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     IMM-1-97

ENTRE

     ANGEL JUAN FERNANDEZ AMPUERO,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

         Le requérant demande que soit annulée la décision par laquelle la section du statut de réfugié, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

         L'avocat du requérant prétend que la Commission a mal interprété les éléments de preuve et a tiré des conclusions défavorables en se fondant sur ces mauvaises interprétations. Il soutient également que la Commission a conclu à l'invraisemblance de certaines parties du témoignage du requérant alors qu'il n'y avait pas lieu de tirer une telle conclusion.

         Le requérant travaillait pour la Police nationale à Oruro (Bolivie), en sa qualité administrative (architecte). Il occupait ce poste depuis 1981. Selon son témoignage, pendant qu'il était en mission à Pisiga, à la frontière Chili/Bolivie, lui et deux amis ont surpris UMOPAR ( agents de la force policière bolivienne appuyée par les É.-U. qui luttait contre le trafic de stupéfiants)) à discuter une transaction en matière de drogue avec un chauffeur de camion qui semblait transporter de l'acide sulfurique pour l'introduire en Bolivie à partir du Chili. L'acide sulfurique est utilisé pour traiter la cocaïne. Le chauffeur de camion et les agents auraient discuté de pots-de-vin perçus de bas en haut, jusqu'au commandant d'UMOPAR. Le requérant a déclaré que lui et ses compagnons avaient été découverts par les agents qui les avaient menacés de mort s'ils révélaient ce qu'ils avaient entendu. Selon le requérant, il a signalé ces événements à son commandant de section, le colonel Garcia, le jour après son retour à Oruro à partir de Pisiga. Son compte rendu de cet événement a ultérieurement conduit à son arrestation par des agents d'UMOPAR, à des passages à tabac de leur part et à une tentative de transfert par camion à Cochabamba. Au cours de ce transfert, il s'est évadé et est en fin de compte entré au Canada.

         Le rejet par la Commission de la revendication du requérant se concentrait sur trois aspects du témoignage : 1) son compte rendu des événements du 16 avril 1995 à son supérieur (le commandant de section), le colonel Garcia, alors qu'il soupçonnait que son supérieur était impliqué dans la corruption de la police; 2) son explication de la façon dont il a échappé aux agents d'UMOPAR; 3) son omission de prendre contact avec son frère qui se trouvait au Canada et qui s'était également enfui de la Bolivie pour revendiquer le statut de réfugié ici.

         Il importe de noter en premier lieu que la Cour fédérale, lorsqu'elle contrôle les décisions des tribunaux et des décideurs fédéraux, n'apprécie pas les éléments de preuve de novo. L'article 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que des décisions sont seulement annulées, par suite d'une mauvaise caractérisation des questions de fait, lorsque la

Cour :

         est convaincue que l'office fédéral, selon le cas ...a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose; (non souligné dans l'original)

         Pour ce qui est du premier domaine dans lequel la Commission a jugé le témoignage du requérant non crédible, elle a déclaré que le requérant avait une [TRADUCTION] "connaissance totale" de la corruption de la police, et que les événements qu'il avait connus le 16 avril 1995 n'auraient pas été considérés par lui comme étant extraordinaires. L'avocat soutient que dire du témoignage du requérant qu'il démontre que ce dernier avait une [TRADUCTION] "connaissance totale des pratiques de la corruption" est une mauvaise caractérisation du témoignage. Il est allégué que, selon la preuve, le requérant soupçonnait que la police était impliquée dans le trafic de drogue et que des membres de la police acceptaient des pots-de-vin pour faciliter cette activité.

         Il ressort de la transcription que le requérant a dit avoir [TRADUCTION] "de vives inquiétudes" concernant la corruption dans le service de police. Il en découle également qu'il a déclaré à plusieurs reprises avoir connaissance de la corruption et avoir pendant de nombreuses années agi avec l'idée qu'il ne pouvait avoir confiance en personne dans le service de police. Il soupçonnait aussi son superviseur d'être impliqué dans la corruption.

         Il se peut que l'utilisation du mot "totale" avec le mot "connaissance" est une petite exagération du témoignage, mais il serait erroné pour une cour de révision de qualifier cette exagération d'erreur qui justifie que la décision soit annulée, compte tenu de l'ensemble des éléments de preuve. Que la Commission ait qualité la connaissance par le requérant de la corruption de soupçon ou de connaissance, de totale ou de plus superficielle, est accessoire à l'élément central de sa conclusion. La Commission n'a pas cru qu'une personne qui avait une telle connaissance ou qui nourrissait de tels soupçons signalerait les incidents du 16 avril 1995 à son superviseur, particulièrement lorsqu'il soupçonnait ce superviseur d'être impliqué dans la corruption. Je citerai les parties pertinentes de la transcription :

         [TRADUCTION]
         ACR Mais, pourquoi, connaissant l'ampleur de la corruption, l'impossibilité d'avoir confiance en qui que ce soit dans le service de police, auriez-vous choisi de signaler un incident, un ensemble de soupçons, et non pas l'autre [l'autre se rapporte à son omission de signaler son soupçon selon lequel un des amis qui avaient été avec lui le 16 avril 1995 ne s'était pas suicidé, mais avait été assassiné]
         LE REVENDICATEUR Pouvez-vous le répéter, s'il vous plaît.
         ACR Eh bien, vous avez pu transmettre vos craintes et vos soupçons concernant la façon dont vous ne pouviez avoir confiance en qui que ce soit dans le service de police, et vous adresser au commandant de section, à votre colonel Wilfredo Garcia, votre commandant de section pour signaler ce qui avait eu lieu à Pisiga, mais---
         LE REVENDICATEUR Oui, il était mon supérieur, et le tenir informé de ce qui se passait était l'une de mes obligations.
         ACR      J'essaie de me demander, de vous faire clarifier la raison pour laquelle vous signaleriez le premier incident à Pisiga, mais non ce au sujet duquel vous aviez de sérieux soupçons concernant la mort de Mario.
         LE REVENDICATEUR Oui, j'avais évalué les faits, et je m'étais rendu compte que tout le monde participait à la corruption, et je ne pouvais me permettre d'avoir confiance en qui que ce soit, surtout après la mort de Mario.         
         ACR Ainsi donc, y a-t-il eu en fait un changement dans vos perceptions entre la visite ---
         MACADAM Eh bien, je me demande si nous pouvions poursuivre cela, et je ne suis pas toujours clair. Auparavant, monsieur, vous avez dit que vous soupçonniez Garcia d'être impliqué dans ce genre de corruption et je ne sais toujours pas pourquoi ---pourquoi avez-vous --- certainement, vous deviez rendre compte de la raison pour laquelle vous êtes allé à Pisiga, mais pourquoi --- pourquoi ne pas simplement omettre dans votre rapport toute mention de cette question de drogue, surtout si vous soupçonniez Garcia d'y être impliqué?
         LE REVENDICATEUR Oui, c'était ma vie et mon intégrité personnelle et physique qui était en danger en raison de ce qu'on m'a dit à Pisiga. Cela m'a rendu inquiet.
         MACADAM Eh bien, peut-être vous ne comprenez pas la question, monsieur, parce que ce que vous veniez de me dire ne répond pas à la question. Ainsi donc, je vais essayer de la poser encore une fois. Vous nous avez dit que vous soupçonniez Garcia d'être impliqué dans cette corruption. Donc, je peux comprendre que vous deviez lui rendre compte de la raison pour laquelle on vous avait envoyé à Pisiga et probablement, c'étaient les ébauches pour la nouvelle station. Mais, compte tenu de ce que vous nous avez dit, il n'existait aucune raison pour laquelle vous deviez lui dire que vous aviez vu la transaction de drogue -- pourquoi alors la lui signaleriez-vous dans ces circonstances?
         LE REVENDICATEUR Je veux simplement savoir s'il en était au courant et si sa réaction était différente. Parce que, s'il n'avait pas participé à la corruption, il en ferait, lui, le compte rendu à ses supérieurs.

         Une autre conclusion de la Commission qui se rapporte à l'incident du 16 avril et pour laquelle il est dit qu'il n'y a pas de fondement est sa conclusion selon laquelle, étant donné la connaissance du requérant, il n'aurait pas considéré les événements du 16 avril comme étant extraordinaires. Il a dit dans son témoignage que bien qu'il eût connaissance de la corruption dans le service de police relativement au trafic de drogue, il ne s'y était pas personnellement heurté avant le 16 avril 1995. Selon son témoignage, la conversation qu'il a entendue l'a surpris et il a été abasourdi lorsqu'il a reçu des menaces de mort. La Commission a écrit :

         [TRADUCTION] Étant donné l'expérience et les contacts du requérant, le tribunal n'est pas persuadé que le revendicateur ait pu considérer l'événement comme étant extraordinaire. (non souligné dans l'original)

         La Commission n'a pas mal interprété le témoignage. Il n'y a pas lieu de penser qu'elle n'a pas compris ce que le requérant avait dit. Elle n'a simplement pas cru le témoignage du requérant. On ne l'a pas persuadée de croire l'affirmation du requérant selon laquelle il avait été étonné et abasourdi. Ce type d'appréciation du témoignage relève particulièrement de la Commission. C'est la Commission qui voit et entend les témoins et qui a beaucoup d'expérience dans l'examen de ces types de cas. Je ne saurais conclure que la Commission a commis une erreur dans la conclusion qu'elle a tirée.

         Le second domaine dans lequel la Commission a jugé le témoignage du requérant non crédible était son témoignage sur la façon dont il s'est évadé. Lui et un des compagnons qui avaient été témoins des événements du 16 avril 1995, Carlos, ont été arrêtés, l'autre compagnon, ainsi qu'il a été noté, ayant été tué (ou s'étant suicidé). Le requérant et Carlos étaient transférés à Cochabamba pour mesure disciplinaire. Le camion s'est arrêté en route; le requérant ne savait pas pourquoi. Les agents d'UMOPAR les ont fait descendre du camion; il ne savait pas pourquoi. Le requérant et Carlos se sont enfuis. Le requérant était coureur de marathon et s'est enfui. Son compagnon a été tué. Il était aidé par un club d'athlétisme et il a quitté la Bolivie pour participer à un marathon. Le club a pris des dispositions pour lui. La Commission a dit que [TRADUCTION] "le témoignage du revendicateur concernant sa fuite à pied et la mort de Carlos est invraisemblable".

         L'avocat du requérant soutient qu'il serait déraisonnable pour le requérant de savoir pourquoi le camion s'est arrêté et pourquoi les agents d'UMOPAR ont fait descendre du camion deux d'entre eux - ce serait de la spéculation de sa part. L'avocat soutient également que la Commission n'a pas tenu compte du fait qu'il faisait sombre et que l'endroit en question était accidenté et rocailleux. La décision de la Commission porte notamment :

         [TRADUCTION] Le revendicateur n'a pas rendu un témoignage persuasif sur la mort de Carlos et sa propre fuite à cette occasion. Les agents d'UMOPAR ont arrêté le camion pour aucune raison apparente et ont autorisé le revendicateur et Carlos à sortir du camion. Le requérant a pu échapper à ceux qui le capturaient bien que Carlos ait été atteint pas des balles pendant qu'il courait. Il est vrai que le tribunal a tenu compte de l'expérience de coureur de marathon du requérant dans cette affaire; mais il n'est pas convaincu que ce témoignage soit véridique. Le fait pour trois agents d'UMOPAR transportant clandestinement deux témoins de la corruption d'UMOPAR d'autoriser ces témoins à s'évader de la manière décrite par le revendicateur n'est pas vraisemblable.

         Je ne crois pas que la Commission ait méconnu le témoignage sur la nature du terrain et sur le fait qu'il faisait nuit. Elle n'a simplement pas cru qu'un homme non armé avait pu échapper à trois agents armés. C'est une question de crédibilité qu'une cour, à l'occasion du contrôle de la décision d'un tribunal, n'écarte pas à la légère. J'estime qu'il n'y a pas lieu d'annuler la décision en raison des conclusions que la Commission a tirées sur cet aspect du témoignage.

         En dernier lieu, la conclusion de la Commission selon laquelle le fait que le requérant n'avait pas pris contact avec son frère avant de quitter la Bolivie n'était pas crédible est encore une question de crédibilité et d'appréciation du témoignage. La Commission n'a pas méconnu l'explication donnée par le requérant quant à la raison pour laquelle il n'a pas pris contact avec son frère. Elle ne l'a simplement pas cru. Il ne s'agit pas d'un cas où une cour de révision peut annuler la décision de la Commission.

         Par ces motifs, la présente demande doit être rejetée.

                                 "B. Reed"

                                     Juge

Toronto (Ontario)

le 2 octobre 1997

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      IMM-I-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Angel Juan Fernandez Ampuero
                             et
                             Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 30 septembre 1997
DATE DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          le juge Reed

EN DATE DU                      2 octobre 1997

ONT COMPARU :

Byron M. Thomas              pour le requérant

Kevin Lunney                  pour l'intimé

                    

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Byron M. Thomas

Avocat

5468, rue Dundas ouest

Pièce 402

Etobicoke (Ontario)

M9B 6E3                              pour le requérant

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                             pour l'intimé

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     No du greffe : IMM-1-97

ENTRE

     ANGEL JUAN FERNANDEZ AMPUERO,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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