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Date : 20231213

Dossiers : T-1204-23

T-1205-23

Référence : 2023 CF 1664

Toronto (Ontario), le 13 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

PERLE BOUCHARD

Demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de deux décisions. Une agente de l’Agence du revenu du Canada (ARC) a conclu que la demanderesse, Perle Bouchard, était inadmissible à la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et à la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) puisqu’elle n’a pas rencontré les critères qui s’appliquent aux deux programmes.

[2] Les critères d’admissibilité à la PCU sont prévus et détaillés dans la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, ch 5, art 8 [Loi sur la PCU]. Pour être admissible à la PCU, un résident canadien devait, pour une période donnée :

  • a)Avoir cessé de travailler en raison de la COVID-19;

  • b)Avoir gagné un revenu d’emploi ou un revenu de travail indépendant d’au moins 5 000 $ en 2019 ou dans les 12 mois précédant la date de leur demande; et

  • c)Ne pas avoir quitté son emploi volontairement.

[3] Les critères d’admissibilité à la PCRE sont prévus et détaillés dans la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, ch 12, art 3 [Loi sur la PCRE] :

  • a)Au cours de la période de deux semaines pour laquelle il demandait la PCRE et pour des raisons liées à la COVID-19, soit ne pas avoir exercé d’emploi ou exécuté un travail pour son compte, soit avoir subi une réduction majeure de ses revenus hebdomadaires (d’au moins 50%);

  • b)Avoir eu des revenus, pour l’année 2019, 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle il présentait sa demande, s’élevant à au moins cinq mille dollars et provenant notamment d’un emploi ou d’un travail qu’il exécutait pour son compte.

[4] La demanderesse est travailleuse autonome et, depuis 2016, travaille en tant que courtière en vente d’entreprise. Elle travaille de son domicile et tente de faire la vente d’entreprise dans tout le Québec. Elle dit que pendant les années de la pandémie, ses heures de travail ont diminué considérablement et ses revenus ont été réduits à néant. Puisque les zones étaient souvent fermées et que cela posait des difficultés pour se rendre sur les sites, elle a perdu beaucoup d’argent dans les dossiers qui ont été annulés.

[5] Elle a reçu des prestations de la PCU du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020 (sept périodes). Elle a également reçu des prestations de la PCRE du 27 septembre 2020 au 9 octobre 2021 (vingt-sept périodes).

[6] L’ARC a rendu trois décisions concernant l’admissibilité de la demanderesse à la PCU et la PCRE. Après le premier examen (entamé après la prestation des bénéfices), l’agente a déterminé que la demanderesse n’était pas admissible parce qu’elle n’avait pas démontré qu’elle rencontrait le critère de 5 000$ pour la PCU et la PCRE. La demanderesse a demandé un deuxième examen, ce qui a donné lieu à des décisions négatives, encore pour le motif qu’elle ne rencontrait pas le critère de 5 000$. Ensuite, un troisième examen a été fait et les décisions négatives font l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire dans l’instance.

[7] Contrairement aux examens antérieurs, lors du troisième examen, l’agente a reçu des preuves de revenus et a conclu que la demanderesse répondait au critère du 5 000$ net pour l’année 2019. Dans deux décisions distinctes (une pour la PCU et une pour la PCRE), l’agente a conclu que la demanderesse était inadmissible puisqu’elle n’avait pas cessé de travailler ou que ses heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19. Les motifs de refus ont indiqué qu’elle manquait de preuve de dépenses provenant de son travail et que les preuves incluses ne montraient pas qu’elle avait cherché à se « placer » dans un nouvel emploi.

[8] Les lettres et les motifs inclus dans les notes de l’agente font tous parties des décisions à l’instance.

[9] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire des deux décisions. La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, comme le prescrit l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16 à 23. Ceci est bien acquis dans la jurisprudence : He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20.

[10] Je suis d’avis que la décision de l’agente concernant l’admissibilité de la demanderesse à la PCRE (dossier de la Cour numéro : T-1205-23) est raisonnable. Les notes de l’agente confirment que les critères applicables ont été bien appliqués, et que les faits pertinents ont été pris en considération. La demanderesse n’est pas d’accord ni avec l’analyse, ni le résultat, mais je ne trouve pas qu’il y ait eu une erreur déterminante soit dans l’analyse de la trame factuelle ou dans l’application des critères énumérés dans la loi. Il faut noter que pour être admissible à la PCRE, selon l’alinéa 3(1)(i) de la Loi sur la PCRE, il faut démontrer que : « elle a fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte au cours de la période de deux semaines ».

[11] Cependant, la décision de l’agente en ce qui concerne la PCU n’est pas raisonnable. Les notes de l’agente traite des faits et critères qui sont applicables à la prestation de la PCU, selon la loi. Mais, les notes traitent d’autres éléments, qui ne sont pas appropriés à la prestation de ce bénéfice. Pour ne citer qu’un exemple, dans les notes de l’agente, nous trouvons ce commentaire :

Nous considérons que la CT n’a pas démontré qu’elle a cherché A se « placer » lorsqu’elle a affirmé « on panique quand on n’a pas de revenu » puisqu’elle a quitté un emploi en tant que salariée en 2020 pendant les périodes de versements de la PCU et elle a approché UN employeur pendant les périodes de versements de la PCRE en 2020 et 2021. Enfin, elle était au fait que ses collègues ont fait beaucoup de commissions pendant la Covid et elle a affirmé qu’elle aurait dû continuer à être agente immobilière alors qu’au bout du compte la contribuable n’a pas posé d’action pour améliorer sa situation.

Ce qui ne concorde pas.

[12] La Loi sur la PCU n’inclut pas comme critère d’admissibilité à la PCU si l’individu a essayé de trouver un autre emploi, ni celui de changer de métier afin de gagner un revenu. Ce sont des critères qui sont plutôt applicables à la PCRE par exemple.

[13] Il semble que l’agente a mélangé les notes concernant les deux décisions, peut-être parce qu’il y a eu beaucoup de chevauchement entre les deux. C’est n’est pas fatale, en soi. Mais sans un résumé à la fin des motifs ou autre indication que l’agente a appliqué les critères aptes à la PCU c’est impossible de savoir si l’agente a appliqué les bons critères au moment propice dans l’analyse de chaque bénéfice.

[14] C’est important de se rappeler « que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugé au regard d’une norme de perfection » (Vavilov au para 91). Une cour de révision « doit être convaincu que [la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100).

[15] C’est la situation en l’instance. Je suis d’avis que le fait de ne pas avoir précisé que l'agent appliquait les critères corrects en ce qui concerne la prestation de PCU constitue une lacune suffisamment grave dans la décision PCU pour la rendre déraisonnable.

[16] Comme souligner dans Vavilov au paragraphe 96:

Lorsque, même s’ils sont interprétés en tenant compte du contexte institutionnel et à la lumière du dossier, les motifs fournis par l’organisme administratif pour justifier sa décision comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative. Même si le résultat de la décision pourrait sembler raisonnable dans des circonstances différentes, il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat : Delta Air Lines, par. 26‑28.

[17] La Cour Suprême a cité avec approbation le conseil du juge Donald Rennie (maintenant un juge de la Cour d’appel fédérale) dans l’affaire Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431 au para 11 :

L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la [cour] toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait [à la cour] ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de [révision] de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées.

[18] Compte tenu du problème avec les notes – et qu’elles soient la seule documentation de l’analyse de l’agente en l’instance, parce que la lettre décisionnelle est seulement un formulaire – la décision de l’agente concernant la PCU est déraisonnable.

[19] La décision de l’agente, datée du 25 mai 2023 concernant la PCU (dossier de la Cour numéro T-1204-24) est cassée. Le dossier concernant l’admissibilité de la demanderesse à la PCU est retourné pour révision par un autre agent.

[20] La demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agente datée du 26 mai 2023 concernant la PCRE (dossier de la Cour numéro : T-1205-23) est rejetée.

[21] Compte tenu du résultat divisé, chaque partie devrait assumer leurs propres dépens.

[22] Une copie de ce jugement et ces motifs devraient être placés dans les deux dossiers de la Cour.


JUGEMENT au dossier T-1204-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accordée.

  2. La décision de l’agente datée du 25 mai 2023 est cassée.

  3. Le dossier est retourné pour être réexaminé par un autre agent.

  4. Chaque partie devrait assumer leurs propres dépens.

JUGEMENT au dossier T-1205-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Chaque partie devrait assumer leurs propres dépens.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1204-23

T-1205-23

INTITULÉ :

PERLE BOUCHARD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 décembre 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 13 décembre 2023

COMPARUTIONS :

Mme Perle Bouchard

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Emmanuelle Rochon

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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