Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240717


Dossier : T-1553-23

Référence : 2024 CF 1121

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Saskatoon (Saskatchewan), le 17 juillet 2024

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ADRIAN MALIQI

demandeur

et

SA MAJESTÉ LE ROI ET LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, qui se représente lui-même, présente une requête en application de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] afin d’interjeter appel de l’ordonnance rendue le 29 mai 2024 par le juge adjoint Crinson, laquelle annule la déclaration du demandeur avec autorisation de la modifier.

[2] Le demandeur affirme que le juge adjoint a commis une erreur 1) en ignorant le principe de l’enquête préalable lorsqu’il a examiné si le délai de prescription était expiré et 2) en évaluant de la preuve.

[3] Dans ses observations verbales, le demandeur a élargi les réparations recherchées dans son avis de requête et demande maintenant à la Cour d’ordonner les réparations suivantes :

  1. l’accueil de l’appel;

  2. l’annulation d’une partie de l’ordonnance du 29 mai;

  3. l’annulation des dépens adjugés par le juge adjoint;

  4. une prorogation du délai pour signifier et déposer une déclaration modifiée;

  5. aucune adjudication de dépens dans le cadre de l’appel.

[4] La requête est rejetée en partie. Une prorogation du délai pour signifier et déposer une déclaration modifiée est accordée au demandeur.

II. Contexte

[5] Le demandeur a intenté l’action sous-jacente le 26 juillet 2023. Dans la déclaration, le demandeur formule les allégations suivantes :

  1. Il est un résident permanent du Canada qui a perdu sa carte de résident permanent pendant un séjour en Europe en 2015.

  2. En janvier 2016, il a présenté à l’ambassade canadienne de Vienne une demande de titre de voyage pour revenir au Canada. Sa demande a été rejetée dans une lettre en février 2016 au motif qu’il avait manqué à son obligation de résidence prévue dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

  3. Le demandeur a interjeté appel de la décision de ne pas délivrer de titre de voyage devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI] en février 2016.

  4. En mars 2016, il a été délibérément mal informé par le personnel de l’ambassade au sujet du processus à suivre pour obtenir un titre de voyage lui permettant de comparaître devant la SAI. Il s’agissait d’une inconduite grave et d’une violation des principes de justice naturelle.

  5. En novembre 2017, le demandeur a de nouveau demandé un titre de voyage à l’ambassade du Canada à Vienne. Cette demande a été rejetée au motif que le demandeur [traduction] « n’était plus habilité à obtenir un titre de voyage depuis le 3 avril 2016 » , sa dernière présence effective au Canada remontant au 3 avril 2015.

  6. Il avait déjà demandé un titre de voyage [traduction] « au cours de cette période d’admissibilité », soit le 13 mars 2016, et avait reçu des [traduction] « directives trompeuses » au lieu d’un titre de voyage.

  7. Il réclame 100 000 $ en dommages-intérêts généraux pour avoir été incapable de revenir au Canada et 60 000 $ en dommages-intérêts punitifs pour [traduction] « des actes malveillants intentionnels ».

[6] Les défendeurs ont présenté par écrit une requête en vue d’obtenir une ordonnance de radiation de la déclaration dans laquelle ils alléguaient l’absence de toute cause d’action raisonnable et invoquaient un certain nombre de motifs, notamment l’expiration du délai de prescription.

[7] Dans l’ordonnance du 29 mai 2024, le juge adjoint a accueilli la requête, a radié la déclaration avec autorisation de la modifier et a adjugé des dépens d’un montant fixé au milieu de la colonne III du tarif, payables sans délai.

III. Norme de contrôle

[8] La norme de contrôle à appliquer dans le cadre de l’appel d’une décision discrétionnaire d’un juge est celle de la décision correcte pour les questions de droit, ainsi que celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il n’y a pas de question de droit isolable (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para 8, 10 et 36).

[9] Le juge Denis Gascon a souligné la nature hautement déférente de la norme de l’« erreur manifeste et dominante » dans la décision Lessard-Gauvin c Canada (Procureur général), 2020 CF 730, confirmée dans l’arrêt 2021 CAF 94 :

[43] La CAF a affirmé à maintes reprises que la norme de l’« erreur manifeste et dominante » est une « norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue » (Figueroa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CAF 12 au para 3; Montana c Canada (Revenu national), 2017 CAF 194 au para 3; 1395804 Ontario Ltd (Blacklock’s Reporter) c Canada (Procureur général), 2017 CAF 185 au para 3; NOV Downhole Eurasia Limited c TLL Oilfield Consulting Ltd, 2017 CAF 32 au para 7; Revcon Oilfield Constructors Incorporated c Canada (Revenu national), 2017 CAF 22 au para 2). Il s’agit là d’un lourd fardeau pour un demandeur. Comme l’a déclaré de façon métaphorique le juge Stratas dans Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 [Mahjoub] et Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 [South Yukon], pour satisfaire à cette norme, « [...] on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier » (Mahjoub au para 61; South Yukon au para 46, cité avec approbation par la CSC dans Benhaim c St-Germain, 2016 CSC 48 [Benhaim] au para 38). [Non souligné dans l’original.]

IV. Analyse

[10] Le demandeur reconnaît que la déclaration est insuffisante puisqu’elle ne présente pas de faits substantiels à l’appui de certaines des allégations.

[11] Malgré cette admission, le demandeur affirme que le juge adjoint a commis une erreur en concluant que la cause d’action est née en 2016 et que les actes de procédure sont scandaleux. Le juge adjoint n’a pas commis l’erreur reprochée.

[12] La déclaration contient de vagues allégations d’inconduite délibérée non étayées par des faits substantiels. Les actes de procédure dans lesquels un demandeur fait des allégations laconiques de mauvaise foi et de motifs inavoués sont également « scandaleux, frivoles et vexatoires » et peuvent être radiés suivant ce motif (art 221(1)c) des Règles; Tomchin c Canada, 2015 CF 402 au para 22, citant Merchant Law Group c Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184 aux para 34-35).

[13] Les faits soulevés étayent la conclusion tirée par le juge adjoint selon laquelle la cause d’action est née en 2016, plus de six ans avant le début de l’instance. Le demandeur affirme qu’il n’était pas en mesure de découvrir la cause d’action avant 2017, mais il ne soulève pas de faits substantiels à l’appui de cette allégation dans la déclaration. Encore une fois, le juge adjoint n’a pas commis d’erreur en concluant que le délai de prescription était expiré d’après le contenu de la déclaration.

[14] Le juge adjoint, ayant correctement déterminé le droit applicable, n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en appliquant ces règles de droit aux faits de la présente affaire.

[15] Le demandeur demande une prorogation du délai pour signifier et déposer une déclaration modifiée, et j’accueille cette demande.

V. Dépens

[16] Dans ses observations verbales, le demandeur a contesté l’adjudication des dépens faite par le juge adjoint, ainsi que l’obligation de payer les dépens sans délai. Le demandeur soutient qu’il est injuste d’exiger qu’une partie qui se représente elle-même paie les dépens. Cette décision, soutient le demandeur, décourage une partie qui s’estime lésée de recourir aux tribunaux, et ne reconnaît pas qu’une partie qui se représente elle-même peut commettre des erreurs au cours du litige et ne devrait pas subir de conséquence financière en raison de son manque d’expérience.

[17] Même si le demandeur n’avait pas soulevé cette question avant ses observations verbales, les défendeurs n’ont pas demandé à la Cour de refuser d’examiner la question. L’avocat des défendeurs soulève qu’il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’adjudication des dépens et que la décision a été rendue dans le contexte d’une requête entièrement contestée, dans le cadre de laquelle le demandeur a attendu jusqu’à l’étape de la plaidoirie pour concéder que la déclaration était insuffisante. Les défendeurs demandent en outre à la Cour d’exiger que le demandeur paie sans délai les dépens qu’il a été condamné à payer avant d’être autorisé à déposer une déclaration modifiée.

[18] Les tribunaux peuvent faire preuve d’une certaine souplesse à l’égard des parties non représentées par avocat, mais une partie qui se représente elle-même ne bénéficie pas ni de droits additionnels ou ni de dispense spéciale en raison de son manque de connaissances ou de compétences dans le domaine juridique — une partie qui agit pour son propre compte doit se soumettre aux mêmes règles qui s’appliquent à tous (Ballantyne c Canada, 2014 CF 242 au para 11; Brunet c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 551 au para 10; Kalevar c Parti Libéral du Canada, 2001 CFPI 1261 aux para 22-24, conf. par 2002 CAF 246, autorisation de pourvoi à la CSC refusé, 2003 CarswellNat 91).

[19] L’attribution des dépens relève de l’entière discrétion de la Cour et ne devrait être annulée en appel que si le tribunal inférieur a commis une erreur de principe ou si cette attribution est nettement erronée (Sun Indalex Finance, LLC c Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6 au para 247, citant Nolan c Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39 au para 126, et Hamilton c Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9 au para 27).

[20] Bien que le demandeur soutienne que l’adjudication des dépens est injuste et décourage l’accès à la justice, rien dans le dossier dont je dispose ne laisse croire que le juge adjoint a ignoré les circonstances ou n’a pas tenu compte de la liste vaste et non exhaustive des facteurs à prendre en considération énoncés à l’article 400 des Règles.

[21] L’article 401 des Règles prévoit en outre que la Cour peut adjuger des dépens à l’issue d’une requête et ordonner le paiement des dépens sans délai lorsque la requête n’aurait pas dû être contestée.

[22] L’adjudication des dépens n’est pas contraire aux principes énoncés à l’article 400 et est conforme à l’article 401. Le juge adjoint n’a pas commis d’erreur de principe et l’adjudication des dépens n’est pas nettement erronée.

[23] Puisqu’il n’a pas matière à intervention, et compte tenu du fait que les dépens sont payables maintenant, le demandeur ne sera pas autorisé à déposer une déclaration modifiée tant qu’il n’aura pas payé les dépens adjugés par le juge adjoint.

VI. Dépens de la présente requête

[24] Dans le cadre du présent appel, le défendeur demande le paiement sans délai des dépens dont le montant est fixé à 2 500 $. L’avocat des défendeurs soutient que le montant fixé est conforme au tarif et comprend une prime pour tenir compte de l’opinion des défendeurs selon laquelle la requête était inutile, faisant remarquer que le demandeur a reconnu que la déclaration était insuffisante et que le juge adjoint a accordé l’autorisation de la modifier.

[25] Compte tenu de toutes les circonstances, et surtout du fait que les questions soulevées dans la requête sont simples et nécessitent un effort minimal pour y répondre, j’estime que le montant de 2 500 $ demandé par les défendeurs est excessif. Je suis d’avis qu’un montant nominal de 300 $ est approprié dans les circonstances.

[26] J’ai tenu compte de la situation du demandeur qu’il a expliqué en détail dans ses observations verbales et, même si la requête n’est pas fondée, je refuse d’ordonner que les dépens de la présente requête soient payables sans délai. Les dépens de la présente requête seront donc payables à la conclusion de l’instance, conformément à la jurisprudence de la Cour (Buck c Canada (Procureur général), 2022 CF 352 aux para 17 et 19, citant John Stagliano Inc. c Elmaleh, 2006 CF 1096 au para 8; Aic Ltd. c Infinity Investment Counsel Ltd., 1999 CanLII 7617 aux para 21, 24 et 28 (CF)).

 


ORDONNANCE dans le dossier T-1553-23

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

  1. L’appel est rejeté.

  2. Une prorogation du délai pour signifier et déposer une déclaration modifiée est accordée au demandeur.

  3. Toute déclaration modifiée doit être signifiée et déposée au plus tard le lundi 16 septembre 2024.

  4. Le demandeur ne sera pas autorisé à déposer d’autres documents dans la présente action tant que les dépens adjugés dans l’ordonnance du 29 mai 2024 ne seront pas payés.

  5. Le demandeur doit payer à la Couronne les dépens d’un montant fixe de 300,00 $ pour la présente requête, y compris les débours et les taxes.

 

« Patrick Gleeson »

 

Juge

Traduction certifiée conforme

Claudia De Angelis


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1553-23

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ADRIAN MALIQI c SA MAJESTÉ LE ROI ET LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juillet 2024

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE :

Le 17 JUILLET 2024

 

COMPARUTIONS :

Adrian Maliqi

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.