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Date : 20231128


Dossier : T-1902-23

Référence : 2023 CF 1588

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 28 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Lafrenière

« RECOURS COLLECTIF — ENVISAGÉ »

ACTION

ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

ENTRE :

WINSTON E. GASKIN EN SON NOM, UNIQUE ACTIONNAIRE SURVIVANT, ADMINISTRATEUR ET DIRIGEANT DE STANDARD LAND COMPANY INC. (ET SES SOCIÉTÉS AFFILIÉES), ET YOLANDA T. ZEBKO D’IRVINE (CALIFORNIE), ASSOCIÉE DE WINSTON E. GASKIN, ET AU NOM DES « FAMILLES DE LA STANDARD LAND »

demandeurs

et

EDWARD ROGERS III, MELINDA ROGERS-HIXON, LA SUCCESSION DE FEU LORETTA ANNE ROGERS, ROGERS COMMUNICATIONS INC., « ROGERS COMMUNICATIONS (CANADA) INC. », ROGERS WIRELESS PARTNERSHIP, ROGERS COMMUNICATIONS PARTNERSHIP, FIDUCIE DE CONTRÔLE ROGERS, FIDUCIE FAMILIALE ROGERS, SES SOCIÉTÉS AFFILIÉES, ADMINISTRATEURS, FIDUCIAIRES, DIRIGEANTS, AGENTS ET AYANTS DROIT, ET AUTRES, AINSI QUE LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE ROGERS COMMUNICATIONS INC., SA CARGAISON ET SON FRET

défendeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, AGENCE DU REVENU DU CANADA, BUREAU DE LA CONCURRENCE CANADA ET TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE

tierces parties

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les présents motifs concernent une ordonnance rendue en vertu de l’article 74(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles), enjoignant aux demandeurs d’expliquer pourquoi la déclaration ne devrait pas être retirée du dossier de la Cour. Les motifs en l’espèce doivent être lus conjointement avec les motifs fournis dans une instance connexe : Gaskin c Canada, 2023 CF 1542 [Gaskin].

[2] En guise de contexte, un acte introductif d’instance, intitulé « Recours collectif — envisagé » et « Action réelle en matière d’amirauté », a été porté devant la Cour le 21 août 2023, conformément à l’article 72 des Règles, pour qu’elle donne des instructions quant à son dépôt en raison des nombreuses irrégularités relevées par le greffe, notamment :

  • (a)la déclaration a été déposée au nom d’un certain nombre de parties, mais elle n’était signée que par un seul demandeur, Winston E. Gaskin, qui n’est ni avocat ni représentant autorisé;

  • (b)les défendeurs énumérés dans l’intitulé comprennent les mots « et autres »;

  • (c)de nombreuses parties ont été nommées en tant que tierces parties, contrairement à l’article 193 des Règles, qui ne permet qu’au défendeur de mettre en cause une tierce partie.

I. Articles 72 et 74 des Règles

[3] Lorsque la Cour reçoit un document non conforme du greffe, deux phases d’examen lui sont ouvertes aux termes des articles 72 et 74 des Règles : Rock-St Laurent c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 192 au para 24.

[4] Selon l’article 72 des Règles, la Cour doit juger si la déclaration « n’est pas en la forme exigée par les présentes règles » ou si des « conditions préalables au dépôt n’ont pas été remplies ». Cet examen porte sur la forme et non sur le contenu. La Cour a ordonné au greffe d’accepter la déclaration pour dépôt malgré les irrégularités, car elle respectait en grande partie la formule 171A. Toutefois, l’affaire ne s’est pas arrêtée là.

[5] Comme il est expliqué aux paragraphes 15 à 20 de la décision Gaskin et à la suite des récentes modifications à l’article 74 des Règles, la Cour peut maintenant ordonner qu’un document soit retiré du dossier judiciaire au motif qu’il est scandaleux, frivole, vexatoire ou manifestement mal fondé (74(1)b)), ou qu’il constitue un abus de procédure (74(1)c)). L’ajout de ces nouveaux motifs donne à la Cour les outils nécessaires pour agir directement et rapidement à l’encontre d’une conduite dysfonctionnelle ou destructrice dans l’instance afin de « l’étouffer dans l’œuf ».

II. Acte de procédure des demandeurs

[6] Lorsque j’ai examiné l’acte de procédure sous l’angle de l’article 74 des Règles, j’ai senti que la déclaration relèverait des motifs de retrait d’un document visés aux alinéas b) et c) du paragraphe 74(1). Entre autres choses, il est demandé dans la déclaration l’autorisation :

  • (a)de modifier la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Gaskin à l’égard d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne dans le dossier de la Cour T-353-22 (la demande), en ce qui concerne sa plainte contre l’un des défendeurs nommés dans la présente instance, Rogers Communications Inc. (Rogers), afin d’en faire un recours collectif;

  • (b)d’ajouter des parties à la demande, y compris M. Gaskin [traduction]« en son nom, en tant que représentant du recours collectif et unique actionnaire survivant de Standard Land Company Inc. », ainsi que les sociétés filiales de Rogers et ses administrateurs, agents, dirigeants, sociétés affiliées et ayants droit;

  • (c)de modifier la demande pour inclure des renvois à des éléments de preuve documentaire dont la Commission canadienne des droits de la personne n’était pas saisie lorsqu’elle a rendu sa décision.

[7] À la lecture de la déclaration, les demandeurs semblaient utiliser l’instance pour indirectement obtenir une réparation qui devrait être sollicitée dans le cadre de la demande. Par l’ordonnance du 12 septembre 2023, ils se sont fait donner l’occasion, conformément au paragraphe 74(2) et à l’équité procédurale, de faire valoir pourquoi la déclaration ne devrait pas être retirée du dossier de la Cour (ordonnance de justification). Les demandeurs devaient aussi signifier aux défendeurs et aux tierces parties nommés une copie de la déclaration, de l’ordonnance de justification et de leurs observations écrites.

III. Observations des parties

[8] Par la suite, M. Gaskin a présenté plusieurs documents à la Cour par l’intermédiaire de divers bureaux locaux du greffe, y compris des documents concernant des questions soumises à la Cour d’appel fédérale. Le seul document qui semble avoir le moindre rapport avec l’ordonnance de justification est celui de 55 pages intitulé [traduction] « Observations justificatives », daté du 14 septembre 2023. Cependant, ce document est simplement un affidavit « attesté » par M. Gaskin le 13 septembre 2023 et dont le contenu n’a rien à voir avec l’affaire en l’espèce. Les observations ne font état d’aucun fondement étayant l’argument selon lequel la déclaration devrait rester dans le dossier de la Cour. Au contraire, par ces observations, M. Gaskin en réalité dépose à nouveau un affidavit irrégulier et des observations écrites irrégulières qu’il avait déjà tenté de déposer dans le dossier de la Cour nº A-194-23, dont le dépôt avait été refusé.

[9] Je note ici que la demande dans le dossier T-353-22 a été rejetée sans autorisation de modification ou de nouveau dépôt par ordonnance de la juge adjointe Catherine Coughlan, que l’appel de cette ordonnance a été rejeté par le juge Patrick Gleeson et qu’un nouvel appel a été interjeté par M. Gaskin devant la Cour d’appel fédérale dans le dossier A-194-23.

[10] Dans sa réponse à l’ordonnance de justification, Rogers soutient que la déclaration devrait être retirée du dossier de la Cour. Elle maintient que, dans l’année qui a suivi le dépôt de la demande dans le dossier T-353-22, M. Gaskin a adopté une conduite persistante, inappropriée et abusive. Elle prétend que, parmi d’autres actions inappropriées, M. Gaskin a tenté d’obtenir des mesures qui ne peuvent être accordées dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (telles que des dommages-intérêts, l’autorisation d’une instance comme recours collectif, etc.); a faussement accusé Rogers et son avocat de conduite inappropriée; a ignoré les Règles ainsi que les nombreuses ordonnances et directives au sujet de la demande; a refusé de payer les dépens adjugés contre lui. Dans le même ordre d’idées, M. Gaskin aurait tenté à plusieurs reprises, dès le début de l’instance, de signifier des documents irréguliers en violation d’une ordonnance selon laquelle il doit s’abstenir de signifier et de déposer des documents sans l’autorisation de la Cour. En plus des nombreuses requêtes demandant un large éventail de mesures, ces documents irréguliers comprennent huit (8) affidavits modifiés; six (6) avis de demande modifiés; trois (3) dossiers de demande modifiés; quatre (4) déclarations, sans compter la déclaration en l’espèce.

[11] Selon Rogers, la déclaration est une extension de la conduite abusive de M. Gaskin, qui est manifeste dans les dossiers T-353-22 et A-194-23. La conduite passée de M. Gaskin dans ces instances démontre qu’il n’a aucune intention de respecter les Règles, les directives et les ordonnances de la Cour.

IV. Analyse

[12] Bien que les observations de Rogers puissent être fondées, l’examen effectué au titre de l’article 74 des Règles n’est pas le mécanisme approprié pour déterminer si une partie est un plaideur vexatoire ou abusif. Une telle conclusion ne peut être tirée que conformément à l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7; mais aucune demande n’a été présentée en vertu de cet article et le procureur général du Canada n’y a pas donné son consentement. L’examen prévu à l’article 74 des Règles porte sur le bien-fondé du document en tant que tel.

[13] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la déclaration doit être retirée du dossier de la Cour, car elle est totalement dénuée de fondement, est fondamentalement vexatoire et constitue un abus de procédure.

[14] Dans la section sur les réparations demandées, au paragraphe 2 de la déclaration, les demandeurs réclament :

[traduction]

(i) « toutes mesures raisonnables que la Cour fédérale peut accorder »;

(ii) la restitution et la réparation proportionnelle complète;

(iii) 40 millions de dollars à titre de dommages-intérêts;

(v) les dépens dans la présente instance;

(vi) une injonction prévue aux articles 18.1, 18(1) et 18.3 conformément à l’avis de requête du demandeur daté du 18 novembre 2023;

vii) il est allégué que les actes, omissions et interférences des défendeurs dans la présente affaire ont contribué et causé aux demandeurs dans la présente affaire un traumatisme multigénérationnel, qui pourrait donner lieu à une indemnité sous forme de redevance.

[15] À titre d’exemple, au paragraphe 33, il est allégué que, [traduction] « sur une période prolongée de plus de sept ans, le défendeur a tenté de priver les demandeurs de la réparation qui leur est due par une conduite inique, qui comprend de la fraude anticipée, de l’inconduite délibérée, de la discrimination, de la dissimulation et des retards ». En outre, au paragraphe 95, il est allégué que [traduction] « le défendeur a commis des actes ou des omissions qui équivalent à de la conduite frauduleuse, de la négligence délibérée, de la préférence frauduleuse dans le cadre d’un stratagème et de la dissimulation de fraude en violation de la loi de 2003 sur la protection du consommateur (commerce équitable) [Consumer Protection (Fair Trading) Act, 2003] dans le cadre de la négociation, de l’administration et de la mise en œuvre des pratiques liées à son contrat-cadre de services ».

[16] Tout au long de la déclaration, il y a des références répétées au fait que le [traduction] « défendeur » ou les [traduction] « défendeurs » ont commis divers actes ou omissions en violation de [traduction] « règles, lois, codes et statuts » complètement distincts, y compris l’accord signé par le Canada, les États-Unis et le Mexique (en matière de commerce), la Bible et la Loi sur les épaves et les bâtiments abandonnés ou dangereux, LC 2019, c 1. Toutefois, d’après le contexte l’acte de procédure dans son ensemble, il est évident que Rogers est la cible du litige, vu les allégations de discrimination en violation des articles 5 et 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H‑6.

[17] Il est bien établi en droit qu’en l’absence d’une compétence précise conférée légalement à la Cour fédérale, un particulier ne peut faire valoir devant la Cour une réclamation contractuelle ou délictuelle contre un autre particulier afin d’obtenir réparation. Aucune des réparations sollicitées par les demandeurs ne peut être obtenue par une action devant la Cour. Par conséquent, l’instance est vouée à l’échec, car elle n’est d’aucune utilité.

[18] Je conclus également que l’acte de procédure constitue un abus de procédure. M. Gaskin admet ouvertement dans la déclaration que [traduction] « les faits de [l’]affaire sont liés aux faits du dossier T-353-22 de la Cour fédérale ». La présente instance est une attaque indirecte inappropriée des ordonnances rendues dans le cadre de la demande.

[19] En bref, la déclaration représente une autre tentative de la part de M. Gaskin de demander une réparation qu’il ne peut obtenir de la Cour et de contourner les ordonnances de la Cour.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-1902-23

LA COUR ORDONNE :

1. La déclaration est retirée du dossier de la Cour.

2. L’action est rejetée, sans autorisation de modification.

blank

« Roger R. Lafrenière »

blank

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1902-23

 

INTITULÉ :

WINSTON E. GASKIN EN SON NOM, UNIQUE ACTIONNAIRE SURVIVANT, ADMINISTRATEUR ET DIRIGEANT DE STANDARD LAND COMPANY INC. (ET SES SOCIÉTÉS AFFILIÉES), ET YOLANDA T. ZEBKO D’IRVINE (CALIFORNIE), ASSOCIÉE DE WINSTON E. GASKIN, ET AU NOM DES « FAMILLES DE LA STANDARD LAND » c EDWARD ROGERS III, MELINDA ROGERS-HIXON, LA SUCCESSION DE FEU LORETTA ANNE ROGERS, ROGERS COMMUNICATIONS INC., « ROGERS COMMUNICATIONS (CANADA) INC. », ROGERS WIRELESS PARTNERSHIP, ROGERS COMMUNICATIONS PARTNERSHIP, FIDUCIE DE CONTRÔLE ROGERS, FIDUCIE FAMILIALE ROGERS, SES SOCIÉTÉS AFFILIÉES, ADMINISTRATEURS, FIDUCIAIRES, DIRIGEANTS, AGENTS ET AYANTS DROIT, ET AUTRES, AINSI QUE LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE ROGERS COMMUNICATIONS INC., SA CARGAISON ET SON FRET ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, AGENCE DU REVENU DU CANADA, BUREAU DE LA CONCURRENCE CANADA ET TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE

 

REQUÊTE JUGÉE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 74 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

28 NovembrE 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Winston E. Gaskin

 

POUR LE DEMANDEUR

(EN SON NOM)

Christopher D. Pigott

 

POUR la défenderesse

(ROGERS COMMUNICATIONS INC.)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR la défenderesse

(ROGERS COMMUNICATIONS INC.)

 

 

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