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Date : 20231006


Dossier : T-1678-23

Référence : 2023 CF 1337

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

MOREEN MAKEDA ROBINSON

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LE ROI ET

LE VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE RECEVEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le 10 août 2023, la demanderesse, Mme Robinson, a déposé une requête écrite conformément au paragraphe 369(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, (les Règles) en vue d’obtenir une dispense des droits de dépôt de 150 $ payables aux termes de l’article 19 et du tarif A relativement à un projet de déclaration.

[2] À l’appui de sa requête, Mme Robinson a déclaré qu’elle était une personne à faible revenu bénéficiant de prestations d’aide sociale et qu’elle éprouverait des difficultés financières si elle devait payer ces droits.

[3] Mme Robinson agit pour son propre compte dans la présente affaire.

[4] Le 7 septembre 2023, le juge adjoint Cotter a rejeté la requête (l’ordonnance de septembre), car il a conclu que Mme Robinson n’avait pas présenté d’éléments de preuve détaillés et crédibles.

[5] Mme Robinson s’est fondée sur le paragraphe 51(1) des Règles pour porter l’ordonnance de septembre en appel, dont l’examen m’a été confié.

[6] Pour les motifs qui suivent, l’appel sera rejeté. Le juge adjoint n’a pas commis d’erreur dans l’application des règles de droit lors de son examen de la requête en dispense des droits de dépôt. Eu égard à la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 (Hospira), je conclus que rien ne justifie l’intervention de la Cour et l’annulation de l’ordonnance.

I. L’ordonnance de septembre rendue par le juge adjoint Cotter

[7] Comme je l’ai déjà mentionné, le juge adjoint Cotter a rejeté la requête de Mme Robinson visant à obtenir une dispense des droits exigés pour le dépôt de son projet de déclaration. Après avoir examiné les documents joints à la requête et la jurisprudence pertinente, il a conclu que le peu de renseignements financiers fournis par Mme Robinson dans son affidavit ne constituait pas « des éléments de preuve détaillés et crédibles qui donnent les détails de sa situation financière et qui indiquent les sources de financement, les actifs et les dépenses » (Rooke c Canada (Procureur général), 2018 CF 204, au para 19 (Rooke), Fabrikant c Canada, 2014 CAF 89 aux para 10-11 (Fabrikant 2014)). Le juge adjoint Cotter a précisé que l’affidavit de Mme Robinson ne contenait aucun renseignement sur ses actifs, le cas échéant, ou sur ses dépenses. Il a conclu que Mme Robinson n’avait pas établi qu’elle était indigente et que l’obligation de payer des droits de dépôt l’empêcherait de présenter sa demande.

[8] Le juge adjoint Cotter s’est exprimé ainsi au sujet des renseignements financiers fournis par Mme Robinson :

[traduction]
Les éléments de preuve présentés par Moreen Robinson sont insuffisants. L’affidavit de Mme Robinson se compose essentiellement des deux paragraphes suivants :

1. Je suis une femme à faible revenu qui perçoit actuellement des prestations d’aide sociale du programme Ontario au travail. La pièce A est jointe comme preuve de cette déclaration.

2. La pièce B ci-jointe, qui comprend mon avis de cotisation pour l’année d’imposition 2023, constitue une preuve supplémentaire de mon faible revenu.

En ce qui concerne les pièces jointes à l’affidavit de Mme Robinson, la pièce A semble confirmer qu’au 23 juillet 2023, Moreen Robinson recevait de l’« aide sociale » dans le cadre d’un programme de prestations appelé « Ontario au travail ». La pièce B est un « avis de cotisation » pour l’année d’imposition 2022 daté du 24 avril 2023.

[9] Le juge adjoint Cotter a également examiné un certain nombre de décisions dans lesquelles la Cour a présenté un autre critère à prendre en considération dans l’évaluation d’une requête en dispense des droits de dépôt, à savoir si le demandeur proposé démontre que ses poursuites sont raisonnablement justifiées (Spatling c Canada (Solliciteur Général), 2003 CFPI 443; Rooke, au para 20; Fabrikant c Canada, 2016 CF 954 (appel rejeté devant la Cour fédérale et appel subséquent rejeté devant la Cour d’appel fédérale dans Fabrikant c Canada, 2018 CAF 43 (Fabrikant 2018)). Il a souligné que ce critère ne devait pas être appliqué de manière stricte afin d’éviter qu’il ne fasse artificiellement obstacle à l’égalité d’accès à la Cour. Le juge adjoint a ensuite fait remarquer que, dans sa déclaration, Mme Robinson ne semblait pas avoir démontré que sa demande avait des chances raisonnables de succès.

II. La requête en appel

[10] Le 13 septembre 2023, Mme Robinson a interjeté appel de l’ordonnance de septembre conformément au paragraphe 51(1) des Règles (la requête en appel). Dans ses observations à l’appui de sa requête, elle réitère qu’elle est une personne à faible revenu et qu’elle éprouverait des difficultés financières si elle devait payer des droits de dépôt en vue de faire instruire sa demande. Mme Robinson déclare également qu’elle n’a pas d’actifs et ajoute aux renseignements financiers déposés avec sa requête initiale un état de ses revenus mensuels provenant du programme Ontario au travail.

[11] Mme Robinson décrit son projet de déclaration de la manière suivante :

[traduction]

Le fondement de ma demande repose sur des craintes à l’égard de la validité et de la crédibilité des ministères et de leurs actions en lien avec mes droits et libertés fondamentaux. En tant que femme et mère, je cherche particulièrement à comprendre le rôle et la place de mes deux enfants au sein de la société canadienne. Ma demande est fondée sur les accords internationaux qui mettent l’accent sur l’application des droits et libertés fondamentaux. Je soutiens respectueusement que le Canada n’a peut-être pas rempli ses obligations envers sa population en ce qui concerne la promotion des droits à l’autodétermination (droits et libertés fondamentaux).

[12] Les défendeurs ont reçu signification de la requête en appel le 14 septembre 2023, mais ils n’y ont pas répondu.

III. Analyse

[13] Dans sa requête en appel, Mme Robinson a demandé une audience lors des séances générales de la Cour du 20 septembre 2023. Toutefois, compte tenu du dossier d’appel et en l’absence d’une réponse des défendeurs, j’ai conclu que le dossier d’appel était suffisamment complet et adéquat pour me permettre d’examiner la requête en appel uniquement sur la base des prétentions écrites conformément au paragraphe 369(1) des Règles.

[14] Le pouvoir de la Cour d’examiner une requête en dispense des droits de dépôt découle de l’article 55 des Règles, qui prévoit que, dans des « circonstances spéciales », la Cour peut modifier une règle ou exempter une partie ou une personne de son application (Fabrikant 2014, aux para 2-5). Il s’ensuit qu’une décision relative à une requête en dispense des droits de dépôt est de nature discrétionnaire (Fabrikant c Canada (Procureur général), 2017 CF 576 au para 5). Le fait qu’un autre juge ou juge adjoint ait pu exercer son pouvoir discrétionnaire différemment ne suffit pas à justifier une intervention en appel.

[15] Dans l’arrêt Fabrikant 2014, le juge Stratas a énoncé deux principes opposés qui sont au cœur même de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour en ce qui a trait à l’octroi d’une dispense des droits de dépôt : le droit de s’adresser à la Cour et la nécessité d’exiger des droits pour des services rendus. En outre, la Cour doit tenir compte du paragraphe 71.1(1) des Règles, qui prévoit l’obligation de payer des droits pour le dépôt d’un document, et de l’article 55, qui exige la présence de « circonstances spéciales » pour que la Cour puisse exempter une partie de cette obligation.

[16] Dans la présente requête en appel, je dois tenir compte de ces principes opposés et des Règles au regard de la norme de contrôle applicable à l’ordonnance de septembre, c’est-à-dire celle de l’erreur manifeste et déterminante (Hospira, au para 64).

[17] Une erreur manifeste et déterminante est une erreur qui est évidente et apparente.

[18] Le juge adjoint Cotter a correctement examiné et appliqué la jurisprudence pertinente en citant le juge Diner aux paragraphes 18 à 20 de la décision Rooke :

[18] Le pouvoir de la Cour d’examiner une requête de dispense des droits découle de l’article 55 des Règles qui autorise la Cour, dans des « circonstances spéciales », à modifier une règle ou à exempter une partie ou une personne de son application (Fabrikant c Canada, 2014 CAF 89, aux paragraphes 2 à 5 [Fabrikant 2014]; Fabrikant 2017 (le juge Harrington) au paragraphe 6).

[19] Vu cette exigence relative à l’existence de « circonstances spéciales », rares sont les cas où la Cour assouplit cette exigence d’acquitter des droits (Fabrikant 2014, au paragraphe 8). La Cour ne devrait même pas songer à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à moins de circonstances exceptionnelles (Fabrikant 2017 (le juge Harrington), au paragraphe 27). Une partie doit avoir des éléments de preuve détaillés et crédibles qui donnent les détails de sa situation financière et qui indiquent les sources de financement, les actifs et les dépenses (Fabrikant 2014, aux paragraphes 10 et 11).

[20] En raison de ces restrictions contenues dans la jurisprudence, la protonotaire a fait observer à juste titre, aux pages 3 et 4 de son ordonnance, qu’une partie qui cherche à obtenir l’octroi d’une dispense des droits doit établir son indigence et que l’obligation de payer des droits de dépôt l’empêcherait d’engager une action ayant raisonnablement des chances de succès (voir aussi Fabrikant 2017 (la juge Gagné), au paragraphe 5).

[19] Comme je l’ai mentionné, le juge adjoint Cotter a examiné les éléments de preuve et les observations de Mme Robinson et a conclu qu’ils ne démontraient pas de manière crédible et détaillée sa situation financière, ses sources de financement, ses actifs et ses dépenses.

[20] J’estime qu’il était loisible au juge adjoint Cotter de tirer cette conclusion. Les documents financiers fournis par Mme Robinson établissent qu’elle reçoit de l’aide sociale dans le cadre d’un programme appelé « Ontario au travail », et son avis de cotisation pour 2022 indique qu’elle a touché un revenu total de 12 562 $. Les documents mensuels joints au dossier d’appel concordent avec la preuve fournie à l’appui de la requête initiale en dispense des droits. Toutefois, ni la requête initiale ni le dossier d’appel ne contiennent d’éléments de preuve relatifs à d’autres sources de financement, à des actifs (si ce n’est qu’elle a fait une déclaration générale indiquant qu’elle n’en avait pas) ou à des dépenses. Bien que l’avis de cotisation pour l’année 2022 de Mme Robinson fasse état d’un faible revenu total, il ne suffit pas à lui seul pour prouver qu’elle n’est pas en mesure de payer les droits de dépôt pour présenter sa demande.

[21] Le juge adjoint Cotter a examiné brièvement la question de savoir si le projet de déclaration de Mme Robinson démontre que sa demande est « raisonnablement justifié[e] » (Spatling, au para 11; Fabrikant c Canada, 2016 CF 954 au para 7 (maintenu en appel et appel subséquent devant la Cour d’appel fédérale dans Fabrikant 2018)). Il a également souligné que cette question ne nécessite pas l’application d’un critère strict, ce qui reflète la déclaration du juge Pelletier selon laquelle « les frais judiciaires ne devraient pas empêcher un plaideur indigent qui a une cause défendable de se faire entendre » (citée dans Fabrikant 2018, au para 9).

[22] Dans sa déclaration, Mme Robinson affirme que les certificats de naissance vivante de ses enfants et le sien sont des instruments de garantie qui ont une valeur monétaire reconnue sous le régime de la Loi sur les Banques et de la Loi sur la gestion des finances publiques. Elle soutient que le Canada s’est attribué un [traduction] « statut fictif de détenteur inscrit » (constructed registered holder status) de ces instruments de garantie, ce qui limite sa capacité juridique à exercer pleinement son droit de les utiliser. Selon Mme Robinson, le Bureau du vérificateur général du Canada a la responsabilité de corriger ce statut. Elle affirme avoir communiqué avec le Bureau le 2 juin 2023. En l’absence d’une réponse, elle a envoyé une lettre de suivi et un avis d’entente le 19 juin 2023. Dans cette lettre, Mme Robinson a déclaré que, si le statut des instruments de garantie n’était pas corrigé dans les vingt jours, l’avis d’entente servirait à confirmer que la question serait soumise à un tribunal compétent en vue d’une résolution. Mme Robinson demande : 1) l’accès à une aide adéquate lui permettant de payer ses frais de subsistance, un droit qui est actuellement limité jusqu’à ce qu’elle obtienne le statut de détenteur absolu des instruments de garantie en question; et 2) le rétablissement de son droit d’affectation afférent aux comptes centraux du Canada.

[23] Comme le juge adjoint Cotter l’a déclaré, [traduction] « je ne vois pas en quoi [la déclaration de Mme Robinson] démontre que sa demande est raisonnablement justifiée ».

[24] Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que le juge adjoint Cotter a cerné et retenu les règles de droit applicables. L’ordonnance de septembre ne présente aucune erreur de fait ou de droit.

[25] Par conséquent, l’appel sera rejeté. Je n’adjugerai aucuns dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T-1678-23

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

  1. L’appel de l’ordonnance du 7 septembre 2023 rendue par le juge adjoint Cotter est rejeté.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1678-23

 

INTITULÉ :

MOREEN MAKEDA ROBINSON c SA MAJESTÉ LE ROI ET LE VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE RECEVEUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 OCTOBRE 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Moreen Makeda Robinson

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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