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Date : 20230201


Dossier : T-189-19

Référence : 2023 CF 150

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Edmonton (Alberta), le 1er février 2023

En présence de madame la juge adjointe Catherine A. Coughlan

ENTRE :

PREVENTOUS COLLABORATIVE HEALTH

demanderesse

et

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS CONFIDENTIELS MODIFIÉS

I. Aperçu

[1] L’instance sur laquelle est fondée la présente requête concerne un recours en révision exercé en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information [la LAI]. La demanderesse sollicite une ordonnance interdisant au défendeur de communiquer un rapport de vérification la concernant ainsi que d’autres documents en réponse à une demande d’accès à l’information présentée par un demandeur au titre de la LAI.

[2] Dans la présente requête, la demanderesse sollicite une ordonnance établissant que trois catégories de documents (les documents demandés) sont utiles pour trancher les questions soulevées dans le recours en révision et exigeant la communication de ces documents par le défendeur en vertu de l’article 4 ou de l’article 313 des Règles des Cours fédérales [les Règles] ou en vertu de la compétence plénière qu’a la Cour fédérale de régir ses propres procédures.

[3] La demanderesse sollicite également une ordonnance l’autorisant à déposer un mémoire modifié des faits et du droit ainsi qu’un dossier modifié après la réception de tout document communiqué en réponse à la présente requête.

[4] Conformément à l’ordonnance de confidentialité rendue le 10 mai 2020, les parties ont déposé une version publique et une version confidentielle de leurs documents respectifs relatifs à la requête. Il convient de noter que, bien que la présente affaire ne concerne qu’un seul recours en révision, les documents relatifs à la requête déposés en l’espèce sont réputés avoir été déposés dans les dossiers de la Cour nos T‑190‑19 et T‑191‑19.

[5] La demanderesse soutient que les documents demandés sont pertinents pour l’instance, qu’ils sont en possession du défendeur et qu’ils ont trait à la question de savoir s’il est légal pour le défendeur d’avoir le rapport de vérification en sa possession. Selon la demanderesse, ce point est directement lié à la question qu’elle a soulevée dans le recours en révision afin de savoir si le rapport de vérification « relève » du défendeur pour l’application de la LAI.

[6] Le défendeur s’oppose à la requête et avance plusieurs arguments. Premièrement, il soutient que les documents demandés ne sont pas utiles pour trancher les questions soulevées dans le recours en révision parce que les affidavits qu’il a déposés et qui ont fait l’objet d’un contre-interrogatoire par la demanderesse répondent effectivement à la question de savoir si le rapport de vérification relève du Canada et s’il est en sa possession. Bref, le défendeur affirme que la demanderesse dispose de tous les documents dont elle a besoin pour faire valoir sa position. Deuxièmement, le défendeur affirme que la demanderesse n’a pas satisfait au critère relatif à l’établissement de la pertinence, c’est‑à‑dire qu’elle n’a pas démontré comment les documents demandés allaient directement ou indirectement faire avancer sa cause ou nuire à celle du défendeur. Enfin, le défendeur fait valoir que la présente requête n’est qu’une recherche à l’aveuglette de la part de la demanderesse.

I. Contexte procédural

[7] Dans la mesure où la présente requête constitue la troisième tentative de la demanderesse d’obtenir que la Cour ordonne la communication des documents demandés, un examen du long cheminement de la procédure s’impose.

[8] Le recours en révision sur lequel est fondée la requête a été exercé en vertu de l’article 44 de la LAI en vue de la révision d’une décision par laquelle la Division de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de Santé Canada a communiqué une version partiellement caviardée d’un rapport de vérification concernant la demanderesse en réponse à une demande d’accès à l’information. Comme il est indiqué ci‑dessus, des demandes similaires ont été déposées par deux autres personnes dans les dossiers de la Cour nos T‑190‑19 et T‑191‑19.

[9] En réponse à ces demandes, le défendeur a déposé deux affidavits souscrits le 16 juillet 2019 par Pamela Martin et Lisa Praine. Les 7 et 8 novembre 2019, la demanderesse a procédé au contre‑interrogatoire des deux déposantes. Au cours du contre‑interrogatoire, la demanderesse a demandé aux deux déposantes de s’engager à communiquer les documents demandés. Le défendeur s’y est opposé et la demanderesse a déposé une requête visant à obliger la communication des documents demandés.

[10] Dans cette requête, le défendeur a maintenu son opposition, en partie pour le même motif que celui pour lequel il s’oppose aujourd’hui à la production des mêmes documents, à savoir qu’ils ne sont pas utiles pour trancher les questions soulevées dans le recours en révision.

[11] Le 25 mars 2020, la juge adjointe Ring a rejeté la requête principalement au motif que ni les Règles ni la jurisprudence ne soutenaient l’affirmation de la demanderesse selon laquelle les déposantes étaient tenues de s’engager à produire les documents demandés. Il convient de noter, pour les besoins de la présente requête, que la demanderesse a avancé un argument subsidiaire selon lequel la Cour devrait obliger la communication des documents demandés en vertu de l’article 313 des Règles; il s’agit du même article que celui sur lequel la demanderesse s’appuie dans la présente requête.

[12] La juge adjointe Ring a rejeté l’argument de la demanderesse et a noté qu’il était [traduction] « prématuré pour la Cour de trancher la question de savoir si la demande du Canada est incomplète alors que ni l’une ni l’autre des parties n’a encore déposé son dossier de demande » (Preventous Collaborative Health v Canada (Health), 2020 CanLII 32965 (CF) au para 26).

[13] Par la suite, la demanderesse a présenté une autre requête en vue d’obtenir une ordonnance conformément à l’article 318 des Règles pour la transmission des documents demandés. Dans une ordonnance datée du 20 octobre 2020, la juge adjointe Ring a rejeté la requête, estimant que l’article 317 des Règles ne s’appliquait pas aux recours en révision prévus à l’article 44 de la LAI : Preventous Collaborative Health v Canada (Health), 2020 CanLII 103848 (CF). Au paragraphe 24 de son ordonnance, la juge adjointe Ring a noté que [traduction] « la LAI établit son propre processus de communication de documents à la Cour. En particulier, […] l’article 46 de la LAI dispose que la Cour a, pour les recours en révision prévus à l’article 44, accès à tout document auquel s’applique la partie I de la LAI et qui relève d’une institution fédérale ».

[14] La Cour fédérale a accueilli l’appel interjeté par la demanderesse à l’égard de l’ordonnance de la juge adjointe Ring et a ordonné la transmission des documents demandés en vertu de l’article 317 des Règles. En appel, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision relative à la transmission et a rétabli l’ordonnance de la juge adjointe Ring : Canada (Santé) c Preventous Collaborative Health, 2022 FCA 153 [Preventous].

[15] Dans son arrêt, la Cour d’appel fédérale a répété qu’un recours prévu à l’article 44 n’est pas un contrôle judiciaire, mais un nouvel examen de la question de savoir si les renseignements sollicités par le demandeur devraient être communiqués. Ce nouvel examen donne aux parties l’occasion de déposer un nouveau dossier de preuve et de présenter des observations à la Cour fédérale sur la communication des documents. En vertu de l’article 44.1 (récemment modifié), il est loisible à la Cour [traduction] « d’appliquer les dispositions de la Loi et la jurisprudence existante au dossier de preuve et de décider en fin de compte si les renseignements doivent être communiqués » (Preventous, au para 14).

[16] Pour plus de clarté, la Cour d’appel fédérale a donné des directives [traduction] « sur la façon dont le dossier de preuve doit être constitué […] dans les futurs recours prévus à l’article 44 » (Preventous, au para 16). Ces directives reconnaissent que l’article 44.1 est une procédure sommaire dans le cadre de laquelle [traduction] « les parties doivent travailler rapidement, avec diligence et en coopération, en communiquant les unes avec les autres pour déterminer comment elles peuvent ensemble veiller à ce qu’un dossier de preuve complet soit présenté à la Cour » (Preventous, au para 19).

[17] Renvoyant aux articles 4 et 313 des Règles ainsi qu’à la compétence plénière qu’a la Cour de régir ses propres procédures, le juge Stratas a recensé les ressources dont disposent les parties pour obtenir les éléments de preuve nécessaires à un examen sérieux. Dans ses observations écrites, la demanderesse s’appuie sur ces ressources pour tenter d’obtenir la communication des documents demandés.

A. Question en litige

[18] Dans le contexte procédural mentionné ci‑dessus, la seule question qui se pose dans la présente requête consiste à savoir si les documents demandés doivent être communiqués.

II. Analyse

[19] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue qu’il faille ordonner la communication des documents. La requête doit donc être rejetée. Il convient de noter que, compte tenu de la décision de la Cour concernant la requête, il n’a pas été nécessaire de renvoyer à des renseignements confidentiels ou de caviarder de tels renseignements dans la présente ordonnance.

[20] Comme il est indiqué dans la section relative à l’historique procédural de la présente ordonnance, il s’agit de la troisième tentative de la demanderesse pour obtenir la communication des documents demandés. L’article 44.1 est une procédure sommaire qui, comme l’a souligné le juge Stratas, doit être engagée rapidement. La raison est évidente : la LAI est une loi quasi constitutionnelle qui a pour objet « d’accroître la responsabilité et la transparence des institutions de l’État afin de favoriser une société ouverte et démocratique […] » (art 2(1) de la LAI). Il est évident que tant que l’instance demeure en suspens, le recours exercé par la demanderesse reste sans réponse.

[21] Le recours en révision a été exercé en janvier 2019, il y a environ quatre ans. L’historique procédural ne traduit aucun sentiment d’urgence. En effet, ce n’est que le 22 juin 2022, soit 18 mois après le dépôt de l’avis de recours en révision et 3 mois après l’ordonnance de la juge adjointe Ring du 25 mars 2020, que la demanderesse a signifié sa demande fondée sur l’article 317 des Règles. La Cour d’appel fédérale a rendu ses motifs de jugement le 6 septembre 2022, mais la présente requête n’a été déposée que le 4 novembre 2022, et seulement après que la Cour a demandé une mise à jour de l’état du dossier.

[22] Bien que la Cour d’appel fédérale ait refusé de se prononcer sur la question de savoir si les documents sont utiles pour trancher le recours exercé en vertu de l’article 44 et si la demanderesse a respecté les délais, elle a renvoyé la décision à notre Cour (Preventous, au para 22).

[23] Eu égard à l’ensemble des circonstances, je ne suis pas convaincue que la requête a été déposée dans les délais et je la rejetterais pour ce seul motif.

[24] Même si j’avais tort sur la question du respect des délais, je rejetterais tout de même la requête parce que je ne suis pas convaincue que les documents demandés sont utiles pour trancher le recours exercé en vertu de l’article 41.

[25] Les parties ont consacré une grande partie de leur argumentation dans leurs observations écrites au sens du verbe « relever de » et à la question de savoir si le rapport de vérification relève du défendeur pour ce qui est de sa communication à la demanderesse. Il s’agit de la question centrale du recours exercé en vertu de l’article 41 de la LAI, une question qui relève de la compétence du juge de première instance. Il ne s’agit pas d’une question que la Cour doit trancher ni d’une question se rapportant à la question de la communication.

[26] Pour les besoins de la présente affaire, les parties ont profité de l’occasion qui leur était présentée de déposer un nouveau dossier devant la cour de révision. Chaque partie a déposé des affidavits, des contre‑interrogatoires ont été menés et des dossiers ont été signifiés et déposés. En effet, une demande d’audience a été déposée par la demanderesse le 31 août 2020. Si la demanderesse affirme simplement que les documents demandés sont au cœur de son argument concernant la question de savoir s’il est légal que le rapport de vérification relève du défendeur, elle ne précise pas ce qui rend le dossier dont dispose actuellement la Cour lacunaire. Dans ses observations en réponse, la demanderesse a renvoyé à l’arrêt Canada (Bureau de la sécurité des transports) c Carroll‑Byrne, 2022 CSC 48, de la Cour suprême du Canada et a fait valoir que la preuve qui est essentielle à la résolution d’une question fondamentale de l’affaire doit être communiquée pour garantir un procès équitable. Je suis d’accord avec elle. Néanmoins, je ne suis pas convaincue, compte tenu des documents dont je dispose, que tous les éléments de preuve pertinents n’ont pas déjà été présentés à la Cour.

[27] Enfin, comme il est mentionné dans l’ordonnance du 20 octobre 2020 prononcée par la juge adjointe Ring, l’article 46 de la LAI prévoit que le juge de première instance a, pour les recours prévus à l’article 44, accès à tous les documents. Si le juge de première instance est convaincu que le dossier comporte des lacunes, le recours que peut exercer la demanderesse réside dans cet article.

III. Dépens

[28] Le défendeur demande les dépens afférents à la présente requête. Selon la règle générale, les dépens suivent l’issue de la cause. Étant donné qu’il a obtenu gain de cause dans la présente requête, le défendeur a droit aux dépens. En outre, puisque j’estime que la présente requête était tout à fait inutile, je fixe les dépens à 2 500 $, taxes et débours compris, à payer immédiatement par la demanderesse quelle que soit l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE MODIFIÉE dans le dossier T‑189‑19

LA COUR REND L’ORDONNANCE qui suit :

1. La requête de la demanderesse est rejetée.

2. La demanderesse doit payer au défendeur des dépens afférents à la requête de 2 500 $, taxes et débours compris.

« Catherine A. Coughlan »

Juge adjointe


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-189-19

 

INTITULÉ :

PREVENTOUS COLLABORATION HEALTH c CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À EDMONTON (ALBERTA) SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE ADJOINTE COUGHLAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 janvier 2023

 

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS :

LE 1er février 2023

COMPARUTIONS :

Gerald D. Chipeur, c.r.

D. Bronwhyn Simmons

 

Pour la demanderesse

 

Kerry E.S. Boyd

Andrew Cosgrave

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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