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Date : 20051124

Dossier : IMM-3341-05

Référence : 2005 CF 1588

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

JARNAIL SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 9 mai 2005. Dans cette décision, le tribunal a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de personne à protéger à l'article 97.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.       La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur?

2.       La Commission a-t-elle omis d'étudier correctement la preuve documentaire soumise lors de l'audience?

3.       La Commission a-t-elle commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que le demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI)?

4.       La Commission a-t-elle commis une erreur en appliquant l'article 97 de la Loi?

[3]                La réponse à la première question est affirmative. Les réponses aux questions 2, 3 et 4 sont négatives. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                Le demandeur est un citoyen de l'Inde, résidant au Punjab et issu de la minorité Sikh. Il aurait été arrêté à quatre reprises par la police, qui le soupçonnait de collaborer avec des militants du Jammu et du Kashmir. Lors de ces détentions, il aurait été interrogé, battu, puis libéré lorsque des habitants de son village ont versé des pots de vin aux policiers.

[5]                Après qu'il ait consulté un avocat en vue de faire face aux pressions policières, son domicile aurait été perquisitionné par la police alors qu'il était absent le 10 mars 2004. Le demandeur a obtenu un passeport en avril 2004 et un visa le 5 juillet 2004. Il est arrivé au Canada le 9 août 2004.

DÉCISION CONTESTÉE

[6]                La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible en raison du fait qu'il avait réussi à obtenir un passeport alors que la preuve documentaire avait révélé que les autorités policières indiennes effectuaient une vérification consciencieuse des demandeurs avant d'émettre un passeport. La Commission a également retenu le fait que le demandeur ait attendu six mois avant de quitter l'Inde après avoir reçu son passeport ce qui ne correspondait pas avec le comportement d'une personne ayant une crainte subjective de persécution dans son pays. En outre, la Commission a conclu que même si elle n'avait pas douté de la crédibilité du demandeur, sa demande d'asile devait être rejetée car il disposait d'une PRI ailleurs en Inde.

ANALYSE

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur?

[7]                La norme de contrôle applicable à un contrôle judiciaire de conclusions portant sur des questions de faits et de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il est maintenant clairement établi que la Commission est un tribunal spécialisé qui a pleine compétence pour évaluer la crédibilité d'un témoignage. Ainsi, dans la mesure où les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité d'un demandeur ne sont pas déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire (Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no732 (C.A.F.) (QL)).

[8]                Le demandeur se fonde sur les passages suivants des motifs écrits de la décision de la Commission pour alléguer que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable justifiant l'intervention de cette Cour :

The claimant, a dairy farmer, testified that there is no arrest warrant against him, and that he was never a political activist in Punjab. He obtained a passport in April 2004 and a visa on July 5, 2004. The claimant was confronted by the tribunal with section 6.163 of the UK Report, which states that according to the Danish Immigration Service fact-finding report 2000, regarding application for a passport, a very thorough check is made by local police. The individual's status and whether there was a case against him is researched before a passport is issued.

Confronted, the claimant testified that the police have no right to intervene against him. Furthermore, he gave an incomprehensible answer about his brother, who had accompanied him to New Delhi, who went back to his village to pick-up the passport which had arrived by mail to his house, and returned with it to Delhito deliver it to the claimant. The tribunal concludes that the claimant's explanation is not acceptable and affects his credibility. [je souligne]

[9]                Le demandeur soutient que l'écoute des cassettes de l'audience révèle qu'à aucun moment il ne lui a été dit que ses explications étaient inacceptables, ou de fournir des explications supplémentaires quant à la façon dont il a obtenu son passeport à New Delhi, ce qui constituerait une violation de la règle audi alteram partem et un manquement aux règles de justice naturelle.

[10]            En outre, le demandeur allègue n'avoir jamais parlé de son frère qui l'a accompagné à New Delhi, mais de son beau-frère.

[11]            De plus, le demandeur fait valoir qu'il n'a jamais été confronté à la question du délai entre l'obtention de son passeport et son départ de l'Inde, et qu'il n'a par conséquent jamais eu l'occasion de s'expliquer sur ce sujet, ce qui constitue un second manquement à la règle audi alteram partem.

[12]            Suite à la lecture des notes sténographiques j'en conclus que le tribunal s'est trompé lorsqu'il mentionne le frère alors que c'est le beau-frère qui est allé chercher le passeport. Il en est de même quant aux reproches adressés par le tribunal au demandeur au sujet de ne pas avoir quitté son pays avant au moins six mois après l'obtention de son passeport. Il devait obtenir un visa ce qui a été fait dans le mois avant son départ. Ce reproche n'est pas justifié.

[13]            Quant aux allégations de manquement aux règles de justice naturelle je ne crois pas qu'elles soient fondées. Le demandeur était représenté par procureur et ce dernier a décliné de lui poser des questions. Le tribunal n'a pas l'obligation de signaler ses conclusions sur la crédibilité avant de rendre sa décision (Sarker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 987 (C.F. 1ère inst.) (QL)).

[14]            Dans cette cause, la crédibilité du demandeur n'était pas déterminante. D'ailleurs le tribunal en a fait mention.

2.          La Commission a-t-elle omis d'étudier correctement la preuve documentaire soumis lors de l'audience?

[15]            Il est reconnu que la Commission n'est pas tenue de faire référence dans ses motifs à la preuve documentaire qui lui a été présentée. Il existe en outre une présomption selon laquelle l'ensemble de la preuve documentaire a été prise en considération (Florea c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no598 (C.A.F.) (QL)). De plus, vu son rôle et son expertise, la Commission dispose de la latitude de choisir les éléments de preuve qu'elle considère les plus pertinents (Tawfik c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no835 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[16]            Avec respect, il apparaît que la preuve documentaire soumise par le demandeur est de faible pertinence relativement à sa situation personnelle. Les articles de presse soumis par le demandeur font état de troubles politiques aux Punjab et du fait que les autorités indiennes ont appréhendé des militants Sikhs dans d'autres régions de l'Inde que le Punjab. Ces faits n'ont pas été niés par la Commission.

[17]            La Commission s'est plutôt appuyée sur d'autres documents pour conclure que le demandeur, qui ne faisait pas l'objet d'un mandat d'arrêt et disposait d'un profil relativement bas, devait pouvoir déménager ailleurs en Inde sans être recherché par la police.

[18]            J'en conclus donc que la Commission n'a pas omis de considérer correctement la preuve documentaire soumise lors de l'audience.

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant quele demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI)?

[19]            Il appartient au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans son pays et qu'il n'est pas raisonnable d'y chercher refuge (Thirunavukkarasu c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.)).

[20]            Le test élaboré par la Cour d'appel fédérale dans cette cause comporte deux volets : premièrement, la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté à l'endroit proposé comme PRI. Deuxièmement, compte tenu de toutes les circonstances (dont les circonstances personnelles du demandeur), la situation à l'endroit proposé comme PRI doit être telle qu'il n'est pas déraisonnable pour le demandeur d'y chercher refuge.

[21]            Le demandeur s'appuie sur les propos du juge Gibson dans Kahlon c. Canada (Immigration and Refugee Board), [1993] A.C.F. no 811 (C.F. 1ère inst.) (QL) et du juge McKeown dans Sran c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1047 (C.F. 1ère inst.) (QL) pour alléguer que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que le demandeur disposait d'une PRI. Au paragraphe 9 de Sran, précité, le juge McKeown écrit :

[...] Encore une fois, la Commission n'a pas examiné tous les éléments de preuve. La seule preuve dont le tribunal disposait au sujet de la recherche par la police des militants et de leurs partisans indiquait qu'il était pratiquement impossible pour une personne de se cacher quelque part en Inde si la police du Pendjab la recherchait. Bien qu'il n'existe aucune méthode de communication formelle disponible, il semble qu'il y ait beaucoup d'ententes informelles qui permettent à la police du Pendjab de traquer toute personne qu'elle recherche. Comme la Commission n'a pas tenu compte du témoignage du requérant selon lequel la police le recherchait parce qu'il était partisan des militants, je ne suis pas en mesure de savoir ce que la conclusion de la Commission serait au sujet de l'existence d'une PRI. [...]

[22]            La norme de contrôle applicable à une conclusion de PRI est celle de l'erreur manifestement déraisonnable (Mohammed c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1217 (C.F. 1ère inst.) (QL), Sivasamboo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1ère inst.). Le passage de la décision de la Commission qui traite de la PRI du demandeur se lit comme suit :

The claimant declared that he was not a well-known or high-profile person in Punjab.

In Exhibit A-1, section 2.1, subsection 6.137 of the Montreal Regional Binder for India, dated July 2004, UK Country Assessment, it is written that Punjabi Sikhs are able to relocate in another part of India and, since they are a mobile community, there are Sikhs all over India.

               

In section 6.138 of the same UK report, it is stated that there are no checks on a newcomer to any part of India arriving from another area of the country, not even Punjabi Sikhs, contrary to what the claimant's testimony suggested.

               

Local police forces have neither the resources nor the language abilities to perform background checks on people arriving from other parts of India. There is no system of registration of citizens.

In section 6.139, it is said that it would be possible for a low-profile person to move elsewhere in India. This document also states that someone who has or who has had problems in Punjab should have no problems residing elsewhere in India. It is also reported that authorities in New Delhi are not informed about people wanted in Punjab.

               

This tribunal considers that, even if the claimant's story had been found credible, since an Internal Flight Alternative (IFA) is reasonably accessible, the claimant can relocate elsewhere in India.

[23]            Après avoir étudié le dossier, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur manifestement déraisonnable en ce qui a trait à la PRI du demandeur. Le commissaire a appuyé ses conclusions sur une preuve documentaire crédible et sérieuse, et je ne vois dans sa conclusion quant à la PRI du demandeur aucune erreur justifiant l'intervention de cette Cour.

4.         La Commission a-t-elle commis une erreur en appliquant l'article 97 de la Loi?

[24]            L'article 97 dispose ainsi :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes -- sauf celles infligées au mépris des normes internationales -- et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[25]            Le demandeur affirme que la Commission a appliqué l'article 97 de la Loi de façon erronée, et qu'elle aurait dû tenir compte des conditions qui prévalent en Inde pour établir dans quelle mesure le demandeur était en danger.

[26]            Avec respect, je ne peux souscrire à cet argument. Le fait que la Commission ait choisi de fonder sa décision sur des éléments de preuve documentaire dont les conclusions diffèrent des allégations du demandeur et des documents qu'il a déposés ne signifie pas que la Commission n'a procédé à aucune évaluation du danger auquel ferait face le demandeur. Dans la présente affaire, le demandeur a vécu chez sa soeur et à New Delhi sans être recherché.

[27]            La conclusion de la Commission en ce qui trait à la PRI du demandeur en Inde rend inapplicable l'article 97 puisqu'une personne disposant d'une PRI n'est pas une personne à protéger au sens de la Loi (Zalzali c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] C.F. 605 (C.A.F.)).

[28]            Les parties ont décliné de soumettre des questions à certifier et ce dossier n'en comporte aucune.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Michel Beaudry »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3341-05

INTITULÉ :                                        JARNAIL SINGH c.

                                                            LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 10 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                         LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                       le 24 novembre 2005

COMPARUTIONS:

Odette Desjardins                                                          POUR LE DEMANDEUR

Marie-Claude Demers                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Marie-José Blain                                                           POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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