au chapitre des ajouts, le procureur de la défenderesse conclut que mis à part certaines allégations générales et conclusions de fait dépourvues de tout fondement factuel, les déclarations amendées ne comportent aucun fait qui n'avait pas déjà été connu et pris en considération par la Cour d'appel lorsque celle-ci a conclu que les demandeurs n'avaient « aucunement précisé en quoi l'article 7 de la Charte a été violé » .

[23]            Eut-ce été le cas, j'aurais peut-être conclu, à l'instar de la défenderesse, que les demandeurs avaient effectivement habillement tenté d'esquiver le résultat du jugement de la Cour d'appel.

[24]            Cependant, l'analyse de la défenderesse à l'effet que les déclarations amendées n'amènent aucun fait nouveau repose sur des prémisses que je n'accepte pas. J'ai déjà énuméré plus haut (aux paragraphes 13 et 14 de ces motifs) les allégations supplémentaires que les demandeurs ont ajoutées par leurs amendements. Avec égards pour la position de la défenderesse, je ne peux considérer que les allégations relatives au défaut de préparation adéquate des missions de paix et au défaut d'entraînement et de préparation des demandeurs pour faire face aux risques de ces missions soient à ce point vagues et dépourvues de précisions qu'il faille n'y voir que des conclusions gratuites sans fondement factuel. La défenderesse a d'ailleurs déjà présenté une requête pour précisions à l'égard des déclarations amendées, dans le cadre de laquelle elle aurait pu exiger des détails additionnels quant à ces allégations; elle ne l'a pas fait et il lui sied mal maintenant de prétendre que ces allégations doivent être ignorées parce que trop vagues. Pour ce qui est des allégations relatives au refus systémique des Forces armées de reconnaître et traiter le syndrome de stress post-traumatique chez ses membres, elles ne faisaient clairement pas partie des déclarations initiales. Si ces faits ont été portés à la connaissance de la Cour d'appel, c'est, comme il appert du paragraphe [32] des motifs du jugement, par le truchement du cahier conjoint d'autorités déposé par les parties à l'audience. Si la Cour d'appel prend note de ces faits, c'est à titre de « toile de fond » , et non à titre de faits allégués ou que l'on propose d'alléguer dans ces actions. Rien dans les motifs de la Cour d'appel ne permet de conclure avec certitude que la Cour d'appel a considéré ces faits comme allégués lorsqu'elle a conclu que les déclarations ne précisaient pas suffisamment en quoi l'article 7 de la Charte avait été violé.

[25]            J'en conclus donc que la défenderesse n'a pas démontré que les demandeurs ont contrevenu à la lettre ou à l'esprit du jugement de la Cour d'appel en formulant leurs amendements à l'égard des faits donnant ouverture au droit d'action. Le dispositif du jugement de la Cour d'appel n'obligeait pas nécessairement les demandeurs à retirer toutes ou parties de leurs allégations de faits; il ne les obligeait qu'à préciser en quoi l'article 7 de la Charte avait été violé. Si, pour se conformer à cette ordonnance, les demandeurs on considéré devoir conserver toutes les allégations de faits en y rajoutant des faits additionnels démontrant une violation de la Charte, il leur était loisible de le faire. Tout ce qu'il ne leur était pas raisonnablement permis de faire - et qu'il n'ont d'ailleurs pas tenté de faire - c'était de ne reformuler que les mêmes faits en leur donnant une caractérisation juridique différente.

[26]            La question de savoir si les faits additionnels allégués sont suffisants pour appuyer un recours en vertu de la Charte n'a pas à être déterminée dans le cadre de l'argument fondé sur l'abus de procédure; elle sera plutôt analysée comme question distincte, à savoir si les déclarations, telles qu'amendées, révèlent une cause d'action raisonnable.


Le paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions

[27]            Le dispositif du jugement de la Cour d'appel prévoit que :

« L'action est suspendue jusqu'à ce que les conditions prescrites au paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions soient satisfaites.

L'appelant devra, dans les 60 jours de la date du présent jugement, modifier sa déclaration pour la rendre conforme aux motifs du jugement » .

[28]            Rappelons que le paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions prévoit que :

111(2) « L'action non visée par l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif fait, sur demande, l'objet d'une suspension jusqu'à ce que le demandeur, ou celui qui agit pour lui, fasse, de bonne foi, une demande de pension pour l'invalidité ou le décès en cause, et jusqu'à ce que l'inexistence du droit à la pension ait été constatée en dernier recours au titre de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). »

111(2) "An action that is not barred by virtue of section 9 of the Crown Liability and Proceedings Act shall, on application, be stayed until (a) an application for a pension in respect of the same disability or death has been made and pursued in good faith by or on behalf of the person by whom, or on whose behalf, the action was brought; and (b) a decision to the effect that no pension may be paid to or in respect of that person in respect of the same disability or death has been confirmed by an appeal panel of the Veterans Review and Appeal Board in accordance with the Veterans Review and Appeal Board Act."

[29]            De façon manifeste, les conditions prescrites au paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions n'ont pas été satisfaites. Les demandeurs ont bien présenté, de bonne foi, des demandes de pension pour toutes les invalidités et cause, mais l'inexistence du droit à la pension n'a pas été reconnue, les demandes ayant toutes été accueillies sans même qu'il n'y ait nécessité d'appel.

[30]            Malgré cela, les demandeurs ont amendé, à l'intérieur des délais prescrits par la Cour d'appel, leurs déclarations en y mentionnant spécifiquement que des pensions avaient été accordées pour les invalidités en cause. Tout doute quant à la nature et l'étendue des invalidités, affections ou aggravations à l'égard desquelles ces pensions ont été demandées et accordées fut subséquemment résolu par voie de précisions. S'agit-il ici d'une contravention au jugement de la Cour d'appel? Le cas échéant, cette contravention constitue-elle un abus de procédure justifiant le rejet de l'action?

[31]            Soit, les conditions prescrites au paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions n'ont pas été satisfaites, puisque ce paragraphe exige non seulement qu'une demande soit présentée de bonne foi (ce à quoi les demandeurs se sont conformés) mais que le résultat de cette demande soit négatif - ce qui ne fut pas le cas. Pour autant qu'il faille conclure que le dispositif du jugement soit clair et non sujet à interprétation, le non-respect de cette partie du jugement ne résulte aucunement des actions ou de la volition des demandeurs. Qui plus est, s'il doit y avoir une conséquence au fait que les demandeurs n'aient pu, de bonne foi, satisfaire à la seconde condition prévue par le paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions, cette conséquence ne peut être le rejet de l'action, mais le maintien de la suspension de l'action ordonnée par la Cour d'appel. Le cas échéant, cette Cour n'aurait de choix que de reconnaître que la suspension décrétée par la Cour d'appel continue de s'appliquer, et le seul remède possible serait pour les parties de faire application à la Cour d'appel pour qu'elle lève la suspension.

[32]            L'autre aspect à considérer ici, c'est cette partie du jugement de la Cour d'appel qui permet l'amendement de la déclaration « pour la rendre conforme aux motifs du jugement » (le souligné est de moi). La faculté d'amender prévue au jugement n'est par ailleurs pas soumise à la suspension, le délai accordé étant de 60 jours à compter du jugement, et non à compter de la levée de la suspension. Le fait, donc, pour les demandeurs d'amender leurs actions en dépit de la suspension ne constitue pas une contravention au jugement. Qui plus est, le jugement permet spécifiquement un amendement visant à rendre les déclarations conformes aux motifs du jugement. Or les motifs du jugement révèlent, à mon sens clairement, que la Cour d'appel envisageait que cette partie des actions basées sur la violation de l'article 7 de la Charte se poursuive une fois le droit à la pension établi et son montant fixé :

« [78] Les appelants n'ont aucunement précisé en quoi l'article 7 de la Charte a été violé. Dans l'éventualité toutefois où l'intimée aurait violé les droits des appelants garantis par cet article, il est loin d'être certain que l'article 9 de la Loi puisse être invoqué pour écarter une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances. Il appartiendra au juge, chargé d'appliquer le paragraphe 24(1) de la Charte, d'apprécier si la pension qui pourrait éventuellement avoir été accordée constitue une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances, ou s'il y a lieu d'y ajouter une autre compensation. »

(Les soulignés sont de moi)

[33]            C'est d'ailleurs l'interprétation qu'a retenu la Cour d'appel elle-même dans le récent arrêt Canada c. Prentice, 2005 CAF 395, où elle écrit, au paragraphe 68 :

« Mais la Cour a aussi décidé que si le juge du procès concluait qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Charte et que la Couronne ne peut opposer son immunité à cette violation, la seule réparation convenable et juste qu'il pourrait accorder dans les circonstances en vertu de l'article 24 de la Charte serait la différence entre la valeur du préjudice réellement subi et la valeur de l'indemnité que les demandeurs avaient ou auraient reçue une fois le processus administratif complété. »

[34]            Il était donc parfaitement permissible pour les demandeurs d'amender leur action de la façon dont ils l'ont fait, c'est-à-dire, pour plaider les pensions demandées et accordées à l'égard des invalidités en cause, et soutenir, tel qu'envisagé par la Cour d'appel, qu'eu égard aux circonstances et à la violation alléguée des droits garantis, le paragraphe 24(1) de la Charte permet une compensation monétaire additionnelle, nonobstant l'article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État.

[35]            Si par ailleurs j'avais tort d'interpréter ainsi le jugement de la Cour d'appel, je n'en conclurait pas moins que le défaut d'avoir satisfait aux conditions strictes du paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions ne constitue pas une contravention au jugement de la Cour d'appel ni un abus de procédure, mais uniquement un motif de maintient de la suspension requérant l'intervention de la Cour d'appel.

La cause d'action basée sur l'article 7 de la Charte

[36]            La défenderesse soumet que les déclarations, telles qu'amendées, ne révèlent aucune cause d'action raisonnable basée sur la violation de l'article 7 de la Charte. La défenderesse soutient d'une part que la Cour d'appel avait déterminé que les faits initialement plaidés étaient insuffisants pour établir la violation d'un droit garanti par l'article 7, et que les nouveaux allégués n'ajoutent aucun élément pertinent qui n'eut déjà été considéré par la Cour d'appel. J'ai déjà conclu plus haut dans ces motifs que les amendements contiennent effectivement des faits nouveaux. La Cour d'appel ayant été silencieuse à l'égard de la nature des faits qui seraient nécessaires à l'établissement d'une violation de l'article 7 de la Charte, il m'apparaît être un exercice stérile que de s'astreindre à identifier ce que les amendements ajoutent aux déclarations pour ensuite tenter de soupeser si la nature et la pertinence des ajouts sont suffisamment « substantielles » pour faire contrepoids à la décision de la Cour d'appel. Il faut plutôt à mon avis considérer les déclarations amendées comme des documents à part entière afin de déterminer si les faits allégués dans leur ensemble donnent raisonnablement ouverture à une violation de l'article 7 de la Charte. À même cette analyse, je considèrerai le second argument de la défenderesse sur ce point, c'est-à-dire, le défaut pour les demandeurs d'avoir identifié ou plaidé le ou les principes de justice fondamentale à l'encontre desquels l'atteinte aux droits fondamentaux doit être jugée.

[37]            Les parties s'entendent quant au principe qu'une détermination que l'article 7 de la Charte a été violé requière plus que la démonstration que l'État a porté atteinte à la vie, la liberté ou la sécurité des demandeurs. Il faut, de plus, que cette atteinte ne soit pas conforme aux principes de justice fondamentale. (Article 7 de la Charte, R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417, R. c. Malmo-Levine, [2003] 3 R.C.S. 571).

[38]            Si la défenderesse concède, pour les fins de cette requête, que les atteintes alléguées par les demandeurs dans leurs procédures (soit, entre autre, le stress post-traumatique) peuvent raisonnablement constituer des atteintes à la vie et à la sécurité de la personne des demandeurs, elle soutient qu'aucune des allégations des déclarations amendées ne révèle quel principe de justice fondamentale entre en cause, et de quelle façon l'atteinte alléguée n'y serait pas conforme.

[39]            Il est à propos de rappeler ici quelques principes de droit généraux applicables en l'instance. Tout d'abord, dans le cadre d'une requête pour rejet, il n'incombe pas au demandeur de démontrer le bien fondé de sa demande. Le fardeau de persuasion repose entièrement sur le défendeur. C'est à lui qu'incombe le très lourd fardeau de satisfaire la Cour que les faits tels qu'allégués ne peuvent en aucun cas et d'aucune façon fonder une cause d'action raisonnable. La norme applicable est l'absence totale d'une cause d'action. Même l'ombre d'une chance de succès suffira à faire échec à une telle requête. Il faut considérer l'acte de procédure attaqué dans son ensemble et l'interpréter dans son contexte et de façon libérale ou généreuse (Martel c. Bande indienne Samson, [1999] A.C.F. no. 374). Finalement, les plaidoyers peuvent, mais de façon générale n'ont pas à expliciter le droit applicable (Règles 174 et 175, Conohan c. Cooperators, [2002] 3 C.F. 421).

[40]            Ainsi donc, le défaut pour les demandeurs de définir, dans leurs déclarations, le ou les principes de justice fondamentale auxquels on aurait contrevenu n'est pas fatal. Certes, il aurait été souhaitable que les défendeurs articulent les principes invoqués, sinon dans leurs déclarations, à tout le moins dans leurs représentations écrites sur cette requête. Il y aura même probablement lieu que les plaidoyers soient éventuellement explicités à cet égard afin d'assurer que les bases factuelles et légales soient adéquatement définies en vue d'un procès efficace. Mais le doute quant aux assises légales d'un recours ne suffit pas pour radier une déclaration.

[41]            Quant à la suffisance des faits allégués, je ne compte pas ici reprendre un à un les nombreux arguments de la défenderesse. Suffise de dire que si persuasifs soient-ils, ils ont comme défaut commun de considérer en isolation les divers éléments factuels allégués pour conclure, soit qu'aucune des fautes ou agissements reprochés à la défenderesse n'a causé le ou les dommages subis par les demandeurs ou encore que les actes ou décisions qui ont directement affecté les demandeurs n'impliquent aucun principe de justice fondamentale.

[42]            Lisant, comme il se doit, les déclarations en leur ensemble et en contexte, de façon généreuse, et ignorant leur tendance malheureuse à emprunter le langage de la responsabilité civile et du devoir de fiduciaire, les propositions factuelles suivantes peuvent en être dégagées : Que la défenderesse a, de façon systémique et injustifiée, ignoré ou refusé de reconnaître un facteur de risque particulier à la santé et l'intégrité de ses soldats, soit l'intégrité de leur santé mentale. Les divers faits et circonstances plaidés pourraient servir à illustrer ou démontrer l'existence de cette omission systémique de considérer, de parer à et de traiter ce type particulier de blessures ou d'affections. Selon la plaidoirie orale des procureurs des demandeurs à l'audience, ces actions de la défenderesse mettraient en jeu des principes de justice fondamentale ayant trait à la discrimination, l'égalité devant la loi, la protection contre l'arbitraire et le devoir d'une personne en position d'imposer un travail à une autre d'en limiter les risques inhérents.

[43]            Les principes juridiques qui peuvent constituer un principe de justice fondamentale ne sont pas prédéterminés (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486). Il m'apparaît impossible de conclure, sur une requête préliminaire en rejet, qu'il est manifeste que les principes juridiques invoqués par les demandeurs en plaidoirie orale ne constitueraient pas des principes de justice fondamentale, que le comportement systémique allégué à l'encontre de la défenderesse n'y contreviendrait pas ou que ce comportement n'ait pas causé ou contribué aux atteintes dont se plaignent les demandeurs.

[44]            Pour ces motifs la Cour rejette l'argument de la défenderesse voulant que les allégations de la déclaration ne révèlent aucune cause d'action raisonnable basée sur l'article 7 de la Charte.

Double compensation et article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État

[45]            Pour appuyer son argumentation sur ce point, la défenderesse rappelle les faits et principes suivants :

-         La Cour d'appel a conclu que les dommages réclamés par les demandeurs dans leurs actions initiales sont tous reliés au service militaire et donnent tous ouverture à pension.

-         Les demandeurs reçoivent maintenant des pensions à l'égard de tous ces dommages, pensions qui leur sont accordées en vertu de la Loi sur les pensions et qui constituent donc une indemnisation statutaire pour toutes les blessures et pertes subies.

-         Par leurs amendements, les demandeurs ne réclament aucun nouveau chef de dommage pour lequel une pension n'est pas déjà accordée.

[46]            La défenderesse soumet donc que les actions des demandeurs équivalent à une demande de double indemnisation pour un même dommage, double indemnisation que les articles 7 et 24 de la Charte n'ont pas pour objet de permettre.

[47]            Partant des mêmes observations, la défenderesse rappelle que l'article 9 de la Loi sur la responsabilité de l'État consacre l'interdiction de poursuivre dans le cas présent, et soumet que pour contourner l'interdiction résultant de l'article 9, les demandeurs n'avaient d'autre choix que d'attaquer la validité constitutionnelle de cet article, chose qu'ils n'ont pas faite.

[48]            La défenderesse soutient finalement que la Cour d'appel fédérale ne s'est pas prononcée sur ces arguments dans sa décision antérieure, vu l'absence d'allégations suffisantes pour établir une cause d'action basée sur la violation d'un droit garanti par la Charte.

[49]            Il m'apparaît manifeste que la Cour d'appel a déterminé, de façon explicite, que cet argument ne pouvait être retenu au stade de la requête en rejet d'action. La Cour d'appel a d'ailleurs réitéré cette conclusion dans Canada c. Prentice, précité, en interprétant la décision comme suit :

[68]          Ce que je retiens de ces propos, c'est que la Cour, en l'absence d'allégations précises lui permettant de déterminer s'il y avait violation de l'article 7 de la Charte, a permis aux demandeurs de modifier leur déclaration et a laissé le juge du procès déterminer si les conditions d'application de l'article 7 de la Charte étaient rencontrées. La Cour s'est aussi dite d'avis qu'il n'était pas manifeste et évident, au stade d'une requête en radiation, que l'immunité de la Couronne faisait obstacle à l'exercice d'un recours fondé sur l'article 7 de la Charte, laissant là aussi la décision ultime au juge du procès. Mais la Cour a aussi décidé que si le juge du procès concluait qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Charte et que la Couronne ne peut opposer son immunité à cette violation, la seule réparation convenable et juste qu'il pourrait accorder dans les circonstances en vertu de l'article 24 de la Charte, serait la différence entre la valeur du préjudice réellement subi et la valeur de l'indemnité que les demandeurs avaient ou auront reçue un fois le processus administratif complété.

(Les soulignés sont de moi)

[50]            Cet argument de la défenderesse est donc rejeté.

Recours administratif alternatif

[51]            La défenderesse soumet que le demandeur, avant de s'adresser à la Cour, aurait dû contester le caractère convenable et juste de la pension qui lui a été accordée devant les tribunaux administratifs qui déterminent ces prestations.

[52]            Non seulement cet argument est-il contraire aux motifs et à l'effet du jugement de la Cour d'appel, mais il est de plus clairement mal fondé, en ce qu'il présuppose que les tribunaux administratifs chargés de déterminer le montant des pensions payables en vertu de la Loi sur les pensions aient l'autorité requise pour passer outre aux barèmes établis par la loi et les règlements et accorder toute pension qu'ils estiment juste et convenable eut égard aux circonstances. Non seulement les dispositions de la Loi sur les pensions semblent-t-elles clairement exclurent une telle discrétion, mais la défenderesse n'a soumis aucune argumentation étayant cette thèse. La défenderesse n'a donc pas établi que la contestation de la pension accordée devant les tribunaux administratifs chargés de déterminer le montant des prestations payables en vertu de la Loi sur les pensions constitue effectivement un recours administratif adéquat privant cette Cour de juridiction.

[53]            Il faut par ailleurs noter que, sur demande formulée avant l'audition de la présente requête et avec le consentement des demandeurs, la Cour a réservé le droit de la défenderesse de présenter, dans le cadre d'une autre demande de radiation, l'argument d'absence de juridiction de cette Cour basé sur le défaut des demandeurs de se prévaloir du mécanisme de grief prévu à l'article 29 de la Loi sur la défense nationale L.R.C. (1985), ch. N-5. Cet argument, que la défenderesse n'avait initialement pas inclus comme motif à la présente requête, a été formulé et sera plaidé dans le cadre de quelque 25 dossiers connexes. Advenant le cas où une détermination ultérieurement faite dans le cadre de ces autres dossiers soit applicable aux faits de la présente cause, la défenderesse aura donc l'opportunité de plaider son applicabilité à la présente cause. L'absence de juridiction de cette Cour en raison de l'existence de cet autre recours administratif ne sera donc pas abordée dans le cadre des présents motifs.

Radiation partielle

[54]            De façon subsidiaire, la défenderesse demande à la Cour, si celle-ci venait à conclure que l'action du demandeur ne devrait pas être radiée entièrement, que les faits et événements allégués dans la déclaration initiale au soutien des recours basés sur la responsabilité civile délictuelle ou découlant d'une obligation fiduciaire soient radiés.

[55]            Tel que mentionné précédemment, ce n'est pas parce que la Cour d'appel a reconnu que les causes d'action fondées sur la responsabilité civile délictuelle et l'obligation fiduciaire étaient interdites par l'article 9 de laLoi sur la responsabilité de l'État que les faits allégués pour donner ouverture à de tels recours ne peuvent, à la lumière de faits additionnels, aussi donner ouverture à un recours basé sur une violation de la Charte et qu'ils doivent par conséquent être radiés. Pour faire droit à cette conclusion subsidiaire recherchée par la défenderesse, la Cour devrait se pencher sur chaque allégation de fait de la déclaration, de façon à déterminer si il est manifeste et évident que cette allégation ne puisse être pertinente à établir la violation de l'article 7 de la Charte à l'égard des demandeurs. La défenderesse n'a pas elle-même tenté de faire cette exercice ni suggéré à la Cour quelle allégation ou quel paragraphe elle considérait dépourvu de toute pertinence et méritant la radiation. De toute façon, puisque le recours des demandeurs se base, en outre, sur l'allégation d'une conduite systémique de la part de la défenderesse, que les faits et circonstances spécifiquement plaidés illustreraient ou démontreraient, il est impossible pour cette Cour de conclure, à l'égard de quelque fait ou allégué que ce soit, qu'il soit manifestement et évidemment dénué de toute pertinence à l'égard de la cause d'action.


Conclusions et dispositions subsidiaires

[56]            La requête de la défenderesse est donc rejetée, avec dépens en faveur des demandeurs. Comme je l'ai fait à l'égard du dossier Bernath c. Sa Majesté la Reine, 2005 CF 1232, les délais dans le présent dossier, y compris les délais prévus à la Règle 51 pour faire appel de la présente décision, sont suspendus jusqu'à ordonnance contraire. Cette suspension vise à permettre que les appels qui pourraient être logés à l'égard des diverses décisions rendues ou à être rendues sur les requêtes en rejet d'action mues par la défenderesse dans ces dossiers et quelque vingt-cinq autres puissent être gérés de la façon la plus efficace pour les parties et pour la Cour.

[57]            Par ailleurs, les modalités et les délais pour la présentation d'une autre requête pour rejet de la part de la défenderesse, basée cette fois sur le non-exercice d'un recours en vertu de l'article 29 de la Loi sur la défense nationale, seront déterminés, le cas échéant, dans le cadre d'une conférence de gestion à être fixée.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE QUE :

1.          Les requêtes de la défenderesse sont rejetées, avec dépens en faveur des demandeurs.

2.          Les délais pour les prochaines étapes à suivre dans ce dossier, y inclus les délais prévus par la Règle 51 des Règles des Cours fédérales pour faire appel de la présente ordonnance sont suspendus, jusqu'à ordonnance contraire de la Cour.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-600-02

INTITULÉ :                                                    JEAN-CLAUDE DROLET c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

DOSSIER :                                                     T-601-02

INTITULÉ :                                                    GEORGES DUMONT c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LES 20 ET 21 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               MADAME LA PROTONOTAIRE TABIB

DATE DES MOTIFS :                                   LE 17 MARS 2006

COMPARUTIONS:

ME JACQUES FERRON

ME HENRI BRUN

ME GILLES SAVARD

POUR LE(S) DEMANDEUR(ERESSE)(S)

ME PIERRE SALOIS

ME MARIÈVE SIROIS-VAILLANCOURT

POUR LE(S) DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

ME JACQUES FERRON

QUÉBEC (QUÉBEC)

POUR LE(S) DEMANDEUR(ERESSE)(S)

JOHN H. SIMS C.R.

MONTRÉAL (QUÉBEC)

POUR LE(S) DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

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