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Date : 20231215


Dossier : IMM-4202-22

Référence : 2023 CF 1704

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

YANG LI

ZHONGZHUANG YU

JUNDI YU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont Yang Li, son mari et leur enfant. Mme Li, la demanderesse principale, a fait une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs autonomes en raison de son expérience de travail en tant que réviseure et de son projet de travailler comme réviseure à son compte au Canada. Un agent d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« l'agent ») a refusé sa demande le 6 mars 2022 parce qu'il a conclu que la demanderesse n'était pas une « travailleu[se] autonome » au sens du paragraphe 88(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

[2] Mme Li demande le contrôle judiciaire de ce refus. Les parties sont d'accord que l'agent a limité de manière déraisonnable son analyse à une seule des façons dont un demandeur pourrait avoir l'« expérience utile » définie au paragraphe 88(1) du RIPR. Cette question s'est aussi présentée dans la décision Zhang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2019 CF 764.

[3] Le ministre soutient que l'erreur relative à l'« expérience utile » n'est pas déterminante, parce que l'agent a aussi conclu que Mme Li ne satisfaisait pas aux deux autres exigences pour être admissible dans cette catégorie, soit d'être en mesure de contribuer de manière importante à des activités économiques et d'être travailleuse autonome au Canada. Mme Li soutient que l'erreur de l'agent quant à son respect du critère de l'« expérience utile » est cruciale pour le reste de l'analyse de l'agent des deux autres exigences de la catégorie. Subsidiairement, Mme Li soutient que l'examen de l'agent des deux autres exigences est aussi déraisonnable parce qu'il a mal interprété les observations et les éléments de preuve pertinents et n'en a pas tenu compte.

[4] Je ne suis pas d'accord qu'en principe, lorsqu'un agent fait une erreur lors de l'examen du critère de l'« expérience utile », qui est l'un des trois critères à remplir pour être admissible à ce programme, il s'ensuit nécessairement que les analyses des deux autres exigences sont déraisonnables et que la décision doit être renvoyée pour un nouvel examen. J'ai examiné les motifs de l'agent pour les trois critères d'admissibilité.

[5] Je conclus que la décision de l'agent concernant la capacité de Mme Li à contribuer de manière importante à des activités économiques et à être travailleuse autonome est déraisonnable. La décision de l'agent sur ces deux critères ne tient pas compte des observations et des éléments de preuve au dossier, y compris les antécédents de travail autonome de Mme Li et la nature du travail qu'elle se propose d'accomplir au Canada.

[6] Pour les motifs suivants, j'accueille la demande de contrôle judiciaire.

II. Question en litige et norme de contrôle

[7] La seule question en litige du présent contrôle judiciaire est l'évaluation par l'agent de l'admissibilité de Mme Li au programme des travailleurs autonomes au titre du paragraphe 88(1) du RIPR. Les parties soutiennent — et je suis d'accord avec elles — que je dois examiner la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable. Dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), la Cour suprême du Canada décrit une décision raisonnable comme étant « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [qui] est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). Les décideurs administratifs doivent s'assurer que l'exercice de leur pouvoir public est « justifié, intelligible et transparent non pas dans l'abstrait, mais pour l'individu qui en fait l'objet » (Vavilov, au par. 95).

III. Analyse

[8] Les paragraphes 100(1) et 88(1) du RIPR établissent les critères de la catégorie des travailleurs autonomes. Pour être considéré comme travailleur autonome selon la définition établie dans le RIPR, l'étranger doit répondre à ces trois critères :

  1. il a l'expérience utile définie au paragraphe 88(1);

  2. il a l'intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada;

  3. il a l'intention et est en mesure de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[9] Le paragraphe 88(1) du RIPR définit plus précisément ce qui constitue de l'« expérience utile » pour un demandeur qui fait une demande en tant que « travailleur autonome ». Comme expliqué précédemment, les deux parties sont d'accord que l'agent a limité de manière déraisonnable son analyse de l'expérience utile. Malgré des observations ciblées sur cette question, l'agent a notamment omis de considérer l'admissibilité de la demanderesse conformément aux divisions 88(1)(a)(i)(B) ou (C) du RIPR, à savoir si l'expérience de la demanderesse pourrait être considérée comme étant « à l'échelle internationale ».

[10] La question en litige entre les parties est l'évaluation par l'agent des exigences selon lesquelles un demandeur doit avoir l'intention et être en mesure d'être travailleur autonome au Canada et doit avoir l'intention et être en mesure de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[11] La preuve du succès antérieur de Mme Li en tant que réviseure à son propre compte en Chine est pertinente à ces deux critères (Safarzadeh c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2022 CF 589, au par. 9). Mme Li a déposé 126 pages de relevés bancaires et les a décrites comme preuve de son revenu en tant que travailleuse autonome. L'agent a déclaré que Mme Li n'avait pas fourni de [TRADUCTION] « preuve de revenus provenant de son travail comme travailleuse autonome ». Cette déclaration est erronée compte tenu de la preuve et des observations fournies par Mme Li à cet égard. Lors du contrôle judiciaire, le défendeur a fait des observations à propos de la nature des relevés bancaires, mais ce ne sont pas des questions soulevées par l'agent dans ses motifs. Dans les motifs de l'agent, il est clair que, selon lui, il n'y avait aucune preuve de revenus antérieurs découlant de travail autonome déposée avec la demande.

[12] Je conclus aussi que l'agent n'a pas vraiment tenu compte du fait qu'un aspect essentiel du projet de Mme Li d'être travailleuse autonome et d'apporter une contribution importante au Canada était de servir les auteurs sino-canadiens. L'agent a déclaré : [TRADUCTION] « Je conclus que les services de révision que [la demanderesse] a l'intention d'établir n'auront pas une grande influence et ne seront pas une contribution importante à une activité culturelle en Ontario. » De plus, à certains endroits de sa décision, l'agent laisse entendre que le travail de Mme Li profiterait à la Chine plutôt qu'au Canada. L'agent ne prend pas en compte l'argument de Mme Li selon lequel elle planifie tirer parti de ses relations continues avec les marchés chinois au profit de ses clients sino-canadiens en élargissant la portée de leurs oeuvres. Somme toute, l'analyse de l'agent ne prend pas en considération le fait qu'un élément clé du projet de Mme Li serait de servir les écrivains sino-canadiens.

[13] Aucune des préoccupations exprimées précédemment concernant la décision de l'agent ne peut être qualifiée d'erreur mineure. Je conclus que la décision de l'agent ne tient pas suffisamment compte de la preuve et des observations fournies par Mme Li sur les principaux éléments pertinents à l'évaluation de son admissibilité en tant que travailleuse autonome au sens du paragraphe 88(1) du RIPR. Pour cette raison, la décision doit être annulée et renvoyée pour un nouvel examen.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4202-22

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision d'IRCC du 6 mars 2022 est annulée et la demande est renvoyée pour un nouvel examen par un autre décideur.

  3. Il n'y a aucune question de portée générale à certifier.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4202-22

 

INTITULÉ :

YANG LI, ZHONGZHUANG YU, JUNDI YU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉoconfÉRENCE

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 15 JuIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 DÉcembRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Raymond Lo

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raymond Lo

Avocat

Richmond Hill (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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