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     T-574-96

OTTAWA (Ontario), le 29 juillet 1997

EN PRÉSENCE DE M. le juge MacKay

Entre :

     BRIAN CHRISTOPHER BRADLEY,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé,

     - et -

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     intervenante.

     SUR PRÉSENTATION d'un avis de requête introductif d'instance en date du 8 mars 1996, et d'un avis modifié en date du 15 avril 1996, dans lequel le requérant demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne en date du 19 février 1996, en réponse à la plainte qu'il a déposée, décision dans laquelle la Commission rejetait la plainte du requérant, concernant les circonstances de son renvoi des Forces armées canadiennes, parce que l'examen n'en était pas justifié;

     APRÈS AVOIR ENTENDU le requérant, qui s'est représenté lui-même, et l'avocat de l'intimé, le procureur général du Canada, ainsi que l'avocat de l'intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne, à Halifax, le 10 décembre 1996, date à laquelle la Cour a réservé sa décision; et après avoir examiné les observations faites au cours de l'audience et les observations écrites fournies subséquemment par le requérant à l'appui de sa demande en vue d'obtenir les dépens de la requête;

     O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE :

1.      Que la requête soit rejetée.
2.      Que chaque partie assume ses propres frais, puisqu'il n'y a pas de raisons spéciales d'adjuger les dépens, conformément à la règle 1618 des Règles de la Cour fédérale.
3.      Que, pour les fins du dossier, l'intitulé de la cause soit identique à ce qui est indiqué au début de la présente ordonnance, désignant comme intervenante la Commission des droits de la personne, conformément à l'ordonnance du 13 novembre 1996, qui lui accordait ce statut.

                 W.Andrew MacKay

                         JUGE

Traduction certifiée conforme         
                                 François Blais, LL.L.

     T-574-96

Entre :

     BRIAN CHRISTOPHER BRADLEY,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé,

     - et -

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     intervenante.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge MacKay

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP ou la Commission) en date du 19 février 1996, rejetant la plainte de discrimination fondée sur l'âge, présentée par le requérant, à l'encontre des Forces armées canadiennes (FAC). Compte tenu des circonstances relatives à la plainte, la Commission a statué que l'examen de celle-ci n'était pas justifié. Il est bien établi que cette décision a été rendue en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi).

     Un avis de requête introductif d'instance a été déposé le 8 mars 1996 par M. Bradley qui, même s'il n'est pas un avocat, s'est représenté lui-même dans cette affaire. Un avis modifié a été déposé le 15 avril 1996, conformément aux directives que la Cour a données au requérant le 9 avril faisant suite à une demande de sa part.

     Les motifs invoqués par le requérant à l'appui de la demande de contrôle judiciaire sont les suivants :

(i)      la CCDP a commis une erreur de droit en n'appliquant pas correctement la Loi, et particulièrement en refusant d'examiner de façon appropriée les articles 2, 3, 7, 9 et 10, notamment les motifs de distinction illicite énoncés au paragraphe 3(1);
(ii)      la CCDP a commis une erreur en refusant de considérer l'âge du requérant, son état matrimonial et sa situation de famille comme des facteurs importants dans le refus des Forces armées canadiennes (CAF) de le maintenir dans son emploi, ou d'accorder suffisamment d'importance à ces facteurs;
(iii)      la CCDP a commis une erreur en omettant de remettre au requérant un résumé complet de toute la preuve qui lui a été fournie par les FAC. En particulier, le requérant a fait instamment valoir à l'audience que la CCDP avait commis une erreur en ne lui remettant pas une copie de la lettre des FAC, en date du 11 janvier 1996, qui a été rédigée en réponse au rapport d'enquête final;
(iv)      la CCDP a commis une erreur en tenant compte d'éléments de preuve trompeurs fournis par les FAC, à deux ou plusieurs occasions; et
(v)      généralement, la décision est contraire au droit, en particulier à la Loi et à son objet, et contraire à la preuve.

     Comme redressements, le requérant demande une ordonnance annulant ou infirmant la décision en date du 19 février 1996, ainsi qu'une déclaration attestant que les articles 2, 3, 7, 9 et 10 de la Loi s'appliquent de façon que tout traitement défavorable et différentiel au niveau de l'emploi, du fait de l'âge, constitue un acte illégal, discriminatoire et contraire à la Loi. Le requérant demande également une déclaration attestant que la décision de la CCDP de ne pas procéder à l'examen de sa plainte est illégale, discriminatoire et contraire à la Loi.

     En vertu d'une ordonnance de la Cour rendue le 9 avril 1996, les FAC et la CCDP ont été radiées comme intimées et le procureur général a été désigné en cette qualité. Par la suite, en vertu d'une ordonnance en date du 13 novembre 1996, la CCDP a été désignée comme intervenante et a obtenu le droit de déposer une preuve par affidavit, un exposé des faits et du droit et le droit de présenter des observations verbales à l'audience. Aucune directive n'avait été émise à ce moment pour que le statut de la Commission soit indiqué dans l'intitulé de la cause, mais l'ordonnance émise ce jour enjoint au Greffe de modifier l'intitulé pour désigner la CCDP comme intervenante.

Les dispositions pertinentes de la Loi:

     Les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont les suivantes :

         2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.         
         3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.         
     [...]         
         7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :         
         a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;         
         b) de le défavoriser en cours d'emploi.         
         9. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour une organisation syndicale :         
         a) d'empêcher l'adhésion pleine et entière d'un individu;         
         b) d'expulser ou de suspendre un adhérent;         
         c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une convention collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'organisation, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles soit de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, soit de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation.         
     [...]         
         10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :         
         a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;         
         b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.         
         44. (1) L'enquêteuse présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.         
         (2) La Commission renvoie le plaignant à l'autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :         
         a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlements des griefs qui lui sont normalement ouverts;         
         b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon les procédures prévues par une autre loi fédérale.         
         (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :         
         a) peut demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer, en application de l'article 49, un tribunal des droits de la personne chargé d'examiner la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :         
             (i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifiée,         
             (ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);         
         b) rejette la plainte, si elle est convaincue :         
             (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié;         
             (ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux motifs 41c) à e).         
         (4) Après réception du rapport, la Commission :         
         a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphe (2) ou (3);         
         b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).         

Les faits:

     Le requérant, Brian Christopher Bradley, a été membre des FAC de décembre 1988 jusqu'à son renvoi le 30 mars 1993. Le requérant s'était enrôlé directement en qualité d'officier, et avait le grade de sous-lieutenant.

     En 1991, M. Bradley a été envoyé à l'université technique de Nouvelle-Écosse (UTNE) pour y suivre le cours d'ingénieur naval. Pendant sa formation, toutefois, il a éprouvé des difficultés d'apprentissage et a échoué plusieurs cours. Par conséquent, le 1er juin 1992, un comité de révision du cours (CRC) a été convoqué à l'école des Forces canadiennes à Halifax pour examiner son rendement et ses possibilités.

     À la suite de l'examen du cas du requérant, le CRC a émis un ordre de convocation, de même que des recommandations1. À la suite de ces recommandations, le requérant a quitté le programme de génie naval à l'UTNE parce qu'il avait échoué des cours. Ultérieurement, l'évaluation effectuée par les FAC indiquait qu'il n'avait pas les qualités d'officier nécessaires pour être un leader et un officier efficaces; par conséquent, il n'a pas été recommandé pour une mutation professionnelle ou pour le maintien de son emploi en qualité d'officier dans les FAC. En septembre 1992, on a recommandé le renvoi du requérant. Il a finalement été renvoyé des FAC le 30 mars 1993. Il avait alors 43 ans.

     Le 10 décembre 1993, le requérant a déposé une plainte auprès de la CCDP alléguant que les FAC l'avait traité de façon discriminatoire à cause de son âge, contrairement à l'article 7 de la Loi. Dans sa plainte, le requérant énonce l'essentiel de son allégation de la façon suivante :

     [TRADUCTION]         
     J'allègue que j'ai été victime de discrimination dans les Forces armées canadiennes qui ont refusé de maintenir mon emploi à cause de mon âge (43 ans) contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.         
     [...]         
     Une copie de l'ordre de convocation du comité de révision des carrières (CRC) qui se trouvait dans mon dossier personnel renferme cette note manuscrite dans la marge "43 ans". Ceci indique que mon âge a été un facteur dans la décision de me renvoyer plutôt que de me réaffecter à un autre poste. D'autres officiers ont été autorisés à continuer leur formation ou ont été mutés à d'autres postes malgré qu'ils aient échoué les mêmes cours en ayant des notes inférieures aux miennes et/ou qu'ils aient obtenu une moyenne générale inférieure à la mienne. Ces autres officiers sont beaucoup plus jeunes que moi.         
     [...]         

     Après avoir reçu la plainte du requérant en janvier 1994, la CCDP a nommé un enquêteuse. Le 29 novembre 1994, les FAC ont remis des observations écrites à l'enquêteuse, exposant leur position quant aux raisons du renvoi du requérant des FAC.

     Dans leurs observations, les FAC indiquent que le requérant avait été décrit par son commandant comme n'ayant pas [TRADUCTION] "[...] les qualités d'officier nécessaires pour être un officier et un leader efficaces dans les Forces canadiennes". La lettre continue ainsi : [TRADUCTION] "[p]endant toute sa carrière, [le requérant] a régulièrement été évalué comme un leader médiocre ayant de la difficulté à susciter le respect et à s'assurer la collaboration des autres". Malgré son manque de qualité en tant qu'officier, toutefois, la lettre indique que le motif principal de son renvoi était l'échec de sa formation dans sa profession militaire. Bien qu'on ait envisagé la possibilité d'accorder une mutation professionnelle au requérant dans trois autres domaines au sein des FAC, la lettre mentionne qu'il a chaque fois été jugé inapte. Par conséquent, le requérant a été renvoyé des FAC parce qu'il n'était pas [TRADUCTION] "possible de l'employer d'une façon avantageuse".

     Pour ce qui a trait à la référence dans la plainte du requérant à un document contenant une note manuscrite relative à son âge, les FAC déclarent que le document original n'a pu être retrouvé, mais que la copie versée au dossier personnel du requérant ne renferme aucune note de ce genre. De toute façon, selon la lettre, le comité qui a recommandé son renvoi n'était pas saisi de ce document. Concernant le jeune officier qui aurait selon le requérant échoué son cours, les FAC indiquent que son renvoi avait également été recommandé, mais que son emploi a été temporairement maintenu dans les FAC pour qu'il termine sa période de "service obligatoire".

     Le rapport d'enquête a été terminé le 30 décembre 1994. Dans ce rapport, l'enquêteuse recommandait que la plainte soit rejetée au motif que la preuve concernant l'allégation de discrimination fondée sur l'âge n'était pas fondée. Le rapport a été remis aux parties, qui ont ensuite été invitées par la CCDP à faire leurs observations écrites. Le requérant a soumis ses observations le 22 janvier 1995. Dans celles-ci, il informe la CCDP qu'il avait appris que le jeune officier auquel il avait référence n'avait pas, en fait, été renvoyé comme le laissait entendre les observations des FAC, mais qu'il avait plutôt été reclassé dans un autre poste. Le requérant incluait également certains documents dans le but de réfuter l'allégation des FAC indiquant qu'il n'avait pas les qualités d'officier nécessaires.

     Au vu des nouveaux renseignements fournis par le requérant, la CCDP a rouvert l'enquête. Le 31 janvier 1995, la CCDP a informé les parties que la procédure avait été rouverte, et que l'enquêteuse présenterait un rapport révisé, pour y inclure ses conclusions sur la nouvelle procédure d'enquête. Ce rapport révisé serait alors communiqué aux parties qui auraient ensuite la possibilité de fournir d'autres observations.

     Après la réouverture de l'enquête le 15 février 1995, l'enquêteuse a demandé d'autres renseignements aux FAC concernant les deux points particulièrement mentionnés dans les observations du requérant remises le 22 janvier 1995, c'est-à-dire (i) la question du statut professionnel du jeune officier, et (ii) la question de savoir si le requérant n'avait pas les qualités d'officier nécessaires pour demeurer officier dans les FAC. Les FAC ont répondu à ces demandes dans une lettre en date du 24 mars 1995.

     Dans la lettre, les FAC ont reconnu qu'après examen on avait appris que le jeune officier en question [TRADUCTION] "[...] occupait toujours un emploi dans les [FAC] à titre exceptionnel, en raison de ses qualités d'officier et de son rendement antérieur", et, toujours selon la lettre, qu'on lui avait offert une mutation professionnelle dans un autre secteur des FAC. Pour ce qui a trait aux qualités de leadership du requérant, toutefois, les FAC indiquent qu'à leur avis l'affirmation selon laquelle le requérant n'était pas [TRADUCTION] "hautement qualifié" pour devenir un officier dans les FAC avait été suffisamment étayée dans leurs observations antérieures du 29 novembre 1994. Finalement, concernant l'allégation du requérant selon laquelle il avait été victime de discrimination du fait de son âge, les FAC concluent dans les termes suivants :

     [TRADUCTION]         
     Le fait demeure que l'ex-sous-lieutenant Bradley a été renvoyé des FC uniquement parce qu'il a échoué sa formation et qu'il n'était pas considéré comme un candidat idéal pour continuer à servir dans les FC. L'âge n'a eu aucun effet direct ou indirect sur la décision de le renvoyer.         

     Après avoir reçu ces observations, et au vu des nouveaux renseignements soumis par les parties, un rapport d'enquête révisé a été remis le 31 mai 1995. Ce rapport révisé maintenait la recommandation antérieure de l'enquêteuse de rejeter la plainte. Ce rapport a été remis aux parties, qui ont ensuite été invitées à présenter leurs observations.

     Les deux premiers rapports d'enquête, en date du 30 décembre 1994 et du 31 mai 1995, bien qu'ils aient été remis aux parties pour leur permettre de faire leurs observations, n'ont toutefois pas été fournis à la Commission. Au contraire, l'enquête a été poursuivie et le 24 juillet 1995, la CCDP a communiqué avec les FAC pour demander des renseignements supplémentaires concernant la plainte. Plus particulièrement, la CCDP demandait des renseignements supplémentaires concernant la situation professionnelle du jeune officier dont il a été question ci-dessus, de même que des données comparatives à l'égard d'étudiants ayant déjà participé au programme de formation de l'UTNE. Les FAC ont répondu à cette demande de renseignements dans une lettre datée du 24 août 1995.

     Après avoir reçu ces observations, un dernier rapport d'enquête a été préparé en date du 7 décembre 1995; il incorporait les nouveaux renseignements obtenus des parties. Toutefois, dans le dernier rapport, la recommandation de l'enquêteuse a été modifiée et indique qu'un conciliateur devrait être nommé pour essayer de régler la plainte. Le rapport a été remis aux parties dans une lettre datée du 7 décembre 1995 qui indique en partie ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     Par suite des observations [formulées par le requérant] concernant le rapport d'enquête daté du 31 mai 1995, l'enquête au sujet de cette plainte contre les Forces armées canadiennes a été rouverte. Le rapport d'enquête a ensuite été modifié ainsi que la recommandation à la Commission pour qu'un conciliateur soit nommé afin d'essayer de parvenir à un règlement. La Commission peut décider d'accepter, de modifier ou de rejeter cette recommandation.         
     [...]         

     Dans la lettre, on invitait également les parties à fournir d'autres observations concernant le dernier rapport. Le requérant a répondu par d'autres observations écrites, en date du 28 décembre 1995, adressées à la Commission. Les FAC ont répondu au rapport d'enquête en fournissant à la Commission des observations détaillées dans une lettre datée du 11 janvier 1996.

     Dans leurs observations, les FAC ont répondu au rapport d'enquête final en réitérant leur position quant à la raison fondamentale pour laquelle le requérant a été renvoyé des FAC. En particulier, les FAC ont réexaminé leur position concernant la note manuscrite alléguée concernant l'âge du requérant dans l'ordre de convocation du comité de révision des carrières, de même que quant au fondement de leur recommandation de renvoyer le requérant. Les FAC ont également répondu à certains paragraphes du rapport d'enquête en faisant référence à des documents remis au cours de l'enquête qui, à leur avis, appuyaient leur position indiquant que le requérant n'avait pas les qualités d'officier nécessaires pour demeurer officier dans les FAC. Finalement, les FAC terminent leurs observations sur les mots suivants :

     [TRADUCTION]         
     En conclusion, l'allégation selon laquelle le renvoi de l'ex-sous-lieutenant Bradley est discriminatoire en raison de son âge s'appuie sur l'hypothèse que les membres du CRC ont considéré l'âge du plaignant comme un facteur avant de prendre la décision de recommander son renvoi. Toutefois, il n'y a aucun élément de preuve qui appuie cette hypothèse. Les documents connexes indiquent clairement que la recommandation de renvoi se fondait uniquement sur les échecs scolaires de l'ex-sous-lieutenant Bradley et sur son inaptitude aux fins d'une MP ou d'un retour au statut de MR en raison de son manque d'acquis scolaires et opérationnels, de ses médiocres qualités d'officier ou de leadership et du manque de postes vacants pouvant lui convenir. Par conséquent, il a été jugé que l'ex-sous-lieutenant Bradley ne pouvait plus être employé de façon avantageuse dans les FC et il a été renvoyé.         
     Les FC continuent de croire que le renvoi de l'ex-sous-lieutenant Bradley était justifié et n'était pas fondé sur l'un des motifs de distinction illicites. Elles estiment que la plainte n'est pas fondée et, par conséquent, il est recommandé que la plainte soit rejetée.         

     En recevant les observations des parties, l'enquêteuse a conclu qu'elles ne contenaient aucun nouvel élément, et par conséquent qu'il n'était pas nécessaire qu'elles soient communiquées à l'autre partie. Le 11 janvier 1996, l'enquêteuse a communiqué ces renseignements par note de service à son superviseur, qui a approuvé cette évaluation.

     Le 12 janvier 1996, l'enquêteuse a communiqué avec le requérant par téléphone et l'a informé que les FAC avaient fourni des observations. En particulier, elle a informé le requérant d'une déclaration faite par les FAC dans leurs observations indiquant que, contrairement au jeune officier en question, le requérant n'était pas tenu de terminer son service obligatoire parce qu'il s'était enrôlé directement en qualité d'officier. Elle en a discuté avec le requérant, qui a déclaré qu'il avait compris qu'il avait un contrat de service de neuf ans, que les FAC n'ont pas honoré, et il a également déclaré qu'il ne savait pas quelle différence il y avait entre l'enrôlement direct en qualité d'officier et le service obligatoire.

     Les observations des parties, le rapport d'enquête du 7 décembre 1995, la plainte initiale et les pièces connexes ont ensuite été envoyées à la Commission qui, après les avoir examinées, a décidé de rejeter la plainte. Les parties ont été informées de la décision de la Commission dans une lettre datée du 19 février 1996 qui indique en partie ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     [...]         
     La Commission a décidé que, compte tenu des circonstances de la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié. Par conséquent, le dossier de cette affaire est maintenant clos.         

     Dans un avis de requête introductif d'instance en date du 8 mars 1996, le requérant a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. J'ai entendu cette demande à Halifax le 10 décembre 1996, date à laquelle, après avoir entendu les observations des parties, ainsi que celles de la CCDP en qualité d'intervenante, j'ai réservé ma décision. Je rejette maintenant cette demande pour les motifs énoncés ci-dessous.

Les questions en litige

     Les questions soulevées par le requérant peuvent être énoncées comme suit :

1.      La CCDP a-t-elle commis une erreur donnant lieu à examen en rejetant la plainte du requérant aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(ii) de la Loi :         
     (i)      parce qu'elle n'a pas interprété la Loi de façon large, et, particulièrement, parce qu'elle n'a pas examiné de façon appropriée les articles 2, 3, 7, 9 et 10 de la Loi; ou                 
     (ii)      parce qu'elle n'a pas accordé suffisamment d'importance à l'âge du requérant, à son état matrimonial et à sa situation de famille comme facteurs importants dans la décision des FAC de le renvoyer.                 
     À mon avis, l'argument général du requérant selon lequel cette décision est contraire au droit, et plus particulièrement à la Loi, et contraire à la preuve, repose sur sa capacité de prouver les motifs (i) ou (ii) ci-dessus.         
2.      La CCDP a-t-elle commis une erreur donnant lieu à examen parce qu'elle manqué à l'équité procédurale de la façon suivante :         
     (i)      en examinant des éléments de preuve fournis par les FAC qui, selon les allégations, sont trompeurs; ou                 
     (ii)      en omettant de fournir au requérant un résumé complet de la totalité de la preuve dont elle était saisie; et, en particulier, en omettant de communiquer au requérant les observations des FAC en date du 11 janvier 1996, fournies par écrit en réponse au rapport d'enquête final, observations dont était saisie la CCDP.                 

Analyse

1.      La CCDP a-t-elle commis une erreur donnant lieu à examen dans l'application de la Loi à la preuve?         

a)      La norme de contrôle:

     Comme il a été indiqué ci-dessus, le requérant allègue que la CCDP, pour parvenir à sa décision, a commis une erreur donnant lieu à examen en omettant d'interpréter et d'appliquer correctement la Loi, et en omettant de tenir dûment compte de l'âge, de l'état matrimonial et de la situation de famille du requérant en tant que facteurs importants dans la décision des FAC de le renvoyer. Le motif principal de la plainte, tel qu'il a été débattu à l'audience, porte sur la conviction du requérant qu'il a été victime de discrimination du fait de son âge, 43 ans, lorsque les FAC l'ont renvoyé. Ses préoccupations concernant son état matrimonial et sa situation de famille se posent en raison de la perception qu'il a entretenue pendant son service dans les FAC, selon laquelle les décisions concernant ses mutations et ses études, de même que la décision de le renvoyer, ont eu des effets négatifs sur son état matrimonial et sa situation de famille. Aucun élément de preuve n'a été fourni concernant la manière dont ces derniers facteurs, c'est-à-dire l'état matrimonial et la situation de famille, ont joué un rôle dans son renvoi, et puisque sa plainte à la CCDP concernait uniquement la discrimination alléguée du fait de l'âge, seul ce facteur, savoir l'âge, sera examiné ci-après.

     À mon avis, pour déterminer si la CCDP a commis une erreur donnant lieu à examen, il est nécessaire tout d'abord d'identifier la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la décision de la CCDP de rejeter la plainte du requérant aux termes du sous-alinéa- 44(3)b)(i) de la Loi.

     Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop2, la Cour suprême du Canada a statué qu'en raison de leurs connaissances spécialisées dans les domaines de l'appréciation des faits et des décisions concernant les plaintes relatives aux droits de la personne, il fallait faire preuve d'une grande retenue judiciaire à l'égard des décisions des tribunaux des droits de la personne sur les questions de faits. Sur les questions de faits, la Cour est donc tenue de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard des tribunaux nommés en vertu de la Loi, et elle doit examiner leurs décisions d'après la norme du caractère raisonnable, au vu de la preuve dont était saisie la Commission, plutôt qu'en appliquant la norme plus rigide de la justesse de la décision.

     Depuis l'arrêt Mossop, la présente Cour a fait preuve de la même retenue à l'égard du pouvoir discrétionnaire de la CCDP elle-même de rejeter les plaintes aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi au motif que, compte tenu des circonstances de la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié.

     Dans la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), le juge Nadon indique ce qui suit :

     [...] Selon l'esprit de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mossop, il faut privilégier la retenue plutôt que l'interventionnisme tant que la CCDP traite des questions d'appréciation des faits et de décision, tout particulièrement à l'égard de questions pour lesquelles la CCDP dispose d'un vaste pouvoir discrétionnaire, comme lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de rejeter une plainte sous le régime du paragraphe 44(3).         
         Compte tenu du fait que le pouvoir conféré à la CCDP par le paragraphe 44(3) est de nature discrétionnaire, je dois accepter la ligne directrice suivante énoncée par le juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7 :         
         C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aura exercer ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. [...]3                 

     Le principe qui découle de cette déclaration, c'est que le fondement à partir duquel la présente Cour peut s'ingérer dans une décision de la CCDP de rejeter une plainte aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi est extrêmement limité. Comme l'indique le juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms, précité, "[l]orsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et [...] [qu']on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision"4. Toutefois, la Cour peut être tout à fait justifiée d'intervenir lorsqu'un pouvoir discrétionnaire a été exercé d'une manière qui est discriminatoire, injuste, arbitraire ou déraisonnable5. Dans le contexte de la CCDP, il a été statué que celle-ci est "maître de sa propre procédure", et que le contrôle judiciaire d'une enquête ou d'une décision qu'elle a menée ou rendue n'est justifié que lorsque cette enquête ou cette décision comporte manifestement des lacunes6.

     En l'espèce, je n'accepte pas les arguments formulés par le requérant indiquant que la Commission a commis une erreur soit dans son interprétation et son examen de la Loi et des dispositions pertinentes, soit en refusant de tenir compte de l'importance de l'âge du requérant en tant que facteur dans la décision prise par les FAC. La preuve sur laquelle s'appuie le requérant pour établir que la Commission a commis une erreur dans son application de la Loi et de ses dispositions pertinentes, est une note manuscrite dans la marge, "43 ans", qui se trouvait sur une copie d'un avis donné par un comité de révision du cours, qui s'est réuni à Halifax, pour examiner son dossier de cours théoriques et décider s'il devait poursuivre ses études en génie naval. Cet avis n'a pas été fourni au comité de révision des carrières, convoqué à Ottawa, qui a décidé de son renvoi des FAC. En outre, il y avait des éléments de preuve indiquant qu'un jeune homme, dont les conditions de service dans l'armée étaient différentes, a bénéficié d'un traitement quelque peu différent. Manifestement, aucune de ces circonstances n'a été ignorée au cours de l'enquête de la CCDP. Chacune de ces circonstances a été expliquée dans les observations fournies par les FAC au rapport de l'enquêteuse. À mon avis, il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu'il n'y avait pas suffisamment de preuve pour établir qu'il y avait eu de la discrimination fondée sur l'âge. On ne peut dire que la conclusion de la CCDP comporte des lacunes au vu de l'ensemble de la preuve dont était saisie la Commission.

i)      L'omission d'interpréter et d'examiner la Loi de façon appropriée :

     Comme il a été indiqué ci-dessus, la décision de la Commission de rejeter la plainte est discrétionnaire, elle fait partie du champ de ses connaissances spécialisées en matière d'appréciation des faits dans le contexte des droits de la personne. C'est une décision mixte de fait et de droit, prise par la CCDP à partir d'une évaluation préliminaire de la preuve dans un but particulier, c'est-à-dire déterminer s'il y a une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante, c'est-à-dire la constitution d'un tribunal ou la nomination d'un conciliateur.

     Bien que la CCDP ait l'obligation d'agir d'une manière qui soit conforme au mandat qui lui est conféré par la loi, elle n'est pas tenue, au stade préliminaire de l'enquête, d'effectuer une analyse et une interprétation détaillées des différentes dispositions de la Loi qui peuvent être pertinentes à la plainte. Le requérant mentionne des dispositions particulières qu'à son avis la Commission a ignorées ou qu'elle a mal appliquées, c'est-à-dire les articles 2, 3, 7, 9 et 10. Cette conclusion découle de sa perception et de son argument selon lesquels la décision des FAC de le renvoyer était discriminatoire et fondée sur son âge. Cette allégation a fait l'objet d'une enquête complète, et la Commission, au moment de prendre sa décision, était saisie du rapport de l'enquêteuse, de même que des observations des parties. La CCDP n'a pas été convaincue que la preuve portant sur un cas de discrimination contraire à la Loi justifiait un examen plus approfondi, et elle a donc essentiellement rejeté la plainte du requérant. Je ne suis pas convaincu qu'elle a commis une erreur dans l'évaluation de la preuve ou dans l'application de la Loi.

ii)      L'omission d'examiner la situation personnelle du requérant :

     Je ne peux pas non plus accepter l'argument formulé par le requérant selon lequel la CCDP a commis une erreur en n'accordant pas suffisamment d'importance à l'âge du requérant, à sa situation de famille et à son état matrimonial comme facteurs importants dans la décision des FAC de le renvoyer. L'importance de ces facteurs, telle qu'elle a été perçue par le requérant, est un point qu'il a eu la possibilité de signaler dans ses observations au rapport de l'enquêteuse, dont était saisie la Commission quand elle a pris sa décision. En outre, le requérant n'a produit aucun autre élément de preuve quant à savoir comment ces facteurs ont été d'une quelconque façon ignorés ou sous-estimés par la Commission au moment où elle a rendu sa décision.

     Pour ces raisons, à mon avis, ces deux arguments avancés par le requérant doivent être rejetés. Comme il a été indiqué ci-dessus, à moins que la Commission n'ait pas agi de bonne foi, qu'elle ait ignoré des considérations pertinentes ou qu'elle ait poursuivi un but non approprié, la Cour n'est pas en droit d'intervenir. En l'espèce, je ne suis pas convaincu, et aucun élément de preuve n'a été produit qui m'amène à conclure que la manière dont l'enquête a été menée ou dont la CCDP a exercé son pouvoir discrétionnaire, était inéquitable, arbitraire ou déraisonnable.

2)      L'équité procédurale :

     Le requérant fait également valoir que la CCDP a manqué à l'équité procédurale dans la façon dont elle est parvenue à sa décision de rejeter la plainte. Plus particulièrement, le requérant allègue que la CCDP a violé les principes d'équité procédurale : (i) en tenant compte d'éléments de preuve trompeurs produits par les FAC; (ii) en omettant de lui remettre un résumé complet de toute la preuve; et, particulièrement (iii) en omettant de lui communiquer les observations des FAC en date du 11 janvier 1996, préparées en réponse au rapport d'enquête final.

     C'est maintenant un principe bien établi que la Commission doit respecter les règles d'équité procédurale. La teneur de l'obligation d'agir équitablement dans le contexte d'une décision prise par la Commission de rejeter une plainte a été examinée dans bon nombre de cas, notamment par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (CCDP)7, (S.E.P.Q.A.).

     Dans l'arrêt S.E.P.Q.A., la CCDP a décidé de rejeter la plainte déposée par le requérant comme "n'étant pas fondée" aux termes du paragraphe 36(3) [le prédécesseur du sous-alinéa 44(3)b )(i)] de la Loi. Rédigeant les motifs de la Cour, le juge Sopinka a qualifié la décision de la CCDP de rejeter la plainte de décision administrative, et indiqué que la CCDP était parvenue à cette décision après avoir effectué une évaluation raisonnable et préliminaire de la preuve :

     L'autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l'intervention sous-jacente à l'al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans les procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. L'intention n'était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal.8         

     Pour ce qui a trait à l'obligation d'agir équitablement qui incombe à la CCDP quand elle décide de rejeter une plainte, le juge Sopinka a statué que, compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions pertinentes de la Loi, "il n'y a aucune intention d'astreindre la Commission à l'observation des règles formelles de la justice naturelle"; toutefois, elle doit observer les règles de l'équité procédurale9. Pour définir le contenu de l'obligation d'agir équitablement qui incombe à la Commission, le juge Sopinka a fait siens les propos du maître des rôles lord Denning dans l'arrêt Selvarajan v. Race Relations Board10, dans lequel lord Denning indique ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     Ces dernières années nous avons examiné la procédure de nombreux organismes chargés de faire enquête et de se faire une opinion [...] Dans tous ces cas, on a jugé que l'organisme chargé d'enquêter a le devoir d'agir équitablement; mais les exigences de l'équité dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que, dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteuse est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel. Il n'a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seulement. De plus, il n'est pas nécessaire qu'il fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l'organisme enquêteuse doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.11         

     Dans l'arrêt S.E.P.Q.A., le juge Sopinka applique ensuite ces principes à l'affaire dont il était saisi, et déclare ce qui suit :

     [...] Je partage l'avis du juge Marceau qu'il incombait à la Commission d'informer les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteuse et produite devant la Commission. Celle-ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.         
         La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l'enquêteuse, les autres données de base qu'elle jugeait nécessaire ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements [...]12         

     La teneur de l'obligation d'équité procédurale dans les cas où la CCDP décide de rejeter une plainte a été plus récemment examinée dans le contexte de la disposition actuelle, soit le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, par la Cour d'appel fédérale dans Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne)13. Dans cette affaire, la Commission avait rejeté les plaintes de la requérante au motif que, aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, les allégations n'étaient pas fondées, et que l'examen de la plainte n'était pas justifié. La requérante a demandé le contrôle judiciaire de cette décision, dont a été saisi mon collègue le juge Nadon qui a statué qu'il n'y avait pas eu manquement aux règles de l'équité procédurale. La requérante avait été informée de la substance de la preuve réunie et avait eu la possibilité d'y répondre. En outre, le juge Nadon a statué que l'enquête n'avait pas été inéquitable parce qu'en fait elle avait été menée d'une façon qui était à la fois neutre et rigoureuse.

     La plaignante en a appelé de cette décision devant la Cour d'appel fédérale, qui a maintenu la décision du juge Nadon qui avait conclu qu'il n'avait pas eu manquement à l'équité procédurale. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Hugessen déclare ce qui suit :

         Nous sommes tous d'avis que la Commission s'est pleinement acquittée de son obligation d'équité envers la plaignante en lui remettant le rapport de l'enquêteur, en lui donnant l'entière possibilité d'y répliquer, et en étudiant cette riposte avant de parvenir à sa décision. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une plainte conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) est libellé dans des termes encore plus généraux que sur lesquels s'est penchée la Cour suprême du Canada dans [S.E.P.Q.A.]         
     [...]         
         Nous estimons que les lacunes qui, selon la plaignante, entacheraient la préparation du rapport d'enquête ne pourraient pas vicier la décision de la Commission pourvu que les exigences [mentionnées dans S.E.P.Q.A.] soient respectées.14         

     Depuis la décision S.E.P.Q.A., l'obligation d'agir équitablement qui incombe à la CCDP quand elle décide de rejeter une plainte fondée sur le sous-alinéa 44(3)b)(i) a été interprétée par la présente Cour qui estime que l'enquête sur laquelle se fonde la décision doit être à la fois neutre et rigoureuse. Cette évolution dans la jurisprudence a été décrite dans la décision Miller c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)15, dans laquelle le juge Dubé déclare ceci :

         Les principes de l'arrêt SEPQA ont été suivis et développés dans plusieurs décisions de la Cour fédérale. Selon ces décisions, le principe de l'équité procédurale exige que la Commission se fonde sur des éléments valables et objectifs pour déterminer si la preuve justifie la constitution d'un Tribunal. Les enquêtes que l'enquêteur mène avant la décision doivent respecter au moins deux conditions : la neutralité et l'exhaustivité. En d'autres termes, l'enquête doit être menée de façon qu'elle ne puisse être décrite comme une enquête empreinte de partialité ou d'iniquité et elle doit être exhaustive, c'est-à-dire qu'elle doit tenir compte des différents intérêts des parties concernées. L'enquêteur n'est pas tenue d'interroger chaque personne que proposent les parties. Il n'est pas tenu non plus, dans son rapport, de commenter chacun des incidents de discrimination reprochés, surtout lorsque les parties ont la possibilité de combler les lacunes dans leurs réponses.16 [Les renvois de l'original sont omis]         

     Le juge précise ensuite l'obligation d'agir équitablement qui incombe à la CCDP dans le rejet d'une plainte fondée sur le sous-alinéa 44(3)b)(i) :

         Selon la règle d'équité procédurale, un plaignant doit connaître les allégations formulées contre lui. Il n'a pas le droit d'en connaître les moindres détails, mais il devrait être informé des prétentions générales de la partie adverse. Le plaignant n'a pas le droit d'exiger les notes d'entrevues de l'enquêteur ou les déclarations obtenues des personnes interrogées. Il a le droit d'être informé du fond de l'affaire et de s'attendre à ce que l'enquêteur résume entièrement et fidèlement la preuve obtenue au cours de son enquête. Il doit avoir la possibilité de répondre. Il a également le droit d'être informé des commentaires de la partie adverse qui concernent des faits différents de ceux qui sont exposés dans le rapport d'enquête. Pour que l'erreur soit susceptible de révision, le plaignant doit démontrer que les renseignements ont été retenus à tort et que ces renseignements sont fondamentaux pour le résultat de la cause.17 [Les renvois de l'original sont omis]         

     En l'espèce, je ne suis pas convaincu que la CCDP a enfreint les règles de l'équité procédurale comme le prétend le requérant.

i)      L'examen d'éléments de preuve trompeurs

     Je n'accepte pas l'argument du requérant voulant que la Commission a commis une erreur en examinant des éléments de preuve trompeurs fournis par les FAC. Bien qu'il semble y avoir eu un peu de confusion au départ de la part des FAC quant au sujet de l'emploi du jeune officier auquel a fait allusion le requérant, il n'y a pas d'élément de preuve qui laisse entendre que la Commission s'est appuyée sur ces renseignements, dont la fausseté a été démontrée en cours de route, pour parvenir à sa décision. Le requérant a signalé cette erreur à l'attention de l'enquêteuse, qui a fait les vérifications nécessaires et qui s'est assurée qu'elle avait été dissipée avant de soumettre le cas à l'examen de la Commission. En fait, c'est à cause de ces renseignements fournis par le requérant que l'enquête a été rouverte et que d'autres renseignements ont été demandés à deux reprises aux FAC.

     Bien que ces renseignements, faux au départ, aient pu être contenus dans les premières observations des FAC, ils avaient depuis longtemps été éclaircis par l'enquêteuse au moment où le rapport d'enquête du 7 décembre 1995 a finalement été transmis à la Commission pour examen. L'enquêteuse a fait preuve de vigilance en communiquant de nouveau avec les FAC pour demander d'autres renseignements sur ce sujet et sur de nouvelles questions qui avaient été posées. À mon avis, dans les circonstances, il est tout simplement impossible de soutenir que, malgré que l'enquête ait été rouverte précisément pour examiner ces nouveaux renseignements, la CCDP a d'une quelconque façon fondé sa décision sur des renseignements périmés. Selon moi, une telle allégation ne peut être retenue. Cela équivaudrait à laisser entendre que la CCDP a ignoré le rapport d'enquête final, ce que manifestement elle n'a pas fait.

     En outre, le requérant a eu la possibilité de soulever la question des renseignements "trompeurs" qui ont pu être communiqués à la Commission et d'élucider les choses, en soumettant d'autres observations écrites en réponse18. À mon avis, bien qu'il y ait quelques incohérences dans la preuve initialement fournie par les FAC à l'enquêteuse, le requérant n'a pas signalé d'autres "éléments de preuve trompeurs" qui auraient pu être contenus dans le rapport d'enquête final du 7 décembre 1995, qui est le seul rapport qui a été transmis à la CCDP. Par conséquent, il n'y a à mon avis pas de fondement qui permette de conclure que la Commission a pu s'appuyer sur des éléments de preuve trompeurs pour rendre sa décision.

ii)      L'omission de transmettre un résumé de toute la preuve

     Je rejette également l'argument avancé par le requérant selon lequel la CCDP a manqué aux règles de l'équité procédurale en omettant de lui fournir un résumé complet de toute la preuve dont elle était saisie. Comme il ressort de la jurisprudence citée ci-dessus, les règles de l'équité procédurale n'obligent pas la CCDP à communiquer systématiquement à une partie les observations détaillées qu'elle reçoit de l'autre partie19. Toutefois, elle exige que le requérant soit entièrement mis au courant du fond de l'affaire qui le concerne et qu'il ait une possibilité équitable d'y répliquer. À mon avis, la CCDP s'est acquittée de cette obligation en l'espèce. Le requérant a obtenu une copie du rapport d'enquête daté du 7 décembre 1995. Comme dans le cas des rapports précédents qui n'ont pas été transmis à la CCDP, il a eu toute la possibilité de répondre à ce rapport final, ce qu'il a fait, en déposant ses observations écrites le 28 décembre 1995. Quand elle a pris sa décision, la Commission était saisie de ces observations, de même que du rapport d'enquête final et des observations des FAC.

     Il est vrai que la CCDP n'a pas accepté la recommandation de l'enquêteuse, c'est-à-dire de nommer un conciliateur, mais elle n'était pas liée par une telle recommandation. Le requérant avait clairement été informé de cette possibilité quand le rapport d'enquête lui a été envoyé pour fins d'observations. La décision de la Commission n'est pas entachée d'erreur parce qu'elle a choisi de ne pas suivre la recommandation de l'enquêteuse.

iii)      La contre-divulgation des observations finales

     Une bonne partie de l'argumentation à l'audience a porté sur la question de "la contre-divulgation", c'est-à-dire la question de savoir si la Commission a manqué aux règles de l'équité procédurale en ne communiquant pas au requérant la lettre du 11 janvier 1996 qui renfermait les observations des FAC concernant le rapport d'enquête final au motif que ce rapport ne révélait aucun nouvel élément de preuve. C'est ce dernier argument que j'aborde maintenant.

     Concernant la question de la communication en général, telle que formulée ci-dessus, la jurisprudence a statué que les règles de l'équité procédurale n'exigent pas que la CCDP communique systématiquement à une partie les observations détaillées qu'elle reçoit de l'autre partie; mais la substance de ces observations doit être communiquée lorsque celles-ci contiennent des éléments de fait distincts de ceux dont le rapport d'enquête faisait état. Cette question de la contre-divulgation à l'autre partie a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne)20.

     Dans cette affaire, la requérante avait déposé une plainte à la CCDP alléguant que, au moment où elle travaillait au sein du Service canadien des pénitenciers du Canada (le Service), elle avait été victime de discrimination fondée sur le sexe et la déficience mentale. Dans son rapport d'enquête, l'enquêteuse recommandait la nomination d'un conciliateur et invitait les parties à soumettre leurs observations dans un délai de trente jours. La plaignante a répondu en formulant ses observations dans le délai exigé.

     Après l'expiration du délai de trente jours, toutefois, et sans en informer la requérante, le Service a déposé certaines observations dans lesquelles il s'employait à réfuter certaines constatations et conclusions du rapport et à remettre en question la crédibilité de la requérante à l'aide, dans certains cas, de faits dont le rapport n'avait pas fait état21. Ces observations n'ont pas été communiquées à la requérante. La question a ensuite été transmise à la Commission, qui a décidé de rejeter la plainte aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi au motif que, dans les circonstances, l'examen de cette plainte n'était pas justifié. Au nombre des arguments avancés dans sa demande de contrôle judiciaire, la requérante mentionnait que la Commission avait enfreint les règles de l'équité procédurale en ne lui communiquant pas les observations du Service.

     Dans l'arrêt Mercier, le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, énonce en ces termes le critère de la contre-divulgation :

         En l'espèce, il est certain que l'appelante n'a jamais été en mesure de prévoir, et a fortiori de parer, la décision qu'allait rendre la Commission, non plus que de connaître ou même soupçonner les motifs qui allaient amener celle-ci à ne pas se rendre à la recommandation de son enquêteuse. Le rapport d'enquête, en effet, lui était favorable. Les observations du Service ont été déposées à son insu et à l'extérieur d'un délai qualifié de rigueur par la Commission et imposé par celle-ci. Ces observations constituaient bien davantage qu'une argumentation fondée sur les faits relatés par l'enquêteuse dans son rapport; elles étaient au contraire porteuses de faits qui n'apparaissaient pas au dossier placé jusqu'alors devant la Commission et allaient jusqu'à attaquer la crédibilité de l'appelante.         
     [...]         
         Je ne dis pas que les règles d'équité procédurale exigent de la Commission qu'elle communique systématiquement à une partie les observations qu'elle reçoit de l'autre partie; je dis qu'elles l'exigent lorsque ces observations contiennent des éléments de fait distincts de ceux dont le rapport d'enquête faisait état et que la partie adverse aurait eu le droit de tenter de réfuter les eut-elle connus au stade de l'enquête proprement dite. [...].22         

     Ce critère a été récemment appliqué par la présente Cour dans Madsen c. Canada (Procureur général)23. Dans la décision Madsen, le requérant alléguait que la Commission avait violé les règles d'équité procédurale en omettant de lui communiquer les observations de la partie adverse (CEIC) fournies en réponse au rapport d'enquête. Ces observations, selon l'allégation du requérant, renfermaient au moins trois nouvelles allégations qui ne figuraient pas dans le dossier et, dans au moins deux cas, toujours selon lui, les allégations étaient fausses et sans fondement factuel. Le juge Heald, après avoir mentionné le critère de la contre-divulgation formulé par le juge Décary dans Mercier, énonce la question de la façon suivante :

         Appliquant le critère énoncé dans l'affaire Mercier à l'espèce, j'estime que si les secondes observations de l'une ou de l'autre partie contenaient des faits qui différaient de ceux exposés dans le rapport d'enquête, le rapport de conciliation ou dans les observations antérieures, les règles d'équité procédurale exigeaient peut-être de la CCDP qu'elle divulgue le second ensemble d'observations d'une partie à l'autre et permette aux parties de déposer un troisième ensemble d'observations. Cependant, je dois également exprimer mon accord avec la Cour d'appel fédérale sur le fait que les règles d'équité procédurale n'exigent pas de la Commission qu'elle communique systématiquement à une partie les observations qu'elle reçoit de l'autre partie. Autrement, on pourrait concevoir que les observations/le processus de la réplique continuent ad infinitum.24         

     Dans Madsen, après avoir examiné le dossier, le juge Heald a statué qu'on avait manqué aux règles d'équité procédurale à l'égard du requérant étant donné que les observations de la CEIC contenaient trois nouvelles questions de fait, de même que des renseignements prétendus faux, dont ne faisait état ni le rapport d'enquête ni aucun autre document, et auxquels le requérant aurait dû avoir la possibilité de répliquer. Le juge conclut en ces termes :

         J'estime que les règles d'équité procédurale exigeaient, dans les circonstances de l'espèce, de la CCDP qu'elle divulgue les observations du 9 mai 1994 de la CEIC au requérant, qu'elle lui donne la possibilité d'y répondre. Le requérant a satisfait au critère énoncé dans l'affaire Mercier en établissant que les observations du 9 mai 1994 contenaient des allégations factuelles qui différaient des faits exposés dans le rapport d'enquête, le rapport de conciliation ou dans les observations antérieures. Je rejette l'argument de l'intervenante selon lequel les [TRADUCTION] "nouveaux faits" n'avaient rien à voir avec la décision de la CCDP. Ils influaient directement sur la crédibilité du requérant, sapant ainsi la crédibilité de l'ensemble de ses observations. Le requérant aurait dû avoir la possibilité de réfuter ces allégations, et le refus d'accorder cette possibilité était un déni d'équité procédurale.25         

     Comme il a été indiqué ci-dessus, la Commission est tenue de divulguer les observations d'une partie à l'autre partie uniquement lorsque celles-ci contiennent des faits nouveaux distincts de ceux qui sont contenus dans le rapport d'enquête ou d'autres documents sur lesquels ces observations se fondent. En l'espèce, après avoir examiné la correspondance et les observations des deux parties au cours de l'enquête portant sur la plainte, je ne suis pas convaincu que les observations du 11 janvier 1996 des FAC soulèvent de nouvelles questions de fait que le requérant aurait dû avoir le droit de réfuter avant que la CCDP examine le rapport d'enquête et les observations des parties.

     À mon avis, les observations des FAC en date du 11 janvier 1996, contrairement à la situation dans les affaires Mercier et Madsen, ne soulèvent pas de faits nouveaux n'ayant pas déjà été signalés dans le dossier, et elles ne cherchent pas à attaquer la crédibilité du requérant. Au contraire, ces observations précisent simplement la position des FAC, déjà exprimée dans le rapport d'enquête, et répondent sous forme d'arguments aux faits énoncés dans le rapport d'enquête. Comme l'indiquait le juge Décary dans Mercier, il ne s'agit pas de faits, mais simplement d'"une argumentation fondée sur les faits relatés par l'enquêteuse dans son rapport".

     Je ne suis pas convaincu en l'espèce que la CCDP a commis une erreur donnant lieu à examen ou qu'elle a manqué aux règles d'équité procédurale en rejetant la plainte du requérant fondée sur le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi. En vertu de cette disposition, la CCDP a un large pouvoir discrétionnaire, et dans l'exercice de ce pouvoir, la Commission, au vu de ses connaissances spécialisées, a droit à une très grande retenue de la part des tribunaux. La présente Cour n'interviendra pas dans la décision simplement parce qu'elle aurait pu exercer différemment ce pouvoir discrétionnaire.

     À la fin de l'audience, le requérant a demandé que les dépens de cette affaire lui soient adjugés et, ayant réservé mon jugement, je l'ai invité lui-même et l'avocat de l'intimé à me soumettre des observations écrites, en tenant compte de la règle 1618 des Règles de la Cour fédérale qui dispose comme suit :

     Il n'y aura pas de frais à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire, à moins que la Cour n'en ordonne autrement pour des raisons spéciales.         

     La jurisprudence est claire. En tant que juge saisi de l'affaire, il me faut trouver des raisons spéciales pour adjuger les dépens dans la présente instance26. Les difficultés financières des parties ne sont pas des raisons spéciales27. Une personne qui se représente elle-même aux audiences n'a pas droit aux frais se rapportant aux honoraires et aux débours d'un avocat.

     En l'espèce, le requérant demande les dépens en s'appuyant sur des principes illustrés dans des affaires qui ne portent pas sur des demandes de contrôle judiciaire auxquelles la règle 1618 s'applique devant la présente Cour. La plupart des dépens réclamés en l'espèce concernent des dépenses engagées pour obtenir des avis juridiques et réclamées en totalité comme sur la base des frais entre procureur et client. Il ne s'agit pas de dépens qu'une personne se représentant elle-même dans une action ordinaire pourrait se faire rembourser. Il n'y a pas de raisons spéciales qui puissent justifier en l'espèce l'adjudication des dépens. Conformément à la règle 1618, les dépens ne sont donc pas accordés.


     Pour les motifs énoncés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, de même que la demande du requérant concernant les dépens.

                 W.Andrew MacKay

                         JUGE

OTTAWA (Ontario)

le 29 juillet 1997

Traduction certifiée conforme         
                                 François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-574-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      BRIAN CHRISTOPHER BRADLEY -et- LE
                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE :          HALIFAX (N.-É.)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 10 DÉCEMBRE 1996 (ET NON 1997)
MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE MacKAY
DATE :                  LE 29 JUILLET 1997

ONT COMPARU :

BRIAN BRADLEY                          EN SON NOM

MICHAEL DONOVAN                      POUR L'INTIMÉ

EDDIE TAYLOR                          POUR L'INTERVENANTE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GEORGE THOMSON

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA          POUR L'INTIMÉ

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS

DE LA PERSONNE                          POUR L'INTERVENANTE

__________________

1      Les recommandations du CRC, en date du 29 juin 1992 étaient les suivantes : que le requérant soit a) retiré du cours; b) adressé à l'officier de sélection du personnel de la base (OSPB) pour évaluation et recommandation quant au maintien de son emploi dans les FAC sans recommandation d'une mutation professionnelle (MP); et c) affecté à un emploi intérimaire en attendant qu'une décision soit prise au sujet de sa carrière par le QGDN.

2      Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554 (C.S.C.), p. 585.

3      Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (C.F. 1re inst.), p. 609-610; confirmé à (1996) 205 N.R. 383 (C.A.F.).

4      Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, p. 8.

5      Garnham c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] F.C.J. nE 1254 (2 octobre 1996) (C.F. 1re inst.).

6      Voir Mossop, précité, note 2, et Slattery, précité, note 3.

7      [1989] 2 R.C.S. 879.

8      Ibid., p. 899.

9      Ibid.

10      [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.).

11      Ibid., p. 19, cité dans S.E.P.Q.A., précité, note 7, p. 899 et 900.

12      Précité, note 7, p. 902.

13      Précité, note 3. Je fais observer que le pouvoir discrétionnaire actuellement conféré à la CCDP de rejeter une plainte, aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i), est formulé de façon encore plus générale que dans l'ancienne disposition, soit le paragraphe 36(3), qui avait été examiné dans l'arrêt S.E.P.Q.A.

14      A-116-94, p. 1 et 2.

15      (1996) 112 F.T.R. 195, T-2576-94.

16      Ibid., p. 201, T-2576-94, p. 5.

17      Précité, p. 203, T-2576-94, p. 9 et 10.

18      Slattery, précité, note 3.

19      Voir Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994], 3 C.F. 3, 167 N.R. 241 (C.A.F.).

20      Ibid., p. 14 [C.F.].

21      Ibid., p. 8.

22      Ibid., p. 13-14.

23      (1996), 106 F.T.R. 181, T-2540-94.

24      Ibid., p. 190, T-2540-94, p. 14-15.

25      Ibid., p. 192, T-2540-94, p. 19-20.

26      Everett c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1994), 169 N.R. 100, 25 Admin. L.R. (2d) 112 (C.A.F.).

27      Canada c. Thwaites, [1984] 3 C.F. 38, 21 C.H.R.R. D/224 (C.F. 1re inst.).

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