Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20231215


Dossier : T-835-22

Référence : 2023 CF 1705

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

HAYDN GEORGE

demandeur

et

CONSEIL TRIBAL HEILTSUK

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. George conteste deux résolutions adoptées par le Conseil tribal Heiltsuk. La première résolution lui enjoint de quitter la réserve de la Nation Heiltsuk à Bella Bella. La deuxième résolution lui interdit de se trouver sur le territoire traditionnel de la Nation Heiltsuk, qui comprend non seulement la réserve, mais également la région environnante. Le Conseil a adopté ces résolutions après que M. George, qui n’est pas autochtone, a perdu son emploi à l’école de Bella Bella et a cherché à demeurer dans la communauté. M. George sollicite également un jugement déclaratoire concernant les interactions entre le Conseil et son employeur subséquent et, plus généralement, le pouvoir du Conseil d’expulser des personnes du territoire traditionnel de la Nation Heiltsuk.

[2] Afin de résoudre la présente affaire, il faut tenir compte à la fois du droit canadien et du droit de la Nation Heiltsuk, qu’on appelle le ǧvi̓ḷás. La première résolution traduit la perte du droit de M. George de résider dans la réserve, conformément à un règlement adopté par le Conseil. Cela soulève une question de droit canadien, car le Conseil avait adopté ce règlement en application d’une loi fédérale, la Loi sur les Indiens. Toutefois, lorsqu’il a adopté la deuxième résolution, le Conseil ne s’est appuyé que sur le ǧvi̓ḷás, selon lequel des personnes qui ne sont pas membres de la Nation Heiltsuk peuvent être priées de quitter le territoire traditionnel. Le Conseil n’a pas sollicité l’aide des institutions judiciaires canadiennes pour faire appliquer les deux résolutions; il a simplement tenté de persuader les tiers concernés de les respecter volontairement.

[3] Je rejetterai la demande de M. George, essentiellement parce que notre Cour n’a pas compétence en l’espèce. Bien que la première résolution porte sur des questions relevant du droit canadien, elle n’a pas eu d’incidence sur les droits de M. George, car, conformément au règlement, son droit de résider dans la réserve a pris fin lorsqu’il a perdu son emploi. En revanche, la seconde résolution est exclusivement fondée sur le ǧvi̓ḷás. En l’adoptant, le Conseil n’a pas « exerc[é] une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale », ce qui est une condition préalable à la compétence de notre Cour en matière de contrôle judiciaire. Les interactions entre le Conseil et l’employeur subséquent de M. George constituent une affaire privée qui ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Il n’est pas nécessaire de rendre un jugement déclaratoire concernant la portée des pouvoirs que le droit canadien confère au Conseil à l’égard de son territoire traditionnel, puisque le Conseil n’a pas cherché à exercer ces pouvoirs.

I. Contexte

[4] La Nation Heiltsuk est une Première Nation dont le territoire traditionnel est situé sur la côte centrale de la Colombie-Britannique. Elle possède ses propres structures de gouvernance ancrées dans la tradition. Selon le ǧvi̓ḷás, c’est-à-dire le droit des Heiltsuk, cinq hím̓ás, ou chefs héréditaires, sont responsables de chacune des cinq « tribus » qui composent la Nation. La Nation Heiltsuk est également reconnue comme une « bande » aux termes de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5. Le défendeur, le Conseil tribal Heiltsuk [le Conseil], est le conseil de la bande. Depuis au moins vingt ans, il collabore avec les hím̓ás dans le cadre d’un régime de gouvernance conjointe, qui combine des pouvoirs découlant du ǧvi̓ḷás et du système juridique canadien.

[5] Depuis plus d’un siècle, les membres de la Nation Heiltsuk résident principalement dans la communauté de Bella Bella, située sur l’île Campbell. Cette communauté est désignée comme une « réserve » aux termes de la Loi sur les Indiens. Plusieurs autres réserves ont été mises de côté pour la Nation Heiltsuk sur son territoire traditionnel, mais elles ne sont pas pertinentes en l’espèce. Par conséquent, j’utiliserai le mot « réserve » au singulier pour désigner la réserve de Bella Bella.

[6] Le territoire traditionnel de la Nation Heiltsuk comprend également des communautés qui ne sont pas situées dans les réserves de cette nation. Les habitants de ces communautés comprennent aussi bien des membres que des non-membres de la Nation Heiltsuk. Shearwater, située sur l’île Denny, à environ six kilomètres de Bella Bella, est l’une de ces communautés.

[7] L’alinéa 81(1)p.1) de la Loi sur les Indiens habilite le conseil d’une Première Nation à prendre des règlements administratifs concernant « la résidence des membres de la bande ou des autres personnes sur la réserve ». En 1992, le Conseil a adopté le règlement no 20 [le règlement sur la résidence], qui définit les catégories de personnes qui peuvent résider dans la réserve. Ces catégories peuvent être résumées ainsi. Les membres de la Nation, leurs enfants à charge et les employés de certaines institutions situées à Bella Bella ont automatiquement le droit de résider dans la réserve. Les conjoints des membres, leurs enfants et les membres des autres Premières Nations peuvent demander l’autorisation de résider dans la réserve. Les autres personnes qui souhaitent résider dans la réserve de manière temporaire peuvent demander un permis de séjour limité.

[8] Dans les années 1970, la Nation Heiltsuk a pris en charge l’éducation de ses enfants et a créé l’école communautaire de Bella Bella. L’école est dirigée par la Bella Bella Community School Society [la Société]. Le Conseil et la Société sont des entités distinctes, mais la preuve ne révèle pas la nature précise de leur relation.

[9] Le demandeur, M. George, a été directeur de l’école de 2019 à 2021. Il n’est pas membre de la Nation Heiltsuk. Il a été congédié le 1er octobre 2021, expressément sans cause.

[10] En décembre 2021, le Conseil a appris que M. George n’avait pas quitté Bella Bella, même s’il n’y travaillait plus. En outre, la nouvelle directrice de l’école a formulé certaines allégations concernant M. George. Le Conseil et les hím̓ás ont tenu une réunion conjointe le 16 décembre 2021 afin d’examiner la question. Ils ont décidé de demander à M. George de quitter la communauté. Cette décision a été consignée dans une résolution signée par les membres du Conseil le 17 décembre 2021. La section B du préambule de la résolution résume les allégations faites par la nouvelle directrice de l’école. La résolution est ainsi libellée :

[traduction]

ATTENDU QUE :

A. Le Conseil tribal Heiltsuk (le Conseil) s’engage à assurer et à protéger le bien-être des membres de la Nation Heiltsuk, y compris ceux qui vivent à Bella Bella;

B. Les renseignements suivants concernant Haydn George, ancien directeur de l’école communautaire de Bella Bella, ont été portés à l’attention du Conseil :

I. Il a pris un chèque que le Conseil avait émis à l’ordre de l’école communautaire de Bella Bella, visant à transférer des fonds du programme Expérience emploi d’été qui étaient destinés à payer des étudiants pour leur travail et il n’a pas déposé ce chèque;

II. Le surintendant lui a demandé de ne pas s’ingérer dans les affaires du conseil scolaire;

III. Il a récemment communiqué avec un élève de l’école communautaire de Bella Bella et l’a encouragé à « présenter une réclamation au conseil scolaire » afin d’obtenir de l’argent qui, selon lui, lui était dû;

IV. Son comportement a dérangé l’élève, particulièrement parce que M. George ne travaille plus à l’école;

V. Il a également rencontré des jeunes pour des raisons inconnues, même s’il ne travaille plus à l’école.

C. M. George n’est pas inscrit sur la liste des résidents de la Nation Heiltsuk, n’a pas le droit de faire inscrire son nom sur la liste de résidents et ne réside pas à Bella Bella conformément aux conditions d’un permis de séjour limité délivré en vertu du règlement 20 de la bande indienne Heiltsuk (dans sa version modifiée) (le règlement sur la résidence);

D. Le Conseil est préoccupé par le comportement de M. George et souhaite prendre les mesures appropriées.

PAR LES PRÉSENTES, LE CONSEIL TRIBAL HEILTSUK ADOPTE LA RÉSOLUTION SUIVANTE :

1. Conformément au droit inhérent à l’autonomie gouvernementale de la Nation Heiltsuk, au règlement sur la résidence et à la législation applicable, le Conseil déclare que Haydn George n’a pas le droit de vivre dans la réserve.

2. Le Conseil demande à Haydn George de quitter volontairement la communauté de Bella Bella et de ne pas y revenir, à moins d’être invité à le faire par les autorités conjointes de la Nation Heiltsuk.

3. Si Haydn George ne quitte pas la communauté de Bella Bella d’ici le 22 décembre 2021, le Conseil envisagera d’intenter une action en justice pour l’obliger à partir.

[11] Le Conseil n’a pas avisé M. George qu’il se réunirait le 16 décembre 2021 et ne l’a pas invité à présenter des observations. M. George conteste les déclarations contenues dans la section B du préambule de la résolution et dans la lettre rédigée par la nouvelle directrice de l’école, qui lui a été communiquée au cours de la présente instance. Il affirme qu’il faisait régulièrement du bénévolat pour un programme communautaire destiné aux jeunes, qui était administré par la Qqs (Eyes) Projects Society [la Société Qqs], qu’il a continué de le faire après son congédiement, et que c’est dans ce contexte qu’il a rencontré les jeunes.

[12] Après son congédiement, M. George a déménagé dans une maison flottante ancrée à la marina Martin’s, dans la communauté de Bella Bella. Bien que la marina soit étroitement intégrée à la collectivité, la maison flottante était ancrée à l’extérieur des limites de la réserve. M. George s’est également abstenu d’entrer dans la réserve.

[13] Le 17 janvier 2022, par l’intermédiaire de son avocat, M. George a avisé le Conseil qu’il vivait dans une maison flottante à la marina. Il a également demandé au Conseil la permission d’entrer dans la réserve à certaines fins précises, notamment pour continuer à faire du bénévolat pour la Société Qqs. Le même jour, la directrice générale de la Société Qqs a écrit au Conseil pour appuyer cette demande et faire l’éloge du travail bénévole de M. George.

[14] Cela a amené le Conseil et les hím̓ás à se pencher à nouveau sur la situation de M. George le 18 janvier 2022. M. George n’a pas été avisé de cette réunion et n’a pas été invité à présenter des observations autres que celles que son avocat avait déjà fournies. Cette réunion a donné lieu à l’adoption d’une nouvelle résolution le 20 janvier 2022, qui est libellée ainsi :

[traduction]

ATTENDU QUE :

A. Le Conseil tribal Heiltsuk (le Conseil) s’engage à assurer et à protéger le bien-être des membres de la Nation Heiltsuk dans l’ensemble du territoire des Heiltsuk;

B. Le 21 décembre 2021, après avoir reçu des renseignements inquiétants au sujet de Haydn George, ancien directeur de l’école communautaire de Bella Bella, le Conseil a adopté la résolution du conseil de bande 21/22 (la Résolution 21/22), laquelle déclare que M. George n’a pas le droit de se trouver dans la réserve et lui demande de quitter volontairement la communauté de Bella Bella;

C. Le 17 janvier 2022, le Conseil a été informé par l’avocat de M. George que celui-ci s’est prétendument conformé à la Résolution 21/22 en résidant dans une maison flottante à la marina Martin’s, à l’extérieur de la réserve, mais dans la communauté de Bella Bella et sur le territoire des Heiltsuk;

D. Comme M. George a continué à résider sur les eaux de la communauté de Bella Bella, il a demandé la permission d’entrer dans la réserve afin d’y travailler et d’obtenir des biens de première nécessité;

E. En continuant à résider sur les eaux de la communauté de Bella Bella, M. George n’a pas quitté volontairement Bella Bella comme le Conseil lui avait demandé de le faire dans la Résolution 21/22;

F. Le Conseil demeure inquiet et préoccupé par le comportement de M. George.

PAR LES PRÉSENTES, LE CONSEIL TRIBAL HEILTSUK ADOPTE LA RÉSOLUTION SUIVANTE :

1. En vertu du système de gouvernance traditionnelle Heiltsuk et du ǧvi̓ḷás, il est immédiatement interdit à Haydn George de se trouver sur le territoire des Heiltsuk et d’y entrer sans la permission expresse des autorités conjointes de la Nation Heiltsuk;

2. Si Haydn George ne quitte pas immédiatement le territoire des Heiltsuk, le Conseil envisagera d’intenter des actions en justice afin de l’obliger à partir.

[15] Les avocats de la Nation Heiltsuk ont transmis cette deuxième résolution à l’avocat de M. George et l’ont invité à présenter une demande de permis de séjour limité en vertu du règlement sur la résidence. L’avocat de M. George a répondu qu’il n’avait pas l’intention de le faire, car il souhaitait résider à Bella Bella de façon permanente et non temporaire.

[16] Après avoir reçu cette deuxième résolution, M. George a cessé d’habiter sa maison flottante à la marina Martin’s. Il a pris des dispositions pour aller vivre ailleurs sur le territoire traditionnel des Heiltsuk, mais à l’extérieur de la réserve de Bella Bella. Le dossier n’indique pas la nature précise des dispositions qu’il a prises.

[17] En janvier 2022, M. George a commencé un emploi temporaire au sein du district scolaire 49, qui administre une école à Shearwater. Il remplaçait le seul enseignant de l’école, qui était en congé de maladie. Dès qu’ils ont pris connaissance de la situation, les représentants du Conseil ont communiqué avec les représentants du district pour les informer des deux résolutions obligeant M. George à quitter la communauté de Bella Bella et le territoire des Heiltsuk. Le district a mis fin à l’emploi de M. George le 31 mars 2022, avant que l’enseignant ne revienne de son congé.

[18] M. George a ensuite déposé la présente demande de contrôle judiciaire afin d’obtenir des ordonnances annulant les deux résolutions, une déclaration portant que les interactions du Conseil avec le district scolaire 49 étaient invalides et une déclaration portant que le Conseil n’a pas le pouvoir de bannir quiconque de son territoire traditionnel à l’extérieur des réserves. Il soutient que le Conseil a suivi une procédure inéquitable en ne l’avisant pas de la tenue des réunions au cours desquelles les résolutions ont été adoptées. Il affirme également que les résolutions étaient déraisonnables, parce qu’elles étaient fondées sur des éléments de preuve non fiables et qu’elles ne tenaient pas compte de sa version des faits ni de la lettre d’appui de la directrice générale de la Société Qqs. Enfin, bien qu’il accepte que le Conseil ait le pouvoir d’interdire aux non-membres de résider dans la réserve, il soutient que le Conseil n’a pas le pouvoir de leur interdire de résider à l’extérieur de la réserve.

[19] Le Conseil a présenté une requête en radiation de la présente demande, car il prétend que la Cour n’a pas compétence pour trancher la question. Ma collègue la juge Avvy Yao-Yao Go a rejeté cette requête dans la décision George c Première Nation Heiltsuk, 2022 CF 1786, et a conclu que les questions de compétence devraient être tranchées en même temps que le fond de la demande.

[20] Parallèlement à la présente demande de contrôle judiciaire, M. George a déposé un grief concernant la cessation de son emploi au district scolaire 49, en vertu des dispositions applicables de la convention collective. Il semble que M. George et le district se soient entendus et aient réglé ce grief.

[21] M. George a également intenté une action civile contre le Conseil et la Société pour incitation à la violation d’un contrat et diffamation. La Conseil a présenté une requête en jugement sommaire. La juge Nitya Iyer de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a accueilli la requête en partie : George v Bella Bella Community School Society, 2023 BCSC 1767. Elle a conclu que le Conseil n’avait pas incité le district scolaire 49 à rompre son contrat avec M. George lors de leurs discussions. Toutefois, elle a jugé que les allégations de diffamation devaient faire l’objet d’un procès, qui est prévu pour janvier 2024.

II. Analyse

[22] Je rejetterai la demande de M. George. Les deux résolutions contestées par M. George ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, mais pour des raisons différentes. La première résolution n’est pas susceptible de contrôle parce qu’elle n’a pas d’incidence sur les droits de M. George. Son droit de résider dans la réserve a pris fin au moment de la cessation de son emploi, avant l’adoption de la résolution. La deuxième résolution n’a pas été adoptée en vertu de pouvoirs conférés ou reconnus par une loi fédérale et ne relève donc pas de la compétence de la Cour fédérale. Comme l’affaire n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, je n’ai pas à traiter des prétentions de M. George concernant l’équité procédurale et le caractère déraisonnable.

[23] Je refuse également de rendre le jugement déclaratoire demandé par M. George. Les interactions entre le Conseil et le district scolaire 49 ne font intervenir aucun pouvoir relevant du droit public et ne sont donc pas susceptibles de contrôle judiciaire, de sorte que la Cour n’a pas compétence pour rendre un jugement déclaratoire à leur sujet. Enfin, il n’y a pas de litige actuel concernant la déclaration demandée par M. George portant que le Conseil n’a pas le pouvoir d’expulser des non-membres de la Nation Heiltsuk de son territoire traditionnel, parce que cette déclaration relève du droit canadien et que le Conseil ne s’appuie pas sur le droit canadien.

[24] Avant d’énoncer mes motifs, je dois examiner une question de procédure. M. George demande l’autorisation de contester plus d’une décision dans une seule demande de contrôle judiciaire, au titre de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. J’accueillerai cette demande. Les deux résolutions et la conduite subséquente contestées dans la présente demande sont étroitement liées, même si elles sont fondées sur des sources de pouvoir différentes et soulèvent des questions différentes. Il s’ensuit que M. George n’avait pas besoin de demander une prorogation de délai pour présenter cette demande.

A. Principes généraux

[25] Ce qui rend cette affaire inhabituelle, c’est que la demande de contrôle judiciaire vise des décisions prises en vertu d’une combinaison de droit autochtone et de droit canadien. Pour bien comprendre les présents motifs, il est donc nécessaire de commencer par préciser ce qu’on entend par droit autochtone et droit canadien, et de décrire les principes de base régissant la portée de la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire.

1) Droit autochtone et droit canadien

[26] Il n’est pas nécessaire de disserter longuement au sujet du concept de droit canadien, car la plupart des personnes qui liront les présents motifs connaissent bien le sujet. Au risque de simplifier à outrance, on peut dire qu’il s’agit de l’ensemble des règles qui tirent leur autorité et leur légitimité de la Constitution canadienne. Ses sources écrites comprennent, en ordre hiérarchique, la Constitution, les lois – qu’il s’agisse de lois fédérales ou provinciales – et les diverses formes de mesures législatives subordonnées, comme les règlements. Il inclut également la common law, c’est-à-dire l’ensemble des règles qui découlent des décisions des tribunaux.

[27] Il est possible de définir le droit autochtone comme comprenant toute forme de droit qui émane des peuples autochtones, indépendamment de sa source d’autorité ultime. Dans cette acception, certaines formes de droit autochtone peuvent faire partie du droit canadien, si celui-ci délègue des pouvoirs normatifs aux peuples autochtones. Comme je l’ai mentionné précédemment, cela comprend le pouvoir des conseils des Premières Nations de prendre des règlements en vertu de la Loi sur les Indiens.

[28] En l’espèce, cependant, les parties ont utilisé l’expression « droit autochtone » dans un sens différent, qui renvoie au droit dont l’autorité et la légitimité sont enracinées dans les traditions, les philosophies et les visions du monde autochtone plutôt que dans la Constitution canadienne. Pris dans ce sens, le droit autochtone existe indépendamment de toute délégation de pouvoir du système juridique canadien. Les Heiltsuk utilisent le terme ǧvi̓ḷás pour décrire ce type de droit autochtone. Dans son affidavit, la hím̓ás Joann Green fournit l’explication suivante :

[traduction]
Le ǧvi̓ḷás exprime des valeurs, des croyances et des principes spirituels concernant nos façons d’être et il incarne les principes juridiques des Heiltsuk. Le ǧvi̓ḷás régit les relations que les Heiltsuk entretiennent entre eux et avec le monde naturel et spirituel, et régissent la responsabilité des Heiltsuk envers nos ressources, y compris nos terres, nos eaux et tous les êtres vivants sur le territoire des Heiltsuk. Il découle du láxvái, qui s’apparente à la force du lien entre les hím̓ás et leur territoire ou à leur compétence inhérente à cet égard.

[29] Même si, dans cette acception, le droit autochtone existe indépendamment du droit canadien, il peut y avoir des points de contact entre les deux systèmes juridiques : voir l’analyse dans la décision Linklater c Première Nation Thunderchild, 2020 CF 1065 aux paragraphes 38 à 45; voir aussi Ghislain Otis, Jean Leclair et Sophie Thériault, La vie du pluralisme juridique (Paris : LGDJ, Lextenso Éditions, 2022). Par exemple, la Loi sur les Indiens reconnaît que les dirigeants de certaines Premières Nations sont choisis selon la « coutume », ce qui signifie le droit autochtone : Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648 aux paragraphes 6 à 14, [2018] 4 RCF 467. De même, la common law et les lois de plusieurs provinces et territoires reconnaissent l’adoption « coutumière » autochtone. Toutefois, il existe des questions pour lesquelles il n’y a aucun point de contact entre le droit canadien et le droit autochtone. À ce stade-ci, il n’est pas nécessaire de discuter plus en détail des interactions entre le droit canadien et le droit autochtone.

2) Le contrôle judiciaire à la Cour fédérale

[30] Le contrôle judiciaire est décrit comme un moyen qui « permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 28, [2008] 1 RCS 190. Autrement dit, « la fonction constitutionnelle du contrôle judiciaire [vise] à s’assurer que l’exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 82, [2019] 4 RCS 653. Le contrôle judiciaire est un moyen essentiel, mais non exclusif, dont les tribunaux disposent pour s’assurer que le pouvoir exécutif agit en conformité avec le droit. Il joue un rôle crucial dans une société libre et démocratique.

[31] Le contrôle judiciaire est un recours de droit public. J’expliquerai l’importance de cet aspect plus loin. Néanmoins, les recours de droit privé peuvent aussi être utilisés pour tenir les gouvernements responsables, comme le montre l’exemple classique de l’arrêt Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121, ou des exemples plus récents de recours collectifs liés à un large éventail de politiques ou de pratiques gouvernementales.

[32] Le contrôle judiciaire relève normalement de la compétence des cours supérieures provinciales : Crevier c P.G. (Québec), [1981] 2 RCS 220. Toutefois, la croissance de l’État administratif a amené le Parlement à centraliser le contrôle judiciaire des organismes administratifs fédéraux à la Cour fédérale : Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37 aux paragraphes 16 à 18, [2015] 2 RCS 713.

[33] Les trois aspects suivants du droit régissant le contrôle judiciaire doivent être expliqués pour bien comprendre les présents motifs : a) la nature des décisions qui peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire; b) l’étendue de la compétence de la Cour fédérale par rapport à celle des cours supérieures provinciales; c) le fait que le contrôle judiciaire ne s’applique qu’aux décisions à caractère public.

[34] Ces trois questions sont liées dans une certaine mesure. Toutefois, elles sont habituellement traitées comme des questions distinctes dans la jurisprudence, et je ferai de même.

a) Quelles sont les décisions qui peuvent être contestées?

[35] Un demandeur ne peut contester tous les aspects de la conduite d’un organisme administratif. Le contrôle judiciaire n’est possible que si la décision contestée a une incidence sur les droits ou la situation juridique du demandeur. Par contre, « [l]es actes administratifs qui ne portent pas atteinte aux droits des demandeurs ou n’entraînent pas de conséquences juridiques ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire » : Démocratie en surveillance c Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, au paragraphe 10.

[36] Autrement dit, pour utiliser une terminologie consacrée, la décision contestée doit porter atteinte aux droits du demandeur, lui imposer des obligations ou entraîner des effets préjudiciables : Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2013 CAF 236 au paragraphe 20 [Forest Ethics]; Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 RCF 605 [Air Canada]; Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2019 CAF 319 au paragraphe 36; Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2021 CAF 133 au paragraphe 29. Le fait qu’un demandeur subisse des inconvénients ou des conséquences financières indirectes par suite de la décision ou qu’il ait un intérêt moral dans l’affaire ne suffit pas : Forest Ethics, aux paragraphes 26 à 29; Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c Odynsky, 2010 CAF 307 au paragraphe 58, [2012] 2 RCF 312.

b) Un « office fédéral »

[37] L’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, confère à notre Cour la compétence exclusive en ce qui concerne l’octroi de certaines mesures de réparation en droit administratif « contre tout office fédéral ». Cette dernière expression, quant à elle, est définie à l’article 2 :

office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

federal board, commission or other tribunal means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made under a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges or associate judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867;

[38] Aux fins de cette définition, l’important est de déterminer la source des pouvoirs de l’organisme : Anisman c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52 au paragraphe 29. Autrement dit, la décision contestée doit avoir été rendue, ou être censée avoir été rendue, conformément aux pouvoirs conférés par une loi fédérale. Le fait qu’un organisme doive son existence à une loi fédérale ne suffit pas.

[39] Il est bien établi que les Premières Nations, leurs conseils ou les organismes qu’elles créent sont des « offices fédéraux » lorsqu’ils exercent des pouvoirs conférés par la Loi sur les Indiens ou d’autres lois fédérales. C’est également le cas lorsqu’ils exercent des pouvoirs conférés par le droit autochtone concernant la sélection des dirigeants, y compris ce qu’on appelle souvent les « codes électoraux coutumiers » : Canatonquin c Gabriel, [1980] 2 CF 792 (CA). Bien que notre compréhension du droit autochtone ait considérablement changé depuis 1980, la meilleure façon d’expliquer ce résultat dans le contexte actuel semble être qu’il suffit que la Loi sur les Indiens reconnaisse les règles de droit autochtone (ou la « coutume ») concernant la sélection des dirigeants pour que l’on conclue que ces règles résultent de l’exercice « [d’]une compétence ou [de] pouvoirs prévus par une loi fédérale ».

[40] Toutefois, lorsque le conseil d’une Première Nation exerce des pouvoirs qui ne sont pas conférés ou reconnus par la Loi sur les Indiens ou d’autres lois fédérales, il n’agit pas comme un « office fédéral » et ses décisions ne sont pas susceptibles de contrôle par la Cour fédérale : Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. c Première Nation de Rat Portage no 38B, 2008 CF 812 au paragraphe 45, [2009] 2 RCF 276 [Devil’s Gap].

c) Le caractère public ou privé

[41] Étant donné que le contrôle judiciaire est axé sur la légalité d’une mesure administrative, on ne peut y avoir recours que lorsque la décision contestée est de nature publique. Au paragraphe 14 de l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 RCS 750, la Cour suprême du Canada a expliqué cette exigence en ces termes :

[Le contrôle judiciaire] est possible uniquement lorsqu’un pouvoir étatique a été exercé et que l’exercice de ce pouvoir présente une nature suffisamment publique. En effet, même les organismes publics prennent des décisions de nature privée — par exemple pour louer des locaux ou pour embaucher du personnel — et de telles décisions ne sont pas assujetties au pouvoir de contrôle des tribunaux [...] Des décisions de la sorte ne soulèvent pas de préoccupations relatives à la primauté du droit, car, pour que cela soit le cas, il faut être en présence de l’exercice d’un pouvoir délégué.

[42] Il est notoirement difficile de tracer une ligne claire entre les décisions de nature privée et de nature publique. Au paragraphe 60 de l’arrêt Air Canada, la Cour d’appel fédérale a souligné que cette question « dépend des faits de l’affaire et de l’impression d’ensemble donnée à la Cour ». Elle a ensuite énuméré les facteurs pris en compte dans la jurisprudence pour faciliter l’analyse. Ces facteurs sont la nature de la question visée par le contrôle judiciaire, la nature du décideur, le fondement de la décision, les rapports entre l’organisme et le gouvernement, la mesure dans laquelle l’organisme est contrôlé par le gouvernement, le caractère approprié des mesures de réparation de droit public, l’existence d’un pouvoir de contrainte et les circonstances exceptionnelles.

[43] Les décisions prises par les Premières Nations, leurs conseils ou les organismes qu’elles créent sont souvent de nature publique et, pour cette raison, elles peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire (voir, par exemple, Jimmie c Conseil de la Première Nation Squiala, 2018 CF 190). Ce n’est toutefois pas toujours le cas. Certaines décisions prises par les Premières Nations sont de nature privée. Par exemple, il a été jugé que la décision d’expulser un membre de sa maison en vertu d’une entente contractuelle entre ce membre et la Première Nation était de nature privée : Cyr c Première Nation Ojibway de Batchewana, 2022 CAF 90; Cottrell c Première nation des Chippewas de Rama Mnjikaning, 2009 CF 261. La décision d’une Première Nation de ne pas prolonger un bail est également de nature privée : Devil’s Gap. De même, les décisions concernant le choix des partenaires contractuels sont de nature privée si le pouvoir discrétionnaire de la Première Nation à cet égard n’est pas limité par des dispositions législatives ou réglementaires : Knibb Developments Ltd c Première Nation des Siksika, 2021 CF 1214.

[44] Compte tenu de ces principes, nous pouvons maintenant examiner les faits de la présente affaire et déterminer si les décisions contestées sont susceptibles de contrôle judiciaire.

B. La première résolution

[45] La première résolution ne porte pas atteinte aux droits de M. George, ne lui impose pas d’obligations ou ne lui cause pas de préjudice. Par conséquent, elle ne peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai analysé ce que la résolution vise à accomplir, à la lumière des principes de la Loi sur les Indiens concernant les droits des non-membres d’une Première Nation et du règlement de la Nation Heiltsuk sur la résidence. Cette analyse est fondée uniquement sur le droit canadien, puisque le règlement sur la résidence a été adopté en vertu d’une loi fédérale et que cela suffit pour trancher la question.

[46] Le point de départ de l’analyse est que les membres du public n’ont pas de droit de résider ou de se trouver dans les communautés des Premières Nations régies par la Loi sur les Indiens, contrairement à ce qu’ils peuvent faire dans les collectivités non autochtones. L’article 18 de la Loi sur les Indiens prévoit que « Sa Majesté détient des réserves à l’usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté ». Le paragraphe 28(1) établit le corollaire de ce principe, à savoir que nul autre qu’un membre d’une Première Nation ne peut acquérir des droits « d’occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve », sauf dans des circonstances limitées et pour une période définie. Par conséquent, M. George n’a pas le droit de résider ou de se trouver dans la communauté de Bella Bella, sauf en conformité avec les permissions que la Nation Heiltsuk lui a explicitement accordées.

[47] Le règlement sur la résidence régit le droit de résider dans les réserves de la Nation Heiltsuk. L’article 4.01 accorde un droit de résidence automatique à certaines catégories de personnes, en particulier aux membres de la Nation Heiltsuk et à leurs enfants, ainsi qu’aux personnes suivantes :

[traduction]
[...] les personnes employées par le Conseil, l’école communautaire de Bella Bella, le R.W. Large Memorial Hospital, la Gendarmerie royale du Canada ou les églises pentecôtistes et unies situées dans la réserve, ainsi que leurs conjoints et leurs enfants à charge ou les enfants dont elles ont la garde et qui résident avec elles, pendant la durée de leur emploi.

[48] D’autres catégories de personnes, comme les conjoints des membres et les membres d’autres Premières Nations, peuvent présenter une demande d’admission discrétionnaire en vertu de l’article 4.02. Les personnes qui souhaitent résider temporairement dans la réserve peuvent demander un permis de séjour limité en vertu de l’article 5.01. Dans de tels cas, c’est le Conseil qui rend une décision après avoir examiné les facteurs énumérés à l’article 6.04.

[49] Selon la façon dont le règlement sur la résidence est structuré, le droit de M. George de résider dans la réserve a automatiquement pris naissance lorsqu’il est devenu employé de l’école communautaire de Bella Bella et a automatiquement pris fin à la cessation de son emploi. Cela s’est accompli sans qu’aucune intervention du Conseil ne soit nécessaire et qu’aucune décision discrétionnaire n’ait été prise. En fait, M. George a cessé d’avoir le droit de résider dans la réserve plus de deux mois avant que le Conseil n’adopte la première résolution. Il n’a pas sérieusement prétendu le contraire devant notre Cour. En réalité, le fait qu’il a pris des dispositions pour résider immédiatement à l’extérieur des limites de la réserve montre qu’il était bien au courant des principes qui sous-tendent le règlement sur la résidence.

[50] Quel était alors l’effet juridique de la première résolution? Le dispositif prévoit que le règlement sur la résidence ne confère aucun droit à M. George, que ce dernier doit quitter la réserve volontairement et qu’une action en justice sera intentée s’il ne se conforme pas. La résolution ne vise pas à mettre fin au droit de résidence de M. George, car ce droit avait déjà pris fin en vertu du règlement sur la résidence. Ainsi, la première résolution ne prive pas M. George d’un droit dont il jouissait. Elle ne lui impose aucune nouvelle obligation. Il s’agit d’une simple demande de se conformer à une interdiction préexistante.

[51] À cet égard, cette affaire est semblable à d’autres affaires où les tribunaux ont conclu qu’une décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire si elle ne crée pas ou ne modifie pas la situation juridique qui constitue l’objet véritable de la contestation. L’affaire Fort Nelson First Nation v British Columbia (Environmental Assessment Office), 2016 BCCA 500, est un bon exemple. La loi sur l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique établit des critères objectifs pour déterminer si un projet doit faire l’objet d’une évaluation environnementale approfondie. Elle n’établit toutefois pas de processus décisionnel à cette fin. Il appartient plutôt au promoteur du projet de déterminer si un projet doit faire l’objet d’une évaluation approfondie. Dans cette affaire, l’agent d’évaluation environnementale avait envoyé une lettre au promoteur dans laquelle il exprimait l’opinion que le projet n’avait pas besoin d’être évalué. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que cette lettre ne pouvait faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, car elle n’avait [traduction] « aucune conséquence juridique » (au paragraphe 45). De même, dans l’arrêt Air Canada, la Cour d’appel fédérale a conclu que le véritable objet de la demande de contrôle judiciaire d’Air Canada était l’attribution préexistante des créneaux de décollage et d’atterrissage à l’Aéroport Billy Bishop, laquelle n’était pas touchée par les deux décisions faisant l’objet de la demande.

[52] Aux fins de cette analyse, on pourrait également se demander quelle serait la situation juridique de M. George si sa demande de contrôle judiciaire était accueillie et que la première résolution était annulée. L’annulation de la résolution ne donnerait pas à M. George le droit de résider dans la communauté de Bella Bella. Comme je l’ai déjà expliqué, son droit de résidence a pris fin à la cessation de son emploi à l’école. D’ailleurs, M. George ne demande pas à la Cour de renvoyer l’affaire au Conseil pour qu’il rende une nouvelle décision. La Cour d’appel fédérale a procédé à un exercice de réflexion semblable dans l’arrêt Air Canada, et a fait remarquer que le véritable objet de la plainte d’Air Canada demeurerait inchangé même si la demande était accueillie (au paragraphe 36).

[53] M. George s’appuie sur des affaires comme Sheard v Chippewas of Rama First Nation Band Council, [1997] 2 CNLR 182 (CF 1ère inst.), et Solomon c Première Nation de Garden River, 2019 CF 1505, où la Cour a annulé des décisions qui bannissaient certaines personnes de communautés des Premières Nations. Toutefois, au vu des motifs de ces décisions, les décisions contestées dans ces affaires visaient à mettre fin au droit existant des demandeurs de résider dans une réserve. Contrairement à l’espèce, leur droit n’a pas pris fin automatiquement à la cessation de leur emploi ou pour des raisons semblables. Les décisions contestées dans ces affaires avaient une incidence sur les droits des demandeurs.

[54] M. George soutient tout de même que la première résolution l’a privé du droit d’accès à la réserve indépendamment du droit de résidence. Il n’est pas contesté que des non-membres fréquentent régulièrement la réserve à diverses fins et que le Conseil tolère leur présence, pourvu qu’ils n’y établissent pas leur résidence. Une version antérieure du règlement sur la résidence définissait la résidence d’une manière qui exclut les courtes visites à des fins familiales, amicales, récréatives ou commerciales, mais ne conférait pas un droit positif de fréquenter la réserve à de telles fins et n’écartait pas le droit de la Nation Heiltsuk de décider qui peut être présent dans la réserve. Sous le régime de la Loi sur les Indiens, cette tolérance ne crée pas un droit d’accès général. En revanche, d’autres régimes fonciers autochtones, comme le chapitre 6 de l’Accord définitif nisga’a, prévoient explicitement des droits d’accès pour les non-membres. Ainsi, la première résolution ne privait pas M. George de son droit d’accès à la réserve, puisqu’il n’avait pas de tel droit.

[55] M. George soutient également que même si la première résolution ne portait pas atteinte à ses droits ou ne lui imposait pas d’obligations, elle lui causait néanmoins un préjudice. Cela suffirait pour assujettir la résolution au contrôle judiciaire. À mon avis, toutefois, le préjudice allégué n’est pas un résultat direct de la résolution, mais plutôt la conséquence de la perte du droit de M. George de résider dans la communauté de Bella Bella aux termes du règlement sur la résidence.

[56] Dans son affidavit, M. George souligne les difficultés auxquelles il s’est heurté en tentant de résider à proximité de la communauté tout en évitant de mettre les pieds dans la réserve. De façon plus générale, M. George affirme qu’il s’attendait à pouvoir demeurer indéfiniment à Bella Bella, même s’il avait perdu son emploi à l’école. Dans son affidavit, il déclare : [traduction] « [j]e me suis beaucoup attaché à la communauté de Bella Bella et je la considère comme mon chez-moi. » Son avocat a écrit au Conseil qu’il ne souhaitait pas résider [traduction] « temporairement » à Bella Bella, mais bien « de façon permanente ». M. George allègue qu’il a été [traduction] « extrêmement bouleversé » lorsqu’il a appris que cela ne serait pas possible.

[57] Il s’agit là de conséquences de la cessation de l’emploi de M. George et de la perte de son droit de résider à Bella Bella, de ses tentatives pour contourner cette perte de droit et peut-être du fait qu’il s’est rendu compte que ses attentes quant à la résidence étaient irréalistes. Ce préjudice ne découle pas de la première résolution. Celle-ci lui demandait tout simplement de se conformer à des obligations qui existaient déjà. Une « décision » qui se borne à exiger que le demandeur se conforme à la loi ne constitue pas un « préjudice » qui rend la décision susceptible de contrôle judiciaire.

[58] Un aspect important des prétentions de M. George à l’encontre de la première résolution concerne les affirmations contenues dans la section B du préambule, qu’il qualifie de fausses et de diffamatoires. Toutefois, la simple présence de telles affirmations dans le préambule ne donne pas lieu à un préjudice qui rend la décision susceptible de contrôle judiciaire. Un tel préjudice doit découler du dispositif de la résolution. De plus, les affirmations contenues dans la section B du préambule n’ont aucune incidence sur le droit de M. George de résider dans la réserve, droit qui a pris fin avant l’adoption de la résolution. Dans la mesure où ces déclarations ont causé un préjudice à M. George lorsqu’elles ont été communiquées à des tiers, cela pourrait donner lieu à une cause d’action en droit privé, mais ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire.

[59] Dans sa plaidoirie, M. George a mentionné qu’en réalité, il demandait une exemption ou une exception à l’application stricte du règlement sur la résidence, et que le Conseil n’avait pas examiné cette demande. Toutefois, sa demande de contrôle judiciaire ne conteste pas cet aspect particulier de la conduite du Conseil. Surtout, le règlement sur la résidence établit un processus pour les exceptions et prévoit notamment qu’il est possible de demander un permis de séjour limité. Si M. George avait demandé un tel permis, le Conseil aurait été tenu d’examiner sa demande, et la décision aurait été susceptible de contrôle judiciaire. M. George a été invité à présenter une telle demande, mais il a refusé de le faire. Il ne peut pas reprocher au Conseil de ne pas avoir examiné une demande qu’il n’a jamais faite.

C. La deuxième résolution

[60] La deuxième résolution n’est pas susceptible de contrôle judiciaire par notre Cour parce qu’elle a été adoptée en vertu d’une autre source de pouvoir qu’une loi fédérale. Avant d’exposer pourquoi je parviens à cette conclusion, il est utile de résumer les prétentions des parties au sujet de la deuxième résolution.

[61] La principale raison pour laquelle M. George conteste la deuxième résolution est simple. Se fondant sur le paragraphe 78 de l’arrêt R c Lewis, [1996] 1 RCS 921, il soutient que le conseil d’une Première Nation n’a aucun pouvoir à l’extérieur des limites de sa réserve et que, pour cette raison, il n’a pas le pouvoir d’interdire à quiconque de résider ou de se trouver dans la partie de son territoire traditionnel qui se trouve à l’extérieur de la réserve.

[62] Le Conseil répond qu’il n’a pas cherché à accomplir cela en se fondant sur le droit canadien. La deuxième résolution est plutôt fondée exclusivement sur le ǧvi̓ḷás, c’est-à-dire le droit autochtone. Contrairement à la première résolution, elle ne fait aucune mention d’une source de pouvoir fédérale. Par conséquent, la Cour fédérale n’aurait pas compétence, car la deuxième résolution n’a pas été adoptée en vertu d’une loi fédérale et le Conseil n’agissait pas à titre d’« office fédéral ». Pour cette raison, le Conseil est d’avis qu’il est inutile de se pencher sur la question de la validité de la deuxième résolution en droit canadien. S’il était toutefois nécessaire de le faire, il affirme que le titre ancestral de la Nation Heiltsuk lui permet d’exclure des personnes de son territoire traditionnel. De plus, le Conseil soutient que la deuxième résolution ne constitue pas l’exercice d’un pouvoir à caractère public et qu’elle n’est donc susceptible de contrôle judiciaire devant quelque tribunal que ce soit.

[63] M. George réplique que la deuxième résolution était suffisamment fondée sur une source de pouvoir fédérale pour qu’elle puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Subsidiairement, il soutient qu’une décision fondée sur le droit autochtone est susceptible de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Il ajoute que le processus qui a mené à la décision était inéquitable et que la décision est déraisonnable quant au fond.

[64] À mon avis, lorsqu’il a adopté la deuxième résolution, le Conseil n’exerçait pas ou ne prétendait pas exercer des pouvoirs découlant d’une loi fédérale ou des pouvoirs reconnus par une loi fédérale. Par conséquent, il n’agissait pas à titre d’« office fédéral », et la deuxième résolution ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Mes motifs sont exposés ci‑dessous.

[65] Il est de plus en plus accepté que les conseils des Premières Nations tirent leurs pouvoirs non seulement des lois fédérales, comme la Loi sur les Indiens, mais aussi du droit autochtone : voir, par exemple, Bone v Sioux Valley Indian Band No 290 Council, [1996] 3 CNLR 54 (CF 1ere inst.) au paragraphe 31; Canadian Pacific Ltd v Matsqui Indian Band, [2000] 1 CF 325 (CA) au paragraphe 29; Devil’s Gap, au paragraphe 59; Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 732 au paragraphe 32, [2019] 4 RCF 217; Kennedy v Carry the Kettle First Nation, 2020 SKCA 32 au paragraphe 7; McCarthy c Première Nation no 128 de Whitefish Lake, 2023 CF 220 aux paragraphes 117 à 125. Ces pouvoirs sont souvent décrits comme des « pouvoirs inhérents », en ce sens qu’ils ne dépendent pas du droit canadien.

[66] En l’espèce, le Conseil a explicitement indiqué que la deuxième résolution n’était pas fondée sur une loi fédérale. Il a plutôt invoqué le ǧvi̓ḷás comme source de ses pouvoirs. La hím̓ás Green explique ce que prévoit le ǧvi̓ḷás concernant la présence de non-membres sur le territoire des Heiltsuk :

[traduction]
Les non-membres de la Nation Heiltsuk ont toujours été tenus d’obtenir la permission des hím̓ás pour entrer sur le territoire de la Nation Heiltsuk et y séjourner.

[…]

À moins d’acquérir des droits grâce à un lien de parenté avec un membre de la Nation Heiltsuk, par exemple par le mariage, les non‑membres ont seulement la permission de fréquenter la communauté à des fins précises, notamment pour jouer un rôle traditionnel (comme un guérisseur) ou un rôle moderne (comme un enseignant) ou encore pour assister à un événement (comme un potlatch). Il pourrait être demandé aux non‑membres qui ne respectent pas les limites de cette permission, ou qui perturbent l’harmonie de la communauté, de partir. Selon le ǧvi̓ḷás, un non-membre n’a pas le droit de rester sur le territoire des Heiltsuk.

[67] De plus, le Conseil s’est entièrement abstenu de recourir aux processus ou aux institutions relevant du droit canadien pour faire appliquer la résolution. Il a simplement [traduction] « demandé à des tiers de la respecter volontairement », comme son avocat l’a indiqué dans ses observations. Par conséquent, il n’a jamais « exer[cé] ou [été] censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale », ce qui est un élément essentiel de la définition d’« office fédéral ». Le fait de chercher une reconnaissance en droit canadien pourrait potentiellement fonder la compétence de la Cour : Linklater, aux paragraphes 41 à 43. Cependant, le Conseil n’a jamais cherché à se servir du droit canadien comme levier pour faire exécuter une décision prise en vertu du ǧvi̓ḷás. Je ne vois donc aucune raison de ne pas tenir compte du choix du Conseil de fonder la deuxième résolution exclusivement sur le ǧvi̓ḷás.

[68] M. George soutient que puisque le Conseil a utilisé un formulaire que le gouvernement fédéral fournit aux conseils de bande pour consigner leurs résolutions, la deuxième résolution a été adoptée en vertu d’un pouvoir fédéral. Je ne suis pas de cet avis. La simple utilisation de ce formulaire ne donne aucune indication concernant la source de pouvoir de la décision consignée.

[69] M. George soutient également que la deuxième résolution ne peut être dissociée de la première, qui était clairement fondée sur la Loi sur les Indiens et le règlement sur la résidence. Encore une fois, je ne peux me ranger à cet avis. Les deux résolutions sont clairement différentes quant à leur portée territoriale et à leur source d’autorité.

[70] Je rejette également l’argument de M. George selon lequel le fait que la deuxième résolution ait été adoptée par le Conseil et non par les hím̓ás prouve qu’elle a été prise en vertu d’une autorité fédérale. Comme je l’ai expliqué précédemment, ce qui compte, c’est la source du pouvoir, et non l’identité de l’organisme qui l’exerce. En ce qui concerne le droit autochtone, l’identité de l’organisme qui exerce des pouvoirs « inhérents » serait une question de gestion interne qui relève de la communauté. En l’espèce, la preuve montre que le Conseil et les hím̓ás ont agi conjointement, même si cela n’est pas indiqué dans le formulaire de résolution. À cet égard, il serait très difficile de soutenir que la deuxième résolution pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale si les hím̓ás avaient agi seuls.

[71] Compte tenu de ces conclusions, il est inutile d’aborder les questions de la portée de la reconnaissance du droit autochtone par le droit canadien ou de déterminer si le droit canadien relatif au titre ancestral permet à une Première Nation d’exclure des non-membres de son territoire traditionnel. Il n’est pas non plus nécessaire de déterminer si la question en litige peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire parce qu’il s’agirait d’une question de nature intrinsèquement privée. À ce propos, je me contenterai de souligner que des affaires comme Air Canada ou Highwood ne portaient pas sur le caractère public ou privé de décisions rendues en vertu du droit autochtone ou d’un titre ancestral. Appliquer la distinction public/privé à des systèmes juridiques fondamentalement différents des systèmes occidentaux soulève des questions difficiles qui ne peuvent être traitées adéquatement dans le cadre de la présente instance.

[72] Je dois néanmoins examiner brièvement l’argument subsidiaire de M. George selon lequel la Cour fédérale a compétence pour contrôler les décisions prises en vertu du droit autochtone. L’argument de M. George repose sur une préoccupation concernant la primauté du droit, à savoir que si la Cour n’a pas compétence, il n’y aurait aucun moyen véritable de contrôler les décisions du Conseil.

[73] Or, les prétentions de M. George s’appuient sur une mauvaise compréhension de la notion d’« office fédéral ». Comme il a été expliqué clairement dans l’arrêt Anisman, le fait qu’un organisme doive son existence à une loi fédérale n’est pas suffisant pour établir la compétence de notre Cour. Ce qui compte, c’est la source de ses pouvoirs. À cet égard, si je comprends bien, M. George soutient que la common law fédérale reconnaît généralement le droit autochtone. Même en supposant que cela soit le cas, la common law n’est pas une loi fédérale aux fins de l’application de la définition d’« office fédéral ». Dans la mesure où la décision Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536, appuie la proposition contraire, je m’abstiens de la suivre. De plus, je ne vois pas pourquoi notre Cour devrait se fonder sur la reconnaissance du droit autochtone par le droit canadien pour justifier l’exercice de sa compétence alors que le Conseil ne sollicite pas une telle reconnaissance.

[74] À mon avis, notre Cour ne peut avoir compétence pour examiner les décisions prises uniquement en vertu du droit autochtone à moins que la Loi sur les Cours fédérales ne soit modifiée. Il ne m’appartient pas de décider si cela serait souhaitable. Je note simplement que les communautés autochtones peuvent avoir des raisons valables de ne pas souhaiter que leur droit, ou certaines parties de ce droit, soit interprété et appliqué par les tribunaux canadiens, notamment parce que les tribunaux ne connaissent pas très bien le droit autochtone non écrit et son contexte philosophique : voir, par exemple, Louie c Canada (Services aux Autochtones), 2021 CF 650 aux paragraphes 46 et 47; Bastien c Jackson, 2022 CF 591 aux paragraphes 25 à 29. Des préoccupations de ce genre transparaissent, par exemple, dans l’Accord définitif nisga’a, qui définit le « droit » comme excluant les ayuukhl Nisga’a ou les ayuuk, c’est-à-dire les lois et les pratiques traditionnelles de la Nation Nisga’a. Elles présentent également certaines ressemblances avec les préoccupations mentionnées dans l’arrêt Highwood, aux paragraphes 32 à 39. Ces préoccupations étayent ma conclusion selon laquelle la Cour n’a pas compétence sur les décisions prises uniquement en vertu du droit autochtone en l’absence d’une disposition explicite en ce sens dans la Loi sur les Cours fédérales.

[75] Cela ne veut pas dire que M. George n’a aucun recours. Comme je l’ai mentionné précédemment, les recours de droit privé peuvent être utiles pour tenir les gouvernements responsables et assurer la primauté du droit. Le Conseil a cherché à mettre en œuvre les deux résolutions en tentant de persuader des tiers de les respecter volontairement. Si, par respect pour le ǧvi̓ḷás, un tiers agit d’une manière qui respecte à la fois le ǧvi̓ḷás et le droit canadien, M. George ne peut pas se plaindre. Cependant, si le Conseil ou un tiers a commis un délit civil en agissant en conformité avec le ǧvi̓ḷás, M. George pourrait intenter une action en droit privé contre eux.

D. Le jugement déclaratoire

[76] En plus des ordonnances visant l’annulation des deux résolutions, M. George sollicite des déclarations portant que les interactions entre le Conseil et le district scolaire 49 étaient « invalides » et que le Conseil [traduction] « n’avait pas le pouvoir d’expulser ou de bannir une personne du territoire traditionnel des Heiltsuk à l’extérieur de la communauté de Bella Bella ».

[77] Au paragraphe 11 de l’arrêt Daniels c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 RCS 99, la Cour suprême du Canada a décrit les situations dans lesquelles il convient de rendre un jugement déclaratoire :

La partie qui demande réparation doit établir que le tribunal a compétence pour entendre le litige, que la question en cause est réelle et non pas simplement théorique et que la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue. Un jugement déclaratoire ne peut être rendu que s’il a une utilité pratique, c’est‐à‐dire s’il règle un « litige actuel » entre les parties [...]

[78] Je ferai également remarquer que l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour la compétence exclusive de rendre un jugement déclaratoire contre un office fédéral. Il s’ensuit que même si un jugement déclaratoire est, de par sa nature, plus souple que les autres mesures de réparation, la Cour ne peut en rendre un que s’il a trait à l’exercice d’un pouvoir découlant d’une loi fédérale et, bien sûr, que s’il revêt un caractère public.

1) Les communications avec le district scolaire 49

[79] M. George sollicite une déclaration portant que les interactions entre le Conseil et le district scolaire 49 étaient « invalides ». Il ne cherche plus à obtenir une déclaration selon laquelle ces interactions étaient « illégales ». Je présume qu’il a abandonné cette demande parce qu’il souhaite axer sa demande sur des motifs de droit administratif selon lesquels ladite interaction serait invalide plutôt que sur des causes d’action de droit privé selon lesquelles elle serait illégale.

[80] Pourtant, l’interaction entre le Conseil et le district scolaire 49 n’a aucun caractère public. Le Conseil a simplement informé le district de sa résolution interdisant à M. George de se trouver sur le territoire traditionnel des Heiltsuk, et il a demandé au district de l’aider à appliquer cette résolution. Ce faisant, le Conseil n’a exercé aucun pouvoir de contrainte sur le district. Il a seulement tenté de le persuader. Il n’a pas agi en fonction d’un régime législatif clairement défini. Les mesures de réparation traditionnelles de droit public ne conviennent pas à la présente affaire; M. George a plutôt intenté une action en dommages-intérêts pour les mêmes faits. Ces considérations, énumérées dans l’arrêt Air Canada, tendent à démontrer que la conduite contestée est de nature privée et, par conséquent, n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, même si la réparation recherchée est un jugement déclaratoire.

2) Le pouvoir de bannir ou d’expulser

[81] Enfin, M. George sollicite une déclaration portant que le Conseil [traduction] « n’a pas le pouvoir d’expulser ou de bannir quiconque du territoire traditionnel des Heiltsuk à l’extérieur de la réserve no 1 de Bella Bella ». Cette déclaration concerne certainement le droit canadien, car dans son mémoire, M. George s’appuie sur une jurisprudence plus ancienne selon laquelle les Premières Nations tirent leur existence de la Loi sur les Indiens et n’ont aucun pouvoir à l’extérieur des réserves. En effet, la Cour n’aurait pas compétence pour rendre une déclaration concernant uniquement le ǧvi̓ḷás. M. George ne prend pas position au sujet de l’affirmation du Conseil selon laquelle le ǧvi̓ḷás permet au Conseil ou aux hím̓ás de refuser l’accès au territoire traditionnel des Heiltsuk à des non-Heiltsuk.

[82] Comme je l’ai expliqué plus haut, le Conseil ne se fonde pas sur le droit canadien pour faire appliquer ses résolutions. S’il était nécessaire de trancher la question, le Conseil est d’avis que son titre ancestral comprend le droit de décider qui a accès à son territoire traditionnel et d’en expulser les non-Heiltsuk. Il a présenté une preuve qui tend à démontrer qu’il détient un titre ancestral, du moins en ce qui concerne l’île Campbell et l’île Denny, où se trouvent respectivement les communautés de Bella Bella et de Shearwater. Néanmoins, il reconnaît qu’il est peu probable que les autorités canadiennes reconnaissent cet attribut du titre ancestral en l’absence d’un jugement déclaratoire de la cour, ce qui explique pourquoi il a choisi de ne pas se fonder sur le droit canadien pour adopter la deuxième résolution et de ne pas demander l’aide des autorités canadiennes pour la faire appliquer.

[83] Ces positions ne se contredisent pas. Le Conseil prétend agir en vertu du ǧvi̓ḷás, et M. George ne nie pas que le ǧvi̓ḷás autorise le Conseil à l’expulser. Il affirme plutôt que le droit canadien ne confère pas au Conseil un pouvoir d’expulsion, mais le Conseil n’invoque pas un tel pouvoir découlant du droit canadien. Par conséquent, il n’y a pas de litige réel entre les parties concernant ces questions et il n’est pas nécessaire de rendre un jugement déclaratoire.

[84] Essayer de résoudre les questions complexes soulevées dans la demande de jugement déclaratoire de M. George en l’absence d’un véritable débat contradictoire serait imprudent et constituerait un gaspillage de ressources judiciaires. De plus, à l’audience, M. George a reconnu qu’un jugement déclaratoire ne servirait à rien si les deux résolutions ne sont pas annulées. Par conséquent, je rejetterai sa demande.

III. Dispositif

[85] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que notre Cour n’a pas compétence pour examiner la conduite contestée dans la demande de M. George. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[86] Les parties ont demandé que la question des dépens soit tranchée à une étape ultérieure. Elles auront donc l’occasion de présenter des observations sur cette question.

 


JUGEMENT dans le dossier T-835-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. Le demandeur est autorisé à présenter sa demande à l’encontre de plus d’une décision.

2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

3. Le défendeur doit signifier et déposer ses observations concernant les dépens, d’une longueur maximale de dix pages, au plus tard 30 jours après la date du présent jugement.

4. Le demandeur doit signifier et déposer ses observations concernant les dépens, d’une longueur maximale de dix pages, au plus tard 15 jours après la date à laquelle le défendeur signifie ses observations.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-835-22

 

INTITULÉ:

HAYDN GEORGE c CONSEIL TRIBAL HEILTSUK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 6 et 7 novembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

15 décembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Ian Kennedy

 

Pour le demandeur

 

Ruben Tillman

Edward G. Wong

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rosenberg Law

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Ng Ariss Fong, avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.