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Date : 20060224

Dossier : IMM-2934-05

Référence : 2006 CF 235

Ottawa (Ontario), le 24 février 2006

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

ELENA ZAVADSKAIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 ( « LIPR » ) d'une décision de la Section de la protection des réfugiés ( « SPR » ) datée du 18 avril 2005. Par cette décision, la SPR refusait la demande d'asile d'Elena Zavadkaia ( « demanderesse » ). Selon la SPR, la demanderesse n'a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                La seule question en litige est la suivante :

-                      La SPR a-t-elle commis une erreur de fait en évaluant la crédibilité de la demanderesse et en mettant en doute le bien-fondé de sa crainte d'être persécutée?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, puisqu'il n'y a pas d'erreur de fait justifiant l'intervention de cette Cour.

FAITS ALLÉGUÉS PAR LA DEMANDERESSE

[4]                La demanderesse allègue que son conjoint de fait Sergey Shalenko, inspecteur des pêches en Russie, a fait l'objet au cours des années 2002 et 2003 de pressions de la part de personnes en position d'influence voulant le contraindre à fermer les yeux sur les activités illégales se déroulant au port où il est employé. Au printemps 2003, M. Shalenko a inspecté plusieurs navires et réalisa que des crimes importants avaient été commis et comptait le révéler. En mai 2003, la demanderesse reçut plusieurs appels de menaces à la maison. Les pressions sur le couple et sur M. Shalenko se sont intensifiées par la suite. M. Shalenko comptait dénoncer l'histoire à la presse, et a été battu et menacé pour cette raison. En juillet 2003, la demanderesse allègue avoir à son tour été agressée et menacée. Elle tenta de dénoncer la situation à la police puis au Ministre de l'intérieur, sans succès. En septembre 2003, ils furent de nouveau agressés et menacés. Après un court séjour à l'hôpital, le couple déménagea et la demanderesse arriva au Canada en octobre 2003. Ce n'est cependant qu'en janvier 2004 qu'elle a fait sa demande d'asile.

ANALYSE

[5]                La demanderesse allègue que la SPR a commis toute une série d'erreurs de fait. Je reprendrai les arguments les plus importants de la demanderesse, en gardant à l'esprit que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1469, [2003] A.C.F. No. 1866 (C.A.F.), au para. 10;    Aguebor c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1993] A.C.F. No. 732 (C.A.F.), au para. 4).

1.          Le lien de la demanderesse avec M. Shalenko

[6]                D'abord, la demanderesse reproche à la SPR d'avoir constaté qu'elle avait fait défaut de produire une preuve attestant du « lien marital de conjoint de fait » qu'elle dit avoir avec M. Shalenko. À mon avis, il ne s'agit pas d'une erreur, puisque la demanderesse n'a produit qu'une déclaration de domicile à cet égard. Or, cette déclaration indique que M. Shalenko est son époux (p. 122 du dossier), alors qu'elle dit dans son Formulaire de renseignements personnels que M. Shalenko est son « common law spouse » . La demanderesse contredit la preuve documentaire qu'elle a produite, et s'est contredite de nouveau lorsque confrontée à cette contradiction à l'audience. Le Tribunal a raison de dire, compte tenu notamment de cette contradiction, que la preuve du lien de conjoint de fait n'a pas été faite.

2.          Les enfants de la demanderesse ne l'accompagnent pas

[7]                La demanderesse a reproché à la SPR le passage suivant de la décision attaquée :

Or, le tribunal trouve étrange que la demandeure, bien qu'elle n'ait rien à voir directement dans cette histoire de pêche illégale et qui se dit victime directe d'une mafia impitoyable qui peut la retrouver partout en Russie, selon son témoignage et son narratif, laisse derrière elle des enfants qui pourraient être victimes innocentes de cette impitoyable mafia russe. À cause de ce comportement, le tribunal met en doute l'Existence [sic] d'une crainte pour sa vie.

La demanderesse prétend que cette conclusion de fait est perverse.

[8]                Tel n'est pas mon avis. Si la demanderesse a servi en quelque sorte d'instrument de chantage pour forcer M. Shalenko à obéir aux instructions des agents persécuteurs, il me semble que les enfants en bas âge de la demanderesse auraient eux aussi pu être employés à cette fin. Ainsi, les enfants de la demanderesse auraient aussi du être, dans l'esprit de leur mère, des proies faciles qu'elle aurait voulu emmener avec elle en lieu sûr. Que la SPR ait conclu que cela permet de douter de l'existence de la crainte de la demanderesse n'est donc pas déraisonnable.

3.          Les documents additionnels

[9]                Lors de la l'audience du 18 février 2005, la demanderesse a présenté au tribunal trois documents relatant que des assassinats avaient été commis dans des compagnies d'import-export en Russie. Elle prétend maintenant que la SPR n'a pas statué sur la recevabilité de ces documents. Pourtant, la lecture du procès-verbal de la séance révèle que l'un des documents aurait pu être présenté dans les délais prévus au para. 29(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés ( « Règles » ). L'extrait suivant (p.293 du dossier) démontre en outre que le procureur de la demanderesse comprenait et a consenti à la décision prise par le membre audiencier :

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (au conseiller)

- Bon, alors je pense pas que ces documents portent, peuvent ajouter, on le verra au cours de l'audience. Je n'accepte pas celui du 17, du 13 octobre [2004], je vous le remets.

R. Bon, parfait Monsieur.

- Les deux (2) autres on les dépose et on les examinera à leur mérite éventuellement.

R. Parfait, Monsieur, merci.

[10]            La demanderesse soutient également que la SPR n'a pas agi correctement à l'égard d'une photocopie d'un passeport de la copine de la demanderesse et d'une lettre de cette dernière, documents qu'elle a tenté de déposer à l'audience du 21 février 2005. La demanderesse dit s'être réfugiée chez cette amie avant de venir au Canada, et la lettre confirmerait l'existence d'un lien entre M. Shalenko et elle-même.

[11]            En relisant le procès-verbal des auditions, j'ai remarqué que le vendredi précédent (le 18 février 2005), la discussion à l'audience portait sur le manque de preuve présenté par la demanderesse pour démontrer l'existence de ce lien (p.344 du dossier). La SPR s'était alors engagé à examiner les documents et à juger de leur pertinence. L'article 30 des Règles, qui permet d'accepter un document présenté hors délai se lit comme suit :

30. La partie qui ne transmet pas un document selon la règle 29 ne peut utiliser celui-ci à l'audience, sauf autorisation de la Section. Pour décider si elle autorise l'utilisation du document à l'audience, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

a) la pertinence et la valeur probante du document;

b) toute preuve nouvelle qu'il apporte;

c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29.

30. A party who does not provide a document as required by rule 29 may not use the document at the hearing unless allowed by the Division. In deciding whether to allow its use, the Division must consider any relevant factors, including

(a) the document's relevance and probative value;

(b) any new evidence it brings to the hearing; and

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 29.

[12]            Les documents ont en effet été examinés (p.170 et 171), et la SPR a dit ne pas en voir l'utilité ou la pertinence. La SPR n'a cependant pas formellement rejeté le document, comme l'extrait suivant du procès-verbal le montre :

PAR LE CONSEILLER (au membre audiencier)

- C'est, c'est, c'est seulement pour vous dire là, Monsieur, j'ai l'impression que le passeport interne c'était justement pour prouver de qui ça venait et c'est sur un même fax, alors vous pouvez le constater.

R. Oui, je peux le constater, mais... Non, je ne vois pas l'utilité, à moins que l'on soulève en cours de route ce que ces documents-là voudraient prouver, là à ce moment on pourrait aviser.

- Si vous me permettez, c'est peut-être parce que au sortir de l'audience, j'ai fait remarquer à Madame que le seul document finalement qui avait pas beaucoup de documents qui la liaient au, finalement à son mari puis c'est, c'est la démarche qu'elle a fait, mais moi j'étais pas au courant (je souligne).

[13]            Il appert de cet extrait que le membre audiencier n'a pas statué formellement sur le document. Cependant, de son propre aveu, le procureur de la demanderesse ne connaissait pas l'existence de ce document et n'a pas jugé bon d'utiliser le document à l'audience et n'a pas posé de questions pour clarifier la situation. Bien que la SPR aurait pu rejeter le document, elle ne l'a pas fait et le procureur de la demanderesse était libre de tenter de l'employer dans ses représentations. Comme il ne l'a pas fait, il peut difficilement prétendre en contrôle judiciaire qu'il en a subi un préjudice, n'ayant pas lui même jugé utile d'employer le document.

4.          Les passeports de la demanderesse

[14]            La demanderesse prétend en outre que la SPR a confondu ses deux passeports, soit son passeport interne et son passeport externe (les deux ont été déclarés dans l'un des formulaires au dossier, p. 51 du dossier). À cet égard, la demanderesse a raison. Toutefois, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même si la confusion a été semée dans l'esprit des décideurs, puisqu'elle a fait une déclaration incomplète dans son FPR. En effet, à la question 24, elle aurait dû indiquer tous les documents de voyage lui ayant été délivrés au cours des 20 dernières années. Or, elle n'a mentionné que l'un de ses passeports (p. 21 du dossier). De plus, j'ajoute qu'il ne s'agit que d'un élément dans l'ensemble des motifs qui minent sérieusement la crédibilité de la demanderesse. Dans l'affaire Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 CF 282, [2000] A.C.F. No. 286, au para. 22, le juge Evans écrit:

[M]ême si le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision à l'égard de certaines conclusions de fait, la décision qu'il a rendue au sujet de l'annulation serait néanmoins confirmée s'il y avait d'autres faits sur lesquels il était raisonnablement possible de fonder sa conclusion finale.

[15]            Cette décision a été suivie par notre Cour et appliquée à des cas de contrôle judiciaire de décisions de la SPR (Voir Agbon v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1573, [2005] F.C.J. No. 1936, au para. 10; Jarada c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 409, [2005] A.C.F. No. 506, au para. 22). Autrement dit, ce n'est pas parce que l'un des nombreux éléments du raisonnement de la SPR est faible que l'ensemble du raisonnement s'écroule. En l'espèce, les éléments de fait sur lesquels s'est fondée la SPR pour conclure à la non-crédibilité de la demanderesse sont nombreux, solides et appuyés par la preuve :

-                      La demanderesse s'est montrée non coopérative et évasive lors de son témoignage, et a souvent « ajusté » son témoignage suivant les questions posées par la SPR ;

-                      La demanderesse a laissé ses enfants derrière elle, alors qu'elle allègue avoir servi elle-même d'instrument de chantage;

-                      La demanderesse manque de documents sur M. Shalenko, et s'est contredite quant à la nature du lien qui les unit;

-                      Le FPR de la demanderesse contredit la preuve qu'elle a déposé concernant son emploi du temps entre 1999 et 2003;

-                      M. Shalenko est demeuré en Russie;

-                      La demanderesse a tardé à demander l'asile.           

5.          Erreurs mineures alléguées

[16]            Finalement, la demanderesse a allégué que la SPR a fait deux erreurs mineures. D'abord, la SPR a écrit que la demanderesse a deux filles alors que sa déclaration de domicile dit qu'elle a un fils et une fille. Des erreurs de cette nature, non déterminantes et non matérielles, qui n'ont rien à voir avec le raisonnement de la SPR, ne justifient pas l'intervention de la Cour (voir Sukhu v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1662, [2005] F.C.J. No. 2036 et Gonulcan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 392, [2004] A.C.F. No. 486 au para. 3), à moins que de telles erreurs soient tellement multiples et répétées qu'elles permettaient de démontrer que la SPR n'a pas consulté les documents qui lui ont été présentés ou qu'elle a ignoré la preuve.

[17]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. L'ensemble de la décision de la SPR n'est pas manifestement déraisonnable. Elle s'appuie sur la preuve, malgré quelques erreurs et imprécisions mineures.

[18]            Les parties furent invitées à poser des questions pour fins de certification. Aucune question n'a été posée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE :

-           La demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu'aucune question ne soit certifiée.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2934-05

INTITULÉ :                                        ELENA ZAVADSKAIA c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE :                21 FÉVRIER 2006

MOTIFS :                                          LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                       Le 24 février 2006

COMPARUTIONS:

Me MICHEL LEBRUN

POUR LA DEMANDERESSE

Me MARIO BLANCHARD

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me MICHEL LEBRUN

MONTRÉAL QUÉBEC

POUR LA DEMANDERESSE

JUSTICE CANADA

MONTRÉAL QUÉBEC

POUR LE DÉFENDEUR

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