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Date : 20240112


Dossier : IMM‑478‑24

Référence : 2024 CF 56

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

FELIPE DE JESUS ZAVALA MARTINEZ

JUANA VIANEY GARCIA MARTINEZ

JOCELINE GUADALUPE ZAVALA GONZALEZ (MINEURE)

FELIPE DE JESUS ZAVALA GARCIA (MINEUR)

ALEXIS GAEL ZAVALA GARCIA (MINEUR)

LIA YUSELI ZAVALA GARCIA (MINEURE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs présentent une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre eux qui doit avoir lieu le 14 janvier 2024.

[2] Les demandeurs demandent à la Cour de surseoir à leur renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire principale de la décision par laquelle un agent (l’« agent ») de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») a rejeté leur demande de report du renvoi.

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête sera rejetée. Je conclus que les demandeurs ne satisfont pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi soit accordé.

II. Faits et décisions sous‑jacentes

[4] Les demandeurs, Felipe de Jesus Zavala Martinez et Juana Vianey Garcia Martinez, ainsi que leurs enfants (les « demandeurs mineurs »), sont citoyens du Mexique.

[5] Le 4 décembre 2021, les demandeurs sont arrivés au Canada et ont présenté une demande d’asile. Le 13 septembre 2022, leur demande d’asile à été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la « SPR »). Dans une décision datée du 6 mars 2023, la Section d’appel des réfugiés a rejeté leur appel et a confirmé le refus de la SPR.

[6] Le 3 janvier 2024, les demandeurs ont eu une rencontre avec l’ASFC et ont reçu la directive de se présenter pour leur renvoi, prévu pour le 14 janvier 2024. Les demandeurs ont demandé que leur date de renvoi du Canada soit reportée à juin 2024 afin que les demandeurs mineurs puissent terminer l’année scolaire.

[7] Dans une décision datée du 8 janvier 2024, l’agent a refusé la demande de report des demandeurs. L’agent a conclu que la preuve ne permettait pas de démontrer que les demandeurs mineurs seraient privés de l’accès à une éducation, puisqu’ils connaissaient l’espagnol et qu’ils seraient en mesure de poursuivre leurs études au Mexique avec le soutien de leurs parents. L’agent a également conclu que les demandeurs avaient été informés clairement, dans les mesures de renvoi du 7 janvier 2022, du fait qu’ils devraient quitter le Canada en cas de refus à l’issue du processus devant la SPR, ce qui leur avait donné amplement l’occasion de se préparer en vue du renvoi.

[8] L’agent a également pris acte du fait que les demandeurs avaient déjà demandé en novembre 2023 que leur renvoi soit reporté en raison des études des demandeurs mineurs. L’agent avait accepté pour que la famille puisse partir pour le Mexique en 2024. Compte tenu de cette preuve et pour les motifs qui précèdent, l’agent a conclu que la preuve ne permettait pas de démontrer que les demandeurs subiraient des difficultés injustifiées et excessives s’ils étaient renvoyés au Mexique.

III. Analyse

[9] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 CF 535 (« Toth »); Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores Ltd., 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (« Metropolitan Stores Ltd »); RJR‑MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (« RJR‑MacDonald »); R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 RCS 196.

[10] Le critère énoncé dans l’arrêt Toth est conjonctif, en ce sens que, pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir que, à la fois, i) la demande de contrôle judiciaire principale soulève une question sérieuse à trancher; ii) le renvoi causerait un préjudice irréparable; et iii) la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

A. Existence d’une question sérieuse

[11] Dans l’arrêt RJR‑MacDonald, la Cour suprême du Canada a établi qu’il convient de déterminer s’il est satisfait au premier volet du critère en se fondant sur un « examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR‑MacDonald, à la p 314). La Cour doit également garder à l’esprit que le pouvoir discrétionnaire de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi prise contre une personne est limité. La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution est celle de la décision raisonnable (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311 au para 67) (« Baron »).

[12] Selon l’arrêt Baron, le demandeur qui conteste le refus de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi doit satisfaire à une norme élevée en ce qui concerne le premier volet du critère de l’arrêt Toth, qui est d’établir l’existence d’une question sérieuse à trancher.

[13] En ce qui concerne le premier volet du critère, les demandeurs soutiennent que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire principale soulève une question sérieuse, à savoir que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve présentée par les demandeurs ni de la preuve selon laquelle les demandeurs mineurs sont exposés à des difficultés injustifiées et excessives.

[14] Les défendeurs soutiennent qu’il n’y a pas de question sérieuse dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire principale des demandeurs. Les défendeurs font valoir que l’agent a raisonnablement tenu compte des intérêts à court terme des demandeurs mineurs en se fondant sur la preuve produite par les demandeurs et en soulignant que les demandeurs avaient eu suffisamment de temps pour se préparer au renvoi, notamment parce qu’ils avaient déjà obtenu le report de leur renvoi afin de pouvoir partir pour le Mexique en janvier 2024.

[15] Après avoir examiné les documents, je suis d’accord avec les demandeurs. Il existe une abondante jurisprudence qui établit que le défaut de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants à court terme peut soulever une question sérieuse, y compris le fait de terminer une année scolaire (voir p. ex., Galusic c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 223 au para 27; Iheonye c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 375 (« Iheonye ») au para 19; Toney c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1018 au para 50). Les demandeurs ont établi le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Toth.

B. Existence d’un préjudice irréparable

[16] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, les demandeurs doivent démontrer qu’ils subiront un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Un préjudice n’est pas qualifié d’irréparable en raison de son ampleur; c’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou auquel il ne peut être remédié (RJR‑MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas hypothétique, mais elle n’a pas à être convaincue qu’il se produira (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746 (QL); Horii c Canada (CA), 1991 CanLII 13607 (CAF), [1992] 1 CF 142).

[17] Les demandeurs soutiennent que les demandeurs mineurs subiront un préjudice irréparable s’il ne leur est pas permis de terminer l’année scolaire au Canada.

[18] Les défendeurs soutiennent que les demandeurs n’ont pas établi que les demandeurs mineurs subiront un préjudice irréparable en cas de renvoi, puisque la perturbation de l’année scolaire d’un enfant ne constitue pas à elle seule un préjudice irréparable, pas plus que le fait que les enfants puissent devoir poursuivre leurs études dans une autre langue en raison du renvoi.

[19] Je suis d’accord avec les défendeurs. Selon moi, les demandeurs n’ont pas présenté une preuve suffisamment précise et non hypothétique pour démontrer que les demandeurs mineurs subiraient un préjudice irréparable à leur retour au Mexique (Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 31). À mon avis, les demandeurs n’ont pas établi de lien entre la preuve objective qu’ils ont produite et la situation personnelle des demandeurs mineurs. À titre d’exemple, même si je reconnaissais que [traduction] « changer d’école [est] indépendamment liée à un risque accru de symptômes psychotiques à la fin de l’adolescence », les demandeurs n’ont pas démontré la manière dont leurs enfants en particulier seront exposés à ce risque. La preuve démontrant que le fait de changer d’école était [traduction] « un facteur de risque relativement à divers résultats de développement défavorables » n’a pas de lien avec la façon dont les demandeurs mineurs eux‑mêmes seraient exposés à ces risques. Je conviens également avec les défendeurs que cette preuve établit en fait que le renvoi des demandeurs mineurs pendant l’année scolaire est, en l’espèce, une conséquence du renvoi, plutôt qu’un préjudice irréparable (Rizvi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 463 au para 40, renvoyant à Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261 aux para 12‑14). Par conséquent, je juge que la preuve présentée par les demandeurs n’a pas établi l’existence d’un préjudice irréparable.

[20] De plus, admettre cette preuve ainsi que d’autres éléments de preuve documentaire présentés par les demandeurs reviendrait à accepter le fait qu’aucun enfant ne pourrait être renvoyé du Canada s’il devait changer d’école pendant l’année scolaire. Comme l’a déclaré mon collègue le juge Grammond, bien que dans le contexte du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Toth, à savoir l’existence ou non d’une question sérieuse à trancher, [TRADUCTION] « [l]’affaire Iheonye et d’autres affaires semblables n’appuient pas l’affirmation selon laquelle des enfants ne peuvent jamais être renvoyés pendant l’année scolaire. En fait, c’est surtout lorsque l’année scolaire est sur le point de se terminer que le renvoi peut être reporté pour ce motif » (Quezada Salas v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 1801 au para 37). Le second volet du critère énoncé dans l’arrêt Toth n’est pas établi.

C. Prépondérance des inconvénients

[21] Selon le troisième volet du critère, la Cour doit apprécier la prépondérance des inconvénients, ce qui consiste à déterminer quelle partie subirait le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR‑MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores Ltd, à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public pour assurer la bonne administration du système d’immigration.

[22] Les demandeurs soutiennent que la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur, puisqu’ils n’ont pas d’antécédents de criminalité, qu’ils ne posent pas de risque de fuite et qu’ils demandent un sursis pour une courte période. Les demandeurs soutiennent également qu’il est dans l’intérêt public de veiller à ce que la légalité de la décision de l’agent soit examinée.

[23] Les défendeurs soutiennent que les inconvénients que les demandeurs pourraient subir à la suite de leur renvoi du Canada ne l’emportent pas sur l’intérêt public à ce que les mesures de renvoi soient exécutées dès que possible au titre du paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »), que les défendeurs cherchent à préserver.

[24] Le fait qu’il n’a pas été établi que les demandeurs mineurs subiront un préjudice irréparable est déterminant en l’espèce. Néanmoins, l’intérêt du ministre à ce que les mesures de renvoi soient exécutées rapidement au titre du paragraphe 48(2) de la LIPR l’emporte sur l’intérêt des demandeurs, surtout étant donné qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est une mesure provisoire, que les demandeurs ont déjà obtenu le report de leur renvoi et qu’il était convenu qu’ils quitteraient le Canada en janvier 2024.

[25] En conclusion, les demandeurs n’ont pas satisfait au critère à trois volets qui doit être respecté pour qu’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit accordé. La requête sera donc rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM‑478‑24

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi des demandeurs est rejetée.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑478‑24

 

INTITULÉ :

FELIPE DE JESUS ZAVALA MARTINEZ, JUANA VIANEY GARCIA MARTINEZ, JOCELINE GUADALUPE ZAVALA GONZALEZ (MINEURE), FELIPE DE JESUS ZAVALA GARCIA (MINEUR), ALEXIS GAEL ZAVALA GARCIA (MINEUR) ET LIA YUSELI ZAVALA GARCIA (MINEURE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2024

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JANVIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Terry S. Guerriero

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicole Paduraru

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Terry S. Guerriero Law Office

Avocat

London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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