Date : 20240126
Dossier : IMM-2352-23
Référence : 2024 CF 132
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2024
En présence de madame la juge Turley
ENTRE : |
JIANRUI GE |
CHUNCHUN ZHENG |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT
I. Aperçu
[1] Les demandeurs sont des citoyens chinois qui sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté leurs demandes d’examen des risques avant renvoi [ERAR] présentées au titre de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[2] Comme l’a admis leur avocate, les demandeurs ne se sont pas présentés en vue de leur renvoi prévu le 1er avril 2023. Sur le fondement du principe de la conduite irréprochable, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de rejeter la présente demande sans statuer sur le fond de l’affaire.
II. Contexte
[3] Les demandeurs, un couple marié, craignent d’être persécutés en raison de leur appartenance alléguée à l’Église du Dieu tout-puissant [l’Église], une organisation religieuse illégale en Chine. Ils sont entrés au Canada en mars 2015 munis de visas de résidents temporaires. Ils ont ensuite déposé des demandes d’asile dans lesquelles ils alléguaient que leur maison-église avait fait l’objet d’une descente et qu’ils étaient recherchés en Chine par le Bureau de la sécurité publique chinois.
[4] En juillet 2015, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leurs demandes d’asile en raison de doutes liés à la crédibilité. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs n’étaient pas de véritables adeptes de l’Église et qu’ils ne seraient donc pas perçus comme tels par les autorités chinoises.
[5] En octobre 2022, les demandeurs ont déposé des demandes d’ERAR dans lesquelles ils affirmaient avoir continué à fréquenter l’Église en dépit du rejet de leurs demandes par la SPR. À l’appui de cette allégation, ils ont présenté de nombreux documents à titre de nouveaux éléments de preuve. L’agent a admis ces documents et en a tenu compte lorsqu’il a évalué les demandes d’ERAR des demandeurs.
[6] L’agent a rejeté les demandes d’ERAR des demandeurs dans sa décision du 26 janvier 2023. Il a reconnu que les documents sur la situation en Chine établissent que celle-ci est préoccupante pour les membres de l’Église, mais il a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve suffisante pour établir qu’ils en étaient membres.
[7] En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve, l’agent a généralement conclu qu’ils avaient peu de valeur probante pour ce qui est d’établir la foi des demandeurs. En fin de compte, l’agent a conclu que les éléments de preuve supplémentaires étaient insuffisants pour réfuter les conclusions de la SPR quant à la crédibilité des demandeurs.
[8] Le 16 mars 2023, les demandeurs ont été sommés de se présenter en vue de leur renvoi prévu le 1er avril 2023. Ils ont demandé à l’Agence des services frontaliers du Canada de reporter leur renvoi, mais cette demande a été rejetée. De plus, les demandeurs n’ont pas réussi à convaincre la Cour de suspendre leur renvoi en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.
[9] Les demandeurs ne se sont pas présentés à leurs tests de dépistage de la COVID-19 du 31 mars 2023 ni à leur renvoi prévu le 1er avril 2023.
III. Analyse
[10] Conformément au principe de la conduite irréprochable, la Cour peut refuser d’accorder une réparation de nature discrétionnaire en raison de la conduite d’un demandeur. Ce principe a été appliqué dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire, y compris en contexte d’immigration. En particulier, il est déjà arrivé que la Cour, comme en l’espèce, rejette la demande de contrôle judiciaire sans statuer sur le fond de l’affaire au motif que le demandeur ne s’est pas présenté en vue de son renvoi : Amorocho Sanabria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 803; Akinwumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1599 [Akinwumi]; Ngo Sen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 331 [Ngo Sen]; Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 779 [Wu].
[11] Afin de déterminer s’il y a lieu d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de rejeter la présente demande compte tenu du principe de la conduite irréprochable, je me fonde sur les principes pertinents énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14 [Thanabalasingham]. Il s’agit notamment des facteurs suivants : i) la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause; ii) la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable; iii) la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier; iv) l’importance des droits individuels concernés et les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée : Thanabalasingham, au para 10.
[12] L’avocate des demandeurs reconnaît que leur défaut de respecter l’issue de la requête en sursis ainsi que de se présenter en vue de leur renvoi constitue une inconduite grave. Comme l’a conclu la Cour, cette inconduite précise a des conséquences importantes sur le processus de renvoi et l’intégrité du système d’immigration : Ngo Sen, au para 27; Debnath c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 332 aux para 23-25.
[13] Il ne fait aucun doute non plus que le fait de dissuader ce type de conduite revêt une importance capitale lorsqu’il s’agit de veiller au bon fonctionnement du système d’immigration canadien : Ngo Sen, au para 28. Le juge Zinn a affirmé à juste titre que « [l]e fait de fermer les yeux sur l’inconduite des demandeurs envoie un mauvais message à ceux qui respectent et observent la loi, même lorsque leurs demandes n’ont pas abouti »
: Akinwumi, au para 14.
[14] L’avocate des demandeurs fait valoir que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et trancher la demande sur le fond compte tenu de la solidité de leur dossier. En plus de s’appuyer sur ses observations écrites et orales, l’avocate a fait référence à la décision rendue par la Cour concernant la requête en sursis, dans laquelle le juge Brown avait conclu que les demandeurs satisfaisaient au premier volet du critère, soit l’existence d’une question sérieuse à juger. Je ne suis pas convaincue que la conclusion relative à la requête en sursis démontre que le dossier des demandeurs est solide. En effet, comme le juge Brown l’a fait remarquer dans sa décision, le [traduction] « critère à remplir est peu exigeant »
lorsqu’il s’agit d’évaluer s’il existe une question sérieuse à trancher relativement à la demande sous-jacente : Ge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CanLII 24804 (CF) au para 5.
[15] Je ne suis pas convaincue que le dossier des demandeurs est solide. Le risque de préjudice auquel ils sont exposés a maintenant été évalué et rejeté par deux décideurs. La SPR a rejeté leur demande d’asile sur le fondement d’une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Ensuite, après avoir examiné les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs, l’agent d’ERAR a finalement conclu que ces éléments de preuve étaient insuffisants pour réfuter les conclusions de la SPR en matière de crédibilité.
[16] Il ressort clairement de la jurisprudence que, s’il est vrai qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions tirées par les décideurs concernant le caractère suffisant de la preuve, il n’en faut pas moins les expliquer, au vu des éléments de preuve figurant au dossier ou par la présentation de justifications : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 618 au para 35; Sarker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 154 au para 11; Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 au para 35. Le dossier montre que c’est exactement ce que l’agent a fait en l’espèce. Pour chacune des conclusions sur le caractère insuffisant de la preuve, l’agent a expliqué pourquoi l’élément de preuve en particulier avait peu de valeur probante ou pourquoi il lui accordait peu de poids.
[17] Les demandeurs contestent essentiellement la manière dont l’agent a soupesé la preuve qu’ils ont présentée. Cependant, la Cour suprême a clairement indiqué que le rôle de la cour de révision n’est pas d’apprécier la preuve à nouveau : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 125.
[18] Enfin, le fait que la demande sous-jacente soit dépourvue de fondement est également pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer les conséquences probables, pour les demandeurs, d’un maintien de la décision relative à l’ERAR : Ngo Sen, au para 31; Wu, au para 17. La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs n’étaient pas de véritables adeptes de l’Église et qu’ils ne seraient donc pas perçus comme tels par les autorités chinoises. Après avoir examiné tous les nouveaux éléments de preuve présentés, l’agent d’ERAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi, [traduction] « à l’aide d’une preuve suffisante, l’existence d’un lien direct ou personnel avec un risque de persécution, de torture ou d’autres traitements ou peines cruels et inusités de la part de représentants de l’État chinois »
: notes consignées au dossier par l’agent le 26 janvier 2023, à la p 8. La SPR et l’agent d’ERAR ont conclu que les demandeurs ne seraient pas personnellement exposés à un risque s’ils retournaient en Chine.
[19] Après avoir examiné les facteurs pertinents, je suis convaincue que la demande doit être rejetée compte tenu de l’inconduite commise par les demandeurs en omettant de se présenter en vue de leur renvoi.
[20] Les parties sont d’accord pour dire qu’il n’y a pas de question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2352-23
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Anne M. Turley »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-2352-23 |
INTITULÉ :
|
JIANRUI GE, CHUNCHUN ZHENG c LE MINISTRE DE LA CITOYENETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 23 janvier 2024
|
JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT : |
LA JUGE TURLEY
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LE 26 JANVIER 2024
|
COMPARUTIONS :
Anna Davtyan |
POUR LES DEMANDEURS |
Nimanthika Kaneira |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
EME Professional Corporation
Avocats
Thornhill (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |