Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                  Date : 20051221

                                                                                                                             Dossier : T-1737-04

                                                                                                                   Référence : 2005 CF 1720

ENTRE :

                                                   MONSIEUR MARIO LATOUR

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Cette demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 26 août 2004 par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ci-après la défenderesse), en vertu du programme d'équité, à l'effet de refuser au demandeur l'annulation des intérêts arriérés supplémentaires, pour les années d'imposition 1997, 1998, 1999, suite à un crédit d'impôt reçu par erreur, conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supplément) (la Loi).

                                                                   * * * * * * * *


[2]         Les faits pertinents se résument comme suit :

[3]         Le 28 mai 1999, Mario Latour (le demandeur) avait une dette fiscale de 2 449,85 $ envers la défenderesse.

[4]         En juillet 2000, cette dette était de 3 917,61 $.

[5]         Au cours de la période du 28 mai 1999 au 26 juillet 2000, la défenderesse a fait parvenir au demandeur des demandes formelles de paiement et des relevés de compte indiquant l'augmentation de sa dette fiscale.

[6]         Pendant cette même période, le demandeur a fait des versements variant de 52 $ à 69 $ et un paiement de 170,55 $.

[7]         En mars 2000, la défenderesse a entamé une procédure de saisie sur le salaire du demandeur.

[8]         Le 16 août 2000, la défenderesse a crédité 2 874,86 $ par erreur au compte d'impôt du demandeur.

[9]         Le 25 septembre 2000, la défenderesse a envoyé au demandeur un relevé de compte indiquant que sa dette fiscale ne s'élevait plus maintenant qu'à 754,22 $. À la face même de ce relevé de compte, que le demandeur reconnaît avoir alors reçu, était crédité le montant de 2 874,86 $ ci-dessus que ce dernier n'avait toutefois jamais payé.


[10]       Le 8 décembre 2000, le demandeur a par ailleurs contacté la Direction de la perception des pensions alimentaires après avoir reçu un deuxième avis d'indexation de sa pension alimentaire le désavantageant.

[11]       Entre le 25 septembre 2000 et le 5 janvier 2004, le demandeur n'a jamais contacté la défenderesse pour tenter de savoir ce qui avait entraîné la diminution importante et inattendue de sa dette fiscale en septembre 2000.

[12]       Le 5 janvier 2004, la défenderesse, ayant réalisé son erreur, a envoyé au demandeur un relevé de compte indiquant que sa dette fiscale était de 3 774,76 $.

[13]       Le 8 janvier 2004, le demandeur a contacté la défenderesse pour obtenir des explications qui ne lui ont pas alors été fournies, l'agent concerné n'étant pas au courant de son dossier.

[14]       Le demandeur a dû contacter la défenderesse à nouveau les 16 et 20 janvier 2004 ainsi que le 2 février à ce sujet.

[15]       Le 2 février 2004, le demandeur a reçu un état de compte détaillé, daté du 29 janvier 2004. C'est à ce moment-là que la défenderesse explique pour la première fois qu'un montant a été crédité à son compte par erreur.

[16]       Le 13 février 2004, le demandeur a présenté à la défenderesse une première demande de renonciation aux intérêts en vertu des dispositions d'équité conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi, demandant une annulation des intérêts pour le montant dû du 16 août 2000 au 5 janvier 2004, date à laquelle il a reçu la première facturation.


[17]       Dans une lettre datée du 22 avril 2004, le preneur de décision, M. Gilles Laberge, a informé le demandeur de sa décision d'annuler les arriérés d'intérêts courus pour les premiers 60 jours ayant suivi l'émission du relevé de compte affichant l'application erronée du paiement au compte du demandeur. Monsieur Laberge a alors exprimé l'avis qu'une période de 60 jours était suffisante pour que le demandeur les avise de l'erreur. Était aussi joint à la lettre un exemplaire de la circulaire d'information IC-92-2 intitulée Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités. La défenderesse portait particulièrement l'attention du demandeur au paragraphe 14 de ces lignes directrices.

[18]       Par une lettre datée du 6 mai 2004, le demandeur a fait parvenir à la défenderesse une demande de réexamen administratif de la décision du 22 avril 2004 accueillant partiellement sa demande de renonciation aux intérêts.

[19]       Un deuxième comité d'examen a analysé la seconde demande du demandeur. En dépit des problèmes personnels de ce dernier, les agentes Brigitte Lamontagne et Bérangère Savard ont recommandé le maintien de la décision du 22 avril 2004 parce que le demandeur, ayant fait défaut de signaler l'erreur commise en 2000 et ne s'étant manifesté que lorsque la défenderesse a corrigé son compte à la hausse, n'a pas fait preuve de diligence dans la gestion de ses affaires.

[20]       Dans une lettre datée du 26 août 2004, le preneur de décision, M. Pierre Boutin, a avisé le demandeur que sa demande de réexamen était refusée, d'où la présente demande de contrôle judiciaire.

                                                                   * * * * * * * *


[21]       Il convient ici d'énoncer le libellé du paragraphe pertinent de la Loi :


   220. (3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.


   220. (3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.


[22]       Le paragraphe pertinent des Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités se lit ainsi :


   14. Si un contribuable ou un employeur estime que le Ministère n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et équitable, il peut alors demander, par écrit, au directeur d'un bureau de district ou d'un centre fiscal d'examiner la situation.


   14. If taxpayers or employers believe that the Department has not exercised its discretion in a fair and reasonable manner, then they may request, in writing, that the director of a district office or taxation centre review the situation.


                                                                   * * * * * * * *

[23]       Dans Lanno c. Agence des douanes et du revenu, 2005 CAF 153, madame la juge Sharlow de la Cour d'appel fédérale a tout récemment établi la norme de contrôle applicable dans le cadre de l'examen d'une décision prise en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, comme celui conféré par le paragraphe 220(3.1) de la Loi :

[7]      À mon avis, aucun facteur pertinent n'indique que la norme de contrôle exige une retenue plus grande que la norme de la décision raisonnable. En toute déférence, je suis donc en désaccord avec les décisions de la Cour fédérale dans Sharma et Cheng, et je conclus qu'en l'espèce, comme dans l'arrêt Hillier, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. . . .


[24]       Dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, la Cour suprême du Canada, citant sa décision dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, a expliqué la norme de contrôle raisonnable de cette façon, à la page 268 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion.

[25]       Le régime fiscal canadien est fondé sur le principe d'autocotisation. Comme l'explique mon collègue le juge Blais dans Boudreault c. Agence des douanes et du revenu du Canda, 2002 CFPI 84, au paragraphe 30, il est compréhensible qu'un individu veuille bénéficier d'une erreur commise par la défenderesse, mais ce n'est pas pour autant acceptable. Parce que le demandeur n'a pas avisé la défenderesse de l'erreur, il a mis en péril ses chances d'obtenir un redressement discrétionnaire sous le paragraphe 220(3.1) de la Loi.

[26]       Il est vrai qu'en l'espèce la défenderesse n'a avisé le demandeur de son erreur que le 29 janvier 2004. Si le demandeur n'avait pas pu noter l'erreur de la défenderesse, peut-être serais-je d'accord avec les prétentions de ce dernier en regard des intérêts à annuler. Mais la diminution importante et soudaine du solde de la dette fiscale du demandeur aurait dû amener ce dernier à s'interroger à cet égard, d'autant plus que les faits montrent que lorsque le demandeur prend connaissance de son courrier, il réagit rapidement s'il perçoit une erreur. À mon avis, il n'est pas déraisonnable de conclure que le demandeur savait qu'il y avait une erreur dans son dossier et qu'il a voulu en tirer avantage. Comme dans Boudreault, ci-dessus, cela peut être compréhensible, mais ce n'est pas acceptable.


[27]       Le Ministre a structuré l'exercice de son pouvoir discrétionnaire par l'adoption des Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités et le guide de référence sur les dispositions dquité. À mon avis, la défenderesse a suivi ces directives en considérant la situation du demandeur et en décidant d'annuler l'intérêt pour 60 jours à partir de la date du relevé de compte suivant le paiement appliqué par erreur, une période suffisante pour qu'il puisse aviser la défenderesse de cette erreur.

[28]       Il importe de sougliner, cependant, que ces directives ne peuvent pas entraver l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre, de sorte que même s'il y avait eu une divergence entre les actions de la défenderesse et les directives, cela n'entraînerait pas nécessairement l'intervention de cette Cour (voir Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 6 et 7 et Lachine General Hospital Corp. c. Québec (Procureur général), [1996] R.J.Q. 2804, à la page 2817).

[29]       De plus, le guide de référence sur les dispositions dquité, que le demandeur se plaint ne pas avoir reçu, est un simple document de travail destinéà l'usage des employés de la défenderesse. Il ntait donc pas nécessaire que celle-ci envoie ce guide au demandeur.

[30]       Finalement, il ntait pas déraisonnable pour la défenderesse de trouver que les circonstances dans la vie du demandeur ne justifiaient pas une annulation des intérêts arriérés supplémentaires, parce que ces circonstances démontraient d'abord que ce dernier avait toujours su garder le contrôle de sa situation et parce qu'en outre elles ne révélaient pas des situations extraordinaires ne constituant pas le lot de la majorité des Canadiens (voir, par exemple, Babin c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CF 972).


[31]       Au niveau de la seconde décision, M. Pierre Boutin avait toute l'information soumise et a décidé que le pouvoir discrétionnaire relié à la première décision avait été exercé de façon appropriée. À mon avis, cette décision du 26 août 2004 découle d'une analyse raisonnable du dossier du demandeur eu égard à la preuve documentaire et aux observations écrites fournies par ce dernier. La décision elle-même est donc raisonnable, de sorte que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée.


[32]       En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu des circonstances particulières du présent cas, il n'y a pas d'adjudication de dépens.

                                                                

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 21 décembre 2005


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                   NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1737-04

INTITULÉ :                                                       MONSIEUR MARIO LATOUR c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 30 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 21 décembre 2005          

COMPARUTIONS :

M. Mario Latour                                             LE DEMANDEUR

Me André Leblanc                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mario Latour                                                   LE DEMANDEUR EN SON PROPRE NOM

Gatineau (Québec)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.