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     T-66-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 4 AVRIL 1997

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

E n t r e :

     CLYTHE KINGSBURY,

     requérant,

     et

     J.E. FORTIN INC.,

     intimée.

     ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     Danièle Tremblay-Lamer

                                         Juge

Traduction certifiée conforme     

                                     François Blais, LL.L.

     T-66-96

E n t r e :

     CLYTHE KINGSBURY,

     requérant,

     et

     J.E. FORTIN INC.,

     intimée.

     MOTIFS DE LA DÉCISION

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

     La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 27 novembre 1995 par l'arbitre Mark Abramowitz sous le régime de la section XIV de la partie III du Code canadien du travail. Dans cette décision, l'arbitre a rejeté la plainte de congédiement injuste présentée par le requérant.

     Le débat porte essentiellement sur la question de savoir si le requérant était, comme il l'affirme, prêt à reprendre le travail au début de 1994 et s'il a adéquatement communiqué ce fait à son employeur. Dans l'affirmative, l'employeur aurait été tenu de le reprendre. Dans le cas contraire, l'employeur serait justifié de le congédier pour absence au travail pendant plus de douze semaines pour des raisons d'ordre médical.


LES FAITS

     Le requérant a travaillé comme chauffeur de camions sur long parcours pour J.E. Fortin entre novembre 1983 et février 1992. L'arbitre souligne que le requérant a travaillé de façon discontinue pendant ces dix années, mais il n'y a aucun élément de preuve qui explique pour quelle raison il en était ainsi.

     En février 1992, le requérant a dû cesser de travailler en raison d'une arthrite mineure aux hanches, d'une bursite à l'épaule et d'une dégénérescence des disques cervicaux et lombaires. Le requérant a commencé à toucher des prestations d'invalidité de longue durée en vertu de la police d'assurance collective que son employeur avait souscrite auprès de la Desjardins-Vie. Il n'y a aucun élément de preuve médical qui remonte à cette époque au sujet de l'état de santé du requérant ou de la cause de celui-ci.

     En janvier 1994, sans donner à l'époque de raison, le requérant a cessé de payer ses primes d'assurance collective.

     Le 18 février 1994, à la demande de la Desjardins-Vie et à l'insu de son employeur, le requérant a été examiné par le docteur Alain Roy, un chirurgien orthopédiste. Le docteur Roy a diagnostiqué chez le requérant une arthrite mineure aux épaules et une légère dégénérescence des disques cervicaux et lombaires. Le médecin a constaté que le requérant ne pouvait reprendre prochainement la conduite de camions en raisons de la rotation du dos et des vibrations constantes auxquelles il serait exposé. Le médecin a toutefois conclu que le requérant pouvait effectuer d'autres types de tâches comme la conduite d'un chariot élévateur. Le requérant soutient que le docteur Roy a mal compris la nature du travail que comporte la conduite d'un véhicule et il affirme qu'il était en mesure de reprendre le travail dès janvier 1994.

     Le requérant a déclaré dans son témoignage qu'en mars 1994, il avait parlé à Mme Boulerice, au bureau d'aiguillage de son employeur, dans le but de reprendre le travail à condition de ne pas avoir à charger et à décharger les camions. Toutefois, comme l'employeur a témoigné que Mme Boulerice avait pris sa retraite en septembre 1993, on ne sait pas avec certitude qui a parlé à qui et même si quelqu'un a parlé à quelqu'un. Voici son seul élément de preuve écrit sur la question :

         En mars 1994, j'ai téléphoné chez l'intimé pour retourner au travail et j'ai n'ai pas eu de réponse à ma demande.                 

L'employeur n'a aucun document où cette communication serait consignée.

     En mai 1995, les autorités de réglementation des véhicules ont certifié que le requérant était en bonne santé.

     Quelques mois après la première communication présumée, vers la fin de mai 1994, le contrôleur de l'employeur, M. Bisaillon, a téléphoné au requérant pour lui demander pourquoi les primes d'assurances de janvier, février, mars et avril 1994 n'avaient pas été payées. Le requérant a refusé de les payer, déclarant soit qu'il n'était plus couvert par l'assurance de son employeur, soit qu'il y avait renonciation aux primes en cas d'absence du travail. Il a également déclaré qu'il était prêt à accepter du travail à temps partiel, même si l'employeur n'avait pas de poste à temps partiel. M. Bisaillon lui a également dit que la compagnie le recontacterait.

     Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir quelle est la procédure normale à suivre pour reprendre le travail. Le requérant affirme qu'il a agi conformément à la procédure acceptée, alors que l'intimé a témoigné que ces demandes sont normalement dirigées vers l'aiguilleur principal ou vers le directeur du personnel.

     Le 19 juillet 1994, sans qu'aucun avertissement ne lui ait été envoyé, le requérant a reçu une lettre de congédiement pour cause d'absence au travail pendant plus de douze semaines pour des raisons d'ordre médical. Le requérant se plaint maintenant du fait que l'employeur n'a jamais demandé de certificat médical; l'employeur répond que le requérant n'a jamais essayé de lui en fournir un.

     Le requérant a par la suite trouvé un autre travail comme chauffeur de camion sur long parcours. Il a travaillé sporadiquement de mai à septembre 1995 et il travaille régulièrement depuis octobre 1995.

L'AUDIENCE D'ARBITRAGE

     Le 20 novembre 1995 une audience d'arbitrage a été tenue. Les deux parties y étaient représentées par un avocat.

     L'employeur a expliqué à l'audience que le refus du requérant de payer les primes d'assurance avait été interprété comme un indice que son travail ne l'intéressait plus ou qu'il n'était pas apte à reprendre le travail.

     Le requérant a divulgué le rapport médical du 18 février 1994 à l'employeur pour la première fois à l'audience. Le rapport note que le requérant est arrivé à son examen médical en béquilles, affirmant qu'il avait besoin d'un collier cervical et d'un corset lombaire mais qu'au cours de l'interrogatoire, il était capable de marcher sans béquilles et sans boiter. Dans son rapport, le médecin concluait que le requérant ne souffrait que d'une légère incapacité et qu'il existait une disproportion manifeste entre les plaintes subjectives et les constatations objectives. Malgré ce rapport, le requérant a témoigné qu'il était capable de marcher un demi mille et d'effectuer des tâches ménagères légères sans difficulté et qu'il était prêt à reprendre son travail, en plus de charger et de décharger des camions.

     Le requérant soutient que son congédiement était attribuable au fait qu'il s'était plaint à son employeur de devoir charger et décharger des camions avec de l'équipement défectueux et qu'il refusait de travailler au-delà de la limite de dix heures par jour imposée par le ministère des Transports. L'intimée affirme que ces plaintes sont dénuées de tout fondement, étant donné que les chauffeurs ont le choix des cargaisons qu'ils doivent charger ou décharger et que les limites légales aux périodes de conduite sont respectées.

     En réponse à une objection soulevée par l'employeur, l'arbitre a limité les témoignages sur la question des plaintes formulées par le requérant au sujet des conditions de travail. L'arbitre a expliqué que ces plaintes [TRADUCTION] " n'ont strictement aucun rapport avec la question qui nous occupe, eu égard au fait que le plaignant a été absent de son travail pendant plus de deux ans avant son congédiement. "

     L'arbitre a jugé que l'incapacité de charger et de décharger le camion n'était pas une question en litige, étant donné que l'employeur affirmait que ces tâches ne faisaient pas nécessairement partie des exigences du poste et que, de toute façon, le requérant avait reconnu qu'il était en mesure d'effectuer ces tâches assez souvent pour pouvoir remplir les fonctions de son emploi.

     À l'audience, le débat a tourné essentiellement autour de la question de savoir si le plaignant avait le droit d'être avisé que son emploi était compromis ou si l'employeur avait le droit d'inférer de son absence de deux ans et de son manque apparent d'intérêt à reprendre le travail que le requérant n'était pas disposé à se remettre au travail ou qu'il n'était pas apte à le faire.

     L'arbitre a conclu que le requérant n'avait pas déployé des efforts suffisants pour mettre son employeur au courant de son état et qu'il semblait plutôt [TRADUCTION] " s'être contenté de se complaire dans un état de nonchalance " pendant environ quatre mois après avoir été en mesure de reprendre le travail. L'arbitre a conclu que le requérant était prêt à conserver son incapacité aussi longtemps qu'il toucherait des prestations d'assurance et, par la suite, à se contenter de faire le malade.

     Sur la question de savoir si l'employeur était tenu de se renseigner au sujet de l'aptitude de l'employé à reprendre le travail, l'arbitre cite de la doctrine et de la jurisprudence suivant lesquelles c'est à l'employé qu'il incombe de démontrer qu'il est apte à reprendre le travail. Bien qu'il précise bien que le rapport médical ne constitue pas nécessairement une preuve concluante d'inaptitude au travail, l'arbitre tire une conclusion défavorable de l'omission du requérant d'obtenir un autre avis.

     Sur la question de la communication par l'employé de sa volonté de se remettre au travail, l'arbitre a fait remarquer qu'aucun élément de preuve corroborant n'a été présenté. Il conclut que l'employeur a agi équitablement et qu'il n'a pas congédié le requérant pour un motif illégitime. Bien qu'il souligne qu'il aurait été préférable que l'employeur envoie un préavis de congédiement au requérant, l'arbitre conclut que c'est le requérant qui doit être blâmé pour son inertie, son insouciance et sa rigidité excessive. Il conclut donc que le congédiement était justifié dans ces circonstances.

QUESTIONS EN LITIGE

1.      L'arbitre a-t-il omis d'observer les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale?
2.      L'arbitre a-t-il commis une erreur de droit en appliquant les dispositions législatives pertinentes?
3.      L'arbitre a-t-il tiré une conclusion de fait erronée, abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?

ANALYSE

1.      Justice naturelle

     Le requérant affirme qu'on lui a refusé la possibilité de faire entendre ses témoins clés. Rien ne permet cependant de penser que l'arbitre a refusé d'entendre des témoins ou que le requérant ou son avocat ont demandé l'ajournement de l'instance. Il a déjà été reconnu que le défaut de formuler promptement une objection emporte renonciation du droit d'invoquer un manquement aux principes de justice naturelle1.

     Le requérant affirme également qu'on aurait dû lui offrir la traduction simultanée étant donné qu'il souffrait d'un grave handicap linguistique, puisqu'il est anglophone et que l'audience s'est déroulée en français.

     Là encore, ni le requérant ni son avocat n'ont soulevé d'objection à l'audience. Il est donc trop tard pour se plaindre aujourd'hui.

     L'allégation la plus importante de manquement aux principes de justice naturelle que fait valoir le requérant vient du fait que l'arbitre a limité ses éléments de preuve sur la question de l'absence de l'employé et des blessures liées au travail et sur la question des conditions de travail dont il s'était plaint alors qu'il était encore au travail.

     L'employeur affirme que l'arbitre a le droit de limiter les éléments de preuve à ceux qui sont pertinents. Je suis d'accord avec lui pour dire que l'arrêt Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque2 appuie cette proposition.

     Il ressort du dossier que le requérant a eu amplement l'occasion de présenter des éléments de preuve au sujet de la question pertinente qui était soumise à l'arbitre, en l'occurrence la question de savoir si le congédiement était justifié dans les circonstances. Quant à l'existence d'un autre motif de congédiement, cette question n'était pas soumise à l'arbitre. L'arbitre avait manifestement le pouvoir de refuser les éléments de preuve non pertinents.

2.      Erreurs de droit

     L'avocat du requérant affirme que l'arbitre n'a pas appliqué la bonne disposition législative. Il affirme qu'il aurait dû appliquer l'article 239.1, et non l'article 239 du Code canadien du travail3.

     Là encore, cette question n'a pas été soulevée devant l'arbitre. Le requérant n'a présenté aucun élément de preuve pour établir un lien entre son état de santé et son travail. Le moyen invoqué par l'avocat du requérant concernait le fait qu'il aurait fallu, avant de le congédier, aviser le requérant que son emploi était compromis. Par conséquent, l'arbitre n'a pas commis d'erreur de droit en ne tranchant pas une question qui ne lui était pas soumise.

     La question de savoir si l'employeur était tenu ou non de tenir compte de l'état de santé du requérant n'était pas non plus soumise à l'arbitre. L'audience présidée par l'arbitre a été tenue sous le régime de l'article 242, qui fait partie de la procédure de congédiement injuste prévue à la division XIV de la partie III du Code canadien du travail. Voici le libellé de cet article :

     242.      (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.         
         (2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :         
             a)      dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;         
             b)      fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;         
             c)      est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations du travail par les alinéas 16a), b) et c).         
         (3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :         
             a) décide si le congédiement était injuste;         
             b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.         

     [...]

         (4)      S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :         
             a)      de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;         
             b)      de réintégrer le plaignant dans son emploi;         
             c)      de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.         

     Ainsi, l'arbitre n'a pas le pouvoir de se demander si l'employeur était tenu de tenir compte de l'invalidité du requérant. De plus, comme la présente instance porte sur le contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre, la Cour n'a pas non plus ce pouvoir.

3.      Erreur de fait

     Le requérant affirme que c'était une erreur de s'attendre à ce qu'il parle à une personne en particulier, comme le directeur du personnel, au bureau de son employeur. Il soutient que les deux personnes à qui il a fait connaître son intention de reprendre le travail étaient les deux seules qui répondaient au téléphone à l'établissement de l'employeur. À mon avis, l'arbitre a fait reposer sa conclusion sur le fait qu'il avait estimé que le requérant n'avait pas déployé des efforts suffisants pour faire connaître son intention de reprendre le travail. Il était manifestement d'avis que l'employeur n'était pas obligé de vérifier périodiquement l'aptitude au travail d'un employé déterminé, mais que c'était à l'employé qu'il incombait d'informer son employeur.

     Je souscris à cette interprétation. Après une absence prolongée du travail, c'était à l'employé qu'il incombait d'informer suffisamment son employeur de son intention de reprendre le travail.

     Le requérant a précisé qu'il avait téléphoné à quelqu'un en mars 1994. L'employeur a toutefois présenté des éléments de preuve démontrant qu'il ne travaillait pas pour l'intimé à l'époque.

     Le seul autre appel téléphonique provenait du contrôleur et ce n'est qu'en passant que le requérant lui a fait savoir qu'il avait l'intention de reprendre le travail.

     L'employeur a témoigné que, par le passé, la pratique établie consistait à aviser l'aiguilleur principal ou le directeur du personnel, et non une réceptionniste ou le contrôleur de la compagnie.

     C'est sur le fondement de ces faits que l'arbitre en est arrivé à la conclusion que le requérant n'avait pas donné un avis suffisant à son employeur. Pour ces motifs, il a conclu que, s'il était apte à reprendre le travail, le requérant aurait dû s'assurer que le message parvienne à la personne à qui il était destiné, compte tenu particulièrement de son absence de plus de deux ans pour des raisons de santé.

     Il était raisonnablement loisible à l'arbitre de tirer cette conclusion, vu l'ensemble de la preuve qui lui était soumise.

     Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

OTTAWA (Ontario)

Le 4 avril 1997.

     Danièle Tremblay-Lamer

                                         Juge

Traduction certifiée conforme     

                                     François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-66-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          CLYTHE KINGSBURY c. J.E. FORTIN INC.
LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE :              26 MARS 1997

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Tremblay-Lamer le 4 avril 1997

ONT COMPARU :

Me JACK Y. HENDLER                      POUR LE REQUÉRANT
Me LOUISE DUBÉ                          POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me JACK Y. HENDLER                      POUR LE REQUÉRANT

MONTRÉAL (QUÉBEC)

HEENAN BLAIKIE                          POUR L'INTIMÉ

MONTRÉAL (QUÉBEC)

__________________

     1      Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892.

     2      [1993] 1 R.C.S. 471, aux pages 487 et 492.

     3      L.R.C. (1985), ch. L-2.

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