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     T-1273-97

Entre :

     MERCK FROSST CANADA INC.

     et

     MERCK & CO., INC.,

     requérantes,

     et


LE MINISTRE DE LA SANTÉ, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

APOTEX INC. et

APOTEX FERMENTATION INC.,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MACKAY

     Les présents motifs concernent ma décision relative aux quatre requêtes inscrites au rôle pour audition à Ottawa le 25 septembre 1997. J'ai alors été saisi d'une requête présentée au nom des intimées Apotex Inc. et Apotex Fermentation Inc. (ci-après désignées collectivement "Apotex") en vertu du par. 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications (la "Loi"), pour faire en sorte que la présente instance soit instruite comme s'il s'agissait d'une action, qu'elle soit jointe à une action intentée par les requérantes contre les intimées Apotex dans le dossier T-1272-97 et qu'elle soit entendue en même temps que cette action. Cette même journée, la Cour a également entendu une requête déposée le 19 septembre 1997 par les requérantes Merck Frosst Canada Inc. et Merck & Co. Inc. (ci-après désignées collectivement "Merck") en vue d'obtenir l'autorisation de déposer un avis de requête introductive d'instance modifié dans le cadre de la présente instance.

     Cette même journée, la Cour a été saisie de deux autres requêtes, au nom des requérantes Merck, qui visaient à obtenir des ordonnances contraignant Mary Elizabeth Carman et M. Bernard Sherman à comparaître à nouveau pour subir un autre contre-interrogatoire et pour répondre aux questions, découlant des affidavits déposés, auxquelles il y avait eu opposition ou qui avaient été rejetées. Ces deux requêtes n'ont pas été entendues le 25 septembre et il est donc ordonné par les présentes qu'elles soient ajournées. Je signale que, selon toutes les parties, ces deux requêtes peuvent être tranchées dans le cadre d'une conférence de gestion d'instance prévue pour le 6 octobre 1997 et ayant pour but d'examiner les points que soulève l'audition de la présente affaire (T-1273-97) de même que ceux que soulèvent l'instance en injonction interlocutoire et l'action inscrite au greffe sous le numéro T-1272-97. Les ordonnances d'ajournement de ces requêtes précisent que celles-ci peuvent être présentées à nouveau le 6 octobre avec l'approbation du juge présidant l'audience.

     Je traiterai des requêtes entendues et maintenant tranchées, après un bref survol du contexte qui me permettra de dresser la toile de fond de la présente instance.

Contexte

     Le 26 mars 1997, Apotex Inc. s'est vu délivrer un avis de conformité (AC) en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, par le ministre de la Santé intimé relativement aux comprimés d'Apo-lovastatine. Ce médicament est la version générique de la lovastatine de Merck vendue au Canada sous la marque de commerce MEVACOR", pour laquelle Merck avait obtenu un AC en 1988 à l'égard du traitement des taux élevés de cholestérol ainsi que d'autres AC par la suite pour d'autres traitements.

     L'AC a été délivré à Apotex après que la Cour eut rejeté une demande que Merck avait présentée afin d'obtenir une ordonnance d'interdiction en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le "Règlement"). La décision de mon collègue, le juge Rothstein, datée du 26 mars 1997 (no de greffe T-1305-93), a été rendue à l'échéance du délai légal de 30 mois prévu à l'art. 7 du Règlement. Conformément à ce texte réglementaire, Apotex a demandé un AC et, au moyen d'un avis d'allégation, a informé Merck que le produit générique d'Apotex ne constituerait pas une contrefaçon des brevets de Merck à l'égard de la lovastatine. Apotex a ensuite signifié un deuxième avis d'allégation, concernant sa demande d'AC, qui a donné lieu à une deuxième demande d'interdiction de la part de Merck en vertu du Règlement. Apotex a plus tard retiré le deuxième avis d'allégation, soit en février 1997.

     Après des demandes ultérieures de renseignements, au moyen de demandes d'accès à l'information et de demandes adressées au ministère de la Santé, Merck a constaté que la monographie de produit de l'Apo-lovastatine, approuvée de concert avec l'AC d'Apotex le 26 mars 1997, mentionnait que le produit d'Apotex se fondait sur un micro-organisme, l'Aspergillus obscurus, qui, selon Merck, est essentiellement le même que celui visé par ses brevets. Par la suite, le ministère de la Santé a laissé savoir que la monographie de produit de l'Apo-lovastatine était erronée, puisque le processus de production, au moment de la délivrance de l'AC, se fondait sur un autre micro-organisme, le Coniothyrium fuckelii. Le Ministère a déclaré qu'une monographie de produit modifiée serait publiée sans erreur quant à la nature du micro-organisme utilisé par Apotex. Le 11 juillet 1997, après le début de la présente instance, le Ministre a envoyé à Apotex une lettre à laquelle étaient jointes une nouvelle page couverture et une nouvelle première page pour la monographie de produit antérieurement approuvée, corrigeant ainsi ce qui était considéré comme des erreurs matérielles.

     Le 12 juin 1997, les requérantes Merck ont déposé une déclaration invoquant la contrefaçon de leurs brevets à l'égard de la lovastatine, par Apotex, en raison de la production et de la vente de l'Apo-lovastatine. Dans cette action (T-1272-97), les intimées Apotex sont défenderesses, et Merck cherche à obtenir diverses ordonnances déclaratoires concernant la contrefaçon par Apotex, la validité des brevets de Merck, la concurrence déloyale d'Apotex et le fait qu'elle fasse passer ses produits pour d'autres; Merck demande également le prononcé d'une injonction permanente à l'endroit des défenderesses, la remise des produits contrefaits, des dommages-intérêts ou la comptabilisation des profits, des dommages-intérêts punitifs, les dépens et les intérêts. Tous les recours exercés visent les défenderesses Apotex; le Ministre ainsi que le procureur général, intimés dans la présente instance, ne sont pas nommés à titre de parties ni d'intervenants dans l'action.

     Le même jour, soit le 12 juin 1997, les requérantes Merck ont introduit la présente instance contre les ministres intimés par voie d'avis de requête introductive d'instance, et les intimées Apotex ont par la suite été jointes comme parties. La demande vise le contrôle judiciaire de la décision prise par le ministre de la Santé le 26 mars 1997, c'est-à-dire la délivrance d'un AC à Apotex à l'égard de son produit Apo-lovastatine. Elle vise également le prononcé de quatre ordonnances provisoires et interlocutoires contre le ministre de la Santé, enjoignant à celui-ci, jusqu'à ce que la présente demande soit tranchée définitivement, de révoquer ou de suspendre l'AC délivré le 26 mars 1997 à Apotex, de même que la délivrance d'une ordonnance interdisant au Ministre de délivrer un AC nouveau ou modifié à Apotex pour la lovastatine jusqu'à ce qu'il exige d'Apotex le dépôt d'une nouvelle présentation pour ce produit et jusqu'à ce qu'Apotex ait envoyé un nouvel avis d'allégation à Merck à l'égard de la lovastatine, conformément au Règlement. Les requérantes tentent en outre d'obtenir une ordonnance interdisant l'examen de toute présentation nouvelle ou modifiée d'Apotex jusqu'à ce que celle-ci ait déposé une nouvelle présentation et se conforme au Règlement, ainsi qu'une ordonnance permanente qui révoque ou suspend l'AC délivré le 26 mars 1997, censément après l'audition de la présente demande. Un recours provisoire essentiellement analogue, mais visant les entreprises Apotex, a été exercé par Merck dans son action T-1272-97 et par voie de requête. Merck souhaite obtenir, aussi bien dans la présente demande que dans son action, le prononcé d'une injonction provisoire, ce qui lui a été refusé par mon collègue le juge Dubé dans ses ordonnances en date du 2 juillet 1997.

     Des affidavits ont été déposés : trois par Merck à l'appui de sa demande, un par Mary Elizabeth Carman, directrice du Bureau de l'évaluation des produits pharmaceutiques de la Direction des produits thérapeutiques de Santé Canada, au nom du ministre de la Santé intimé, et deux par M. Bernard Sherman, président du conseil d'Apotex Inc., pour le compte de celle-ci. Durant le contre-interrogatoire de Mme Carman, il semble que les réponses données aient été détaillées, que bon nombre de documents aient été produits sur demande et que le ministère de la Santé ait été prêt à faire preuve d'ouverture et de franchise dans la communication des questions touchant la décision du 26 mars 1997, contestée dans la présente instance. À la lumière de ce contre-interrogatoire et de celui de M. Sherman concernant son propre affidavit, les requérantes Merck estiment qu'il existe des faits additionnels étayant leurs arguments. Cette constatation, de même que la forme de l'avis de requête introductive d'instance initial qui, selon les motifs sous-tendant la demande, présente des allégués factuels détaillés sur lesquels s'appuient les requérantes Merck, ont amené celles-ci à présenter une requête par laquelle elles demandent que soit modifié l'avis de requête introductive d'instance. Les modifications proposées et les demandes de Merck, déposées en même temps, afin d'obtenir des ordonnances contraignant Mme Carman et M. Sherman à comparaître à nouveau et à répondre à des questions qui avaient été rejetées ou qui avaient fait l'objet d'une opposition, ont incité les intimées Apotex à présenter une requête dont l'objectif est de convertir la présente instance en une action. Deux jours après le dépôt de la requête et la veille de l'audition des présentes, Merck a déposé une déclaration modifiée dans le cadre de l'action T-1272-97, comme elle en avait le droit puisqu'aucune défense n'avait encore été déposée par Apotex. Ces modifications suppriment de la déclaration les renvois contenus dans l'ancienne version qui réitéraient, ou du moins reflétaient, une partie des points dont il est question dans la présente demande de contrôle judiciaire.

Requête d'Apotex visant à ce que la présente instance soit instruite comme s'il s'agissait d'une action

     Au nom d'Apotex, on demande à la Cour que la présente demande soit instruite comme s'il s'agissait d'une action. L'article 18.4 de la Loi dispose :

         18.4(1) Sous réserve du paragraphe (2), la Section de première instance statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.         
         (2) La Section de première instance peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.         

     On soutient que les faits soulevés dans la présente instance ne peuvent être établis par des affidavits de façon satisfaisante, que la complexité et la nature de l'instance ne sont pas compatibles avec l'objet et la nature expéditive d'un contrôle judiciaire et, en outre, que l'action de Merck contre les entreprises Apotex concernant la présumée contrefaçon soulève aussi comme points en litige des questions faisant l'objet de la présente demande. Ces arguments découlent essentiellement des perceptions des avocats d'Apotex, qui estiment que les avocats de Merck traitent la présente instance comme s'il s'agissait d'une action. Ces perceptions découlent aussi de la forme de l'avis de requête introductive d'instance initial ainsi que de l'approche adoptée par Merck durant le contre-interrogatoire à l'égard des affidavits, contre-interrogatoire qui serait analogue au processus d'interrogatoire préalable dans le cadre d'une action. Les perceptions des avocats d'Apotex seraient encore étayées par les requêtes déposées devant la Cour au nom des requérantes Merck afin d'obtenir l'autorisation de déposer un avis de requête introductive d'instance modifié et une ordonnance enjoignant aux auteurs des affidavits de comparaître à nouveau pour un autre interrogatoire, qui porterait censément sur leurs affidavits.

     Les arguments d'Apotex ne tiennent pas compte de la déclaration modifiée présentée dans le cadre de l'action T-1272-97, qui a été déposée la veille de l'audition des requêtes visées en l'espèce, à la fin de la journée. Les changements apportés dans la déclaration modifiée semblent, pour l'essentiel, porter sur des passages de la version initiale qui, selon les propositions déjà présentées par Apotex au moyen d'une requête qui n'avait pas encore été entendue, devraient être radiés. Peu importe que ces changements soient ou non proposés en réaction aux objections antérieures d'Apotex, ils éliminent fondamentalement toute possibilité sérieuse de prétendre que l'action touche des points qui sont soulevées dans le cadre de la présente instance. Il est vrai que le point en litige en l'espèce, soit la légalité de la décision du Ministre de délivrer l'AC à Apotex le 26 mars 1997, peut sembler à première vue avoir une certaine importance dans le cadre de l'action T-1272-97, mais cette décision, qu'elle soit légitime ou non, ne présente aucune pertinence réelle en ce qui concerne les questions relatives à la présumée contrefaçon des brevets de Merck ou les pratiques censément déloyales d'Apotex.

     À mon avis, compte tenu de la déclaration modifiée, il est désormais impossible de faire valoir que les éléments de preuve touchant des points fondamentaux soulevés dans la présente demande s'apparentent aux éléments de preuve touchant des points fondamentaux soulevés dans l'action de Merck, même si les deux instances découlent des mêmes événements.

     Quant aux observations d'Apotex selon lesquelles la présente instance n'est pas vraiment susceptible de contrôle judiciaire, pour autant que ces observations se fondent sur le fait que Merck se comporte comme s'il s'agissait d'une action, elles ne constituent pas des motifs justifiant que la présente demande soit instruite comme une action. Il est vrai que la forme de l'avis de requête introductive d'instance est inusitée, qu'il s'agisse de la requête initiale ou de la version modifiée proposée. En effet, les motifs invoqués dans les deux cas comportent quelque 80 paragraphes énonçant des allégations détaillées de faits et d'erreurs, d'après les requérantes Merck, ce qui ressemble beaucoup à la plaidoirie détaillée exposée dans une déclaration approfondie, et les allégations initiales, comme Merck le propose maintenant, seraient modifiées à la lumière de faits censément tirés des affidavits et du contre-interrogatoire sur ces affidavits depuis le début de la présente instance. Il est possible que les avocats de Merck traitent le contre-interrogatoire portant sur les affidavits comme s'il s'agissait d'un interrogatoire préalable dans le cadre d'une action. Dans une demande de contrôle judiciaire où les éléments de preuve sont présentés par voie d'affidavits, le contre-interrogatoire n'est pas un interrogatoire préalable. Les avocats des intimés peuvent empêcher que leurs témoins soient soumis à quoi que ce soit d'autre qu'un contre-interrogatoire approprié sur des questions pertinentes en ce qui concerne les points soulevés dans l'avis de requête introductive d'instance ou sur des points découlant par ailleurs des affidavits.

     Apotex soutient que les requérantes Merck ne peuvent présenter le dossier qui se trouvait entre les mains du Ministre au moment de la décision et que, faute de ce dossier, il est inopportun de procéder au contrôle judiciaire. Avec égards pour l'opinion contraire, j'estime que cette affirmation témoigne d'une incompréhension de ce qui constitue "le dossier". Le dossier que possédait le Ministre est celui qu'il peut établir en vertu de la règle 1613, toute explication nécessaire étant donnée par voie d'affidavit. Le dossier de la demande que les requérantes Merck doivent déposer conformément aux règles peut comprendre des affidavits soumis à l'appui de leur thèse et peut-être des transcriptions des contre-interrogatoires pertinents des auteurs des affidavits déposés pour le compte des intimés. Une partie, mais pas nécessairement la totalité, du dossier que possédait le Ministre au moment de sa décision peut fort bien se retrouver dans les pièces jointes aux affidavits des requérantes.

     Finalement, Apotex fait valoir que les allégations de Merck, concernant les actions d'Apotex Inc. et d'Apotex Fermentation Inc. de même que les présumées erreurs du Ministre ou de son personnel, soulèvent de graves questions, et laissent même croire qu'il y a eu fraude. On demande instamment à la Cour, lorsqu'elle se penchera sur les points soulevés dans la présente demande, de déterminer si le produit d'Apotex en question est fabriqué conformément au processus décrit par Apotex dans sa demande d'AC et approuvé par le Ministre. On précise que cette détermination soulève des questions de crédibilité et nécessite une preuve d'expert dans des domaines scientifiques complexes, questions qui ne peuvent être tranchées de façon satisfaisante qu'au moyen d'une instruction où les témoins peuvent faire l'objet d'un contre-interrogatoire. Je ne suis pas convaincu que la Cour, lorsqu'elle doit considérer si le Ministre a agi légalement ou non, au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi, soit tenue d'examiner les questions graves et quelque peu complexes qui sont mentionnées. À mon avis, il ne s'agit pas non plus d'un dossier où le contre-interrogatoire de témoins en audience ouverte, comme dans le cas d'une action, est obligatoire pour trancher les points soulevés par la présente instance. Par exemple, le souhait des parties de réagir aux perceptions selon lesquelles les allégations des requérantes causent du tort à leur réputation, comme le prétend Apotex Fermentation en l'espèce, ne justifie pas que la présente instance soit convertie en une action. Cette possibilité n'est pas importante dans la présente affaire puisque les points qui préoccupent cette partie ne sont pas fondamentaux dans le cadre de la question relativement étroite qui consiste à déterminer si le Ministre a agi dans les limites de son pouvoir discrétionnaire légal en délivrant l'AC à Apotex. On peut en dire autant de toute préoccupation que pourrait avoir le Ministre quant aux allégations relatives à des présumées erreurs dans le processus décisionnel, puisque ces allégations seront en bout de ligne résolues à la lumière de faits qui peuvent facilement être énoncés dans un ou plusieurs affidavits ainsi que des règles de droit applicables.

     J'ajouterai un commentaire, qui touche plus directement la requête présentée par Merck pour obtenir l'autorisation de déposer l'avis de requête introductive d'instance modifié, soit que la présente demande de contrôle judiciaire visera la décision prise par le Ministre le 26 mars 1997 de délivrer l'AC. La Cour ne procédera pas à l'examen détaillé de l'ensemble du processus par lequel le Ministère a considéré les présentations d'Apotex relativement à l'Apo-lovastatine entre 1993 et 1997, sauf dans la mesure où les événements et les documents antérieurs à la délivrance de l'AC peuvent être pertinents, aux termes des règlements et des pratiques applicables du Ministère, à titre de fondements essentiels de la décision du Ministre qui est en litige.

     Dans l'affaire Del Zotto c. Ministre du Revenu national et al. (1995), 103 F.T.R. 150, à la page 157 (décision infirmée pour d'autres motifs à (1996) 195 N.R. 74, 96 D.T.C. 6222 (C.A.F.)), mon collègue le juge McKeown a fait une recension des décisions récentes de la Cour d'appel relatives à la conversion d'un contrôle judiciaire en une action, se reportant plus précisément aux arrêts Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1995), 179 N.R. 398 (C.A.F.) et MacInnis c. Canada (procureur général) et al., [1994] 2 C.F. 464; 166 N.R. 57; 113 D.L.R. (4th) 529, 25 Admin. L.R. (2d) 294 (C.A.F.). Selon le juge McKeown, les facteurs suivants sont notamment à prendre en considération :

         [...] (1) la multiplicité non souhaitable des procédures; (2) la volonté d'éviter les dépens et les délais inutiles; (3) la question de savoir si les questions en cause exigent une évaluation de l'attitude et de la crédibilité des témoins; et (4) la nécessité pour la Cour de saisir l'ensemble de la preuve.         

     Bien que la thèse d'Apotex se fonde en partie sur le souhait d'éviter des instances multiples, je remarque que la présence instance vise le Ministre intimé, tandis que l'action intentée par Merck, comme le précise la déclaration modifiée, vise les intimées Apotex Inc. et Apotex Fermentation Inc. Deux instances introduites principalement contre des parties différentes, et qui constituent des recours tout à fait différents, ne sont pas rendues vraiment plus faciles, à mon sens, par la conversion de la présente demande de contrôle judiciaire en une action, même s'il s'ensuit alors que les deux actions sont tranchées en même temps.

     Parmi les autres facteurs soulevés dans la présente instance, signalons le fait que le ministre de la Santé intimé souhaite que les points soulevés par la demande de contrôle judiciaire soient résolus le plus rapidement possible. Enfin, les requérantes, qui ont engagé la présente instance afin de contester la décision du Ministre, s'opposent à la conversion. Elles estiment en effet que le processus de contrôle judiciaire offre des probabilités raisonnables de parvenir à une solution assez rapidement. Même si elle est accélérée, une action risque d'être beaucoup plus longue à résoudre, en particulier s'il est ordonné qu'elle soit traitée avec l'action qui fait l'objet du dossier T-1272-97, où les questions relatives à la contrefaçon et à la concurrence déloyale supposent de longs délais de préparation et une longue audience.

     Compte tenu de tous les facteurs soulevés qui me paraissent pertinents, je ne suis pas convaincu que la présente instance doive être instruite comme s'il s'agissait d'une action. Pour prononcer une ordonnance en ce sens, surtout devant l'opposition des requérantes, je devrais m'appuyer sur des raisons spéciales, dont aucune n'est convaincante en l'espèce. J'ordonne donc le rejet de la demande présentée par les intimées Apotex.

Requête visant l'autorisation de modifier l'avis de requête introductive d'instance

     La requête présentée par Merck vise à obtenir l'autorisation de déposer un avis de requête introductive d'instance modifié. Les changements demandés sont les suivants :

     1)      modifier l'ordonnance demandée à titre de mesure de redressement dans la présente instance
         a)      par la suppression des renvois aux ordonnances provisoires et interlocutoires sollicitées initialement, puisque la demande de redressement provisoire a maintenant été rejetée;
         b)      par l'ajout d'une demande d'ordonnance qui révoque ou suspend la décision prise par le Ministre le 11 juillet 1997 afin de modifier l'AC délivré antérieurement;
         c)      par l'ajout d'une précision à la demande antérieure qui visait l'obtention d'une ordonnance d'interdiction empêchant la délivrance d'un AC à Apotex pour la lovastatine jusqu'à ce qu'Apotex dépose une nouvelle présentation et se soumette encore une fois au processus d'approbation complet;
         d)      par le prononcé d'une ordonnance prescrivant que les dépens soient adjugés aux intimés sur la base procureur-client.
     2)      modifier l'énoncé détaillé des faits allégués dans l'avis de requête introductive d'instance initial, en ajoutant d'autres allégations de fait qui, selon Merck, découlent des affidavits déposés par Mme Carman pour le ministre de la Santé et par M. Sherman au nom d'Apotex ainsi que du contre-interrogatoire portant sur ces affidavits.

     La modification d'un avis de requête introductive d'instance peut être permise, à la discrétion de la Cour, lorsqu'elle contribue à la détermination des points réellement en litige entre les parties et lorsqu'elle ne portera pas préjudice aux parties qui demandent une mesure de redressement. (Voir SNC-Lavalin Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics) (1994), 79 F.T.R. 113, à la page 122; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. et al., [1997] F.C.J. No. 1023 (25 juillet 1997, no de greffe T-422-96) (C.F. 1re inst.). Dans une affaire où la modification proposée était inutile ou inopportune, l'autorisation de modifier la requête a été refusée. (Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. (1994), 54 C.P.R. (3d) 402 (C.F. 1re inst.)).

     Voici les conclusions auxquelles je suis parvenu après avoir examiné les modifications proposées en l'instance. Quant aux modifications relatives à la mesure de redressement demandée par les requérantes, il est inutile de supprimer le renvoi au redressement provisoire et interlocutoire sollicité initialement, et une telle suppression ferait d'ailleurs abstraction du dossier de l'instance antérieure présidée par monsieur le juge Dubé à l'égard de la requête en redressement provisoire présentée par les requérantes, dossier qui fait désormais partie du dossier de la présente affaire. Même si ce recours ne sera plus exercé par les requérantes, il est inutile d'en supprimer toute mention alors qu'il a déjà été réglé en partie à ce stade-ci.

     L'ajout d'une demande d'ordonnance visant la révocation ou la suspension de la décision rendue par le Ministre le 11 juillet 1997 serait, à mon avis, inopportun. Une demande de contrôle judiciaire régie par la règle 1602(4) de la Cour doit viser une seule décision, ou l'omission de prendre une décision, et l'avis de requête introductive d'instance initial et modifié demande déjà en l'espèce le contrôle de la décision prise par le Ministre le 26 mars 1997, soit la délivrance d'un AC à Apotex à l'égard de son produit Apo-lovastatine. À l'audition de la présente demande, les avocats de Merck ont confirmé que la décision du 26 mars est la décision fondamentale qu'ils cherchent à écarter par le biais de la présente instance. Même si l'on a fait valoir que les allégations factuelles détaillées modifiées qu'on tente d'introduire établissent clairement que Merck cherche à contester en l'espèce toute la série de décisions rendues pour le compte du Ministre et qui ont mené à la délivrance d'un AC et à sa modification subséquente, cela revêtirait une pertinence seulement dans la mesure où le processus antérieur à cette délivrance fait partie intégrante, en droit ou d'après les pratiques du Ministre, de la décision en question. Le contrôle judiciaire ne sert pas au contrôle d'un processus permanent et continu, car il vise, outre le redressement déclaratoire, à contrôler une décision ou une action particulière, ou encore l'absence de la décision ou de l'action exigée par le législateur.

     La modification proposée en vue de fournir les détails d'une ordonnance d'interdiction demandée contre le Ministre, quant à toute décision future de délivrer un AC à Apotex à l'égard de la lovastatine, est inopportune à ce stade-ci selon moi. La description de l'ordonnance demandée, telle qu'elle figure dans l'avis de requête introductive d'instance modifié qui est proposé, se fonde sur un point de vue donné ou une interprétation particulière des effets juridiques d'une décision concluant que le Ministre a commis une erreur de droit en délivrant l'AC à Apotex en mars 1997. Si le juge saisi de la requête introductive d'instance est persuadé que l'ordonnance d'interdiction est indiquée, la demande détaillée visant l'obtention d'une telle ordonnance pourra être tranchée de la façon la plus appropriée sur la foi des observations relatives aux éléments de preuve et aux arguments qui peuvent en bout de ligne être présentés. La requête introductive d'instance qui a été déposée initialement vise effectivement la délivrance d'une ordonnance d'interdiction. Cette demande subsiste, et seuls les détails seraient changés si la version modifiée était maintenant déposée. À mon avis, les termes détaillés de l'ordonnance, si elle accordée, seront fixés par le juge présidant l'audience.

     Parmi les modifications qu'on souhaite apporter à la mesure de redressement demandée, la dernière vise l'adjudication des dépens contre les intimés, censément les quatre parties intimées, sur la base procureur-client. Les requérantes pourraient avoir tout un défi à relever pour persuader le juge présidant l'audience de l'opportunité d'une telle adjudication, particulièrement à la lumière de la règle 1618 qui exige que des raisons spéciales justifient l'adjudication des frais, même entre parties, dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Néanmoins, on ne peut empêcher les requérantes de modifier la requête introductive d'instance initiale pour faire valoir que les circonstances en l'espèce justifient l'adjudication des dépens de la manière demandée. La modification de l'avis de requête introductive d'instance en vue de demander l'adjudication des dépens sur la base procureur-client, telle qu'elle est énoncée dans la clause E proposée des ordonnances demandées par le biais de l'avis de requête introductive d'instance modifié, peut donc être déposée par les requérantes.

     Je me pencherai maintenant sur les modifications qu'on propose d'apporter à l'exposé détaillé des faits et observations figurant dans l'avis de requête introductive d'instance modifié et qui sont invoquées à l'appui de la requête. À mon avis, ces modifications sont tout à fait inutiles et l'autorisation de modifier l'avis de requête introductive d'instance de la manière proposée est donc refusée. Il n'est pas nécessaire d'énoncer des allégations détaillées de fait dans le texte de l'avis de requête introductive d'instance. Il s'agit de questions qui relèvent principalement de la preuve et, dans une certaine mesure, des arguments fondés sur ces éléments de preuve. Ceux-ci, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, sont fournis sous forme d'affidavits, accompagnés de pièces documentaires appropriées et des éléments de preuve pertinents qui figurent dans la transcription des contre-interrogatoires portant sur les affidavits. Habituellement, les arguments fondés sur ces éléments de preuve sont ensuite énoncés dans un "bref mémoire sur les questions que la partie requérante se propose de débattre" qui doit être versé au dossier de la demande des requérantes, comme l'exige la règle 1606. L'ajout d'allégations factuelles détaillées et d'arguments dans l'avis de requête introductive d'instance ne donne aux faits aucun statut; les faits allégués n'ont d'importance que s'ils sont présentés au moyen d'affidavits ou du contre-interrogatoire portant sur ces affidavits.

     Même si l'autorisation de modifier les allégations factuelles détaillées est refusée, cela n'empêche pas les requérantes de s'appuyer sur ces faits s'ils sont présentés sous forme d'affidavits ou au moyen du contre-interrogatoire des auteurs de ces affidavits. Lorsque le dossier de la demande des requérantes est déposé et que les arguments sont énoncés dans leur bref mémoire, le point de vue de Merck sur les faits peut inciter les intimés à déposer en réponse d'autres témoignages sous forme d'affidavits, comme il est permis de le faire sous le régime de la règle 1608. Il peut être approprié qu'un échéancier soit fixé par convention entre les parties ou par la Cour afin que les dossiers de la demande soient clos suffisamment avant la date fixée provisoirement pour l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, mais je laisse ce point au programme de la conférence de gestion d'instance prévue pour le 6 octobre 1997.

Conclusion

     Pour les motifs énoncés ci-dessus, les ordonnances suivantes sont prononcées.

     1.      Est rejetée la requête présentée par Apotex en vue d'obtenir que la présente instance soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.
     2.      Est rejetée la demande d'autorisation de dépôt d'un avis de requête introductive d'instance modifié présentée par les entreprises Merck, sauf qu'une modification visant l'adjudication des dépens sur la base procureur-client contre les intimés est accueillie si Merck décide de déposer un avis de requête introductive d'instance modifié en fonction de ce changement seulement.
3 et 4.      Sont ajournées pour examen, avec l'approbation du juge présidant l'audience, lors d'une conférence de gestion d'instance prévue pour le 6 octobre 1997, les requêtes présentées par les entreprises Merck en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant à Mary Elizabeth Carman et à Bernard Sherman de comparaître à nouveau pour un autre contre-interrogatoire à l'égard de leurs affidavits.

" W. Andrew MacKay "

Juge

Toronto (Ontario)

Le 1er octobre 1997.

Traduction certifiée conforme      ________________________

     C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                  T-1273-97             

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MERCK FROSST CANADA INC.

                         et

                         MERCK & CO., INC.,

                         et

                         LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL

                         DU CANADA,

                         APOTEX INC.,

                         et APOTEX FERMENTATION INC.

                    

DATE DE L'AUDITION :              LE 25 SEPTEMBRE 1997

LIEU DE L'AUDITION :              OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MACKAY EN DATE DU 1er OCTOBRE 1997.

ONT COMPARU :

                         M. Robert Charlton

                         M. Brian Daley

                         M. Nelson Landry

                         M me Joanne Chriqui

            

                             Pour les requérantes

                         M. Harry Radomski

                         M. Andrew Brodkin

                         M. John A. Meyers

                         M. Patrick Riley

                         M. André Lespérance         

                             Pour les intimés



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                         OGILVY RENAULT

                         Montréal (Québec)

                    

                             Pour les requérantes

                          George Thomson

                         Sous-procureur général

                         du Canada

                         et

                         GOODMAN PHILLIPS &                          VINEBERG

                         Toronto (Ontario)

                         et

                         TAYLOR - MCCAFFREY

                         Winnipeg (Manitoba)

                             Pour les intimés

                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     N o du greffe :      T-1273-97

                     Entre :

                     MERCK FROSST CANADA INC.

                     et

                     MERCK & CO., INC.,

                    

     requérantes,

                         et

                     LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL

                     DU CANADA,

                     APOTEX INC.,

                     et APOTEX FERMENTATION INC.,

                    

     intimés.

                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


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