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Date : 20240104


Dossiers : T-2476-22

(T-2478-22)

Référence : 2024 CF 17

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2024

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SAMIA MILAN

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Samia Milan, travaillait à son compte à titre d’agent immobilier à Montréal. Elle explique que, dès l’émergence de la pandémie de COVID-19 en 2019, elle n’était plus en mesure d’effectuer ses activités de représentation et de sollicitation de clients vu l’impossibilité de visiter les maisons et, lors de l’assouplissement des mesures sanitaires, l’augmentation des prix et des taux d’intérêt. La demanderesse souligne qu’elle a perdu beaucoup d’argent au cours des années 2020-2022 malgré ses efforts diligents, et que son travail dans le secteur immobilier reste encore paralysé.

[2] La demanderesse a alors demandé les prestations suivantes :

  • -La Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) pour vingt-sept (27) périodes (le nombre maximal) de deux (2) semaines (27 septembre 2020 au 9 octobre 2021); et

  • -La Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement (PCTCC) pour les périodes 1-3, 14-16, soit un total de six (6) périodes (entre le 24 octobre 2021 et le 12 février 2022).

[3] Devant la Cour, la demanderesse semble demander aussi le paiement de la PCRE pour une 28e période, mais le nombre maximal de périodes de deux semaines à l’égard desquelles la PCRE peut être versée à un contribuable est de vingt-sept (27) (l’article 2 du Règlement sur les prestations canadiennes de relance économique, DORS/2021-35).

[4] La PCRE et la PCTCC font partie de l’arsenal de mesures introduites par le gouvernement fédéral à compter de 2020 pour pallier aux répercussions économiques causées par la pandémie de COVID-19. Il s’agissait de paiements monétaires ciblés visant à fournir un soutien financier aux travailleurs et travailleuses ayant subi une perte de revenus en raison de la pandémie et qui ne pouvaient bénéficier de la protection offerte par le régime usuel d’assurance-emploi. L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) est l’office fédéral responsable de l’administration de la PCRE et de la PCTCC.

[5] L’ARC a versé à la demanderesse les prestations de PCRE pour 27 périodes sur la foi de ses demandes. Toutefois, au moment de leur formation, ses demandes de prestations de PCTCC ont été mises en suspens par l’ARC dans l’attente d’un examen de l’admissibilité de la demanderesse aux prestations de PCRE et PCTCC. Aucune prestation de PCTCC n’a été versée à la demanderesse.

[6] Par la suite, l’ARC a entrepris une première vérification de l’admissibilité de la demanderesse aux prestations demandées. Le 4 mai 2022, l’ARC a rendu deux décisions de premier examen concluant que la demanderesse fût inadmissible à la PCRE et à la PCTCC parce qu’elle ne satisfaisait pas le critère d’admissibilité exigeant d’avoir gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, et en 2021, ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. De plus, pour la PCTCC, la première lettre de refus indique que la région dans laquelle elle vivait, travaillait ou fournissait un service n’était pas désignée comme région confinée en lien avec la COVID-19.

[7] Le même jour, soit le 4 mai 2022, la demanderesse a transmis à l’ARC une demande de deuxième examen de ses dossiers PCRE et PCTCC.

[8] Le deuxième examen des demandes de prestations a été confié à une seconde agente de validation de l’ARC (l’Agente). Dans le cadre de son examen, l’Agente a enregistré ses notes dans les systèmes de l’ARC et a préparé un rapport de deuxième examen pour les deux prestations demandées. Le rapport fait partie des motifs des Décisions (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 22 (Aryan)).

[9] Le 4 novembre 2022, l’ARC a confirmé le refus des demandes de prestations de la demanderesse (les Décisions) au motif qu’elle n’avait pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, et en 2021, ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande, et aux motifs que :

  1. Dans le cas de la PCRE : (1) elle ne travaillait pas pour des raisons autres que la COVID-19; et (2) elle n’avait pas eu une baisse de 50% de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

  2. Dans le cas de la PCTCC, elle ne travaillait pas pour des raisons qui n’étaient pas considérées comme raisonnables ou en lien avec un confinement dû à la COVID‑19.

[10] La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire des Décisions.

[11] Le 8 février 2023, la Cour a réuni les deux demandes de contrôle judiciaire de la demanderesse (T-2476-22, T-2478-22) et le dossier T-2476-22 a été désigné comme dossier principal. Les présents motifs et jugement traitent les deux demandes.

[12] Pour les motifs qui suivent, les présentes demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.

II. Analyse – Caractère raisonnable des Décisions

[13] La question déterminante dans le présent dossier est celle de savoir si la conclusion de l’Agente selon laquelle la demanderesse est inadmissible aux prestations demandées parce qu’elle ne répond pas à l’exigence du revenu minimal est raisonnable. Cette conclusion est la conclusion clé de l’Agente, et les arguments des parties se concentrent autour de l’exigence des revenus « nets » et non des revenus bruts de travail indépendant d’au moins 5 000 $ (le paragraphe 3(2) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, ch 12 (la LPCRE); le paragraphe 4(2) de la Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement, LC 2021, ch 26 (la LPCTCC)).

[14] Comme l’a fait correctement valoir le défendeur, la norme de contrôle applicable au mérite des Décisions de l’Agente est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23-25 (Vavilov); Sid Seghir c Canada (Procureur général), 2022 CF 466 au para 6; Aryan aux para 15-16).

[15] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Je dois donc me demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99).

[16] La demanderesse soutient que les Décisions sont erronées parce que, lorsqu’elle a demandé les prestations de PCRE et de PCTCC, il n’y avait aucune indication que l’exigence relative aux revenus admissibles d’au moins 5 000 $ de travail indépendant se rapportait aux revenus nets plutôt que des revenus bruts. Elle explique avoir consulté les questionnaires de l’ARC afin de déterminer son admissibilité aux prestations. Elle maintient que les questionnaires ne mentionnaient pas de revenus nets de travail indépendant. La demanderesse suggère aussi qu’un agent de l’ARC lui a informé qu’elle était admissible aux prestations demandées.

[17] Le paragraphe 3(1) de la LPCRE établit les critères d’admissibilité à la PCRE. La condition relative aux revenus est énoncée à l’alinéa 3(1)d). Aux termes du sous‑alinéa 3(1)d)(ii), une personne est admissible à la PCRE si « ses revenus provenant des sources ci-après, pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande, s’élevaient à au moins cinq mille dollars …[d’]un travail qu’elle exécute pour son compte ». Le paragraphe 3(2) exige que le « revenu […] de la personne qui exécute un travail pour son compte est son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner ».

[18] À son tour, le sous-alinéa 4(1)d)(ii) et l’alinéa 4(1)e) de la LPCTCC prévoient qu’une personne est admissible à la PCTCC dans le cas d’une demande présentée à l’égard d’une semaine qui débute en 2021 ou en 2022 si ses revenus provenant d’un travail qu’elle exécute pour son compte pour l’année 2020, 2021, ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande, s’élevaient à au moins cinq mille dollars, et le paragraphe 4(2) établit que le « revenu […] de la personne qui exécute un travail pour son compte est son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner ».

[19] Les critères d’admissibilité établis au paragraphe 3(2) de la LPCRE et au paragraphe 4(2) de la LPCTCC sont prescrits par la loi. Contrairement à ce que soutient la demanderesse, dès leurs dates d’entrée en vigueur respectives, les deux paragraphes exigent clairement que le revenu pertinent pour un travailleur autonome est son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner, ce qui constitue un revenu net. La LPCRE est entrée en vigueur le 2 octobre 2020, et le PCTCC est entrée en vigueur le 17 décembre 2021.

[20] La demanderesse a déclaré les revenus d’entreprise suivants :

Année

2018

2019

2020

2021

Revenu brut

9 240 $

10 294 $

7 912 $

12 024$

Revenu net

(1 324 $)

907 $

(5 595 $)

(4 319 $)

[21] La preuve de la demanderesse démontre que ses revenus nets sont inférieurs au seuil minimal de 5 000 $ pour les périodes pertinentes. Son revenu net d’entreprise en 2019 est 907 $ et elle déclare une perte nette pour les années d’imposition 2020 et 2021 (-5 595 $ et -4 319 $ respectivement). De plus, ses autres revenus déclarés ne sont pas admissibles au calcul du 5 000 $. Par exemple, pour l’année d’imposition 2020, elle déclare avoir reçu 1 500 $ en prestations d’assurance-emploi, 4 015 $ en prestations d’assistance sociale et 20 000 $ d’autres revenus (des paiements de la Prestation d’urgence canadienne et de la PCRE).

[22] Dans le cadre des définitions aux paragraphes 3(2) de la LPCRE et 4(2) de la LPCTCC, les revenus nets de la demanderesse provenant d’un travail qu’elle exécutait pour son compte au cours des périodes de référence étaient en dessous du seuil minimal ou négatif. Par conséquent, elle ne remplissait pas la condition énoncée aux sous-alinéas 3(1)d)(ii) de la LPCRE et 4(1)d)(ii) de la LPCTCC.

[23] Cette Cour a déjà rejeté l’argument principal de la demanderesse, à savoir que les questionnaires en ligne auront préséance sur les lois et que les questionnaires ne mentionnaient pas les « revenus nets ». Dans la décision Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305 (Flock) (conf par Flock c Canada (Procureur général), 2022 CAF 187), la Cour souligne que « [l]es critères d’admissibilité établis au paragraphe 3(2) de la LPCRE sont prescrits par la loi et ne sont pas discrétionnaires. L’agente n’avait pas le choix de les appliquer » (Flock au para 23; voir aussi Davis c Canada (Procureur général), 2022 CF 1247 aux para 24-26 (Davis)). Même si la demanderesse pouvait avoir raisonnablement pensé qu’elle serait admissible à la PCRE et la PCTCC, je suis d’accord avec le défendeur. Les critères d’admissibilité établis par la LPCRE et la LPCTCC priment les informations se trouvant en ligne. L’Agente n’avait d’autre choix que d’appliquer les critères prescrits.

[24] La demanderesse ne m’a pas convaincu que les Décisions sont erronées à l’égard du critère d’admissibilité des revenus nets. Fondamentalement, la demanderesse demande à la Cour d’ignorer le paragraphe 3(2) de la LPCRE et le paragraphe 4(2) de la LPCTCC. Cependant, la PCRE et la PCTCC sont des prestations qui ont été créées par des lois et la Cour ne saurait pas ignorer la loi. Je conclus donc qu’il n’était pas déraisonnable pour l’Agente de déterminer que la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE ou à la PCTCC, car elle ne remplissait pas la condition relative aux revenus minimaux. Cette conclusion est justifiée au regard des contraintes factuelles et des contraintes pertinentes de la LPCRE et la LPCTCC auxquelles l’ARC est assujetti (Vavilov au para 85).

[25] La demanderesse devait satisfaire tous les critères pour être admissible à recevoir la PCRE et/ou la PCTCC (Lalonde c Canada (Agence du revenue), 2023 CF 41 au para 47; Davis au para 26). Donc, la non-satisfaction d’un seul critère entraîne la perte du bénéfice. Je reconnais les arguments de la demanderesse concernant les effets négatifs de la pandémie sur son travail dans le secteur immobilier, mais il ne m’est pas nécessaire d’aborder ces arguments. Toutefois, vu ma conclusion que la demanderesse ne satisfait pas au critère d’admissibilité d’un revenu minimal, je ne considère pas les autres critères retenus dans les Décisions selon lesquelles la demanderesse ne travaillait pas pour des raisons autres que la COVID-19, et elle n’a pas eu une baisse de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19. À l’exception des documents de l’ARC en ligne concernant l’admissibilité à la PCRE (incluant le questionnaire en ligne PCRE) et pour le même motif, je ne considère pas certains éléments de preuve déposés par la demanderesse à la Cour qui n’avaient pas été déposés auprès de l’ARC au moment du deuxième examen.

[26] Je tiens à souligner que ma conclusion selon laquelle l’Agente n’a pas erré en concluant que la demanderesse ne satisfait pas au critère relatif aux revenus minimaux ne doit pas être considérée comme signifiante de la malhonnêteté de la part de la demanderesse. La preuve au dossier et les arguments écrits et oraux de la demanderesse démontrent qu’elle croit en toute honnêteté à son admissibilité à la PCRE et la PCTCC.

III. Conclusion

[27] Les demandes de contrôle judiciaire de la demanderesse sont rejetées.

[28] Le défendeur sollicite les dépens, mais eu égard à l’ensemble des circonstances j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens.


JUGEMENT AU DOSSIER T-2476-22 ET T-2478-22

LA COUR STATUE que :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire de la demanderesse sont rejetées.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Une copie du présent jugement et des motifs sera placée dans chacun des dossiers suivants de la Cour : T-2476-22 et T-2478-22.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-2476-22, T-2478-22

 

INTITULÉ :

SAMIA MILAN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 novembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JANVIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Samia Milan

 

Pour la demanderesse

 

Me Helen Felemegos

Me Olivier Charbonneau-Saulnier

 

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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