Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20231222


Dossier : T-482-23

Référence : 2023 CF 1748

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

DAVID BROWN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS


I. Résumé

[1] À titre préliminaire, l’intitulé est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.

[2] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, visant la décision rendue le 10 février 2023 par le décideur délégué du troisième et dernier palier de la procédure de grief du Secrétariat du Conseil du Trésor [le SCT]. Ce dernier a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue de convertir un congé de maladie payé en congé discrétionnaire payé au titre du code 699 pour la période du 1er mai 2020 au 9 novembre 2020. Le demandeur s’adresse à notre Cour car, à titre de fonctionnaire non syndiqué, il ne peut se prévaloir de la procédure d’arbitrage.

[3] En gros, le demandeur souffrait d’un problème de santé mentale qui a été exacerbé par la pandémie de COVID‑19 à un point tel qu’il a été incapable de travailler à partir du 1er mai 2020 et pendant un certain temps par la suite. Le ministère au sein duquel il travaillait, le SCT, l’a obligé à épuiser ses congés de maladie accumulés malgré la directive du SCT publiée le 10 avril 2020 indiquant que « tous les employés (c’est‑à-dire les employés critiques et non critiques qui travaillent à distance ou sur place) qui sont incapables de travailler en raison d’une maladie liée [à la] COVID‑19, ne seront plus tenus de prendre un congé de maladie et seront plutôt admissibles à “d’autres congés payés” (699) ». Le demandeur a contesté en vain cette décision au troisième palier de la procédure de grief.

[4] Le différend porte sur l’interprétation et l’application de la convention collective du groupe économique et services de sciences sociales [la convention collective du groupe EC] et de deux directives spéciales en lien avec la COVID‑19 publiées par le SCT :

  • ·Guide sur l’utilisation du Code 699 relatif à COVID-19 à compter du 10 avril 2020 [la directive du 10 avril];

  • ·COVID-19 : directive sur l’utilisation des « autres congés payés (699) », datée du 22 octobre 2020 et entrée en vigueur le 9 novembre 2020 [la directive du 9 novembre].

[5] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du SCT est renvoyée pour nouvel examen, essentiellement parce que le décideur a axé son analyse et sa décision sur la directive du 9 novembre au lieu de celle du 10 avril qui s’appliquait aux dates visées par le congé que le demandeur souhaitait faire convertir en congé au titre du code 699. La directive du 9 novembre ne s’appliquait pas aux dates en cause en l’espèce.

[6] La seule question à trancher est celle de savoir si la décision est raisonnable. La Cour n’est pas appelée à décider si la décision est bonne ou mauvaise. Les critères applicables pour déterminer si la décision est raisonnable sont bien établis et sont énoncés ci‑dessous.

II. Norme de contrôle

[7] La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes], rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov] de la Cour suprême du Canada, le juge Rowe explique les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[8] Pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[Non souligné dans l’original.]

[9] De plus, suivant l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit évaluer si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire s’attaque de façon significative aux questions clés :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

[Non souligné dans l’original.]

III. Le demandeur

[10] Durant toute la période en cause, le demandeur a été employé dans la fonction publique fédérale en tant qu’analyste principal des politiques au sein du SCT. Il fait partie d’un groupe d’employés qui n’est pas représenté par un syndicat. À ce titre, ses conditions d’emploi correspondent à celles de la convention collective du groupe EC. À l’audience et tout au long de l’instance, il n’était pas représenté par un avocat. Comme il ne peut se prévaloir de la procédure d’arbitrage, le demandeur s’adresse à notre Cour pour demander le contrôle judiciaire de la décision rendue au dernier palier de la procédure de grief.

[11] Nul ne conteste que le demandeur souffrait de problèmes de santé mentale pendant la période en cause en l’espèce. Il n’est pas non plus contesté que ses problèmes de santé mentale ont été exacerbés par la pandémie de COVID‑19 au point où il a été incapable de travailler à partir du 1er mai 2020 et pendant de nombreux mois par la suite, y compris pendant la période en cause. À cet effet, le demandeur a fourni une lettre de son médecin indiquant que, [traduction] « en raison de problèmes de santé exacerbés par la pandémie de COVID‑19, [il] ne sera vraisemblablement pas en mesure de travailler pendant certaines périodes pouvant durer jusqu’à un mois ». La période initiale d’un mois a été prolongée par la suite.

[12] À mon humble avis, les problèmes de santé mentale du demandeur étaient extrêmement graves. Selon la note d’un médecin datée du 1er mai 2020, la situation du demandeur s’était détériorée à un point tel qu’il avait des idées suicidaires et qu’il nécessitait un traitement médical immédiat. À ce moment‑là, ses problèmes de santé mentale étaient si graves qu’il n’était plus en mesure de travailler. Le défendeur ne conteste pas que les problèmes de santé mentale du demandeur ont été exacerbés par la pandémie de COVID‑19 et, en particulier, par la menace qu’elle représentait pour la santé de sa famille et du grand public au Québec. Ses problèmes de santé mentale ont été diagnostiqués par un médecin, qui a attesté qu’en raison d’un problème de santé exacerbé par la pandémie de COVID‑19, il ne serait pas en mesure de se présenter au travail.

[13] Du 1er mai 2020 au 21 septembre 2020, le demandeur a été en congé de maladie payé, pendant lequel il a tenté, sans y parvenir, de reprendre progressivement le travail. Après une courte période, il est retourné en congé de maladie payé en octobre 2020. Le demandeur a épuisé ses crédits de congé de maladie le 20 octobre 2020. À ce moment-là, il a été en congé de maladie non payé jusqu’à ce qu’il commence un retour progressif au travail le 23 décembre 2020.

[14] La demande du demandeur ne vise que la période allant du 1er mai 2020 au 9 novembre 2020.

[15] Cela dit, la gravité des problèmes de santé mentale du demandeur est illustrée par le fait qu’il n’a pas été en mesure de reprendre pleinement le travail pendant une longue période. À cet égard, il a reçu des prestations complémentaires pour invalidité de longue durée [ILD] pour toutes les heures non travaillées pendant son retour progressif au travail entre décembre 2020 et juillet 2021. Le demandeur a ensuite reçu le plein montant des prestations d’ILD de juillet 2021 à juillet 2022. Après son retour progressif au travail subséquent en juillet 2022, le demandeur a une fois de plus reçu des prestations complémentaires pour toutes les heures non travaillées de juillet 2022 à janvier 2023.

IV. Le cadre : la convention collective du groupe EC ainsi que les directives du 10 avril et du 9 novembre concernant les congés payés pour d’autres motifs (code 699)

A. La convention collective du groupe EC : Les congés payés visés à l’article 21.17 (code 699) et les congés de maladie visés à l’article 22.02

[16] Selon la convention collective du groupe EC et dans des circonstances normales, une personne se trouvant dans la position du demandeur, lorsque les circonstances le justifient, peut bénéficier du congé payé « pour d’autres motifs » visé à l’article 21.17 (code 699) ou du « congé de maladie payé » visé à l’article 22.02.

[17] L’article 21.17 de la convention collective du groupe EC portant sur les congés payés « pour d’autres motifs » (code 699) dispose :

L’employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a. un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables au fonctionnaire l’empêchent de se rendre au travail. Ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;

b. un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

[18] Il convient de souligner qu’à des fins de rémunération, le code 699 est attribué au congé payé visé à l’article 21.17 de la convention collective du groupe EC. Ce type de congé, parfois appelé congé pour tempête de neige, est également prévu dans un grand nombre d’autres conventions collectives au gouvernement du Canada.

[19] L’article 22 de la convention collective du groupe EC, quant à lui, prévoit un « congé de maladie payé », qui n’est pas visé par le code 699 :

Attribution des congés de maladie

22.02 Le fonctionnaire bénéficie d’un congé de maladie payé lorsqu’il est incapable d’exercer ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure, à la condition :

a. qu’il puisse convaincre l’employeur de son état de la façon et au moment que ce dernier détermine; et

b. qu’il ait les crédits de congé de maladie nécessaires.

B. Directive du 10 avril

[20] Peu après le début de la pandémie mondiale de COVID‑19, le SCT, en sa qualité d’employeur des fonctionnaires fédéraux au Canada, y compris du demandeur, et pour permettre une utilisation élargie du code 699, a publié une directive spéciale sur l’utilisation du code de congé 699 (autres congés payés) et la façon dont il s’applique aux employés touchés par la COVID‑19, à savoir le Guide sur l’utilisation du Code 699 relatif à COVID‑19 à compter du 10 avril 2020 [la directive du 10 avril].

[21] À mon avis, l’objectif de la directive du 10 avril était d’élargir l’accessibilité au congé payé au titre du code 699 pour les personnes touchées par la COVID‑19. Cette directive commençait par les mots suivants : « Ce guide donne des directives sur l’utilisation du code de congé 699 (Autres congés payés) et sur la façon dont il s’applique aux employés touchés par [la] COVID‑19. » À cette fin, la directive du 10 avril prévoyait que « l’utilisation du code 699 ser[ait] plus vaste pour les employés ou les personnes employées dans la fonction publique ».

[22] Les avocats ont indiqué que la directive du 10 avril du SCT s’appliquait à environ 200 000 employés au sein de 80 organisations et 40 groupes professionnels, y compris le demandeur.

[23] La directive du 10 avril prévoyait notamment ce qui suit : « À compter de maintenant, tous les employés (c’est‑à‑dire les employés critiques et non critiques qui travaillent à distance ou sur place), qui sont incapables de travailler en raison d’une maladie liée [à la] COVID‑19, ne seront plus tenus de prendre un congé de maladie et seront plutôt admissibles à “d’autres congés payés” (699). »

[24] La directive du 10 avril, en plus de permettre une utilisation élargie du code 699, prévoyait cinq catégories où le congé payé au titre du code 699 pouvait être utilisé. Seule la dernière catégorie est pertinente en l’espèce, mais la directive prévoyait ce qui suit : « [L]’utilisation du code 699 sera plus vaste pour les employés ou les personnes employées dans la fonction publique. » Il sera disponible dans les situations où une personne est incapable de travailler en raison de :

COVID Maladie :

o Lorsqu’un employé est testé positif [à la] COVID‑19 ou présente des symptômes de COVID‑19;

COVID Soins familiaux :

o Lorsqu’il y a des fermetures d’écoles et de garderies sans autre possibilité [d’]arrangement disponible;

o Lorsqu’un employé doit s’occuper des membres de la famille et est incapable de travailler à distance.

COVID Technologie :

o Lorsqu’il y a une limitation de la technologie y compris l’accès au VPN ou le manque d’équipement/d’outils de travail pour que l’employé s’acquitte de ses tâches en télétravail.

COVID Limitation de travail :

o Lorsque le travail est limité dans le département/agence en emploi puisque les plans de continuité des activités sont activés et qu’ils ne sont limités qu’aux employés critiques.

COVID Autres :

o Lorsqu’il existe d’autres circonstances directement liées [à la] COVID-19 qui empêche[nt] l’employé de se présenter au travail.

[...]

Remarque : Les maladies autres que [la] COVID‑19 devront être contrôlées à l’aide de codes normaux de congé de maladie. »

[Non souligné dans l’original.]

[25] Le 5 mai 2020, le SCT a publié une FAQ [Foire aux questions] concernant le congé payé pour d’autres motifs (code 699). L’une des questions et réponses était la suivante :

[traduction]
5. Si la COVID‑19 me cause du stress et de l’anxiété, puis‑je utiliser le code de congé 699?

Malheureusement non, pour les problèmes de santé mentale liés à la COVID‑19, il faut recourir aux crédits de congé de maladie.

C. Directive du 9 novembre

[26] Le 22 octobre 2020, la dirigeante principale des ressources humaines du SCT a publié une autre directive concernant le congé payé pour d’autres motifs (code 699), à savoir la Directive sur l’utilisation des « autres congés payés (699) ». Cette directive est entrée en vigueur le 9 novembre 2020 [la directive du 9 novembre].

[27] L’objectif déclaré de la directive du 9 novembre, visant à apporter des précisions, était le suivant : « Pour vous aider, nous apportons des précisions à la directive sur l’utilisation des “autres congés payés (699)”. Cette directive actualisée, qui entrera en vigueur le 9 novembre 2020, stipule que ce congé devrait être accordé au cas par cas, et seulement après que le travail à distance ou modifié, ou les horaires de travail souples auront été pris en compte, et en général seulement après que l’employé aura d’abord utilisé d’autres congés payés pertinents. » [Non souligné dans l’original.]

[28] Comme il ressort de ce qui précède, la directive du 9 novembre visait à révoquer la directive du 10 avril 2020 et exigeait désormais que les employés comme le demandeur utilisent leurs crédits de congé de maladie accumulés avant de pouvoir bénéficier d’un congé payé au titre du code 699. Cette exigence a été mise à l’avant‑plan dans un document intitulé Questions et réponses à l’intention des gestionnaires et des ressources humaines « Autre congé payé (699) » de la dirigeante principale des ressources humaines, daté du 22 octobre 2020 et également en vigueur à compter du 9 novembre 2020.

[29] En particulier, les questions et réponses suivantes font partie intégrante de la directive du 9 novembre :

22. Un employé appelle fréquemment au bureau pour déclarer qu’il est malade et le gestionnaire remarque qu’il est moins ponctuel qu’à l’habitude et qu’il a cessé de travailler tôt. L’employé indique que la pandémie de COVID-19 le rend stressé et anxieux, et il demande maintenant d’utiliser un « Autre congé payé (699) ». Que doit faire le gestionnaire?

23. Le rendement d’un employé s’est détérioré depuis le mois de mars 2020. Que peut faire le gestionnaire?

24. Depuis le début de la pandémie en mars 2020, le comportement d’un employé a changé. Que peut faire le gestionnaire?

[30] Pour chaque question, la réponse donnée est la suivante :

Si l’employé ne se porte pas suffisamment bien pour travailler, il devra utiliser ses crédits de congé de maladie. Conformément aux dispositions de la convention collective ou aux conditions d’emploi pertinentes, le gestionnaire peut demander à l’employé de présenter tout document justificatif afin de répondre à cette exigence.

[Non souligné dans l’original.]

[31] Il convient de noter que pour la première fois, la directive du 9 novembre indiquait que « la directive sur l’utilisation des “autres congés payés (699)” [c.‑à‑d. la directive du 10 avril] a constitué, au début de la pandémie, une mesure importante pour permettre de prévenir la propagation rapide de la COVID‑19 et de préserver la santé et la sécurité des employés fédéraux ».

[32] Je souligne respectueusement que la directive du 10 avril ne mentionnait pas que son objectif était de prévenir la propagation rapide de la COVID‑19 ni de préserver la santé et la sécurité des employés fédéraux. À première vue et selon les mots qui y sont utilisés, la directive du 10 avril visait plutôt une utilisation « plus vaste » du congé payé au titre du code 699 pour les personnes touchées par la COVID‑19.

V. Demande visant l’application de la directive du 10 avril

[33] Le 6 novembre 2020, le demandeur a sollicité un congé payé au titre du code 699 sur le fondement de la directive du 10 avril. À ce moment‑là, le demandeur avait utilisé tous ses crédits de congé de maladie accumulés, qu’il avait épuisés le 21 octobre 2020 (selon un courriel envoyé au demandeur le 15 décembre 2020).

[34] Dans son courriel du 6 novembre 2020, le demandeur affirme ce qui suit :

[traduction]
La date de début de mon congé était le 1er mai 2020, mais j’ai travaillé 22 heures lorsque j’ai tenté un retour progressif au travail. La répartition des 22 heures est la suivante :

- 5 heures le 22 sept. 2020

- 5 heures le 24 sept. 2020

- 6 heures le 29 sept. 2020

- 6 heures le 1er oct. 2020

Selon les notes du médecin ci‑jointes, mes problèmes de santé ont été déclenchés et exacerbés par la pandémie de COVID‑19, alors si ce congé, en tout ou en partie, pouvait être visé par le code 699, ce serait grandement apprécié. Je devais m’occuper de mes enfants et leur faire l’école à la maison. Ils ont été contraints de rester à la maison jusqu’à la fin des classes, le 19 juin 2020. Les effets de la COVID‑19 sur la santé mentale devraient être traités de la même manière que les problèmes de santé physique et le soutien familial dont bénéficient les personnes touchées par la COVID‑19.

[35] Le demandeur avait précédemment demandé un congé payé au titre de l’article 21.17 de la convention collective du groupe EC pour la période allant du 1er mai 2020 à la fin du mois de juin 2020. Dans un courriel envoyé à son gestionnaire le 11 août 2020, il a affirmé ce qui suit :

[traduction]
En ce qui concerne votre question sur les congés de maladie, je crois que j’ai accumulé un grand nombre de congés de maladie. Par contre, j’ai cru comprendre que ce congé serait visé, du moins en partie, par le code spécial pour les congés liés à la COVID.

[36] La demande du demandeur a été rejetée par courriel le 16 août 2020. Le courriel indiquait ce qui suit :

[traduction]
J’ai vérifié auprès des RH et votre congé n’est pas visé par le code de congé 699. Le code de congé 699 doit être utilisé pour des situations très précises liées à la COVID‑19, telles que l’accès au réseau, les soins aux membres de la famille et les tests positifs à la COVID‑19. Il ne couvre pas les congés de maladie avec certificat médical. Ce type de congé est un congé de maladie avec certificat médical et vous devez utiliser vos crédits de congé de maladie accumulés.

[37] Le 15 décembre 2020, le directeur du demandeur a affirmé de nouveau par courriel que le congé de maladie prévu par la convention collective du groupe EC était celui qu’il devait prendre pour cette période, car il était incapable de travailler en raison d’une maladie. Il a affirmé ce qui suit :

[traduction]
Malheureusement, comme je vous l’ai dit plus tôt cet été, vous devrez prendre un congé de maladie et non un congé payé au titre du code 699. J’ai vérifié auprès de la haute direction et elle est favorable à cette approche, car celle‑ci est en phase avec l’approche du ministère en ce qui concerne le code de congé 699.

Étant donné que vos crédits de congé de maladie sont épuisés, vous êtes actuellement en situation de trop‑payé depuis le 21 octobre 2020. Les prestations d’assurance, si elles sont approuvées, devraient couvrir la majeure partie du montant que vous devrez rembourser, mais nous devons rectifier votre situation en ce qui a trait au congé à ce stade et ne pas retarder davantage les choses. Cela signifie que nous devrons réduire votre salaire. Nous avons préparé pour vous des formulaires de congé reflétant ces dates de congé (voir pièce jointe).

[38] Il n’y a aucune mention de la directive du 10 avril dans les décisions prises par courriel le 16 août 2020 ou le 15 décembre 2020.

[39] En février 2021, le demandeur a contesté le rejet de sa demande visant à convertir son congé de maladie payé en congé payé au titre du code 699. Il a indiqué ce qui suit dans son formulaire de présentation de grief :

[traduction]
Mon grief porte sur l’utilisation du congé payé pour d’autres motifs (code 699) qui a été instauré pendant la pandémie de COVID‑19. Conformément à l’article 21.17 de la convention collective du groupe EC, « [l]’employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables au fonctionnaire l’empêchent de se rendre au travail. Ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable. » Je m’efforcerai de démontrer qu’un congé payé pour d’autres motifs ne devrait pas m’être refusé de manière déraisonnable, car j’ai souffert d’une crise de santé mentale déclenchée par la pandémie de COVID‑19.

[...]

J’enjoins à la haute direction de reconsidérer cette décision et de me soutenir, ainsi que d’autres personnes dans une situation similaire, en m’autorisant à prendre un congé payé pour d’autres motifs pour mes problèmes de santé mentale liés à la COVID‑19 qui ont été confirmés par un médecin qualifié. Il semble juste et raisonnable de les traiter de la même manière que les maladies physiques liées à la COVID.

Date de chaque action, omission ou situation ayant donné lieu au grief

Le 1er mai 2020 est la date à laquelle j’ai commencé à prendre mon congé de maladie. J’ai tenté de reprendre progressivement le travail en septembre, sans succès. J’ai commencé mon retour progressif au travail actuel le 23 décembre 2020.

Mesures correctives demandées

Bénéficier d’un congé payé pour d’autres motifs, comme c’est le cas pour une personne atteinte de la COVID. Si je dois utiliser mes crédits de congé de maladie en tout ou en partie comme une personne malade ou souffrant de complications liées à la COVID, c’est acceptable. Je demande simplement d’être traité équitablement.

[40] Le grief du demandeur était fondé sur la directive du 10 avril. En particulier, il s’est appuyé sur la dernière des cinq situations permettant aux personnes touchées par la COVID‑19 d’utiliser le code 699, c’est‑à‑dire « lorsqu’il existe d’autres circonstances directement liées [à la] COVID‑19 qui empêche[nt] l’employé de se présenter au travail » :

COVID Autres :

o Lorsqu’il existe d’autres circonstances directement liées [à la] COVID-19 qui empêche[nt] l’employé de se présenter au travail.

VI. Décision et analyse

[41] Dans sa décision du 17 mars 2021, le décideur du premier palier de la procédure de grief a conclu que le refus de convertir le congé de maladie en congé payé au titre du code 699 [traduction] « était conforme aux lignes directrices établies par le Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines ». Il fait référence à la directive du 9 novembre. Toutefois, en tout respect, je fais remarquer que la directive du 9 novembre ne s’appliquait pas à la période pour laquelle le demandeur sollicitait un congé au titre du code 699, qui précédait la date du 9 novembre 2020. Pour la période en cause, soit du 1er mai au 9 novembre 2020, c’est la directive du 10 avril qui s’appliquait, laquelle prévoyait que, « [à] compter de maintenant, tous les employés (c’est‑à‑dire les employés critiques et non critiques qui travaillent à distance ou sur place), qui sont incapables de travailler en raison d’une maladie liée [à la] COVID‑19, ne seront plus tenus de prendre un congé de maladie et seront plutôt admissibles à “d’autres congés payés” (699) ».

[42] Le décideur du deuxième palier de la procédure de grief a rendu sa décision le 7 avril 2022. Celle‑ci était également défavorable. Comme pour la première décision, je fais remarquer que le décideur n’a pas examiné l’application de la directive du 10 avril, mais a plutôt appliqué la directive du 9 novembre, qui ne s’appliquait pas pendant la période en cause, à savoir du 1er mai 2020 au 9 novembre 2020. Le décideur du deuxième palier a conclu ce qui suit : [TRADUCTION] « Le congé payé pour d’autres motifs peut s’appliquer lorsqu’il n’y a pas d’autres dispositions applicables dans la convention collective. Je conclus que la décision de rejeter votre demande de congé payé pour d’autres motifs (code 699), au titre de l’article 21.17 de la convention collective du groupe EC, est conforme aux lignes directrices établies par le Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines. »

[43] Le décideur du troisième et dernier palier de la procédure de grief a rendu sa décision le 10 février 2023, laquelle fait l’objet du présent contrôle. Il affirme ce qui suit :

[traduction]
Une consultation au dernier palier a eu lieu le 24 janvier 2023, en votre présence et en celle de M. Alfred Macleod, la personne que vous avez choisie pour vous assister. Avant de rendre une décision, j’ai soigneusement examiné et pris en compte tous les renseignements fournis, ainsi que les circonstances à l’origine de votre grief.

J’ai fait observer que lors de la consultation au dernier palier, vous m’avez informé que la décision de la direction a été éprouvante pour vous et que vous avez le sentiment d’avoir été victime de discrimination, du point de vue de la santé mentale. De plus, selon vous, puisque la pandémie de COVID‑19 était à l’origine de vos problèmes de santé, vous auriez dû être autorisé à utiliser le code 699 au lieu d’un congé de maladie. En outre, vous avez allégué que la politique du gouvernement concernant le code 699 et son application pendant la pandémie de COVID‑19 « contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés ».

J’ai évalué vos allégations et, après un examen approfondi de la question, j’ai remarqué qu’entre le 1er mai et le 16 août 2020, vous avez demandé et obtenu de la direction l’autorisation d’utiliser un congé de maladie; ce congé était étayé par des notes médicales. Vous avez déclaré que vos problèmes de santé avaient été exacerbés par la pandémie de COVID‑19. À ce moment‑là, vous aviez reçu des renseignements sur l’accès aux services de soutien en santé mentale offerts au ministère (p. ex. le Programme d’aide aux employés) et au gouvernement (p. ex. le carrefour Santé mentale et COVID‑19 pour les fonctionnaires).

Après avoir tenté un retour progressif au travail du 21 septembre au 1er octobre 2020, vous êtes retourné en congé de maladie. Le 6 novembre 2020, vous avez demandé l’approbation rétroactive d’un congé payé au titre du code 699 du 1er mai à la fin du mois de juin 2020, parce que vous aviez fait l’école à la maison, période pendant laquelle vous étiez en congé de maladie approuvé. Au moment de votre demande, la direction a confirmé que le congé de maladie était le congé qu’il fallait utiliser pour cette période, conformément à l’approche du ministère dans ces circonstances.

J’estime que la décision de rejeter votre demande de congé au titre du code 699, sur le fondement de l’article 21.17 de la convention collective du groupe EC, était raisonnable et conforme aux lignes directrices établies par le Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines (BDPRH) :

« Si l’employé ne se porte pas suffisamment bien pour travailler, il devra utiliser ses crédits de congé de maladie. Conformément aux dispositions de la convention collective ou aux conditions d’emploi pertinentes, le gestionnaire peut demander à l’employé de présenter tout document justificatif afin de répondre à cette exigence. » (BDPRH 2020).

De plus, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (CRTESPF) a récemment confirmé en ce qui a trait à l’application du code 699 qu’un « employé qui est malade et qui ne peut pas travailler doit utiliser un congé de maladie » (Alliance de la Fonction publique du Canada c Conseil du Trésor, 2022 CRTESPF 12, au para 209).

Les directives sur l’utilisation du code 699 dans la fonction publique étaient une mesure exceptionnelle prise par le gouvernement du Canada pour enrayer la pandémie de COVID‑19 et protéger la santé et la sécurité de ses employés et de l’ensemble de la population. Ces directives indiquaient clairement que le congé au titre du code 699 devait être accordé au cas par cas, lorsqu’il n’existait pas d’autre congé pour ces circonstances.

Rien n’indique que vous avez été désavantagé ou victime de discrimination en raison de la décision de la direction ou de l’application des directives sur l’utilisation du code 699.

Pour ces motifs, votre grief et les mesures correctives demandées sont rejetés.

Si vous n’êtes pas satisfait de cette décision, vous pouvez vous adresser à la Cour fédérale en déposant une demande de contrôle judiciaire; de plus amples informations sont disponibles sur le site de la Cour fédérale – Accueil (fct-cf.gc.ca).

[44] À mon avis, le décideur du troisième et dernier palier ne s’est pas attaqué de manière significative à la question soulevée par le demandeur, à savoir que sa demande soit examinée à la lumière de la directive du 10 avril. En fait, son analyse et sa décision étaient fondées sur la directive subséquente du 9 novembre.

[45] À mon très humble avis, la décision n’a pas respecté les contraintes juridiques et factuelles de l’espèce, contrairement à ce qui est établi au paragraphe 31 de l’arrêt Société canadienne des postes et au paragraphe 128 de l’arrêt Vavilov, cités précédemment.

[46] J’en arrive à cette conclusion pour plusieurs motifs.

[47] D’abord, au cinquième paragraphe de la décision, le décideur renvoie précisément non pas à la directive du 10 avril, mais à la directive du 9 novembre adoptée par la dirigeante principale des ressources humaines. Comme je le mentionne plus haut, la directive du 9 novembre est entrée en vigueur le 9 novembre 2020 et ne s’appliquait pas à la demande de congé payé du demandeur au titre du code 699 visant la période du 1er mai au 9 novembre 2020.

[48] De plus, le sixième paragraphe complet de la décision renvoie à la décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral [le CRTESPF] en ce qui a trait à l’application du code 699, selon laquelle l’« employé qui est malade et qui ne peut pas travailler doit utiliser un congé de maladie » : Alliance de la Fonction publique du Canada c Conseil du Trésor, 2022 CRTESPF 12 [AFPC], au para 209. Toutefois, en tout respect, cette décision reposait également sur la directive du 9 novembre, qui ne s’appliquait pas en l’espèce.

[49] Je fais également observer que, dans le septième paragraphe complet de la décision, le décideur cite et applique la directive du 9 novembre au lieu de la directive du 10 avril qui s’appliquait aux faits et à la situation juridique qui lui avaient été présentés.

[50] Le défendeur soutient que, quoi qu’il en soit, le demandeur n’a pas le droit de se prévaloir de la directive du 10 avril. Il affirme ce qui suit au paragraphe 17 de son mémoire :

[traduction]
17. Il n’y avait également aucune ambiguïté dans les documents d’orientation pour le code de congé 699 en ce qui concerne la situation du demandeur. Pendant toute cette période, les directives concernant les problèmes de santé mentale liés à la COVID‑19 prévoyaient que ces problèmes étaient couverts non pas par le code de congé 699, mais par le congé de maladie. Plus précisément, la FAQ du 1er mai 2020 indiquait que les employés souffrant de problèmes de santé mentale ne pouvaient pas utiliser le code de congé 699 à cette fin et que, « pour les problèmes de santé mentale liés à la COVID‑19, il [fallait] recourir aux crédits de congé de maladie ».

[51] À cet égard, le défendeur s’appuie non pas sur la directive du 10 avril, mais sur une FAQ publiée le 5 mai 2020 :

[traduction]
5. Si la COVID‑19 me cause du stress et de l’anxiété, puis‑je utiliser le code de 699?

Malheureusement non, pour les problèmes de santé mentale liés à la COVID‑19, il faut recourir aux crédits de congé de maladie.

[Caractères gras dans l’original.]

[52] À mon humble avis, le défendeur demande à la Cour de prendre une décision que le décideur n’a pas prise. Il est bien établi que, lors du contrôle judiciaire, la Cour ne peut rédiger des motifs que le décideur n’a pas rédigés même s’il lui était loisible de le faire. Si la Cour peut relier les points lorsqu’il y a suffisamment de points à relier, ce n’est à mon avis pas le cas en l’espèce : voir Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11; et Vavilov, au para 97.

[53] J’ai plutôt à ma disposition une décision qui porte sur un congé pris entre mai et novembre 2020 (alors que les critères d’admissibilité au congé 699 avaient été élargis pour les personnes touchées par la COVID‑19 et qu’il n’était plus nécessaire d’épuiser d’abord ses crédits de congé de maladie conformément à la directive du 10 avril), mais qui applique de manière déraisonnable la directive plus étroite du 9 novembre selon laquelle les employés devaient épuiser leurs crédits de congé de maladie avant de se prévaloir des dispositions générales relatives aux congés payés en cas de « tempête de neige ». En tout respect, je suis d’avis que le décideur dans la présente affaire ne s’est pas attaqué aux questions de manière significative autrement qu’en appliquant de manière déraisonnable la directive du 9 novembre, de sorte qu’il n’a pas respecté les contraintes factuelles et juridiques pertinentes.

[54] Le défendeur soutient que, lorsqu’une convention collective comporte deux dispositions qui peuvent s’appliquer à une situation donnée, la disposition la plus précise s’applique. Par conséquent, il affirme que le demandeur doit s’en tenir aux dispositions relatives au congé de maladie payé de la convention collective du groupe EC (article 22.02), car ce sont ces dispositions qui s’appliquent, et non les dispositions plus générales relatives au congé payé pour d’autres motifs énoncées à l’article 21.17 (code 699).

[55] À cet égard, le défendeur s’appuie sur la décision Lévesque c Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 154, au paragraphe 53, sur la décision Clark c Conseil du Trésor (Transports Canada), [1994] CRTFPC no 45, sur la décision Bitar c Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2020 CRTESPF 2, sur la décision AFPC, au paragraphe 194, ainsi que sur l’arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4.

[56] En tout respect, et bien que je sois d’accord pour dire qu’une disposition précise doit l’emporter sur une disposition générale, à moins qu’une intention contraire ne soit démontrée, j’estime que cet argument n’est pas convaincant dans l’appréciation du caractère raisonnable de la décision.

[57] Il me semble qu’en l’espèce, il n’est pas question de deux règles applicables d’une même convention collective, comme c’était le cas dans la plupart, voire la totalité, des décisions auxquelles il est fait référence précédemment. En fait, à mon humble avis, il y a trois règles applicables en l’espèce : 1) le congé de maladie payé général visé à l’article 22.02 de la convention collective du groupe EC; 2) le congé payé pour d’autres motifs (tempête de neige) visé à l’article 21.17 et faisant intervenir le code 699; et 3) la nouvelle directive du 10 avril permettant aux personnes touchées par la COVID‑19 d’utiliser le code 699 sans devoir à épuiser leurs crédits de congé de maladie.

[58] De ces trois règles possibles, en tout respect, il me semble que la troisième est la plus précise. La directive du 10 avril indiquait que, « [à] compter de maintenant, tous les employés (c’est‑à‑dire les employés critiques et non critiques qui travaillent à distance ou sur place), qui sont incapables de travailler en raison d’une maladie liée [à la] COVID‑19, ne seront plus tenus de prendre un congé de maladie et seront plutôt admissibles à “d’autres congés payés” (699) ». À mon humble avis, cette directive s’appliquait raisonnablement au demandeur, mais elle n’a pas été prise en considération.

[59] En outre, on pourrait juger déraisonnable de la part du décideur de s’être appuyé sur la FAQ du 5 mai 2020 dans le cas du demandeur, car il semble que ce dernier ne vivait pas simplement du stress et de l’anxiété, mais souffrait de problèmes de santé si graves qu’il avait eu des idées suicidaires et un comportement en lien avec celles‑ci, lesquels étaient consignés au dossier, c’est‑à‑dire un mal‑être grave au point d’exacerber ses problèmes de santé mentale et de le rendre incapable de retourner au travail pendant de nombreux mois. Mais je n’ai pas à me prononcer sur cette question.

[60] De plus, si je devais trancher la question, il serait raisonnable de croire que le demandeur est visé par la situation prévue au cinquième point de la directive du 10 avril, car l’exacerbation de ses problèmes par la COVID‑19 pourrait raisonnablement être considérée comme des circonstances « directement liées [à la] COVID-19 qui empêche[nt] l’employé de se présenter au travail ». Le cinquième point était le suivant :

COVID Autres :

o Lorsqu’il existe d’autres circonstances directement liées [à la] COVID-19 qui empêche[nt] l’employé de se présenter au travail.

[61] Toutefois, il s’agit de remarques incidentes, et je n’en dirai pas plus étant donné que la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, de sorte qu’un autre décideur pourra trancher ces questions.

[62] Avant de conclure, je tiens à souligner qu’une difficulté dans la présente affaire réside dans le fait que le demandeur, parallèlement au dépôt de son grief, présentait des observations à divers fonctionnaires du Conseil du Trésor et du gouvernement du Canada. Il demandait essentiellement que les employés dont la santé mentale avait été affectée par la COVID‑19 au point d’être incapables de travailler soient traités conformément à la directive du 10 avril, de la même manière que ceux dont la santé physique avait été affectée au point d’être incapables de travailler. Il considérait que de ne pas bénéficier du même traitement était discriminatoire envers les personnes souffrant de problèmes de santé mentale.

[63] À mon avis, il n’est pas nécessaire d’examiner à quoi aurait pu ressembler une politique différente, ni si le demandeur a été victime de discrimination, étant donné que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que son grief sera réexaminé.

VII. Conclusion

[64] La décision est déraisonnable et sera par conséquent annulée.

VIII. Dépens

[65] Le demandeur sollicite des dépens de 100 $. Le défendeur ne réclame aucuns dépens. Comme le demandeur a eu gain de cause, le défendeur lui versera des dépens de 100 $, tout compris.


JUGEMENT dans le dossier T-482-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur, avec effet immédiat.

  2. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du SCT est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’elle soit réexaminée à la lumière de la directive du 10 avril.

  3. Le défendeur verse au demandeur la somme globale de 100 $ au titre des dépens.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-482-23

 

INTITULÉ :

DAVID BROWN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 DÉCEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 22 DÉCEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

David Brown

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Richard Fader

Larissa Schieven

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.