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Date : 20060405

Dossier : IMM-4826-05

Référence : 2006 CF 431

ENTRE :

URSULA MARIANA BARBOSA PONCE

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Partie défenderesse

MOTIFS DE JUGEMENT

Le juge Pinard

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 20 juillet 2005 par Hélène Dostie, l'agente chargée de l'examen des risques avant renvoi (l'agente) qui a rejeté la demande de la demanderesse.

[2]      Ursula Mariana Barbosa Ponce (la demanderesse) est une mère seule de vingt-neuf ans qui vient du Mexique. Elle est arrivée au Canada comme touriste en septembre 2000 avec sa fille. Elle est restée au-delà de l'expiration de son visa et a demandé le statut de réfugiée le 22 avril 2002. Elle alléguait craindre le père de sa fille, un policier nommé Raul Chavez, qui aurait abusé d'elle physiquement et sexuellement.

[3]      La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande de statut de réfugiée au sens de la Convention de la demanderesse le 27 novembre 2003 en disant qu'elle manquait de crédibilité et qu'elle avait d'autres options que celle de quitter le Mexique. L'examen des risques avant renvoi (ERAR) de la demanderesse a échoué le 22 février 2005 et aucune demande de révision judiciaire n'a été présentée. Cependant, le 21 juin, la mère de la demanderesse, Enedina Barboza a été, elle, reconnue comme réfugiée par la SPR. Le progrès du dossier de sa mère et de nouveaux éléments de preuve ont encouragé la demanderesse à présenter une demande ERAR subséquente le 8 juillet 2005. Cette demande a été entendue le 12 juillet 2005 et, le 20 juillet, Hélène Dostie, l'agente chargée de l'ERAR, a rejeté les arguments de la demanderesse, d'où la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]         L'agente a tout d'abord souligné que la majorité des documents soumis étaient les mêmes que ceux qui avaient été considérés lors du premier ERAR et qu'elle ne considérait que les documents qui introduisaient de la nouvelle preuve, non accessible par le passé. Ainsi, elle a rejeté une lettre attestant que la demanderesse et sa mère étaient patientes du Dr Rosa Ma Bernal Lopez depuis 1997 parce que ce n'était pas de la nouvelle information et que ça ne contribuait pas à la compréhension du dossier, même si le document lui-même était nouveau. L'agente a cependant reconnu l'importance de la documentation sur le traitement des femmes au Mexique et a décidé d'en tenir compte. Les seuls autres documents vraiment nouveaux étaient la décision de la Section de la protection des réfugiés quant à Enedina Barboza et le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de cette dernière.

[5]         Selon l'agente, la demanderesse n'a pas vraiment soulevé de nouveaux arguments, à part le fait que sa mère avait reçu le statut de réfugiée et le fait que les deux dossiers se ressemblaient. Chaque demande est un cas d'espèce et la décision de la SPR ne lie pas l'agent qui décide de l'ERAR. Tout comme lors du premier ERAR de la demanderesse, l'agente en arrive à la conclusion que celle-ci aurait pu bénéficier de la protection de l'État et qu'elle avait une possibilité raisonnable de refuge interne (PRI) en changeant de ville ou même de quartier. L'agente invoque notamment une enquête de la Direction des recherches de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, le document MEX39866.EF, qui indique que les femmes battues peuvent avoir accès à des groupes de soutien efficaces, même si elles sont les victimes d'un policier. La demanderesse ne s'étant pas déchargée de son fardeau, sa demande a été rejetée.

Admissibilité de la preuve

[6]         La demanderesse soumet d'abord que l'agente a erré en refusant d'admettre certains éléments de preuve.

[7]         Le critère pour décider si de la nouvelle preuve peut être admissible lors d'un ERAR est énoncé à l'alinéa 113a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 :

   113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet;

   113. Consideration of an application for protection shall be as follows :

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[8]         L'application de l'alinéa 113a) est discutée par mon collègue le juge Konrad von Finkenstein dans la décision Mojzisik c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 33 :

[11]          L'ERAR est une innovation introduite dans la nouvelle Loi, dont l'objectif est d'assurer que la plupart des personnes visées par une mesure de renvoi du Canada ont l'occasion, expéditive mais complète, d'établir qu'elles font face à un risque de torture ou de mauvais traitements graves si elles sont renvoyées dans leur pays d'origine. Dans la plupart des cas aujourd'hui, la SPR a déjà examiné la question de savoir si un demandeur a qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Par conséquent, l'agent ERAR est mandaté par la première partie de l'alinéa 113a) pour n'examiner que les éléments de preuve survenus depuis l'audience de la SPR.

[12]         Toutefois, il semble clair que la deuxième partie de l'alinéa 113a) vise exactement la situation à laquelle le demandeur fait face, savoir celle où la SSR n'a pas examiné la question de savoir s'il était une personne à protéger. Dans de tels cas, le texte de la Loi est clair en ce qu'il autorise l'agent à examiner des éléments de preuve "qu'il n'était pas raisonnable [...] de s'attendre à ce qu'il [le demandeur] les ait présentés au moment du rejet" par la SSR. Ceci comprend aussi les éléments portant sur une demande en vertu de l'article 97 que le demandeur n'a pas présentés à l'audience.

[9]         En l'espèce, il n'y a rien pour contredire l'opinion que les éléments de preuve que l'agente a refusé de considérer auraient très bien pu être fournis plus tôt. En effet, le rapport de police et les photos de monsieur Sanchez, existaient vraisemblablement avant la présentation de la demande de réfugiée de la demanderesse en 2002. L'agente était donc bien justifiée de les rejeter.

La disponibilité d'une possibilité de refuge interne (PRI)

[10]       À cet égard, l'agente écrit ce qui suit dans sa décision :

. . . tout comme la CISR, je considère qu'elle aurait pu et pourrait bénéficier de la protection de l'État mexicain, et même, qu'il y a une possibilité raisonnable de refuge interne (PRI) dans l'une des nombreuses villes d'importance au Mexique ou tout simplement en déménageant de quartier de la capitale Mexico.

[11]       La norme de contrôle applicable à une décision sur la disponibilité d'une PRI est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir, par exemple, Ashiru c. Minister of Citizenship and Immigration, 2006 FC 6, Chorny c. Canada (M.C.I.), 2003 CF 999 et Singh c. Canada (M.C.I.)., [1999] A.C.F. no 1283 (1re inst.) (QL)).

[12]       Le test pour déterminer s'il y a effectivement une PRI a été expliqué par le juge Mahoney de la Cour d'appel fédérale dans Rasaratnam c. Canada (M.E.I.) et a été bien résumé par mon collègue le juge Richard Mosley dans Kumar c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 731 (QL) :

[20]          Pour que la Commission puisse conclure que le demandeur a une PRI viable et sûre, le critère à deux volets suivant, qui a été énoncé et appliqué dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), et Thirunavukkarasu, précité, doit être rempli :

(1)                  la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;

(2)                  la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, de s'y réfugier.

[13]       La demanderesse se plaint que l'agente n'a pas fourni une explication suffisamment détaillée de la raison pour laquelle elle pensait qu'il existait une PRI. Il est vrai que le raisonnement de l'agente n'est pas détaillé, mais il n'est pas sans fondement. En effet, l'agente nous renvoie à la décision de la SPR qui a dit ce qui suit :

If, as the claimant alleged, there was a problem to do with her living in the State of Mexico and the Federal District, she could have moved to the Federal District, since she testified that she had lived only five blocks from the Federal District.

[14]       Ce passage fait référence au fait que la demanderesse a indiqué que la raison pour laquelle elle ne pouvait pas être protégée par la police fédérale était que ni elle, ni son persécuteur n'habitaient dans le district fédéral. La demanderesse se plaint de l'inaction des autorités, mais elle a clairement dit dans son FRP que la façon d'agir de la police fédérale était plus satisfaisante que celle de la police dans l'État de Mexico.

[15]       Dans les circonstances, il n'était pas manifestement déraisonnable pour l'agente de conclure selon la prépondérance des probabilités que le déménagement de la demanderesse dans le district fédéral ou dans une autre partie du pays lui donnerait les moyens d'éviter son persécuteur ou d'obtenir de meilleurs recours.

[16]       La jurisprudence a établi en outre que lorsque la possibilité d'un refuge interne est soulevée à l'égard d'une personne qui demande le statut de réfugié, c'est au demandeur qu'il incombe de démontrer qu'il serait en danger même s'il déménageait au lieu qu'on lui suggère (Thirunavukkarasu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1994] 1 C.F. 589 (C.A.)).

[17]       Or, en l'espèce, la demanderesse n'a pas présenté de preuve sérieuse pouvant montrer qu'elle serait menacée si elle déménageait dans une autre ville du Mexique, ou qu'elle serait incapable de supporter un tel déplacement. Ainsi, elle n'a pas repoussé le fardeau qui lui incombait.

[18]       La décision de l'agente à l'effet qu'il existait une possibilité de refuge interne doit donc être maintenue, ce qui est suffisant en soi pour entraîner le rejet de la demande d'ERAR.

L'utilisation correcte de la preuve

[19]       En l'espèce, la demanderesse reproche essentiellement à l'agente d'avoir ignoré le FRP de sa mère, ignorant ainsi un élément de preuve capable d'établir le parallèle entre son propre cas et celui de sa mère. Bien qu'il soit vrai que la décision ne fasse référence au FRP d'Enedina Barboza que pour dire qu'il s'agit d'une preuve admissible, il est difficile d'être d'accord avec la prétention de la demanderesse que cette preuve n'a pas été prise en compte. En effet, l'agente fait référence aux similitudes entre les situations des deux femmes. Elle conclut cependant que les différences sont suffisantes pour justifier des résultats distincts. À mon sens, nous sommes loin d'être en présence d'un cas où l'agente, qui doit être présumée avoir pris connaissance de toute la preuve devant elle, a voulu ignorer un élément de celle-ci d'une façon flagrante.

La protection de l'État

[20]       La demanderesse allègue enfin que l'agente a eu tort de conclure qu'elle pouvait bénéficier de la protection de l'État en se basant simplement sur le document MEX39866.EF, qui explique la disponibilité de groupes de soutien pour les femmes victimes de violence conjugale. La demanderesse note que même si l'existence de tels groupes est pertinente, il ne s'agit pas d'une justification suffisante pour conclure que l'État va protéger une victime.

[21]       Toutefois, l'agente ne s'est pas seulement fondée sur l'existence de groupes de soutien, elle s'est aussi basée sur le document MEX40336.EF, qui suggère toute une gamme de recours que les femmes peuvent utiliser pour obtenir de la protection si elles n'obtiennent pas les résultats espérés de la police. On voit là qu'il existe de la preuve capable d'appuyer le raisonnement de l'agente à l'effet que la demanderesse aurait pu bénéficier de la protection de l'État.

[22]       Pour toutes ces raisons, l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23]       L'avocat de la demanderesse a proposé les deux questions suivantes pour fin de certification :

Question 1 : Est-ce que l'agent ERAR a l'obligation d'analyser toute la preuve déposée dans une demande ERAR à la lumière des critères établis par l'article 113(a)?

Question 2 : Quelle est la valeur probante des motifs et d'une décision positive rendue par la CISR lorsque ces documents sont présentés à l'appui d'une demande ERAR pour un membre de la famille. L'agent ERAR est-il tenu de considérer les conclusions de faits rendues dans la décision et les motifs de la CISR?

[24]       Vu les présents motifs et vu l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Liyanagamage c. Canada (M.C.I.) (1994), 176 N.R. 4, je suis d'avis que les questions proposées ne transcendent pas les intérêts des parties au litige et qu'elles ne sont pas déterminantes quant à l'issue de l'appel. À cet égard, de façon générale, je suis d'accord avec les représentations écrites de l'avocat de la partie défenderesse.

               « Yvon Pinard »               

                                                                                                                        Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 avril 2006


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-4826-05

INTITULÉ :                                        URSULA MARIANA BARBOSA PONCE c. THE MINISTER OF PUBLIC SAFETY AND EMERGENCY PREPAREDNESS

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 6 février 2006

MOTIFS DE JUGEMENT :              Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                       Le 5 avril 2006

COMPARUTIONS:

Me Jacques Despatis

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Richard Casanova

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jacques Despatis

Ottawa (Ontario)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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