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     T-1301-96

ENTRE:

     BRÛLERIE DES MONTS INC.

     Requérante

     - et -

     3002462 CANADA INC.

     Intimée

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

NADON, J.:

     Par sa requête introductive d"instance déposée sous l"article 57(1) de la Loi sur les marques de commerce , L.R.C. 1985, c. T-13, (la "Loi"), la requérante, Brûlerie des Monts Inc., cherche à obtenir une ordonnance déclarant invalide et radiant du registre canadien des marques de commerce l"enregistrement numéro TMA 308,213 du 15 novembre 1985, pour la marque de commerce La Brûlerie (la "marque").

     Nonobstant le fait que la requête introductive d"instance lui a été dûment signifiée, l"intimée, titulaire de la marque, n"y a pas répondu et, par conséquent, la demande de la requérante n"est pas contestée.

     Les faits pertinents peuvent se résumer comme suit. La requérante exploite un commerce situé au 197 de la rue Principale à Saint-Sauveur, Province de Québec. À cet endroit, la requérante opère un restaurant et un lieu où l"on vend et torréfie des grains de café pour consommation à l"extérieur du commerce.

     Au mois de juillet 1982, Orient Express Café Ltée ("Orient Express") a déposé une demande d"enregistrement de la marque en liaison avec un système de rôtisserie du café directement aux points de vente. Au mois d"octobre 1985, Orient Express a cédé la marque à Pierre et Nicole DeRuelle et ces derniers ont obtenu, le 15 novembre 1985, l"enregistrement de la marque sous le numéro TMA 308,213 en liaison avec un système de rôtisserie du café directement aux points de vente.

     Au mois de mars 1995, M. et Mme DeRuelle ont cédé leurs droits dans la marque à A L Van Houtte Ltée. Au mois de mai 1995, A L Van Houtte Ltée a cédé et assigné ses droits, titres et intérêts dans la marque, y compris l"achalandage s"y rattachant à l"intimée. Au début du mois d"août 1995, l"intimée a déposé auprès du registraire des marques de commerce à Ottawa une demande aux fins d"étendre la marque aux opérations de restaurants.

     Par lettre datée le 5 juin 1995, l"intimée a fait parvenir une mise en demeure à la Brûlerie Mille et Un Cafés de Laval, Québec, sommant cette dernière de cesser d"utiliser le mot "brûlerie" en rapport avec son commerce, soit un restaurant et la vente de café pour consommation sur place et à l"extérieur du restaurant.

     Le 6 juillet 1995, l"intimée a déposé en Cour Supérieure de la Province de Québec, District de Montréal, des procédures judiciaires visant à obtenir une injonction permanente contre la Brûlerie Mille et Un Cafés ainsi que ses propriétaires leur interdisant d"utiliser, directement ou indirectement, le mot "brûlerie" en rapport avec leurs opérations commerciales. Le 8 novembre 1995, l"honorable Pierre Viau, juge de la Cour Supérieure, a rejeté une demande d"injonction interlocutoire déposée par l"intimée contre la Brûlerie Mille et Un Cafés. En rejetant la demande d"injonction interlocutoire de l"intimée au motif qu"elle n"avait su démontrer qu"elle subirait un préjudice irréparable si l"injonction ne lui était pas accordée, le juge Viau semblait douteux quant aux droits de l"intimée en rapport avec la marque.

     Le 9 avril 1996, la requérante, qui emploie la marque Brûlerie des Monts en liaison avec son restaurant et également en liaison avec le lieu où elle torréfie et vend des grains de café pour consommation à l"extérieur de son commerce depuis le 30 juin 1995, a déposé auprès du registraire des marques une demande d"enregistrement du dessin de sa marque Brûlerie des Monts en liaison avec son restaurant et le lieu où elle torréfie et vend les grains de café pour consommation à l"extérieur du commerce.

     Voilà le contexte dans lequel la requérante a déposé devant cette Cour, au mois de mai 1996, sa requête introductive d"instance sous l"article 57(1) de la Loi.

La législation applicable

     Au soutien de sa requête, Me Tremblay, pour la requérante, invoque les articles 2, 12 et 18 de la Loi. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit:

         "personne intéressée" Sont assimilés à une personne intéressée le procureur général du Canada et quiconque est atteint ou a des motifs valables d'appréhender qu'il sera atteint par une inscription dans le registre, ou par tout acte ou omission, ou tout acte ou omission projeté, sous le régime ou à l'encontre de la présente loi.                 
         12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :                 
             b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;                 
             c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l'une des marchandises ou de l'un des services à l'égard desquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer;                 
         18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :                 
             a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement;                 
             b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement;                 
             c) la marque de commerce a été abandonnée.                 

Analyse

     Pour les motifs qui suivent, je suis d"avis que la demande de la requérante doit être accordée.

     Le premier argument de la requérante est à l"effet que la marque n"était pas enregistrable le 15 novembre 1985. Au soutien de cet argument, la requérante invoque les sous-paragraphes 12(1)b) et c) de la Loi. Selon la requérante, il ne peut faire de doute que la marque n"est que descriptive des services en liaison avec lesquels elle est employée. Autrement dit, le nom "La Brûlerie", en français, ne constitue qu"une description du service à l"égard duquel elle est employée.

     La requérante soumet aussi que la marque est invalide au motif qu"elle n"est pas distinctive des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par l"intimée.

     Au soutien de ses arguments, la requérante me réfère à des extraits de dictionnaires de la langue française. La définition du mot "brûlerie" que l"on retrouve le plus souvent dans ces dictionnaires est celle selon laquelle une "brûlerie" constitue le lieu où l"on torréfie le café. Cette définition du mot "brûlerie" n"est pas récente puisque l"édition 1962 du "Dictionnaire usuel Quillet Flammarion par le texte et par l"image rédigé sous la direction de Pierre Gioan", éditeurs Quillet-Flammarion, définit le mot "brûlerie" comme suit:

         Lieu où l"on distille du vin, où l"on torréfie le café.                 

     Par conséquent, je ne peux faire autrement qu"être en accord avec les propos de Me Tremblay selon lesquels le terme "brûlerie" est un terme générique, connu des canadiens et des québécois et utilisé dans le domaine de la torréfaction du café. De fait, le 10 septembre 1982, M. Claude Cyr, employé du Bureau du registraire des marques de commerce à Ottawa indiquait au dossier, relativement à la demande d"enregistrement de la marque déposée par Orient


Express, qu"il avait fait une recherche concernant le sens du mot "brûlerie" et, selon cette recherche, le mot "brûlerie" était défini comme étant une installation industrielle pour le grillage du café en grains. Donc, dès septembre 1982, le Bureau du registraire des marques de commerce connaissait bien la signification du terme "La Brûlerie".

     La requérante a aussi mis en preuve le fait qu"à l"heure actuelle au moins 9 commerces, en opération au Québec, utilisaient le mot "brûlerie" pour décrire l"une de leurs activités principales, soit la torréfaction du café. La requérante soumet de plus que l"intimée ne peut prétendre retirer du domaine public le mot "brûlerie", soit un mot générique et courant qui existe dans la langue française pour décrire un établissement où l"on brûle le café, aux fins de se l"approprier de façon exclusive. Finalement, la requérante soumet que l"intimée a, de toute façon, abandonné son droit d"exclusivité sur la marque en ne maintenant pas son opposition à l"enregistrement de la marque de commerce Brûlerie St. Denis .

     En effet, le 17 décembre 1985, la Maison du café (St. Denis) Inc. ("Maison du café") déposait une demande d"enregistrement de ladite marque auprès du registraire des marques de commerce à Ottawa. Le 11 septembre 1986, le bureau du registraire écrivait aux procureurs de la Maison du café afin de leur signaler qu"une renonciation de leur part, relativement à l"utilisation exclusive du mot "brûlerie", était nécessaire afin de se conformer au sous-paragraphe 12(1)(c) de la Loi. Par conséquent, la Maison du café a déposé, le 22 septembre 1986, une demande d"enregistrement amendée où elle énonçait, inter alia , ce qui suit:

         2.      The trade mark is the words "BRULERIE ST. DENIS".                 
         3.      The trade mark has been used in Canada by the Applicant since at least May 15, 1985, in association with the operation of a retain establishment which is both a restaurant and which also roasts coffee beans and sells roasted coffee beans for consumption outside the premises and requests registration of the trade mark in respect of such services.                 
         5.      The Applicant disclaims the right to the exclusive use of the word "BRULERIE" apart from the trade mark.                 

     Le 20 janvier 1987, Orient Express déposait un avis d"opposition à la demande d"enregistrement de la marque Brûlerie St. Denis . En bref, par son avis d"opposition, l"opposante déclarait qu"elle était titulaire de la marque La Brûlerie et que la marque dont la requérante cherchait à enregistrer créerait de la confusion sonore et visuelle avec la marque La Brûlerie.

     Le 6 juin 1989, les procureurs d"Orient Express informaient le bureau du registraire que leur cliente ne désirait plus donner suite à la procédure d"opposition. Vu cette preuve, la requérante soumet que l"intimée a abandonné son droit d"exclusivité sur la marque.

     Puisque le mot "brûlerie" ne constitue que le nom, en français, du service à l"égard duquel la marque est employée et que, de plus, elle n"est pas distinctive des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, la marque, lors de son enregistrement le 15 novembre 1985, n"était pas, au sens des sous-paragraphes 12(1)b) et c) de la Loi, enregistrable. Par conséquent, à mon avis, la marque La Brûlerie est invalide.

     Avant de conclure, je désire indiquer que la requérante est, sans aucun doute, une personne intéressée au sens de l"article 2 de la Loi.

     La requête de la requérante sera donc accueillie et l"enregistrement du mot "brûlerie" sera déclaré nul et invalide. L"enregistrement TMA 308,213 daté du 15 novembre 1985 sera radié du registre des marques de commerce et il sera ordonné au registraire des marques de commerce de faire les entrées appropriées au registre.

     La requérante aura droit à ses dépens, y incluant les frais d"expertise de Mme Lisa Corbeil, analyste et recherchiste, ainsi que ceux de Mme Marthe Faribeault, professeure au département de linguistique et traduction de l"Université de Montréal.

OTTAWA, Ontario

Le 20 février 1997      "MARC NADON"

     JUGE

     T-1301-96

OTTAWA (ONTARIO), CE 20ième JOUR DE FÉVRIER 1997.

DEVANT L'HONORABLE JUGE MARC NADON

E N T R E:

     BRÛLERIE DES MONTS INC.

     Requérante

     - et -

     3002462 CANADA INC.

     Intimée

     O R D O N N A N C E

     La requête de la requérante visant à obtenir une ordonnance déclarant invalide et radiant du registre canadien des marques de commerce l"enregistrement numéro TMA 308,213 du 15 novembre 1985, pour la marque de commerce La Brûlerie est accueillie. L"enregistrement du mot "brûlerie" est donc déclaré nul et invalide et l"enregistrement numéro TMA 308,213 du 15 novembre 1985 sera radié par le registraire des marques de commerce à qui il est ordonné par la présente de faire les entrées appropriées au registre.

     La requérante aura droit à ses dépens, y incluant les frais d"expertise de Mme Lisa Corbeil, analyste et recherchiste, ainsi que ceux de Mme Marthe Faribeault, professeure au département de linguistique et traduction de l"Université de Montréal.

    

     JUGE


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-1301-96

INTITULÉ :BRÛLERIE DES MONTS INC. c. 3002462 CANADA INC.

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE : 14 FÉVRIER 1997

MOTIFS D'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE NADON EN DATE DU 20 FÉVRIER 1997

COMPARUTIONS

Me ISABELLE N. TREMBLAY POUR LA REQUÉRANTE

PERSONNE NE S'EST PRÉSENTÉ POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

KELADA, TREMBLAY

MONTRÉAL (QUÉBEC) POUR LA REQUÉRANTE

PHILLIPS, FRIEDMAN, KOTLER

MONTRÉAL (QUÉBEC) POUR L'INTIMÉ

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