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Date : 20060530

Dossier : T-1376-05

Référence : 2006 CF 653

Montréal (Québec), le 30 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

SÉBASTIEN CÔTÉ-SAVARD

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 17 juin 2005 par laquelle un sous-commissaire principal du Service correctionnel du Canada (le commissaire) a rejeté le grief au troisième palier déposé par M. Sébastien Côté-Savard (le demandeur) au sujet de la réévaluation de sa cote de sécurité, qui est passée de moyenne à maximale, et par son transfert non sollicité de l'établissement à sécurité moyenne Cowansville à l'établissement à sécurité « maximale » Donnacona.

FAITS PERTINENTS

[2]                Le demandeur purge une peine fédérale de 10 ans, 1 mois et 23 jours pour des délits de vols qualifiés, usage d'arme à feu, braquer une arme, usage négligent d'une arme, conduite dangereuse d'un véhicule, omission de se conformer à un engagement, usage d'une fausse arme à feu, possession non autorisée et délibérée d'une arme à feu, vol ne dépassant pas 5 000$, voies de faits et infraction au code de la route.

[3]                Au moment des événements qui font l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur avait une cote de sécurité « moyenne » et était incarcéré à l'établissement Cowansville.

[4]                Le 8 décembre 2004, des officiers ont procédé à une fouille de la cellule du demandeur. Ils ont confisqué un objet de contrebande, soit une arme blanche (un pic). Le demandeur a été placé en isolement préventif. L'enquête interne de l'établissement a révélé que le « pic » appartenait au demandeur.

[5]                Le 17 décembre 2004, l'agent de libération conditionnelle et la gérante d'unité du demandeur ont signé une évaluation en vue d'une décision relative à la cote de sécurité du demandeur ainsi qu'à un transfert non sollicité vers l'établissement Donnacona. La cote de sécurité du demandeur a donc été évaluée à « maximale » et son transfert a été recommandé vers l'établissement Donnacona. Le 4 janvier 2005, la directrice de l'établissement a signé une décision à cet effet.

[6]                Un rapport disciplinaire a aussi été émis à l'égard des événements du 8 décembre 2004. Le 13 janvier 2005, le président indépendant de la cour disciplinaire de l'institution a ordonné l'arrêt de procédures en raison du délai trop long à traiter ce rapport.

[7]                Le demandeur a présenté sans succès un grief jusqu'au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs du Service correctionnel du Canada (SCC) pour contester la réévaluation de sa cote de sécurité et son transfert non sollicité.

QUESTION EN LITIGE

[8]                Est-ce que la décision du troisième palier de la procédure de grief qui confirme la cote de sécurité du demandeur au niveau « maximale » est manifestement déraisonnable?

ANALYSE

[9]                Tous les détenus dans les pénitenciers se voient attribués une cote de sécurité qui est révisée annuellement. Les articles 17 et 18 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition DORS/92-620, 29 octobre 1992 (le Règlement) spécifient les facteurs à prendre en considération pour l'établissement de cette cote :

17. Le Service détermine la cote de sécurité à assigner à chaque détenu conformément à l'article 30 de la Loi en tenant compte des facteurs suivants :

a) la gravité de l'infraction commise par le détenu;

b) toute accusation en instance contre lui;

c) son rendement et sa conduite pendant qu'il purge sa peine;

d) ses antécédents sociaux et criminels, y compris ses antécédents comme jeune contrevenant s'ils sont disponibles;

e) toute maladie physique ou mentale ou tout trouble mental dont il souffre;

f) sa propension à la violence;

g) son implication continue dans des activités criminelles.

18. Pour l'application de l'article 30 de la Loi, le détenu reçoit, selon le cas :

a) la cote de sécurité maximale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un risque élevé d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une grande menace pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

b) la cote de sécurité moyenne, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un risque d'évasion de faible à moyen et, en cas d'évasion, constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un degré moyen de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

c) la cote de sécurité minimale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un faible risque d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une faible menace pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un faible degré de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier.

17. The Service shall take the following factors into consideration in determining the security classification to be assigned to an inmate pursuant to section 30 of the Act:

(a) the seriousness of the offence committed by the inmate;

(b) any outstanding charges against the inmate;

(c) the inmate's performance and behaviour while under sentence;

(d) the inmate's social, criminal and, where available, young-offender history;

(e) any physical or mental illness or disorder suffered by the inmate;

(f) the inmate's potential for violent behaviour; and

(g) the inmate's continued involvement in criminal activities.

18. For the purposes of section 30 of the Act, an inmate shall be classified as

(a) maximum security where the inmate is assessed by the Service as

(i) presenting a high probability of escape and a high risk to the safety of the public in the event of escape, or

(ii) requiring a high degree of supervision and control within the penitentiary;

(b) medium security where the inmate is assessed by the Service as

(i) presenting a low to moderate probability of escape and a moderate risk to the safety of the public in the event of escape, or

(ii) requiring a moderate degree of supervision and control within the penitentiary; and

(c) minimum security where the inmate is assessed by the Service as

(i) presenting a low probability of escape and a low risk to the safety of the public in the event of escape, and

(ii) requiring a low degree of supervision and control within the penitentiary.

[10]            Tel que mentionné par la Cour d'appel fédérale, au paragraphe 16 de la décision Canada (Procureur général) c. Boucher, 2005 CAF 77, [2005] A.C.F. no 352, l'application de ces critères en est une de fait et la norme de contrôle applicable est donc celle du manifestement déraisonnable :

Le paragraphe 18a) du Règlement relatif à la cote de sécurité maximale réfère au risque élevé d'évasion, à la menace pour la sécurité du public et à la nécessité d'un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier. Il s'agit essentiellement de questions de fait à être déterminées par les autorités carcérales. Leur détermination, comme on a pu le voir dans le présent dossier, fait appel à l'expérience et à l'expertise de professionnels en matière de sécurité et d'évaluation du comportement. En révision judiciaire, la norme de contrôle applicable à la détermination faite de ces questions de fait est celle du manifestement déraisonnable, c'est-à-dire, selon les propos du juge Iacobucci dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52, que la décision doit être "clairement irrationnelle ou de toute évidence non conforme à la raison". Il s'agit d'une décision "à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir" : ibidem.

[11]            Le demandeur prétend que la réévaluation de sa cote de sécurité et le transfert d'institution ont été faits de façon cruelle et inusitée. Ces changements sont fondés sur le fait que les autorités ont trouvé une arme dans sa cellule. Cependant, le demandeur prétend qu'il n'existe aucune preuve pour démontrer que l'arme lui appartenait. D'ailleurs, l'accusation que l'arme lui appartenait a été l'objet d'un arrêt de procédure en cour disciplinaire.

[12]            Le commissaire a conclu de la façon suivante quant à l'arme trouvée dans la cellule du demandeur :

Or le 8 décembre 2004, une arme artisanale a été saisie dans votre cellule. Vous avez reçu un rapport disciplinaire grave suite à cet incident. Toutefois, ce rapport disciplinaire fut rejeté par le Président indépendant le 13 janvier 2005 parce que ce dernier a ordonné l'arrêt des procédures, considérant que le processus de traitement de ce rapport avait été trop long.

Vous indiquez, dans le grief actuel, que vous avez été acquitté de cette infraction alors que les faits démontrent plutôt que le rapport disciplinaire a été retiré. M. Côté-Savard, même si ce rapport a été retiré, ceci ne veut pas dire que vous étiez innocent des gestes reprochés. Le Président indépendant ne vous a pas acquitté de cette infraction mais a plutôt retiré le rapport en raison des délais trop longs de traitement.

(Réponse au grief du délinquant (troisième palier), à la page 1, onglet 28, dossier du défendeur)

[13]            Je suis d'accord avec les propos du commissaire ci-dessus. En effet, le demandeur n'a pas été acquitté de l'infraction mentionnée au rapport disciplinaire relatif aux événements du 8 décembre 2004; son dossier a plutôt été l'objet d'un arrêt de procédures en raison du délai trop long à traiter son dossier. De plus, même si le demandeur avait été acquitté, les autorités pourraient quand même se référer à la découverte d'une arme blanche dans la cellule du demandeur pour justifier la hausse de sa cote de sécurité. Tel que mentionné par le demandeur, le fardeau de la preuve en matière disciplinaire est de convaincre le président du tribunal disciplinaire hors de tout doute raisonnable de la commission de l'infraction, ce qui n'est pas le cas dans le cadre des mesures administratives comme la révision d'une cote de sécurité ou d'un transfert involontaire.

[14]            De plus, le commissaire a indiqué que la hausse de la cote de sécurité a été basée sur plusieurs facteurs qui ont été interprétés dans le cadre du paragraphe 18(a) du Règlement, et non seulement le rapport disciplinaire :

Les trois facteurs de risque furent évalués comme suit : Adaptation en établissement - élevé, risque lié à l'évasion - modéré et risque pour la sécurité du public - élevé

[...]

La hausse de votre cote de sécurité n'a pas été basée seulement sur un rapport disciplinaire, qui en fait ne vous innocentait pas, comme vous le prétendez, mais plutôt sur l'accumulation d'une série d'incidents qui se sont produits durant votre séjour à l'établissement Cowansville.

(Réponse au grief du délinquant (troisième palier), aux pages 2 et 3, onglet 28, dossier du défendeur)

[15]            Le commissaire a pris en considération des facteurs portant sur le risque élevé d'évasion, la menace pour la sécurité du public et la nécessité d'un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier et a conclu qu'une hausse de la cote de sécurité du demandeur était justifiée. En appliquant la norme de l'erreur manifestement déraisonnable à la décision du commissaire, je ne peux conclure que celle-ci est clairement irrationnelle ou de toute évidence non conforme à la raison.

[16]            Le demandeur prétend que la décision de le garder en ségrégation après que le président de la cour disciplinaire eu ordonné l'arrêt des procédures, le 13 janvier 2005, est arbitraire et porte atteinte aux articles 7 et 9 de la Charte. Le commissaire avait statué par rapport au maintien en isolement du demandeur :

À la même date, soit le 8 décembre 2004, vous avez été placé de façon involontaire en isolement préventif afin que la lumière soit faite sur cet incident et que le risque que vous représentiez soit évalué.

(Réponse au grief du délinquant (troisième palier), à la page 1, onglet 28, dossier du défendeur)

[17]            Je suis d'accord avec les prétentions du défendeur quant au placement involontaire en isolement préventif. En effet, le maintien en isolement du demandeur est justifié par l'enquête quant à l'arme trouvée dans sa cellule et par la hausse de sa cote de sécurité. Comme le demandeur ne pouvait plus rester dans un établissement à sécurité moyenne, les autorités devaient le maintenir en isolement jusqu'à son transfert dans un établissement à sécurité maximale.

[18]            Dans l'arrêt Doherty c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1429, [2004] A.C.F. no 1725, le juge Rouleau aborde la décision d'ordonner un transfert et les principes de justice fondamentale et d'équité procédurale :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'article 7 de la Charte des droits et libertés, je me permets de citer le sommaire du jugement Trono (Sous-commissaire, Région du Pacifique, Service correctionnel du Canada) c. Gallant, 68 C.R. (3d) 173, avec lequel je suis entièrement d'accord et dont voici le texte :

La décision de transférer l'intimé n'a pas été prise conformément aux principes de justice fondamentale, puisque l'intimé n'a pas vraiment eu la chance de répondre aux allégations portées contre lui. Pour ce qui est de l'article premier de la Charte, la Loi sur les pénitenciers donne au commissaire et à ses délégués le pouvoir discrétionnaire de transférer un détenu d'un établissement à un autre. Dans une société libre et démocratique, il est raisonnable et parfois même nécessaire de conférer pareil pouvoir discrétionnaire aux autorités carcérales. La décision de transférer l'intimé est donc sauvegardée par l'article premier.

[19]            Le demandeur prétend être victime des politiques discriminatoires de l'institution Cowansville à l'endroit des minorités visibles. Le commissaire s'exprimait de la façon suivante quant à l'allégation de racisme :

Votre ALC notait entre autres que depuis votre arrivée à l'établissement Cowansville (juillet 2003), vous aviez adopté un comportement de supériorité et de condescendance empreint d'agressivité, d'arrogance, de sarcasme et de négativisme. Votre ALC mentionnait également que vous criiez au racisme lorsque les intervenants n'obtempéraient pas immédiatement à vos demandes ou si vous receviez une réponse négative.

D'ailleurs, dans le contenu de votre grief au troisième palier, vous affirmez être victime de discrimination sans mentionner les raisons de ces allégations.

(Réponse au grief du délinquant (troisième palier), à la page 2, onglet 28, dossier du défendeur)

[20]            Je suis d'accord avec le commissaire et je conclus que les allégations de racisme soumis par le demandeur en l'espèce sont sans fondement.

[21]            Bien que techniquement les prétentions du défendeur représentent la réalité à l'effet que l'abandon des procédures disciplinaires n'empêche aucunement le demandeur de procéder à une nouvelle analyse de la cote de sécurité du demandeur, je réalise, cependant, que le fameux « pic » trouvé dans la cellule du demandeur a constitué un élément majeur justifiant la décision de réévaluer la situation du demandeur.

[22]            Le demandeur paraissait à tout le moins dans une période relativement stable depuis plus de huit mois, et il venait d'entreprendre un programme de maîtrise de la colère depuis plusieurs semaines, et il y a fort à penser que les autorités carcérales n'auraient pas entrepris une réévaluation de sa cote de sécurité, n'eut été de la découverte du fameux « pic artisanal » .

[23]            Les conséquences sont grandes pour le demandeur qui voit d'une part les mesures disciplinaires être mises de côté sans pouvoir être jugé, et d'autre part, les mesures administratives suivre leur cours, avec les décideurs qui ne manquent pas de rappeler à chacune des étapes, et particulièrement au troisième palier qui est l'objet de la présente demande, que le demandeur n'a pas été acquitté, mais que le doute subsiste toujours quant à sa responsabilité relativement à la présence du « pic » dans sa cellule.

[24]            Il est indéniable que le demandeur a payé un lourd tribut pour une faute présumée dont il n'a pu se défendre totalement; il a été mis en isolement préventif pendant plus d'un mois, et ce pendant la période des Fêtes et du Nouvel An et il a été transféré dans un pénitencier à sécurité maximale.

[25]            En fait, ce petit nuage continuera de le suivre au dessus de sa tête, et à chacune des étapes à venir.

[26]            J'arrive donc, bien à regret, à la conclusion que l'ensemble des circonstances de ce dossier, ne me permet pas de conclure que le décideur a commis une erreur manifestement déraisonnable.

[27]            Cependant, je me dois de mentionner que l'attitude du défendeur, dans les circonstances, est hautement questionnable et que les autorités carcérales devraient réfléchir davantage avant de procéder de pareille façon dans l'avenir à l'égard d'un détenu dans des circonstances analogues. J'ose espérer que les autorités concernées prendront en considération toutes les circonstances de cet événement, incluant les présents motifs, au moment où son dossier sera révisé, notamment pour une éventuelle libération conditionnelle.

[28]            Quant à la réclamation du demandeur de lui octroyer un million de dollars en dommage, j'ai déjà avisé le demandeur qu'il ne pouvait soumettre une pareille réclamation dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

[29]            Quant au rétablissement de son statut de sortie, il s'agit d'une autre décision et le demandeur devra s'adresser aux autorités concernées soit le Service correctionnel du Canada ou la Commission des libérations conditionnelles le cas échéant.

JUGEMENT

1.       La demande de contrôle judiciaire est rejetée ;

2.       Le tout sans frais.

« Pierre Blais »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-1376-05

INTITULÉ :                                          SÉBASTIEN CÔTÉ-SAVARD c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Entendu par vidéoconférence à Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 3 mai 2006

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :         L'HONORABLE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       le 30 mai 2006

COMPARUTION :

M. Sébastien Côté-Savard                                             LE DEMANDEUR, se représentant lui-même

Me Michelle Lavergne                                                    POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

                       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Sébastien Côté-Savard                                             LE DEMANDEUR, se représentant

Montréal, Québec                                                          lui-même

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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