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     IMM-2634-96

ENTRE

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     requérant,

     et

     POOLOGAM VICKNESWARAMOORTHY,

     NANDINI VICKNESWARAMOORTHY,

     PARAN VICKNESWARAMOORTHY,

     KARTHEKAN VICKNESWARAMOORTHY,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

         J'ai entendu la présente demande de contrôle judiciaire d'une décision, en date du 19 juillet 1996, de la section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à Toronto (Ontario), le 19 août 1997. J'ai fait droit à la demande pour les motifs invoqués oralement à l'audience, et j'ai fait savoir que les motifs écrits suivraient.

         Poologam et Nandini Vickneswaramoorthy sont citoyens sri-lankais. Parmi leurs enfants, Paran est citoyen français alors que Karthekan est apatride, bien que son pays de résidence habituelle est la France. Les intimés adultes ont été reconnus comme réfugiés au sens de la Convention par la France en 1987 et en 1988, respectivement, et ils y ont acquis le statut de résident permanent. Les enfants sont nés en France. Les intimés sont retournés au Sri Lanka pour une visite en août 1994. Ils sont venus au Canada en septembre de cette année, et ils y ont revendiqué le statut de réfugié.

         La SSR a tenu des audiences les 14 juin, 10 octobre et 18 décembre 1995, ainsi que le 19 juillet 1996. Au dernier jour d'audition, la SSR a conclu que les intimés adultes seraient reconnus comme réfugiés sri-lankais et que les enfants, comme réfugiés venant de France. La SSR a jugé que les intimés n'appartenaient pas à la catégorie de personnes visée à l'article 46.01 de la Loi sur l'immigration (la Loi), et qu'ils avaient une crainte légitime de persécution s'ils retournaient au Sri Lanka. Il a été décidé que les enfants étaient des réfugiés en raison des activités en France des Tigres de la libération de l'Eelam tamil ("LTTE") et des menaces de violence que leur famille avaient reçues.

         À mon avis, la SSR a commis des erreurs susceptibles de contrôle en concluant que les intimés adultes et leurs enfants devraient être admissibles au statut de réfugié au Canada. Dans chaque cas, la SSR a insuffisamment examiné les rapports des revendicateurs avec la France. Ces erreurs ont amené la SSR à conclure irrégulièrement que les intimés adultes ne pouvaient retourner en France et que les enfants ne pouvaient se prévaloir de la protection de la France.

         J'aborde tout d'abord le cas des intimés adultes. La SSR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a conclu que l'alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l'immigration ne s'appliquait pas à l'espèce. Cet alinéa est ainsi rédigé :

         46.0(1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes :
             a) il s'est déjà vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par un autre pays dans lequel il peut être renvoyé;

Ainsi donc, si une personne a le statut de réfugié dans un autre pays et peut y retourner, son cas ne peut être examiné en vue de l'obtention du statut de réfugié au Canada. La SSR a conclu que les intimés adultes ne pouvaient retourner en France en raison d'une lettre envoyée le 13 novembre 1995 par le consulat français de Toronto à l'avocat des intimés, qui contenait les renseignements suivants :

         [TRADUCTION] Vos clients, étant retournés au Sri Lanka, ont perdu leur statut de réfugié en France. S'ils désirent retourner en France, ils devraient demander un visa à long terme à ce bureau.

Cette lettre a été écrite en réponse à une lettre en date du 13 octobre 1995 de l'avocat des intimés dans lequel il a exposé les faits concernant le statut des intimés en France. L'avocat du requérant a souligné que cette lettre ne faisait pas état du statut de résident permanent des intimés adultes, ni de leur tentative d'obtenir la citoyenneté française. L'avocat des intimés a adressé une autre lettre plus détaillée aux autorités françaises à la fin de mai 1996, mais la SSR a tiré sa conclusion avant qu'une réponse n'ait été reçue. En conséquence, la SSR a rendu sa décision sans avoir l'avantage de savoir si le droit français considérait la résidence permanente comme dépendant du statut de réfugié ou si les résidents permanents pouvaient entrer au pays et en sortir quand ils le voulaient. Le dossier incomplet relatif à l'état du droit français ne pouvait permettre à la SSR de parvenir à la conclusion juridique qu'elle a tirée.

         La SSR a encore eu tort de conclure que les enfants intimés étaient des réfugiés venant de France parce qu'ils ne voulaient pas se prévaloir de la protection gouvernementale contre la persécution dans ce pays. La SSR s'est appuyée sur le fait que le père des enfants avait peur de signaler les menaces qu'il avait reçues des LTTE en France aux autorités françaises parce les LTTE avaient dit qu'ils détruiraient sa famille s'il le faisait. Avec égards, j'estime qu'il ne s'agit pas là du critère approprié.

         Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a exposé l'analyse appropriée à faire. Le juge LaForest a dit que lorsque la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés était rédigée, la communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues d'obtenir la protection de leur propre pays avant de s'adresser à d'autres nations pour avoir de l'aide. La norme de preuve requise pour démontrer que le pays natal ne peut protéger les personnes persécutées a été élucidée comme suit :

         ...il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidé, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.
         (supra, à la page 724)

En l'espèce, la SSR n'a pas procédé à cette analyse de la persécution, et elle a par là commis une erreur susceptible de contrôle.

         En conséquence, pour les motifs invoqués ci-dessus, j'ai accueilli la demande de contrôle judiciaire, et j'ai décidé que l'espèce devait être renvoyée à un tribunal de composition différente pour qu'il procède à un nouvel examen conforme aux présents motifs.

         L'avocat de l'intimé s'est fondé sur la règle 324 pour introduire, peu de temps après ma décision orale le 19 août, une requête visant au réexamen du prononcé du jugement. L'avocat a estimé n'avoir pas eu la possibilité suffisante d'aborder la question de l'article 46.01 de la Loi sur l'immigration, et que la Cour aurait statué différemment si elle avait entendu ces arguments. Cette requête est rejetée. L'avocat de l'intimé aura la possibilité de présenter ses arguments concernant l'article 46.01 devant le tribunal de composition différente et, en fait, c'est devant ce tribunal que ces arguments seraient tranchés de la façon la plus appropriée.

OTTAWA

Le 2 octobre 1997

                                 "James A. Jerome"     

                                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-2634-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :              M.C.I. c. Poologam VICKNESWARAMOORTHY et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 19 août 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

EN DATE DU                      2 octobre 1997

ONT COMPARU :

Claire A. H. le Riche          pour le requérant

Max Berger                  pour l'intimé

                    

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                             pour le requérant

Max Berger                      pour l'intimé

Toronto (Ontario)

        

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