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Date : 20240405


Dossiers : IMM‑1407‑22

IMM‑8585‑22

Référence : 2024 CF 536

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2024

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

Dossier : IMM‑1407‑22

KHALIL MAMUT

AMINIGULI AIZEZI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : IMM‑8585‑22

Salahidin ABDULAHAD

Zulipiye YAHEFU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Les demandeurs ont présenté plusieurs demandes de contrôle judiciaire sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Comme les demandes comprennent un certain nombre de questions en commun, elles ont été réunies et font l’objet d’une décision commune.

[2] La Cour a ordonné la production d’un dossier certifié du tribunal (le DCT) dans les deux affaires en vertu de l’article 14(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 (les RCFCIPR). Conformément à l’article 17 des RCFCIPR, le dossier du tribunal doit contenir, entre autres, « tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde du tribunal ». Au moment de préparer les DCT, en réponse aux ordonnances de production, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration s’est opposé à la divulgation de certains renseignements contenus dans les documents inclus dans les DCT. Les DCT ont été caviardés en conséquence dans l’attente des décisions de la Cour.

[3] Dans les ordonnances et motifs précédents, la Cour a examiné les objections soulevées par le ministre à l’égard de la divulgation sur le fondement du principe du secret du délibéré de la common law en vertu de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5 (la LPC) : voir Mamut c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1108 (Mamut no 1) et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mamut, 2024 CF 370 (Mamut no2), respectivement.

[4] Dans la présente ordonnance et les présents motifs, j’examine les demandes d’interdiction de divulgation de renseignements présentées par le ministre en vertu de l’article 87 de la LIPR.

[5] La demande d’interdiction de divulgation de renseignements présentée par le ministre dans l’affaire Mamut (IMM‑1407‑22) sera accueillie. Au cours de l’instruction de la requête, le ministre a accepté de rétablir des passages qui avaient été caviardés. Le ministre a également consenti à la communication d’un résumé non préjudiciable de certains renseignements, que la Cour autorisera (le pouvoir de la Cour de délivrer un résumé non préjudiciable dans le contexte de l’article 87 de la LIPR est analysé plus loin). Les demandes du ministre visant les caviardages restants, présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR, sont accueillies.

[6] La demande d’interdiction de divulgation de renseignements présentée par le ministre dans l’affaire Abdulahad (IMM‑8585‑22) sera également accueillie. Le ministre a accepté de rétablir des passages qui avaient été caviardés. Le ministre a également consenti à la communication du même résumé non préjudiciable, ainsi qu’à la communication d’un second résumé propre à M. Abdulahad; la Cour autorisera la divulgation des deux résumés. Les demandes du ministre présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR concernant le reste des renseignements caviardés sont accueillies.

[7] Dans la présente ordonnance et les présents motifs, j’examinerai essentiellement la demande des demandeurs en vue de nommer un avocat spécial. J’analyserai également, en termes généraux, la nature des renseignements en cause dans les présentes affaires ainsi que le critère à appliquer pour l’interdiction de la divulgation au titre de l’article 87 de la LIPR. Il n’est pas possible de justifier en détail dans les motifs publics la raison pour laquelle je fais droit aux demandes d’interdiction de divulgation restantes du ministre dans les deux affaires. Cette analyse détaillée figure à l’annexe A, qui est classifiée.

[8] Dans l’affaire Abdulahad, les renseignements en cause se trouvent dans trois documents. Les versions caviardées de ces documents reflétant les décisions de la Cour d’interdire la divulgation sont jointes en tant qu’annexes A‑1, A‑2 et A‑3 à la présente ordonnance et aux présents motifs.

[9] Dans l’affaire Mamut, les renseignements en cause se trouvent également dans trois documents. Les versions caviardées de ces documents reflétant les décisions de la Cour d’interdire la divulgation sont jointes en tant qu’annexes B‑1, B‑2 et B‑3 à la présente ordonnance et aux présents motifs.

[10] La procédure de communication de la présente ordonnance et des présents motifs aux parties et au public sera expliquée plus loin.

II. CONTEXTE

[11] Le contexte de la présente affaire est exposé dans mes ordonnances et mes motifs précédents, mais je le résumerai à nouveau en l’espèce par souci de commodité.

[12] Salahidin Abdulahad et Khalil Mamut sont des citoyens chinois d’origine ouïghoure. Ils ont tous deux été capturés au Pakistan et remis aux autorités des États‑Unis après l’invasion de l’Afghanistan par les forces de la coalition en réponse aux attentats terroristes perpétrés aux États‑Unis le 11 septembre 2001. Au début de l’année 2002, M. Abdulahad et M. Mamut ont été transférés au centre de détention de Guantanamo Bay. Ils y ont été détenus jusqu’en 2009, date à laquelle ils ont reçu l’autorisation d’être libérés aux Bermudes.

[13] L’épouse de M. Abdulahad, Zulipiye Yahefu, a obtenu l’asile au Canada. Lorsqu’elle a demandé la résidence permanente au Canada en décembre 2013, Mme Yahefu a inclus M. Abdulahad dans sa demande en tant que personne à charge. Mme Yahefu est devenue résidente permanente en juillet 2014, mais la demande de M. Abdulahad demeure pendante. Mme Yahefu est désormais une citoyenne canadienne.

[14] L’épouse de M. Mamut, Aminiguli Aizezi, a également obtenu l’asile au Canada. Lorsqu’elle a demandé la résidence permanente au Canada en juin 2015, elle a inclus son unique enfant de l’époque (son fils), ainsi que M. Mamut, dans sa demande en tant que personnes à charge. Mme Aizezi et son fils sont devenus résidents permanents en mars 2017, mais la demande de M. Mamut est toujours pendante. Mme Aizezi et son fils sont désormais citoyens canadiens.

[15] Il ne semble pas y avoir d’opposition au fait que le retard dans le traitement des demandes de résidence permanente soit dû, au moins en partie, au risque que M. Abdulahad et M. Mamut soient interdits de territoire au Canada pour raison de sécurité en application de l’article 34 de la LIPR. Plus particulièrement, dans les lettres d’équité procédurale envoyées à M. Abdulahad et M. Mamut, le ministre a fait valoir qu’ils pourraient être interdits de territoire au Canada en raison de leur association présumée avec le Mouvement islamique du Turkestan oriental (l’ETIM). Les autorités des États‑Unis se sont également appuyées sur cette association présumée avec l’ETIM pour justifier la détention des hommes à Guantanamo Bay jusqu’à ce qu’ils soient finalement autorisés à être libérés.

[16] Le 14 février 2022, M. Mamut et Mme Aizezi ont déposé une demande de contrôle judiciaire (le dossier IMM‑1407‑22). Ils demandent que la Cour ordonne le sursis de l’interdiction de territoire pour raison de sécurité et oblige le ministre à procéder au traitement de la demande de résidence permanente de M. Mamut. A titre subsidiaire, ils demandent à la Cour de décerner un mandamus obligeant le ministre à trancher la question de l’interdiction de territoire de M. Mamut et à se prononcer sur sa demande de résidence permanente dans les 30 jours suivant l’ordonnance de la Cour.

[17] Le 31 août 2022, M. Abdulahad et Mme Yahefu ont déposé une demande de contrôle judiciaire similaire (le dossier IMM‑8585‑22). Ils sollicitent également le sursis de l’interdiction de territoire pour raison de sécurité et demandent à la Cour d’ordonner au ministre de procéder à l’examen de la demande de résidence permanente de M. Abdulahad. A titre subsidiaire, ils demandent à la Cour de décerner un mandamus obligeant le ministre à trancher la question de l’interdiction de territoire de M. Abdulahad et à se prononcer sur sa demande de résidence permanente dans les 30 jours suivant l’ordonnance de la Cour.

[18] Comme je l’ai indiqué précédemment, le ministre s’est opposé à la divulgation de certains renseignements contenus dans les DCT produits en réponse aux ordonnances de production. L’essentiel des renseignements qui font l’objet des présentes demandes d’interdiction de divulgation se trouve dans les six documents suivants :

  • Une lettre datée du 18 août 2015 de la Direction du filtrage de sécurité du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) à la Division du filtrage de la sécurité nationale (la DFSN) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) concernant M. Abdulahad (DCT, aux p 964‑966) [l’annexe A‑1].

  • Une évaluation de l’interdiction de territoire datée du 20 novembre 2015, préparée par la DFSN, concernant M. Abdulahad (DCT, aux p 953‑963) [l’annexe A‑2]. Suivant cette évaluation, il a été conclu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que M. Abdulahad est interdit de territoire au Canada par l’application de l’alinéa 34(1)c) pour s’être livré au terrorisme, et de l’alinéa 34(1)d), parce qu’il constitue un danger pour la sécurité du Canada.

  • Un courriel concernant M. Abdulahad, daté du 26 mai 2021, envoyé par un gestionnaire du programme de migration du Consulat général du Canada à New York à la DFSN (DCT, aux p 968‑980) [l’annexe A‑3]. Dans ce courriel, le gestionnaire expose les raisons pour lesquelles il n’est pas d’accord avec la conclusion de la DFSN, selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que M. Abdulahad est interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité. Ce courriel a été envoyé dans le cadre d’un processus relatif aux résultats contraires établi entre l’ASFC et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). (Le processus relatif aux résultats contraires est décrit dans la décision Mamut no 1, au paragraphe 33, et dans la décision Mamut no 2, au paragraphe 15).

  • Une lettre datée du 5 août 2016 de la Direction du filtrage de sécurité du SCRS à la DFSN concernant M. Mamut (DCT, aux p 792‑795) [l’annexe B‑1].

  • Une évaluation de l’interdiction de territoire datée du 25 janvier 2018, préparée par la DFSN concernant M. Mamut (DCT, aux p 781‑791) [l’annexe B‑2]. Dans cette évaluation, la DFSN a conclu qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Mamut est interdit de territoire au Canada par l’application de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, car il constitue un danger pour la sécurité du Canada, et de l’alinéa 34(1)f), car il est membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteure d’un acte de terrorisme.

  • Un courriel concernant M. Mamut, daté du 3 juin 2022, envoyé par le même gestionnaire du programme de migration à la DFSN (DCT, aux p 769‑780) [l’annexe B‑3]. Dans ce courriel, le gestionnaire expose les raisons pour lesquelles il n’est pas d’accord avec la conclusion de la DFSN selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que M. Mamut est interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité. Ce courriel a également été envoyé dans le cadre du processus relatif aux résultats contraires.

[19] Le ministre s’est opposé à la divulgation de l’intégralité des deux courriels envoyés dans le cadre du processus relatif aux résultats contraires en se fondant sur le principe du secret du délibéré de la common law et l’article 37 de la LPC. Dans l’affaire Mamut no 1, j’ai rejeté la demande d’interdiction de divulgation du ministre sur le fondement du principe du secret du délibéré de la common law. Dans l’affaire Mamut no 2, j’ai accueilli en partie les demandes du ministre présentées en vertu de l’article 37 de la LPC. Il n’est pas nécessaire d’examiner les demandes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR à l’égard des renseignements visés par l’ordonnance d’interdiction de divulgation prévue au paragraphe 37(6) de la LPC. D’autre part, comme certains des renseignements dont j’ai autorisé la divulgation en vertu du paragraphe 37(4.1) de la LPC font l’objet de demandes fondées sur l’article 87 de la LIPR, ces demandes doivent être tranchées. Seules les pages contenant des demandes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR, et qui ne sont pas couvertes par les ordonnances rendues en application du paragraphe 37(6) de la LPC, sont reproduites dans les annexes A‑3 et B‑3.

III. ANALYSE

A. Les dispositions législatives

[20] L’article 87 de la LIPR prévoit ce qui suit :

Interdiction de divulgation — contrôle judiciaire et appel

Application for non‑disclosure — judicial review and appeal

87 Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve. L’article 83 s’applique à l’instance et à tout appel de toute décision rendue au cours de l’instance, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé.

87 The Minister may, during a judicial review, apply for the non‑disclosure of information or other evidence. Section 83 — other than the obligations to appoint a special advocate and to provide a summary — applies in respect of the proceeding and in respect of any appeal of a decision made in the proceeding, with any necessary modifications.

 

[21] Dans sa partie pertinente, le paragraphe 83(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Protection des renseignements

Protection of information

83 (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2

83 (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

[…]

[…]

c) il peut d’office tenir une audience à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil — et doit le faire à chaque demande du ministre — si la divulgation des renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

(c) at any time during a proceeding, the judge may, on the judge’s own motion — and shall, on each request of the Minister — hear information or other evidence in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel if, in the judge’s opinion, its disclosure could be injurious to national security or endanger the safety of any person;

[…]

[…]

d) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

(d) the judge shall ensure the confidentiality of information and other evidence provided by the Minister if, in the judge’s opinion, its disclosure would be injurious to national security or endanger the safety of any person;

[…]

[…]

h) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui‑ci;

(h) the judge may receive into evidence anything that, in the judge’s opinion, is reliable and appropriate, even if it is inadmissible in a court of law, and may base a decision on that evidence;

i) il peut fonder sa décision sur des renseignements et autres éléments de preuve même si un résumé de ces derniers n’est pas fourni à l’intéressé;

(i) the judge may base a decision on information or other evidence even if a summary of that information or other evidence is not provided to the permanent resident or foreign national;

 

[22] Le rôle et les responsabilités de l’avocat spécial sont définis aux paragraphes 85.1(1) et (2) de la LIPR :

Rôle de l’avocat spécial

Special advocate’s role

85.1(1) L’avocat spécial a pour rôle de défendre les intérêts du résident permanent ou de l’étranger lors de toute audience tenue à huis clos et en l’absence de celui‑ci et de son conseil dans le cadre de toute instance visée à l’un des articles 78 et 82 à 82.2.

85.1(1) A special advocate’s role is to protect the interests of the permanent resident or foreign national in a proceeding under any of sections 78 and 82 to 82.2 when information or other evidence is heard in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel.

Responsabilités

Responsibilities

(2) Il peut contester :

(2) A special advocate may challenge

a) les affirmations du ministre voulant que la divulgation de renseignements ou autres éléments de preuve porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

(a) the Minister’s claim that the disclosure of information or other evidence would be injurious to national security or endanger the safety of any person; and

b) la pertinence, la fiabilité et la suffisance des renseignements ou autres éléments de preuve fournis par le ministre, mais communiqués ni à l’intéressé ni à son conseil, et l’importance qui devrait leur être accordée.

(b) the relevance, reliability and sufficiency of information or other evidence that is provided by the Minister and is not disclosed to the permanent resident or foreign national and their counsel, and the weight to be given to it.

[23] Les pouvoirs de l’avocat spécial sont définis à l’article 85.2 de la LIPR :

Pouvoirs

Powers

85.2 L’avocat spécial peut :

85.2 A special advocate may

a) présenter au juge ses observations, oralement ou par écrit, à l’égard des renseignements et autres éléments de preuve fournis par le ministre, mais communiqués ni à l’intéressé ni à son conseil;

(a) make oral and written submissions with respect to the information and other evidence that is provided by the Minister and is not disclosed to the permanent resident or foreign national and their counsel;

b) participer à toute audience tenue à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil, et contre‑interroger les témoins;

(b) participate in, and cross‑examine witnesses who testify during, any part of the proceeding that is held in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel; and

c) exercer, avec l’autorisation du juge, tout autre pouvoir nécessaire à la défense des intérêts du résident permanent ou de l’étranger.

(c) exercise, with the judge’s authorization, any other powers that are necessary to protect the interests of the permanent resident or foreign national.

[24] Enfin, l’article 87.1 de la LIPR prévoit ce qui suit :

Avocat spécial

Special advocate

87.1 Si le juge, dans le cadre du contrôle judiciaire, ou le tribunal qui entend l’appel de la décision du juge est d’avis que les considérations d’équité et de justice naturelle requièrent la nomination d’un avocat spécial en vue de la défense des intérêts du résident permanent ou de l’étranger, il nomme, parmi les personnes figurant sur la liste dressée au titre du paragraphe 85(1), celle qui agira à ce titre dans le cadre de l’instance. Les articles 85.1 à 85.5 s’appliquent alors à celle‑ci avec les adaptations nécessaires.

87.1 If the judge during the judicial review, or a court on appeal from the judge’s decision, is of the opinion that considerations of fairness and natural justice require that a special advocate be appointed to protect the interests of the permanent resident or foreign national, the judge or court shall appoint a special advocate from the list referred to in subsection 85(1). Sections 85.1 to 85.5 apply to the proceeding with any necessary modifications.

B. La question préliminaire : La Cour devrait‑elle nommer un avocat spécial?

[25] Les demandeurs soutiennent que les considérations d’équité et de justice naturelle requièrent la nomination d’un avocat spécial en vue de défendre leurs intérêts dans les audiences dont ils sont exclus pour des raisons de sécurité nationale ou pour la sécurité d’autrui. Le ministre s’oppose à la nomination d’un avocat spécial.

[26] La demande des demandeurs pour la nomination d’un avocat spécial fait écho à leurs demandes pour la nomination d’un amicus curiae en relation avec les demandes du ministre fondées sur le principe du secret du délibéré de la common law et celles qu’il a présentées en vertu de l’article 37 de la LPC. Puisque j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les renseignements en question ou de mener une partie de l’instance en l’absence d’autres parties pour trancher les demandes du ministre fondées sur le principe du secret du délibéré de la common law, il n’était pas nécessaire de nommer un amicus à ce stade : voir la décision Mamut no 1, aux para 23‑25. En outre, j’ai conclu que pour statuer sur les demandes présentées par le ministre en vertu de l’article 37 de la LPC, il fallait examiner les renseignements en question et entendre les observations du ministre en l’absence d’autres parties, mais je n’étais pas persuadé que l’assistance d’un amicus était nécessaire pour disposer équitablement de ces demandes : voir Mamut no 2, aux para 18‑20. Toutefois, comme les demandes d’assistance d’un amicus ont été présentées dans le cadre d’instances où la Cour a examiné des demandes d’interdiction de divulgation de renseignements substantiellement différentes de celles en cause en l’espèce (le degré de chevauchement est faible), que rien ne laissait croire que le ministre s’appuierait sur les courriels du processus relatif aux résultats contraires dans les demandes de contrôle judiciaire sous‑jacentes, et qu’il faut appliquer le critère prévu par la loi pour juger s’il convient de nommer un avocat spécial, mes conclusions antérieures selon lesquelles l’assistance d’un amicus n’était pas nécessaire ont peu d’incidence sur la demande de nomination d’un avocat spécial des demandeurs.

[27] S’il est nommé, le paragraphe 85.1(1) de la LIPR prévoit que l’avocat spécial a pour rôle de défendre les intérêts des demandeurs lors de toute audience tenue à huis clos et en leur absence pour des raisons de sécurité nationale ou pour la sécurité d’autrui. Conformément au paragraphe 85.1(2) de la LIPR, l’avocat spécial a la responsabilité de contester l’allégation du ministre selon laquelle la divulgation de renseignements ou d’autres éléments de preuve porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, et de contester la pertinence, la fiabilité et la suffisance de tout renseignement ou autre élément de preuve qui n’a pas été communiqué aux demandeurs, ainsi que l’importance qui devrait leur être accordée. Enfin, s’il est nommé, conformément au paragraphe 85.2 de la LIPR, l’avocat peut présenter des observations orales et écrites à l’égard des renseignements et autres éléments de preuve qui n’ont pas été communiqués aux demandeurs, et il peut contre‑interroger tout témoin qui a témoigné en l’absence des demandeurs. C’est ainsi que la participation d’un avocat spécial permet de prévenir le risque de déséquilibre dans le processus contradictoire qui peut survenir quand, pour protéger la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui, une partie doit être exclue d’une partie de l’instance. En bref, l’avocat spécial est censé « remplacer, pour l’essentiel » la participation personnelle de la partie exclue : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37 aux para 35 et 47.

[28] Contrairement aux instances propres aux certificats de sécurité, où la nomination d’un avocat spécial est requise (voir l’alinéa 83(1)b) de la LIPR), la question de savoir s’il faut nommer un avocat spécial dans le contexte des présentes requêtes relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Suivant l’article 87.1 de la LIPR, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si « les considérations d’équité et de justice naturelle requièrent la nomination d’un avocat spécial en vue de la défense des intérêts » des demandeurs dans toute audience tenue à huis clos, y compris toute audience tenue à huis clos qui porte sur les objections du ministre à la divulgation présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR.

[29] Je comprends qu’il s’agit d’une manière concise de renvoyer au droit à une audition équitable articulé dans l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 au paragraphe 29, à savoir l’arrêt qui a mené le Parlement à adopter le régime de l’avocat spécial. En l’occurrence, les éléments essentiels d’une telle audition sont le droit des demandeurs de connaître la preuve produite contre eux dans leurs demandes de contrôle judiciaire, leur droit d’y répondre et leur droit à une décision fondée sur les faits et le droit. Compte tenu des intérêts en jeu dans le processus de délivrance des certificats de sécurité, l’analyse de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui était fondée sur l’article 7 de la Charte. Bien que les présentes requêtes n’impliquent pas les mêmes intérêts ou, par conséquent, l’article 7 de la Charte, les caractéristiques d’une audition équitable identifiées dans l’arrêt Charkaoui sont également des éléments bien établis du droit à une audition équitable en common law.

[30] Pour décider si la nomination d’un avocat spécial est nécessaire, la Cour doit tenir compte d’une série de facteurs, notamment : le degré d’équité procédurale dû à la partie à qui les renseignements n’ont pas été communiqués; l’importance de la question pour cette partie; la nature des intérêts en jeu dans l’instance; l’étendue des renseignements non divulgués; la pertinence, l’importance et la valeur probante des renseignements visés par l’interdiction de divulgation; et la capacité de la partie à qui les renseignements n’ont pas été communiqués de connaître la preuve présentée contre elle et de présenter sa défense (Farkhondehfall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1064 aux para 31‑41; Malikaimu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1026, au para 37). La question de savoir si le ministre se fonde sur les renseignements non divulgués est également importante. Aucun facteur n’est nécessairement déterminant à lui seul; la tâche de la Cour « devrait être d’établir un équilibre entre des considérations concurrentes afin d’en arriver à un résultat équitable » (Farkhondehfall, au para 31).

[31] De manière générale, les exigences d’équité procédurale à l’égard d’un étranger cherchant à entrer et à rester au Canada sont minimales (Karakachian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 948 au para 26; Malikaimu, aux para 39‑40). Néanmoins, je suis convaincu que des intérêts et des problèmes sérieux sont en jeu dans les présentes demandes. Cela comprend les longs délais pour le traitement des demandes de résidence permanente, le regroupement familial, l’intérêt supérieur des enfants des demandeurs (qui sont tous citoyens canadiens) et les conséquences d’une conclusion d’interdiction de territoire au Canada pour raison de sécurité pour M. Abdulahad et M. Mamut, sans compter le tort irréparable que cela causerait (voir l’arrêt Charkaoui, au para 14). Tout cela fait partie du contexte dans lequel les exigences d’équité procédurale propres aux présentes requêtes doivent être examinées.

[32] Le fait que la procédure sous‑jacente soit judiciaire plutôt qu’administrative ne permet pas nécessairement aux demandeurs de bénéficier d’un degré d’équité procédurale plus élevé que devant un décideur administratif chargé d’examiner les questions sous‑jacentes, à savoir les demandes de résidence permanente. À cet égard, je fais mienne l’analyse de la Cour dans la décision Malikaimu, aux paragraphes 44‑45. Parallèlement, le Parlement a manifestement envisagé la possibilité que les exigences en matière d’équité procédurale puissent varier en fonction de la nature de l’instance, incluant une instance tenue à l’égard d’une seule et même affaire. En effet, la nomination d’un avocat spécial n’est pas prévue lorsqu’un décideur administratif est saisi de l’affaire, mais elle est possible lorsque la Cour est saisie de l’affaire dans le cadre d’un contrôle judiciaire. En d’autres termes, même si les exigences d’équité procédurale devant le décideur administratif n’impliquent pas le droit d’examiner des renseignements non divulgués en remplaçant, pour l’essentiel, la participation de la partie visée, cela peut parfois être justifié dans le contexte judiciaire, même lorsque la question en cause est identique. Si le Parlement était d’un autre avis, il n’aurait tout simplement pas adopté l’article 87.1 de la LIPR.

[33] Dans la décision Malikaimu, le juge LeBlanc (alors membre de la Cour fédérale) a conclu que puisque le Parlement avait décidé que la nomination d’un avocat spécial était discrétionnaire, plutôt qu’obligatoire, dans le contexte des requêtes présentées au titre de l’article 87 de la LIPR, cela signifiait qu’« en règle générale, de telles requêtes seront étudiées sans la participation d’un avocat spécial » (au para 43). En toute déférence, je ne suis pas disposé à considérer que telle était l’intention du Parlement. À mon avis, le Parlement a simplement décidé que la question de savoir si un avocat spécial est nécessaire dans les requêtes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR doit être tranchée au cas par cas en tenant compte des considérations d’équité et de justice naturelle. En toute logique, le fait que la nomination d’un avocat spécial n’est pas requise dans tous les cas au titre de l’article 87 de la LIPR ne signifie pas qu’il ne sera généralement pas nommé ou que des circonstances exceptionnelles doivent être démontrées pour qu’une nomination soit justifiée. Si telle avait été l’intention du Parlement, il aurait pu facilement formuler le critère de cette manière. Par ailleurs, je me joins au juge LeBlanc pour rejeter l’argument des demandeurs (présenté par le même avocat, à la fois dans l’affaire Malikaimu et en l’espèce) selon lequel, en règle générale, des avocats spéciaux devraient être nommés suivant l’article 87.1 de la LIPR (voir la décision Malikaimu, au para 41). À mon avis, la loi ne crée pas de règle générale, dans un sens ou dans l’autre. La question de savoir si des considérations d’équité et de justice naturelle exigent la nomination d’un avocat spécial dépend des circonstances particulières de l’affaire en question.

[34] En résumé, il est incontestable qu’en common law, les demandeurs ont droit à un procès équitable englobant les éléments identifiés précédemment. C’est le cas non seulement pour leurs demandes de contrôle judiciaire, mais aussi pour les demandes d’interdiction de divulgation du ministre. Il n’est pas non plus contesté que « l’impératif de protéger les renseignements confidentiels touchant la sécurité nationale » doit être considéré pour déterminer ce qu’exige une audition équitable (Harkat, au para 44). La seule question est celle de savoir si, dans les circonstances particulières de ces affaires, une audition équitable nécessite la participation d’un avocat spécial.

[35] À l’issue de l’audience publique du 22 janvier 2024, j’ai informé les parties que, pour des motifs qui seront exposés plus loin, je n’étais pas convaincu que la nomination d’un avocat spécial était nécessaire. Les motifs de ma décision sont les suivants :

[36] Premièrement, comme je l’ai indiqué précédemment, les renseignements pour lesquels le ministre a présenté des demandes d’interdiction de divulgation en vertu de l’article 87 de la LIPR sont réunis dans un petit nombre de documents des DCT, et leur étendue est limitée (bien qu’un peu plus de renseignements sont caviardés dans l’affaire Abdulahad que dans l’affaire Mamut). Les motifs pour lesquels le ministre s’oppose à la divulgation de ces renseignements sont bien connus de la Cour; ils ne soulèvent pas de questions nouvelles ou complexes.

[37] En demandant la nomination d’un avocat spécial, les demandeurs tentent d’établir un parallèle entre le rôle d’un avocat spécial et celui d’un amicus curiae dans les requêtes présentées sous le régime de l’article 38 de la LPC. Il existe des similitudes évidentes entre les deux rôles (en particulier lorsque, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’ordonnance par laquelle la Cour nomme un amicus confère à ce dernier un rôle plus proche de celui d’un avocat spécial que de celui d’un « ami de la cour », au sens traditionnel), mais j’estime que le parallèle que les demandeurs cherchent à établir n’est pas particulièrement utile. Les sources du pouvoir légal permettant la nomination de l’avocat spécial et de l’amicus sont entièrement distinctes : l’une est d’origine législative, l’autre découle de la compétence inhérente de la Cour de gérer son propre processus pour garantir la tenue d’un procès équitable et de veiller à ce qu’une décision juste soit rendue (R c Kahsai, 2023 CSC 20 aux para 36‑39; voir aussi l’arrêt Gaya c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 731 aux para 37‑40). Les considérations qu’une Cour soupèse au moment de décider si elle doit, d’une part, nommer un avocat spécial en application de l’article 87.1 de la LIPR et, d’autre part, nommer un amicus dans une instance tenue au titre de l’article 38 de la LPC, sont souvent très similaires, mais elles ne sont pas nécessairement identiques. De même, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, le fait que les amici soient nommés plus fréquemment dans les instances tenues au titre de l’article 38 de la LPC que les avocats spéciaux dans les requêtes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR ne signifie pas que les décisions de la Cour rendues sur le fondement de l’article 87.1 de la LIPR sont insuffisantes d’une manière ou d’une autre. En effet, on ne peut pas présumer que les circonstances justifiant la nomination d’un amicus dans les requêtes présentées au titre de l’article 38 de la LPC sont également présentes au même niveau, dans la mesure où elles le sont vraiment, dans les requêtes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR.

[38] Cela dit, je ne peux souscrire à l’opinion du ministre voulant que les demandeurs ont échoué à établir leur analogie du simple fait que le rôle d’un avocat spécial, en matière de divulgation de renseignements, est légalement plus limité que celui d’un amicus dans le cadre d’une requête présentée au titre de l’article 38 de la LPC. Le ministre souligne à juste titre que contrairement au régime de l’article 38 de la LPC, l’alinéa 83(1)d) de la LIPR ne comprend aucune forme de mise en balance de l’intérêt public pour la divulgation des renseignements concernant la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui par rapport à l’intérêt public à l’égard de l’interdiction de divulguer ces renseignements. Le ministre soutient que les décisions de la Cour en matière de divulgation sont davantage circonscrites dans une instance lorsque l’article 87 de la LIPR est invoqué que lorsque l’article 38 de la LPC est invoqué, et que la Cour aura donc moins besoin d’assistance dans le premier cas que dans le second, ce qui diminue la nécessité d’un amicus. Bien que cela soit vrai d’un point de vue purement formel, je n’accorderai pas beaucoup d’importance à cette observation. Le degré d’assistance dont un tribunal a besoin, et le degré d’assistance qu’un avocat spécial peut fournir, ne sont pas dictés par le seul critère juridique de la divulgation. Ils dépendent également beaucoup de la nature et de l’étendue des renseignements en question, entre autres choses. Il convient également de rappeler que le rôle de l’avocat spécial, tel qu’il est défini par la loi, est de défendre les intérêts de la partie qui a été exclue de l’audience à huis clos (LIPR, paragraphe 85.1(1)). Toute assistance que la Cour reçoit grâce à la participation de l’avocat spécial, aussi importante soit‑elle, est un avantage dérivé découlant de l’exercice de ce mandat principal.

[39] En outre, même l’application du critère binaire prévu à l’alinéa 83(1)d) de la LIPR entraîne des difficultés et des responsabilités considérables. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Harkat, seuls les renseignements qui soulèvent un risque sérieux d’atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui peuvent être soustraits au titre de ce paragraphe (Harkat, au para 61). De plus, étant donné la propension bien documentée du gouvernement à exagérer les réclamations de confidentialité fondées sur la sécurité nationale, la Cour doit être « vigilant[e] et sceptique quant aux allégations du ministre relatives à la confidentialité » (Harkat, au para 63). Bien que la Cour soit certainement capable de faire preuve de cet état d’esprit à l’audience sans l’assistance d’un avocat spécial, cette assistance peut parfois s’avérer nécessaire pour veiller à ce qu’elle le fasse le plus efficacement possible. Tout dépend de la nature de l’affaire et des renseignements non divulgués.

[40] Puisqu’il semblait que les requêtes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR dans les affaires en question seraient relativement simples, j’ai conclu qu’un avocat spécial ne pouvait guère contribuer à contester les demandes d’interdiction de divulgation du ministre à l’aide d’observations écrites ou orales, par le contre‑interrogatoire des déposants du ministre ou par la délimitation des questions en litige. Je suis donc convaincu que les considérations d’équité et de justice naturelle liées à l’examen des demandes d’interdiction de divulgation ne justifiaient pas la nomination d’un avocat spécial.

[41] Deuxièmement, sous réserve d’une mise en garde que j’examinerai plus loin, le ministre a affirmé qu’il ne s’appuierait pas sur des renseignements non divulgués pour répondre aux demandes de contrôle judiciaire. Si tel est le cas, l’avocat spécial n’aurait aucun rôle à jouer pour contester la pertinence, la fiabilité et la suffisance des renseignements qui n’ont pas été communiqués ou l’importance qui devrait leur être accordée lors de l’examen des demandes de contrôle judiciaire (voir l’alinéa 85.1(2)b) de la LIPR).

[42] Avant d’examiner la question de la mise en garde du ministre, il est utile d’en dire un peu plus sur la manière dont les demandeurs ont formulé leur demande de contrôle judiciaire.

[43] M. Abdulahad et M. Mamut soutiennent qu’il y a eu un retard déraisonnable et excessif dans le traitement de leurs demandes de résidence permanente – en particulier, en ce qui concerne la question de savoir s’ils sont interdits de territoire au Canada pour raison de sécurité. Ils soutiennent donc, en partie, qu’en vertu du critère bien connu applicable à l’obtention d’une ordonnance de mandamus (Lukács c Canada (Office des transports), 2016 CAF 202 au para 29, résumant le critère établi dans la décision Apotex c Canada (Procureur général) (1993), [1994] 1 CF 742 (CA) (conf par [1994] 3 RCS 1100), il convient d’ordonner au ministre de rendre une décision à l’égard de leurs demandes de résidence permanente sans autre retard indu. Toutefois, cet argument constitue la thèse subsidiaire des demandeurs. Ils font principalement valoir que le retard attribuable au ministre pour l’examen de leur interdiction de territoire pour raison de sécurité est si excessif qu’il constitue un abus de procédure (voir Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, et Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29); ils font ensuite valoir que la réparation appropriée et juste est l’octroi d’un sursis à l’interdiction de territoire pour raison de sécurité; enfin, ils font valoir que le ministre devrait être obligé de poursuivre le traitement de leurs demandes sans conclure à l’interdiction de territoire pour raison de sécurité.

[44] Pour en revenir à la mise en garde du ministre, celui‑ci a déposé des demandes d’interdiction de divulgation distinctes pour chacune des demandes de contrôle judiciaire sous‑jacentes. Les dossiers de requête publics sont identiques à l’égard de tous les points importants. Dans les deux affaires, le ministre (le défendeur dans les demandes sous‑jacentes) a ajouté une mise en garde à son affirmation selon laquelle il n’invoquerait pas les renseignements classifiés dans les demandes de contrôle judiciaire sous‑jacentes. Plus précisément, les observations écrites du ministre sur les demandes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR indiquent ce qui suit (au paragraphe 4 des deux affaires) :

[traduction]
Le défendeur n’entend pas s’appuyer sur les renseignements classifiés pour répondre à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire des demandeurs en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus. Toutefois, le défendeur peut s’appuyer sur les renseignements classifiés si la Cour envisage sérieusement de faire droit à la demande des demandeurs en vue d’obtenir une ordonnance de sursis de l’interdiction de territoire pour raison de sécurité.

[45] En toute déférence, cette mise en garde n’est pas utile. Le ministre affirme seulement qu’il « peut » s’appuyer sur les renseignements classifiés si la Cour « envisage sérieusement » de faire droit à l’ordonnance de sursis de l’interdiction de territoire pour raison de sécurité. Cette réticence à s’engager n’est pas utile. Le fardeau incombe aux demandeurs à tous égards dans les demandes de contrôle judiciaire sous‑jacentes. Le ministre connaît la preuve présentée par les demandeurs; il devrait être en mesure de dire quelle sera la preuve qu’il présentera en réponse. Cet élément est important, car la Cour a entre autres besoin de connaître la preuve présentée contre les demandeurs (y compris sur la question de la réparation) afin de décider si la participation d’un avocat spécial est nécessaire.

[46] En outre, on ne sait ni quand ni comment le ministre décidera s’il se fonde ou non sur les renseignements non divulgués. Personne n’a proposé – du moins pas encore – que la Cour se prononce d’abord sur la question de l’abus de procédure et invite ensuite à présenter de nouvelles observations sur la réparation, le cas échéant. Pour l’instant, le plan consiste plutôt à débattre de toutes les questions en même temps lors d’une seule audience publique. Le ministre a raison de dire que la Cour doit suivre un processus analytique avant d’examiner la question de la réparation : voir l’arrêt Abrametz, aux para 101‑102. Toutefois, le ministre ne peut pas s’attendre à ce qu’on l’informe de quel côté souffle le vent et à ce qu’on lui donne la possibilité de changer de cap au cours de l’audience.

[47] Ceci étant dit, il est possible de reformuler la mise en garde du ministre de manière à la rendre plus utile, à savoir que le ministre ne s’appuiera pas sur les renseignements non divulgués pour soutenir qu’il n’y a pas eu d’abus de procédure et que le retard n’est pas déraisonnable, mais qu’il s’appuiera sur les renseignements non divulgués pour contester les demandes de sursis de l’interdiction de territoire pour raison de sécurité. Par conséquent, au moment de l’examen de la question de la réparation par la Cour, le ministre pourrait demander une audience à huis clos sur cette question. Je vais présumer, aux fins de la présente analyse, que cette audience aura lieu. Tel que je l’ai expliqué, la mise en garde révisée peut dépasser l’intention initiale du ministre – et ce dernier peut évidemment décider de ne pas s’appuyer sur les éléments de preuve non divulgués lors de l’examen de la question de la réparation par la Cour, si tel est son choix – mais cette nouvelle formulation de la mise en garde apporte la clarté nécessaire pour trancher adéquatement la question de savoir si un avocat spécial doit être nommé.

[48] Même si le ministre s’appuyait sur des renseignements non divulgués pour contester les demandes de sursis de l’interdiction de territoire pour raison de sécurité, je ne suis toujours pas convaincu que la participation d’un avocat spécial soit nécessaire pour garantir l’équité procédurale et la justice naturelle pour les demandeurs. J’estime plutôt que la Cour sera bien placée pour évaluer la pertinence, la fiabilité et la suffisance des renseignements classifiés et l’importance qui devrait leur être accordée, même sans la participation d’un avocat spécial.

[49] Qui plus est, selon mon interprétation de la thèse du ministre, ce dernier n’a pas l’intention de compléter le dossier classifié; il s’appuierait plutôt que sur les renseignements classifiés contenus dans les DCT. L’importance de ces renseignements pour les questions soulevées dans les demandes de contrôle judiciaire serait examinée au moyen d’observations. Étant donné qu’il n’y aurait pas d’éléments de preuve classifiés supplémentaires concernant le bien‑fondé des demandes de contrôle judiciaire, l’avocat spécial n’aurait aucun rôle à jouer dans le contre‑interrogatoire des témoins entendus en l’absence des autres partis et à huis clos. De même, étant donné la nature des renseignements non divulgués dans les DCT, j’estime qu’un avocat spécial ne pourrait pas vraiment ajouter d’éléments significatifs aux moyens d’observations.

[50] Troisièmement, sans préjuger de l’affaire de quelque manière que ce soit, il semble qu’une grande partie des renseignements classifiés contenus dans les DCT n’ont qu’une pertinence limitée par rapport aux questions soulevées dans les demandes de contrôle judiciaire. En termes clairs, comme je l’ai indiqué précédemment, contrairement à une demande d’interdiction de divulgation présentée au titre de l’article 38 de la LPC, la pertinence et la valeur probante du renseignement ou, plus largement, l’importance du renseignement pour la partie qui demande sa divulgation, ne fait pas partie du critère prévu à l’alinéa 83(1)d) de la LIPR. Néanmoins, il peut s’agir de considérations importantes pour déterminer si la participation d’un avocat spécial est nécessaire, soit pour contester efficacement le fait que le ministre s’appuie sur les renseignements, soit pour défendre pleinement la thèse de la partie exclue lorsque les renseignements pourraient lui être utiles. En l’espèce, cependant, la nature des renseignements que le ministre cherche à protéger ne nécessite pas la nomination d’un avocat spécial pour garantir un procès équitable.

[51] Enfin, compte tenu du dernier point, je suis convaincu que le fait de ne pas avoir accès aux renseignements non divulgués ne nuit pas indûment aux demandeurs, si tant est qu’ils sont nuis, dans le cadre du litige sous‑jacent. Même s’ils ne connaissent pas tous les détails, ils savent pourquoi le ministre s’oppose à la demande de sursis de l’interdiction de territoire pour raisons de sécurité. Le ministre soutient qu’il existe un intérêt social certain à obtenir une décision sur la question de savoir si les demandeurs sont interdits de territoire au Canada en raison de leur association avec l’ETIM, un groupe qualifié d’organisation terroriste à la fois par les États‑Unis et par les Nations unies (la désignation par les États‑Unis a été retirée en octobre 2020). Comme le montrent leurs réponses aux lettres d’équité procédurale, les demandeurs sont bien équipés pour répondre à cet argument sans avoir accès aux renseignements non divulgués. Par conséquent, le risque de déséquilibre dans le processus contradictoire est faible, voire inexistant.

[52] En résumé, bien que l’exclusion d’une partie soulève toujours de sérieuses préoccupations en matière d’équité procédurale et de justice naturelle, je suis convaincu que, dans les circonstances des présentes affaires, la participation d’un avocat spécial n’est pas nécessaire pour trancher équitablement les demandes d’interdiction de divulgation du ministre ou les demandes de contrôle judiciaire sous‑jacentes.

C. Le critère d’interdiction de la divulgation au titre de l’article 87 de la LIPR

[53] Suivant l’article 87 de la LIPR, les dispositions de l’article 83 de la LIPR s’appliquent en ce qui concerne l’instance dans laquelle la demande d’interdiction de divulgation est introduite, à l’exception des obligations de nommer un avocat spécial et de délivrer un résumé qui permet à la partie exclue d’être raisonnablement informée de la preuve présentée par le ministre. Cela inclut l’alinéa 83(1)d), qui indique qu’il incombe au juge « de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. »

[54] Comme je l’ai indiqué précédemment, l’alinéa 83(1)d) de la LIPR n’interdit la divulgation de renseignements que lorsque la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui (Harkat, au para 61). Il incombe au ministre d’établir que la divulgation non seulement pourrait porter atteinte, mais qu’elle porterait effectivement atteinte à la sécurité nationale ou à celle d’autrui (Harkat, au para 62, citant avec approbation la décision Jaballah (Re), 2009 CF 279 au para 9, sous la plume de la juge Dawson (alors juge à la Cour fédérale); voir également l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Issanov, 2022 CAF 87 au para 4). La rigueur du critère reflète le fait que l’alinéa 83(1)d) de la LIPR est une limitation du principe de la publicité des débats et toute limitation de ce type exige que la publicité présente « un risque sérieux pour un intérêt opposé qui revêt une importance pour le public » (Sherman (Succession) c Donovan, 2021 CSC 25 au para 3). Il s’agit d’un « seuil élevé [qui] vise à assurer le maintien de la forte présomption de publicité des débats judiciaires » (ibid). Affirmer inutilement le besoin de confidentialité ne sert « qu’à entretenir l’apparente opacité » de l’instance, « ce qui contrevient aux principes fondamentaux de transparence et de responsabilisation » (Harkat, au para 26).

[55] En vue de juger si le ministre s’est acquitté du fardeau imposé par l’alinéa 83(1)d) de la LIPR, la Cour peut « recevoir et admettre en preuve tout élément – même inadmissible en justice – qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui‑ci » (alinéa 83(1)h) de la LIPR). Cette disposition assouplit les règles habituelles concernant ce qui peut être reçu en preuve, mais il n’en demeure pas moins que, tout comme dans le cadre de l’article 38 de la LPC (qui comprend une disposition similaire), la Cour doit être convaincue que le préjudice allégué repose « sur des faits établis par la preuve » (Canada (Procureur général) c Ribic (CAF), 2003 CAF 246, au para 18). La Cour « doit être vigilante et s’assurer que la demande de non‑divulgation est fondée sur des éléments de preuve solides et une évaluation prospective réaliste des préjudices et ne pas surestimer l’importance de l’État » (Karahroudi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 522, au para 27).

[56] De nombreux types de renseignements bien connus pourraient porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui s’ils étaient divulgués : voir la décision Henrie c Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 CF 229 aux para 29‑30 (conf par [1992] ACF no 100) Les exemples couramment cités sont les informations concernant les cibles des enquêtes de renseignement, les sources et les méthodes utilisées pour recueillir les informations et les renseignements et les informations communiquées à titre confidentiel par un autre service. D’une manière générale, on peut s’attendre à ce que la divulgation de renseignements de ce type risque de porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, mais cela ne suffit pas à justifier l’interdiction de la divulgation au titre de l’alinéa 83(1)d) de la LIPR. Le ministre doit plutôt établir, preuve et arguments à l’appui, que la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui compte tenu des circonstances spécifiques de l’affaire dans laquelle la demande d’interdiction de divulgation est présentée.

[57] Le ministre s’appuie sur certains commentaires faits dans la décision Henrie pour présenter à plusieurs reprises la preuve de préjudice en faisant référence aux concepts de lecteur averti et de l’« effet de mosaïque ». C’est le cas en l’espèce : voir les observations écrites du défendeur, au paragraphe 13. Toutefois, la jurisprudence plus récente met en garde contre le fait d’accorder une trop grande importance aux observations du juge Addy dans la décision Henrie. Comme l’a souligné le juge Mosley dans la décision Soltanizadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 114, la décision Henrie remonte aux premiers jours de la transition législative « de l’immunité absolue de la Couronne au cadre législatif en vertu duquel les juges doivent examiner si les affirmations d’atteinte à la sécurité nationale sont raisonnables » (au para 37). Pour cette raison, la décision Henrie et d’autres décisions rendues pendant cette période de transition « doivent être interprétées avec prudence et en tenant dûment compte du contexte dans lequel elles ont été rendues et de l’évolution subséquente du droit et de la pratique » (ibid). Le juge Mosley ajoute : « [l]es premières décisions de cette période de transition témoignent aussi de ce qu’on peut décrire comme une acceptation large et inconditionnelle des arguments de sécurité nationale présentés par le procureur général pour le compte du SCRS » (Soltanizadeh, au para 39).

[58] En ce qui concerne plus particulièrement l’effet de mosaïque, selon lequel « des éléments d’information apparemment anodins peuvent être regroupés et utilisés par un lecteur bien informé et hostile pour porter préjudice », le juge Mosley a souligné dans la décision Soltanizadeh que la logique derrière ce concept, « à première vue intéressant, peut être poussée à l’extrême au point où tout peut faire partie de la mosaïque et où, par conséquent, rien ne doit jamais être divulgué » (au para 41). Le juge Mosley ajoute ce qui suit : « [t]outefois, la simple affirmation selon laquelle les renseignements peuvent être utiles pour un lecteur bien informé n’est pas suffisante. Il doit y avoir un fondement probatoire raisonnablement présenté et qui semble logique pour le juge [citation omise] » (ibid). Si la décision Soltanizadeh a été annulée par la suite, c’était pour d’autres motifs : voir Canada (Procureur général) c Soltanizadeh, 2019 CAF 202 (Soltanizadeh CAF). La Cour d’appel fédérale n’a pas exprimé de réserves quant aux observations qui précèdent.

[59] Si le ministre établit que la divulgation des renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, la Cour doit assurer la confidentialité des renseignements; elle n’a pas de pouvoir discrétionnaire à cet égard (Jaballah (Re), au para 10; Soltanizadeh, au para 34). Qui plus est, contrairement au régime de l’article 38 de la LPC, il n’y a pas de mise en balance des intérêts publics en faveur de la divulgation par rapport à ceux qui s’y opposent (Harkat, aux para 65‑66; Soltanizadeh CAF, au para 26).

[60] Cependant, même lorsque les demandes en interdiction de divulgation du ministre sont accueillies, la Cour peut, dans l’intérêt de l’équité, autoriser la délivrance d’un résumé des renseignements non divulgués, pour autant que le résumé ne porte pas atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui : voir la décision Karahroudi, aux para 21‑26 et la décision Soltanizadeh, au para 34. La Cour d’appel fédérale a pris note de la pratique de la Cour fédérale consistant à publier les résumés pour les demandes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR selon les circonstances, en citant notamment la décision Soltanizadeh à cet égard : voir l’arrêt Canada (Procureur général) c Almrei, 2022 CAF 206 aux para 39‑40. Dans une correspondance postérieure à l’audience, l’avocat du ministre pour les demandes de contrôle judiciaire sous‑jacentes a confirmé qu’il acceptait que la Cour puisse se prévaloir de cette option.

D. Le critère applicable

[61] Le ministre n’a présenté aucune preuve publique à l’appui de ses demandes en interdiction de divulgation. Dans les deux affaires, la seule preuve publique déposée par le ministre était l’affidavit d’un parajuriste confirmant que le ministre déposait une requête en interdiction de divulgation de renseignements en vertu de l’article 87 de la LIPR. Les affidavits indiquent que les requêtes en interdiction de divulgation [traduction] « seront appuyées par un ou plusieurs affidavits classifiés qui contiendront les renseignements classifiés que le défendeur cherche à protéger » et qui [traduction] « expliqueront le fondement pour l’interdiction de la divulgation des renseignements classifiés ». Les observations écrites figurant dans les dossiers de requêtes publics étaient de nature entièrement générales; elles ne disaient rien sur la nature des renseignements en cause ou sur les préjudices qui seraient causés par leur divulgation.

[62] Les requêtes en interdiction de divulgation du ministre s’appuyaient en effet sur des affidavits classifiés. Pour des raisons évidentes, leur contenu ne peut être analysé dans les présents motifs non classifiés. Il suffit de dire que j’ai jugé nécessaire de n’entendre qu’un seul des deux déposants. Ce déposant a comparu lors de deux audiences tenues à huis clos et en l’absence des autres parties, et a été interrogé par l’avocat du ministre et par la Cour. Plusieurs documents supplémentaires ont été déposés en réponse aux réserves soulevées par la Cour.

[63] Les renseignements que le ministre cherche à protéger de la divulgation publique dans les affaires en question peuvent révéler, ou tendre à révéler, un ou plusieurs des types de renseignements suivants :

  • a)l’intérêt du Service envers des individus, des groupes ou des enjeux, notamment l’existence ou l’absence de dossiers ou d’enquêtes antérieurs ou actuels, l’intensité des enquêtes, le degré ou l’absence de réussite de ces enquêtes;

  • b)les méthodes de travail et les techniques d’enquête utilisées par le Service;

  • c)les relations que le Service entretient avec des services étrangers de police, de sécurité ou de renseignement et les renseignements échangés à titre confidentiel avec de tels services;

  • d)les employés, les procédures internes et les méthodes administratives, ainsi que les systèmes de télécommunication utilisés par le Service;

  • e)les personnes qui ont fourni des renseignements au Service.

[64] Comme je l’ai indiqué précédemment, on peut admettre que, d’une manière générale, la divulgation de renseignements de ce type pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. La question que la Cour doit trancher est celle de savoir si la divulgation des renseignements en question porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui dans les circonstances particulières des présentes affaires.

[65] Comme je l’ai indiqué au début des présents motifs, le ministre a accepté de rétablir certains passages qui avaient été caviardés. Le ministre a également accepté qu’un résumé non préjudiciable soit délivré dans les deux affaires. Ce résumé concerne la période de validité des examens du Service, qui est caviardée dans les deux affaires (à la page 966 du DCT dans l’affaire Abdulahad, et à la page 795 du DCT dans l’affaire Mamut). Sur le fondement des éléments de preuve présentés lors de l’audience à huis clos, et pour les raisons indiquées dans l’annexe classifiée, je suis convaincu que la divulgation des périodes de validité porterait atteinte à la sécurité nationale. Je conviens également avec le ministre que le résumé suivant des renseignements caviardés ne serait pas préjudiciable : « La période de validité a expiré ». La publication de ce résumé sera donc autorisée dans les deux affaires.

[66] Dans l’affaire Abdulahad, le ministre a également accepté la divulgation du résumé des renseignements suivant, contenu dans le dossier du SCRS du 18 août 2015 : [traduction] « [l]es renseignements caviardés aux paragraphes 3 et 4 concernent le soutien supposé de M. Abdulahad au nationalisme ouïghour, dans la mesure où il peut être lié à des mouvements séparatistes ouïghours ». Je conviens avec le ministre que ce résumé n’est pas préjudiciable. Je conclus également que la divulgation du résumé est justifiée dans l’intérêt de l’équité envers M. Abdulahad. Mes motifs à l’appui de ma conclusion sont exposés dans l’annexe classifiée. J’explique également dans l’annexe classifiée pourquoi je suis convaincu que toute nouvelle divulgation des renseignements sous‑jacents porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

[67] Le ministre a convenu que le même résumé peut être appliqué aux renseignements caviardés dans l’examen de l’ASFC sur l’interdiction de territoire (annexe A‑2, aux pages 953 et 954) et aux renseignements caviardés dans le courriel envoyé à l’égard du processus relatif aux résultats contraires (annexe A‑3, page 968). À mon avis, la divulgation du résumé à cet égard ne serait pas préjudiciable, et elle est justifiée dans l’intérêt de l’équité envers M. Abdulahad.

[68] Les motifs pour lesquels j’ai fait droit aux autres demandes d’interdiction de divulgation sont exposés dans l’annexe classifiée.

[69] Par souci de clarté, dans les annexes A‑3 et B‑3, les caviardages restants concernant les demandes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR sont identifiés comme tels pour les distinguer des demandes présentées au titre de l’article 37 de la LPC, qui ont été confirmées dans mon ordonnance et mes motifs précédents. Dans les autres annexes, tous les caviardages sont effectués au titre de l’article 87 de la LIPR.

IV. CONCLUSION

[70] Pour les motifs qui précèdent, et ceux qui figurent dans l’annexe classifiée, la demande d’interdiction de divulgation du ministre dans l’affaire Abdulahad (IMM‑8585‑22) est accueillie. Les principales décisions d’interdiction de divulgation de la Cour figurent aux annexes A‑1, A‑2 et A‑3.

[71] Pour les motifs qui précèdent, et ceux qui figurent dans l’annexe classifiée, la demande d’interdiction de divulgation du ministre dans l’affaire Mamut (IMM‑1407‑22) est également accueillie. Les principales décisions d’interdiction de divulgation de la Cour figurent aux annexes B‑1, B‑2 et B‑3.

[72] La présente ordonnance et les présents motifs, ainsi que l’annexe classifiée et les six annexes, seront d’abord délivrés à l’avocat du ministre, à titre confidentiel et exclusif. Il doit confirmer, au plus tard le 8 avril 2024 à 16 heures, que ni la partie essentielle de l’ordonnance et des motifs ni aucune annexe ne contient de renseignements classifiés. Dès réception de cette confirmation, la partie essentielle de l’ordonnance et des motifs ainsi que les annexes seront délivrées à l’avocat des demandeurs. Compte tenu de la manière dont elle est rédigée, il ne serait pas utile de tenter de caviarder l’annexe classifiée afin qu’elle puisse être divulguée aux demandeurs.

[73] Dès réception de la confirmation de l’avocat du ministre que la partie essentielle de l’ordonnance et des motifs ne contient aucun renseignement classifié, elle sera également rendue publique. Il est entendu que la version publique de l’ordonnance et des motifs ne comprendra pas les annexes.

[74] Parallèlement à la délivrance de l’ordonnance et des motifs à l’avocat du ministre, la Cour émettra une directive informant l’avocat des demandeurs qu’une décision a été rendue à l’égard des demandes d’interdiction de divulgation du ministre et les informant des prochaines étapes dans ces affaires, comme je l’ai indiqué dans les paragraphes précédents.


ORDONNANCE dans les dossiers IMM‑1407‑22 et IMM‑8585‑22

LA COUR REND LES ORDONNANCES suivantes :

  1. La demande d’interdiction de divulgation présentée par le ministre dans le dossier IMM‑8585‑22 est accueillie. Les principales décisions d’interdiction de divulgation de la Cour figurent aux annexes A‑1, A‑2 et A‑3. Tous les autres caviardages dans le dossier certifié du Tribunal sont confirmés.

  2. La demande d’interdiction de divulgation présentée par le ministre dans le dossier IMM‑1407‑22 est accueillie. Les principales décisions d’interdiction de divulgation de la Cour figurent aux annexes B‑1, B‑2 et B‑3. Tous les autres caviardages du dossier certifié du Tribunal sont confirmés.

  3. La présente ordonnance et les présents motifs, ainsi que l’annexe classifiée et les six annexes, seront d’abord délivrés à l’avocat du ministre, à titre confidentiel et exclusif.

  4. L’avocat du ministre doit confirmer à la Cour, au plus tard le 8 avril 2024 à 16 h, que ni la partie essentielle de l’ordonnance et des motifs ni aucune annexe ne contient de renseignements classifiés.

  5. Dès réception de cette confirmation, la partie essentielle de l’ordonnance et des motifs ainsi que les six annexes seront délivrées aux avocats des demandeurs.

  6. Dès réception de la confirmation de l’avocat du ministre que la partie essentielle de l’ordonnance et des motifs ne contient aucun renseignement classifié, elle sera également rendue publique.

  7. Il est entendu que la version publique de l’ordonnance et des motifs ne comprendra pas les annexes.

«John Norris»

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean‑François Vincent


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1407‑22

 

INTITULÉ :

KHALIL MAMUT ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM‑8585‑22

INTITULÉ :

Salahidin ABDULAHAD ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 22 et 29 janvier et le 26 mars 2024

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 5 AVRIL 2024

COMPARUTIONS :

Prasanna Balasundaram

 

Pour les DEMANDEURS (LE 22 JANVIER 2024)

Gregory G. George

Bradley Bechard

 

Pour le défendeur (le 22 JANVIER 2024)

 

Robert Reid

Kieran Dyer

Pour le défendeur (LE 29 JANVIER ET LE 26 MARS 2024)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Downtown Legal Services

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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