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     IMM-3689-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 JUILLET 1997

DEVANT : LE JUGE CULLEN

ENTRE

     AUSTEN MICHAEL,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     SUR DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu, le 23 septembre 1996, que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ QUE l'affaire soit déférée à un tribunal composé de membres différents pour réexamen.

     "B. Cullen"

     Juge

Traduction certifiée conforme     

     C. Delon, LL.L.

     IMM-3689-96

ENTRE

     AUSTEN MICHAEL,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après appelée le "tribunal"] a conclu, le 23 septembre 1996, que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

     Le requérant sollicite une ordonnance annulant la décision du tribunal. Il sollicite également une ordonnance déclarant qu'il est un réfugié au sens de la Convention ou, subsidiairement, déférant l'affaire à un tribunal composé de membres différents pour nouvelle audience.

LES FAITS

     Le requérant est un citoyen nigérian qui est arrivé au Canada en 1991. Quelques jours après son arrivée, il a revendiqué le statut de réfugié.

     À l'audience visant à déterminer son statut, le requérant a témoigné que parce qu'il était membre de l'Église baptiste au Nigéria, son père, qui est un ministre de l'Église, et lui ont été persécutés par les musulmans du nord et que les autorités ont fermé les yeux ou qu'elles ont participé à la persécution. Le requérant a témoigné que son père était décédé en 1991 par suite des blessures subies lorsqu'il avait été persécuté.

     Le tribunal n'a pas cru plusieurs faits importants se rapportant à la revendication du requérant. Premièrement, le tribunal n'a pas cru que le requérant avait participé à une émeute religieuse à Kaduna, parce que ce dernier n'avait même pas pu répondre à des questions fondamentales au sujet de la ville dans laquelle l'émeute avait censément eu lieu. L'intimé concède que le tribunal a commis une erreur en concluant que le requérant s'était contredit en témoignant au sujet du lieu de l'émeute. Le requérant signale de nombreux exemples, dans la transcription de l'audience, démontrant qu'il avait de fait répondu à de nombreuses questions au sujet de Kaduna.

     Deuxièmement, le tribunal n'a pas cru le requérant lorsqu'il a témoigné avoir entendu à la radio, en 1990, des annonces dans lesquelles son nom et celui de son père étaient mentionnés. À ce sujet, le tribunal s'était principalement fondé sur la preuve selon laquelle des licences de radiodiffusion n'avaient été délivrées qu'en 1994 et sur le fait que le requérant n'avait pas donné d'explications convaincantes à cet égard. Toutefois, la preuve documentaire citée par le tribunal à l'appui de cette conclusion n'a rien à voir avec la question des licences de radiodiffusion.

     Troisièmement, le tribunal n'a pas retenu l'explication que le requérant avait fournie au sujet du fait que, dans son FRP, il n'avait pas mentionné qu'il avait été arrêté et détenu. Toutefois, la lecture du FRP du requérant révèle qu'il a de fait mentionné, quoique dans un anglais médiocre, que l'État l'avait cherché et arrêté.

     Enfin, le tribunal n'a pas cru que les cicatrices du requérant, qui pouvaient montrer qu'il avait été battu avec Koboko, étaient attribuables au mauvais traitements qui lui avaient été infligés pendant sa détention. Le tribunal n'a pas cru le requérant parce que ce dernier avait initialement témoigné qu'il n'avait jamais été battu ou torturé, et qu'il a ensuite témoigné qu'il avait été battu avec Koboko. L'intimé concède maintenant que le requérant ne s'est pas contredit à ce sujet en témoignant qu'il avait été maltraité pendant sa détention.

     Compte tenu des conclusions susmentionnées, le tribunal a conclu que le requérant n'était pas digne de foi et qu'il avait inventé l'histoire.

ANALYSE

1.      L'incident de l'annonce à la radio

     En ce qui concerne la première conclusion défavorable se rapportant à la crédibilité, il m'est difficile de retenir la conclusion du tribunal selon laquelle, parce qu'aucune licence de radiodiffusion n'avait été délivrée avant 1994 dans la région où il vivait, le requérant ne pouvait pas avoir entendu des émissions dans lesquelles son nom et celui de son père avaient été mentionnés. La preuve documentaire relative aux licences de radiodiffusion ne se rapporte qu'à la radiodiffusion autorisée. La possibilité d'une radiodiffusion non autorisée n'est pas analysée.

     De plus, la preuve documentaire citée par le tribunal ne parle même pas de la question de la radio ou des licences. Le critère qui s'applique au contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal spécialisé comme celui qui est ici en cause est de savoir si la conclusion du tribunal peut être étayée par la preuve dont il dispose. La preuve citée par le tribunal n'étaye pas sa conclusion. Le problème qui se pose en l'espèce est peut-être attribuable à une erreur de rédaction, auquel cas la Cour ne doit pas intervenir relativement à cette partie de la décision. Toutefois, si la chose n'est pas attribuable à pareille erreur, cette partie de la décision est manifestement déraisonnable.

2.      L'arrestation et la détention alléguées

     Il serait raisonnablement loisible au tribunal de faire des inférences défavorables au sujet du fait que, dans son FRP, le requérant a omis de mentionner qu'il avait été arrêté et détenu. Normalement, cette cour doit faire preuve de retenue judiciaire envers le tribunal à cet égard.

     Toutefois, il m'est difficile de conclure que le requérant a omis ces points importants lorsqu'il en est clairement fait mention dans son FRP :

     [TRADUCTION]

     Les autorités sont ensuite venues me chercher et m'arrêter [...]         
     Étant donné que les autorités m'ont cherché et arrêté à cause d'une déclaration que je n'avais jamais faite [...]         

À mon avis, cela montre que, pendant l'audience relative au statut de réfugié, le requérant n'a pas inventé une histoire au sujet de son arrestation et de sa détention. Par conséquent, la conclusion tirée par le tribunal n'est pas fondée sur les faits. Une conclusion relative à la crédibilité qui n'est pas étayée par les faits ne saurait tenir.

3.      Le comportement du requérant et les réponses contradictoires

     Étant donné qu'il a la possibilité d'observer les témoins, le tribunal est particulièrement bien placé pour déterminer si les gens qui se présentent devant lui sont dignes de foi. L'appréciation du comportement peut être cruciale, lorsque le tribunal tire une conclusion au sujet de la crédibilité.

     En l'espèce, une conclusion défavorable a été tirée au sujet de la crédibilité parce que, dans son témoignage, le requérant se contredisait et parce que le tribunal croyait que le requérant inventait les réponses au fur et à mesure qu'il témoignait. Le tribunal a également dit que le requérant était sur ses gardes et ignorant lorsqu'il s'est agi de répondre à des questions fondamentales de géographie au sujet de la ville dans laquelle il habitait. C'est en se fondant sur diverses conclusions de fait que le tribunal a conclu que le revendicateur n'était pas digne de foi.

     L'intimé concède que, dans au moins deux cas, le tribunal a commis une erreur en concluant que le requérant s'était contredit. En premier lieu, le tribunal a commis une erreur au sujet de la partie du témoignage dans laquelle le requérant décrivait le lieu d'une croisade et, en second lieu, au sujet de la partie du témoignage dans laquelle le requérant déclarait avoir été maltraité pendant qu'il était détenu.

     Il s'agit de deux événements cruciaux, en ce qui concerne la revendication du requérant, que le tribunal a pour une raison quelconque mal compris. Il est donc fort probable que la décision du tribunal, qui est fondée sur pareilles conclusions, ne puisse tenir.

CONCLUSION

     Le tribunal a rejeté la revendication du requérant principalement à cause des conclusions défavorables qu'il avait tirées au sujet de la crédibilité. Les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence du tribunal en sa qualité de juge des faits relativement aux revendications visées par la Loi sur l'immigration.

     Les conclusions défavorables relatives à la crédibilité étaient fondées sur les éléments suivants :

     1) Le requérant a témoigné que son nom et celui de son père avaient été mentionnés à la radio en 1990 [ci-après appelé l'"incident de l'annonce à la radio"]. Le tribunal a rejeté ce témoignage parce qu'il avait à sa disposition une preuve documentaire montrant qu'aucune licence de radiodiffusion n'avait été délivrée avant 1994. De plus, le requérant ne se souvenait pas de la fréquence de la station radiophonique qu'il écoutait en 1990.

     2) Le requérant a omis de mentionner son arrestation et sa détention alléguées dans son Formulaire de renseignements personnels [ci-après appelé le "FRP"]. Le requérant avait plusieurs avocats, qui auraient pu communiquer ces renseignements pertinents au tribunal avant l'audience.

     3) Le requérant hésitait souvent ou s'arrêtait avant de répondre aux questions. Ses réponses n'étaient pas spontanées. Le tribunal dit que le requérant était sur ses gardes et il dit que les réponses qu'il a données à des questions cruciales étaient improvisées ou contradictoires.

     L'affaire porte sur la question de crédibilité; or, cette cour hésite normalement à intervenir lorsqu'un tribunal rend une décision dans son champ de spécialité. Le requérant a révélé plusieurs conclusions de fait erronées qui sous-tendent la conclusion défavorable que le tribunal a tirée au sujet de la crédibilité. L'intimé répond que ces conclusions de fait erronées ne sont pas pertinentes, parce que le tribunal n'a pas cru que l'incident crucial invoqué à l'appui de la revendication s'était produit.

     Je rejette les arguments que l'intimé a invoqués au sujet de l'importance à accorder aux conclusions de fait erronées que le tribunal a tirées. Je rejette ces arguments parce que le tribunal s'est fondé sur ces faits pour conclure que le requérant s'était contredit ou que ses réponses étaient vagues. Ces conclusions ont sans aucun doute influencé le tribunal lorsqu'il a tiré une conclusion défavorable au sujet du comportement du requérant. Cela montre que la conclusion que le tribunal a tirée au sujet du comportement du requérant n'est peut-être pas fondée. Cela veut dire que la conclusion que le tribunal a tirée au sujet de la crédibilité du requérant n'est peut-être pas fondée elle non plus.

     Cette affaire est difficile à apprécier sur la seule base des observations écrites. Elle pourrait être tranchée dans un sens ou dans l'autre. Il est possible de conclure d'une façon préliminaire que, compte tenu des erreurs commises par le tribunal, il est difficile de se fier pleinement à la conclusion tirée par celui-ci. J'hésite énormément à intervenir lorsqu'un tribunal tire des conclusions au sujet de la crédibilité, mais je crois que l'affaire devrait être déférée à un tribunal composé de membres différents pour nouvel examen.

     "B. Cullen"

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 2 juillet 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-3689-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      AUSTEN MICHAEL
                     ET
                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 26 juin 1996

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      du juge Cullen en date du 2 juillet 1997

ONT COMPARU :

     Wendy Lack

     Michael Crane,                      pour le requérant     

     Jeremiah Eastman,                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Wendy Lack

     Michael Crane                      pour le requérant

     Toronto (Ontario)

     George Thomson                      pour l'intimé

     Sous-procureur général du Canada


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