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Date: 20240725


Dossier: IMM-4982-23

Référence: 2024 CF 1182

Ottawa, Ontario, le 25 juillet 2024

En présence de madame la juge Azmudeh

ENTRE:

CHRISTIAN JOSUE ALBA BRAVO

YURAY MEJIA SALDANA

NAIM JOSHUA ALBA BRAVO

Demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur principal, soit Christian Josue Alba Bravo (le « DP ») ainsi que Yuray Mejia Saldana et Naim Joshua Alba Bravo (ensemble les « Demandeurs »), sont citoyens du Mexique. Ils contestent la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 15 mars 2023, laquelle confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] à l’effet que les Demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Le contrôle judiciaire est accueilli pour les raisons suivantes.

I. Aperçu

[2] En résumé, les Demandeurs craignent d’être enlevés, battus ou tués par des membres du cartel de narcotrafiquants Los Pelones. Les Demandeurs allèguent être visés par ces criminels en raison du fait qu’ils n’ont pas versé la somme imposée par les membres du cartel envers l’entreprise de danse de la demanderesse (Mme Mejia). Celle-ci aurait fermé son commerce dès février 2019 suite aux visites des criminels demandant une quote-part.

[3] Le DP allègue avoir, pour sa part, continué à travailler comme serveur dans un hôtel de Cancún jusqu’à ce qu’il soit enlevé et battu en lien avec l’extorsion alléguée du studio de danse. Les Demandeurs ont quitté ensemble le Mexique vers le Canada en juillet 2019 afin de se mettre à l’abri des menaces du cartel.

[4] La SPR et la SAR ont toutes les deux jugé crédibles les allégations des demandeurs d'asile. Elles ont rejeté leur demande en raison de la disponibilité d'une possibilité de refuge intérieur (PRI). La SPR a constaté que la PRI existait à Mexico et à Campeche, puisque les Demandeurs n’ont pas démontré que les agents de persécution avaient la motivation de les retrouver dans ces autres villes. La décision de la SAR fait aussi référence à la ville de Mérida, bien que celle-ci n'ait jamais été proposée par la SPR ou envisagée par les Demandeurs.

II. Analyse

A. La décision de la SAR est-elle raisonnable ?

[5] Les Demandeurs ont fait valoir, et je suis d'accord avec eux, que la SAR a probablement fait un copier-coller d'autres décisions de manière à rendre les motifs inintelligibles. L'un de ces exemples est le traitement de la question de savoir si la demande doit être évaluée en vertu de l'article 96 de la LIPR.

[6] La SPR et la SAR ont eu la preuve que le DP était serveur à l'hôtel Ritz Carlton à Cancún et que Mme Mejia était propriétaire et dirigeait son studio de danse. Ils ont tous deux été la cible d'extorsion de la part des Los Pelones.

[7] Les Demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a omis de considérer que Mme Mejia faisait l'objet d'une persécution fondée sur le sexe en vertu de l'article 96 de la LIPR. La SPR a pleinement tenu compte de l'argument relatif au sexe des Demandeurs et a analysé la demande d'asile aux termes des articles 96 et 97(1) de la LIPR. Elle a également tenu compte des lignes directrices du président en matière d'égalité entre les sexes. La SPR a également appliqué correctement le critère de la PRI aux articles 96 et 97 de la LIPR. Toutefois, pour ce qui est de l'application de l'article 96 LIPR, la SAR a déclaré ce qui suit bien qu'il n'y ait rien dans la preuve qui suggère que les Demandeurs ont déjà participé à des travaux agricoles :

[14] J’estime que la SPR a bien fait son analyse au sens des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), et qu’elle n’a pas commis d’erreur sur ce point. Tout comme la SPR je suis d’avis que le métier d’agriculteur ne saurait constituer une caractéristique innée ou immuable au sens de la première catégorie d’un groupe social visé par l’arrêt Ward. Je suis aussi d’avis qu’être commerçant ne constitue pas non plus d’un groupe dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association au sens de la deuxième catégorie de l’arrêt Ward.

[16] Pour ces motifs je suis d’avis que la SPR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a analysé la demande sous l’angle de l’article 97(1)b) de la LIPR, à savoir une menace à la vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[8] La question n'est pas de savoir s'il s'agissait d'une erreur d'analyser l'affaire en vertu de l'article 97 LIPR uniquement. Toutefois, les motifs de la SAR d’analyser le cas qu'en vertu de l'article 97 LIPR ne tiennent pas compte de la preuve, des arguments ou des motifs de la SPR qu'elle a examinés.

[9] D'autres erreurs ont été commises. Malgré le fait que l'analyse de la SPR portait sur Mexico et Campeche, la SAR a également conclu que des PRI à Cancún ou Mérida étaient disponibles (aux paragraphes 38 et 46). Tout d'abord, Cancún est la ville où les allégations ont eu lieu et ont été jugées crédibles. Mérida n'a jamais été mentionnée par quiconque comme une option.

[10] Le Défendeur a fait valoir qu'il s'agissait simplement d'erreurs de frappe, qu'elles n'étaient pas significatives et qu'elles ne rendaient pas la décision déraisonnable dans son ensemble. En outre, la SAR a également mentionné les PRI proposées, à savoir Mexico et Campeche. Je n'oublie pas que l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII), [2019] 4 RCS 653 [Vavilov] indique aux cours de révision qu'il serait inapproprié d'annuler une décision administrative simplement parce que son raisonnement présente une « erreur mineure ». Au contraire, les tribunaux « doivent être convaincus que les lacunes ou les défauts invoqués par la partie qui conteste la décision sont suffisamment centraux ou importants pour rendre la décision déraisonnable » : Vavilov, au paragraphe 100. Vavilov insiste également sur le caractère raisonnable des motifs et pas seulement sur le résultat de la décision. Je trouve que des erreurs répétées qui ne répondent pas aux preuves disponibles enlèvent au lecteur la confiance que le décideur s'est suffisamment penché sur les questions devant lui. Lorsque la PRI est la question déterminante, le décideur évalue le risque potentiel dans la PRI proposée, et non pas n'importe où en dehors de la ville ou de la région où la persécution ou le préjudice a lieu. Les Demandeurs ont également le droit de présenter des observations sur la PRI proposée.

[11] J'estime que les erreurs commises par la SAR ont rompu la chaîne de raisonnement claire qui a rendu la décision dans son ensemble non transparente et inintelligible. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

[12] Il n'y a pas de questions certifiées dans cette affaire.

Conclusion

[13] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

[14] Il n'y a pas de questions certifiées dans cette affaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4982-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Ce dossier est renvoyé à la SAR pour être décidé par un/une autre commissaire.

  3. Il n'y a pas de question à certifier.

« Negar Azmudeh »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-4982-23

INTITULÉ :

CHRISTIAN JOSUE ALBA BRAVO ET AL. C. MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 JUILLET 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AZMUDEH

DATE DES MOTIFS :

Le 25 JUILLET 2024

COMPARUTIONS:

Me Suzanne Taffot

Pour leS demandeurS

Me Zoé Richard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Heritt Avocats|Attorneys

Montréal (Québec)

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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