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Date : 20050708

Dossier : T-170-03

Référence : 2005 CF 959

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

ELIZABETH BUCHANAN

demanderesse

et

BELL CANADA

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant l'annulation d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) rendue le 27 décembre 2002.

[2]                 La décision attaquée rejetait les plaintes déposées par Mme Elizabeth Buchanan, la demanderesse, en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi).

FAITS

[3]                 La demanderesse est à l'emploi de Bell Canada, la défenderesse, depuis le 14 avril 1980. Du 4 novembre 1991 au 25 avril 1994, elle a occupé un poste de premier commis '9' d'approvisionnement en liaisons au département de liaison et transmission, date où elle a débuté un poste de représentante à la clientèle marché affaires, qu'elle a occupé jusqu'au 15 juillet 2002.

[4]                 Ces deux postes étaient syndiqués auprès de l'Association canadienne des employés en télécommunication (l'ACET).

[5]                 Le 30 septembre 1992, la demanderesse a déposé une plainte (la plainte originale) à la Commission alléguant la discrimination salariale fondée sur le sexe.

[6]                 Dans cette plainte, elle utilisait le poste de technicien '1' chez Bell comme facteur de comparaison pour établir la discrimination.

[7]                 En septembre 1992, l'ACET a porté plainte à la Commission pour discrimination salariale fondée sur le sexe à l'égard de l'ensemble des postes de premier commis '9' d'approvisionnement en liaisons, ces postes étant à prédominance féminine.

[8]                 Le 25 janvier 1994, un groupe de femmes nommé Femmes-Action a déposé une plainte pour discrimination salariale fondée sur le sexe auprès de la Commission, alléguant que Bell Canada avait des pratiques discriminatoires à l'égard de divers groupes d'emploi à prédominance féminine.

[9]                 Le 31 janvier 1994, le Syndicat canadien des communications de l'énergie et du papier (le SCEP), a déposé une plainte à la Commission relativement aux pratiques discriminatoires basées sur le sexe adoptées chez Bell Canada pour divers groupes d'emploi à prédominance féminine.

[10]            Le 9 février 1994, suite à la réception d'un rapport final d'une étude conjointe menée par Bell Canada, l'ACET et le SCEP, la Commission recommandait à la demanderesse de modifier sa plainte du 30 septembre 1992 afin d'élargir le facteur de comparaison utilisé à l'ensemble des emplois à prédominance masculine.

[11]            Le 17 février 1994, la demanderesse a déposé une plainte amendée (la plainte amendée) auprès de la Commission.

[12]            Le 4 mars 1994, l'ACET a déposé une plainte générale auprès de la Commission à l'égard de l'ensemble de tous les postes cléricaux à prédominance féminine chez Bell Canada.

[13]            Dans la foulée des nombreuses plaintes déposées à la Commission, Bell Canada, l'ACET et le SCEP ont tenté de régler leurs différends en médiation.

[14]            Ce processus de médiation en deux temps a commencé le 15 mars 1994. La première phase a pris fin le 9 mai 1994, avec la divulgation du rapport de médiation. La deuxième phase, celle de la négociation proprement dite, n'a jamais eu lieu. C'est à cette étape que les personnes ayant porté plainte individuellement devaient participer, personnellement ou par l'intermédiaire de leurs représentants.

[15]            Conséquemment, la demanderesse n'a pas pu participer au processus de médiation engagé.

[16]            Malgré l'échec du processus de médiation, la Commission a fait enquête et a constaté des disparités salariales à l'égard du poste occupé par la demanderesse dans un rapport rendu public le 14 novembre 1995.

[17]            Le rapport d'enquête visait 62 plaintes individuelles, 3 plaintes de l'ACET et 4 plaintes de discrimination systémique déposées par Femmes-Action, le SCEP et l'ACET.

[18]            Ce rapport recommandait en outre le renvoi des plaintes des syndicats à un Tribunal des droits de la personne (le tribunal) en vertu de l'article 49 de la Loi.

[19]            Le 26 avril 1996, la demanderesse est informée que ses plaintes individuelles (plainte originale et plainte amendée) seront référées à la Commission pour examen dans les prochaines semaines.

[20]            Le 22 mai 1996, la Commission recommande que soit constitué un tribunal pour instruire les plaintes relatives à la parité salariale déposées par l'ACET, le SCEP et Femmes-Action.

[21]            Le 28 mai 1996, la Commission informe la demanderesse qu'elle suspend l'examen de ses plaintes individuelles jusqu'à ce qu'une décision soit rendue dans le cadre des plaintes déposées par l'ACET, le SCEP et Femmes-Action.

[22]            Le 30 août 2002, la défenderesse et l'ACET (le syndicat de la demanderesse) ont conclu un règlement hors cour (le règlement). Les plaintes déposées par le SCEP et Femmes-Action suivent leur cours.

[23]            Ce règlement a été soumis au vote des 29 000 personnes éligibles entre le 21 et le 25 septembre 2002. Des 24 458 employées, anciennes comme actuelles, qui ont voté, 75.9 % ont voté en faveur de la ratification du règlement.

[24]            Le règlement permettait à la demanderesse de toucher un montant de 12 034,06 $ auquel s'ajoutait au moins un montant de 2 000 $ en règlement de sa plainte individuelle.

[25]            La demanderesse a choisi de ne pas signer l'offre de règlement.

[26]            Le 22 octobre 2002, l'ACET a retiré ses plaintes suite au règlement.

[27]            Le 25 octobre 2002, la Commission informe la demanderesse qu'un rapport supplémentaire sur ses plaintes recommande le rejet de celles-ci.

[28]            La recommandation se lisait comme suit :

Il est recommandé qu'en vertu de l'alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission rejette les plaintes;

Parce qu'ayant examiné toutes les circonstances entourant les plaintes, une enquête portant sur ces plaintes n'est pas justifiée;

Parce que le sujet de ces plaintes a déjà été traité.

[29]            Le 27 décembre 2002, la Commission a informé la demanderesse que, « compte tenu des circonstances relatives à vos plaintes » , qui ont toutes été énumérées par ailleurs, elle ne donnait pas suite à celles-ci aux termes du paragraphe 44 (3) de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[30]            Les questions en litige portent sur l'étendue des « circonstances relatives à la plainte » dont la Commission doit tenir compte lors de l'examen d'une plainte aux termes du paragraphe 44 (3) de la Loi, plus particulièrement elles soulèvent les points suivants :

-      L'enquête de la Commission rencontre-t-elle les exigences de l'équité procédurale?

-      Était-il raisonnable pour la Commission de se fonder sur un règlement hors cour intervenu entre un syndicat et une entreprise afin de justifier le rejet de la plainte individuelle déposée par un membre de ce syndicat à l'encontre de la même entreprise?

ANALYSE

[31]            La préoccupation principale sous-jacente à l'ensemble de la présente demande est la suivante : le règlement conclu entre Bell Canada et l'ACET quant à la plainte de discrimination systémique faite par cette dernière ne règle pas le cas de la discrimination dont la demanderesse prétend avoir été victime dans sa plainte individuelle.

[32]            Bien que je convienne que le fait qu'un règlement fut conclu ne permet pas de conclure automatiquement que la plainte de la demanderesse doit être rejetée, je ne suis néanmoins pas persuadée que l'enquête de la Commission, ainsi que la décision qui en a découlé comportaient des lacunes. Au contraire, pour les motifs qui suivent, selon moi, la Commission était en position de conclure qu'il n'y avait pas lieu de faire une autre enquête compte tenu de « toutes les circonstances » , dont le règlement en question constituait un élément important.

1. Les exigences de l'équité procédurale

[33]            Les questions d'équité procédurale ne visent pas le résultat obtenu ou la décision faisant l'objet du contrôle judiciaire mais plutôt le processus suivi pour y arriver. Par conséquent, elles ne font pas intervenir l'approche pragmatique et fonctionnelle (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249). Ce que l'équité procédurale exige dans un contexte particulier doit plutôt être évalué en tenant compte de facteurs multiples (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817) et la Cour doit décider si ce seuil a été atteint.

[34]            Dans Baker, ibid., la Cour suprême du Canada a décrit les facteurs qui sont pertinents quant à la détermination du contenu de l'obligation d'équité procédurale. Ces facteurs sont les suivants : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l'organisme; (3) l'importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; (5) les choix de procédure que l'organisme fait lui-même.

[35]            L'objet du régime législatif consiste essentiellement en la protection de l'égalité en éliminant les pratiques discriminatoires fondées sur un motif illicite comme le sexe; la Loi prévoit également expressément ce qui suit : « Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes » (voir l'article 2, les paragraphes 3(1) et 11(1) de la Loi).

[36]            La Commission possède une grande discrétion mais dans la mesure où elle estime qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire, elle est tenue de statuer sur toute plainte dont elle est saisie (voir les paragraphes 40(1) et 41(1) de la Loi).

[37]            Ce faisant, la Commission peut nommer un enquêteur ayant le pouvoir de faire un examen approfondi et de faire rapport sur le bien-fondé de chaque plainte (voir le paragraphe 43(1) de la Loi). De toute évidence, en supposant qu'une plainte donnée n'est pas frivole, n'a pas été déposée après l'expiration d'un délai ou pourrait avantageusement être instruite selon des procédures prévues par une autre loi fédérale (voir le paragraphe 41(1) de la Loi), le plaignant est en droit de s'attendre à ce que sa plainte soit examinée et enquêtée soigneusement.

[38]            En d'autres mots, l'équité procédurale exige que la Commission mène son enquête de manière neutre et rigoureuse (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), conf. (1996), 205 N.R. 383 (C.A.)). L'argument fondé sur l'équité procédurale de la demanderesse repose uniquement sur ce point[1].

[39]            La demanderesse s'appuie principalement sur un rapport d'un enquêteur (pièce P-14) daté du 14 novembre 1995, dans lequel on a conclu qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve de discrimination fondée sur le salaire contre certains groupes d'employés, notamment le groupe auquel appartient la demanderesse, pour recommander qu'un tribunal soit constitué afin de régler les diverses plaintes, individuelles et systémiques, déposées contre Bell.

[40]            À la suite du règlement conclu en 2002 entre l'ACET et Bell, la demanderesse soutient que rien n'a été fait afin d'évaluer valablement si les questions soulevées dans sa plainte individuelle avaient été traitées dans ce règlement. Par conséquent, selon la demanderesse, l'enquête ne peut pas être qualifiée de rigoureuse.

[41]            Cette première prétention n'est pas fondée selon moi.

[42]            Tout d'abord, le contenu de l'obligation d'équité procédurale dépend du contexte et comporte un équilibre entre des intérêts opposés. Le degré de rigueur de l'enquête auquel on peut s'attendre doit par conséquent être apprécié en regard de l'efficacité administrative et des préoccupations d'efficacité. Le juge Nadon, maintenant juge à la Cour d'appel fédérale, a fait valoir ce qui suit dans Slattery, précitée, à la page 600 :

Pour déterminer le degré de rigueur de l'enquête qui doit correspondre aux règles d'équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu: les intérêts respectifs du plaignant et de l'intimé à l'égard de l'équité procédurale, et l'intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif. En réalité, l'extrait suivant de l'ouvrage Discrimination and the Law du juge Tarnopolsky (Don Mills: De Boo, 1985), à la page 131, semble aussi s'appliquer à la détermination du degré de rigueur nécessaire pour l'enquête:

[Traduction] Avec la lourde charge de travail qui est imposée aux Commissions et la complexité croissante des questions de droit et de fait en cause dans bon nombre des plaintes, ce serait se condamner à un cauchemar administratif que de tenir une pleine audience orale avant de rejeter une plainte que l'enquête a estimée ne pas être fondée. D'autre part, la Commission ne devrait pas évaluer la crédibilité lorsqu'elle prend ces décisions, et elle devrait être consciente du simple fait que le rejet de la plupart des plaintes entraîne la perte de tous les autres moyens de réparation légale pour le préjudice que la personne invoque.

Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l'égard des activités d'appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.

[43]            Rien n'indique que des éléments de preuve importants ont été ignorés ou que des omissions importantes ont été faites au cours de l'enquête menée dans la présente instance. Rien n'indique également que la demanderesse s'est vu priver de la possibilité de présenter des observations ou d'être informée de la substance de la défense de l'intimé, ce qui est également exigé par l'équité procédurale dans l'enquête (Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.)).

[44]            Point plus important, la substance de la plainte de la demanderesse n'a simplement pas été écartée. Au contraire, la plainte de la demanderesse a été suspendue en 1996, sans protestation de sa part, en attendant que soit tranchée la plainte de l'ACET, parce que les questions en litige se recoupaient : le coeur de chaque enquête (du moins en ce qui concerne la situation de la demanderesse) comportait une comparaison entre les salaires gagnés par le groupe d'employés à prédominance féminine de la demanderesse et les salaires gagnés par un groupe d'employés à prédominance masculine accomplissant des tâches équivalentes. Cela n'a pas changé entre 1996 et la date du règlement en 2002. Bien que peut-être loin d'être idéale d'un point de vue de règlement de plainte, la présumée interruption de six ou sept ans de l'enquête sur la plainte de la demanderesse n'a pas, selon moi, compromis la substance de l'enquête.    

[45]            Néanmoins, à la suite du règlement, une enquête ultérieure a été effectuée en rapport avec les plaintes individuelles pendantes (notamment la plainte de la demanderesse). Le rapport de cette enquête (pièce P-27) reflète clairement l'opinion de l'enquêteur que les questions soulevées dans la plainte de la demanderesse étaient les mêmes que celles soulevées dans la plainte de l'ACET, et, en vertu de ce règlement, la plainte de la demanderesse s'est donc trouvée à être réglée :

Les plaignant(e)s sont tous membres de l'ACET. Les plaintes d'ordre systémique X00344, X00372, X00417, X00460 et X00469, renvoyées au Tribunal par la Commission canadienne des droits de la personne pour enquête, traitaient du même sujet que les plaintes individuelles.

Le 22 octobre 2002, l'ACET a retiré ses plaintes d'ordre systémique après qu'un règlement ait été obtenu avec le mis en cause, Bell Canada. Le règlement stipule que chaque plaignant(e) individuel(le) reçoit un paiement additionnel de 2 000 $. Par conséquent, les plaintes individuelles qui portaient sur le même sujet ont été résolues.

[46]            Selon moi, il est impossible de prétendre que l'enquête a manqué de rigueur dans ces circonstances. Obliger la Commission à enquêter et à faire rapport sur chaque plainte individuelle reviendrait à sacrifier entièrement les intérêts de l'efficacité administrative, compte tenu de la conclusion de la Commission que le bien-fondé des plaintes individuelles a été traité dans le cadre de la plainte de l'ACET. La demanderesse peut mettre en doute le caractère raisonnable de cette conclusion, mais le présent argument fondé sur l'équité procédurale doit être rejeté.

2. Le caractère raisonnable de la décision

[47]            En rejetant la plainte de la demanderesse, la Commission a invoqué le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, lequel est ainsi libellé :

44. (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

[...]

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

[...]

44. (3) Receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

[...]

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

[48]            Cette disposition confère un vaste pouvoir discrétionnaire à la Commission et l'importance de cette fonction d'examen quant à l'intégrité du régime législatif dans son ensemble est bien établie (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; Bell Canada, précité). Malgré tout, Il n'existe pas de clause privative mettant à l'abri les décisions rendues en vertu du paragraphe 44(3), et, en l'espèce, le rejet de la plainte par la Commission était fondé sur une conclusion mixte de droit et de fait, c'est-à-dire la conclusion quant à savoir si les questions soulevées dans la plainte de la demanderesse étaient les mêmes que celles traitées dans le contexte de la plainte de l'ACET et de son règlement ultérieur. Donc, selon moi, la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[49]            La Cour d'appel fédérale ainsi que notre Cour, sauf en de très rares cas, ont appliqué cette norme à de nombreuses occasions aux décisions rendues en vertu de l'alinéa 44(3)b) : voir Gee c. Canada (Ministre du Revenu national), [2002] A.C.F. no 12 (C.A.F.); MacLean c. Marine Atlantic Inc., [2003] A.C.F. no 1854 (QL); Doucet c. Byers Transportation System Inc., [2005] A.C.F. no 974 (QL); Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 514 (QL); a contrario McConnell c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2004] A.C.F. no 1005 (QL).

[50]            En l'espèce, la Commission a fondé sa décision sur les considérations suivantes :

·         que les plaintes déposées par l'Association canadienne des employés de téléphone (ACET) contre Bell Canada au nom de ses membres et en votre nom, portaient sur la discrimination salariale systémique au sein de Bell Canada;

·         que les plaintes systémiques de l'ACET portaient sur les questions soulevées dans vos plaintes;

·         que vos plaintes pouvaient bénéficier de l'enquête sur les plaintes systémiques de l'ACET entreprise en 1996, et qui s'est poursuivie jusqu'à ce qu'un règlement intervienne; et que pour cette raison vos plaintes ont été laissées en suspens;

·         que de façon inattendue et sans la participation de la Commission canadienne des droits de la personne, l'ACET et Bell Canada ont conclu un règlement extra judiciaire pour résoudre les plaintes systémiques;

·         qu'une majorité écrasante des membres de l'ACET a approuvé le règlement lors d'un vote de ratification;

·         que vous recevrez au moins 2000 $ aux termes du règlement; et

·         que des observations écrites ont été reçues des parties au dossier.

[51]            La demanderesse a fait valoir qu'un bon nombre de ces considérations illustraient pourquoi la Commission a commis une erreur dans sa décision. Le coeur de la prétention de la demanderesse est que la plainte individuelle de la demanderesse n'a pas été traitée dans le règlement qui a été conclu et que, par conséquent, la décision de la Commission reposait sur une considération non pertinente et ne peut donc résister à la norme de contrôle.

[52]            Je ne souscris pas à cette opinion.

[53]            Il est clair que la Commission a le droit d'examiner les conditions d'un règlement en arrivant à une décision en vertu de l'alinéa 44(3)b) (Garnhum c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Canada (Forces armées canadiennes), [1996] A.C.F. no 1254 (QL)). Le régime législatif, en fait, envisage clairement cela[2].

[54]            La prise en compte du règlement dans le cadre du rejet de la plainte de la demanderesse, n'équivaut toutefois pas, selon moi, à décider ce qui constitue une indemnisation adéquate pour chaque personne, question qui, selon la demanderesse, ne peut être décidée que par un tribunal. Une décision juridique quant à l'indemnisation qui est due ne peut résulter que d'un jugement rendu par un tribunal que la plainte était fondée (voir paragraphe 53(2) et article 54 de la Loi), et, en raison du règlement, un tel jugement n'a jamais été rendu en l'espèce.

[55]            L'existence du règlement peut servir cependant à étayer la thèse selon laquelle une enquête plus approfondie n'est pas justifiée. Le fait qu'environ 75 % des employés visés par la plainte systémique de l'ACET aient voté en faveur de la ratification des conditions du règlement témoigne de son caractère raisonnable.

[56]            La demanderesse affirme essentiellement que les conditions du règlement ne sont peut-être pas raisonnables dans son cas. Toutefois, rien n'indique que les circonstances ou les allégations particulières soulevées par la plainte individuelle de la demanderesse la distinguent des plaintes traitées dans le cours de l'enquête sur la plainte de l'ACET et de son règlement.

[57]            Au contraire, comme les catégories d'employés auxquelles la demanderesse et les autres plaignantes individuelles appartenaient ont été inclus dans la dernière plainte, la constitution d'autres tribunaux ou d'un autre tribunal pour entendre les 62 plaintes individuelles aurait entraîné la tenue d'audiences qui auraient repris la même preuve, requis les même témoignages d'experts et soulevé les mêmes questions de fait et de droit que les plaintes de l'ACET, retirées le 22 octobre 2002, six ans après avoir été référées au tribunal. Bref, il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle la demanderesse ou un groupe particulier d'employés ont été complètement exclus ou tenus à l'écart du processus relatif aux plaintes (a contrario Alliance de la fonction publique, précité).

[58]            Si on tient compte de la seule complexité des questions de discrimination fondées sur le salaire et des ressources affectées à l'enquête dans la plainte systémique de l'ACET, je conclus que la Commission a établi un juste équilibre entre l'intérêt du public dans le maintien d'un système administratif viable et efficace et la nécessité que les personnes voient leurs plaintes examinées avec soin, ce que la Commission est tenue de faire (Garnhum, précitée; Gee, précité). Et, à défaut de considérations distinguant la plainte de la demanderesse de la plainte de l'ACET, laquelle fut notamment déposée au nom de son groupe d'employés, il est tout simplement illogique de prétendre que la Commission a mal exercé son vaste pouvoir discrétionnaire en décidant qu'il n'y avait pas lieu de faire une autre enquête compte tenu de « toutes les circonstances » .

[59]            Il n'y a donc aucun motif qui justifierait l'intervention de cette Cour puisque la décision n'est pas déraisonnable, c'est-à-dire qu' « aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphe 55).

[60]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-170-03

INTITULÉ :                                        Elizabeth Buchanan

                                                            et

                                                            Bell Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 21 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

   ET ORDONNANCE:                     Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 juillet 2005

COMPARUTIONS:

Me Richard Letendre                                                 POUR DEMANDERESSE

Me Suzanne Thibaudau                                            POUR DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

383 boul. Cartier Ouest

Laval (Québec)

H7N 2K5                                                                     POUR DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                                     POUR DÉFENDERESSE



[1] Bien que la demanderesse ait prétendu que ces deux critères n'ont pas été satisfaits, sa véritable préoccupation est liée à un manque de preuve ou d'évaluation quant à savoir si l'essence de sa plainte individuelle avait été traitée dans le règlement, en d'autres mots, si l'enquête avait été rigoureuse.

[2] L'article 48 prévoit la présentation des conditions de règlement à la Commission.

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