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Date : 20231206


Dossier : IMM-9360-22

Référence : 2023 CF 1644

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 décembre 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE:

MOHAMED JAMA OSMAN

SAFA ABDIAZIZ JAMA

SIHAM MOHAMED JAMA

SAMIR MOHAMED JAMA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Mohamed Jama Osman [le demandeur principal ou DP], son épouse Mme Safa Abdiaziz Jama [la demanderesse associée ou DA] et leurs enfants mineurs Siham Mohamed Jama et Samir Mohamed Jama [collectivement, les demandeurs], demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] rendue le 29 août 2022 et ayant annulé leurs statuts de réfugiés au sens de la Convention [la décision].

[2] La décision rendue s’appuie sur une demande du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le Ministre] au titre de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et de l’article 64 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256. Le Ministre a allégué que les demandeurs avaient, à leur première audience de demande d’asile, caché leurs véritables identités de citoyens suédois, ce qui avait ainsi empêché la première formation de la SPR de procéder à une analyse éclairée et juste de leur identité, de leur crédibilité et de l’allégation selon laquelle ils craignaient avec raison d’être persécutés.

[3] En l’espèce, les demandeurs contestent la décision, qu’ils qualifient de déraisonnable. Pour les motifs exprimés ci-dessous, je conclus que la décision est raisonnable et rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte

A. Le contexte factuel

[4] Les demandeurs allèguent être arrivés au Canada le 9 octobre 2015 avec de faux passeports et avec l’aide de passeurs. Moins de deux semaines plus tard, lorsque les demandeurs ont commencé leurs demandes d’asile, ils ont déclaré être citoyens de la Somalie et d’aucun autre pays. Le DP a déclaré s’appeler Mohamed Jama Osman et être né le 10 mars 1989. La DA a déclaré s’appeler Safa Abdiaziz Jama et être née le 10 décembre 1990. Le DP et la DA ont déclaré que les enfants s’appelaient Siham Mohamed Jama et Samir Mohamed Jama, respectivement nés le 15 août 2011 et le 20 septembre 2013.

[5] Dans leurs demandes d’asile, les demandeurs allèguent craindre la persécution d’Al‑Shabaab, du fait que le DP vendait de l’alcool dans sa boutique de Mogadiscio. Les demandeurs ont obtenu l’asile le 12 janvier 2017

[6] Grâce à une enquête menée auprès de l’unité nationale de la Suède par l’entremise d’Europol, le Ministre a obtenu de nouveaux éléments de preuve indiquant qu’une famille de quatre citoyens suédois — deux adultes et deux enfants — était entrée au Canada le 6 octobre 2015, sous les noms de Mursal Sallad Warsane, né le 10 janvier 1988, Dahabo Hassan Warsame, née le 10 mars 1984, Ziham Salad Warsane et Zamir Sallad Warsane, respectivement nés le 12 août 2014 et le 15 septembre 2013. L’unité nationale de la Suède a également fourni leurs photos au Ministre, mais pas leurs empreintes digitales.

[7] Le Ministre a allégué que les demandeurs étaient ces quatre citoyens suédois qui devaient avoir vécu en Suède au moins depuis le mois d’août 2010. Il a soutenu que, si la formation initiale de la SPR avait été informée de l’allégation relative à la citoyenneté suédoise des demandeurs, l’issue de leur demande d’asile aurait été tout autre.

[8] Les demandeurs ont contesté les éléments de preuve photographiques auprès de la SPR et ils ont plaidé que la technologie de reconnaissance faciale était moins efficace pour identifier les personnes de couleurs que pour identifier les personnes blanches. Pour soutenir cet argument, les demandeurs se sont appuyés sur deux articles, dont un du Toronto Star, faisant état d’allégations dénonçant l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale par le gouvernement fédéral pour confirmer l’identité des réfugiés [l’article du Toronto Star]. L’article du Toronto Star traite aussi du nombre croissant de réfugiés somaliens dont l’identité a été mise en doute par l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] après comparaison de photos avec des voyageurs kenyans entrant au Canada. Dans ce même article, l’ASFC niait tout usage des technologies de reconnaissance faciale.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[9] La SPR a accueilli la demande du Ministre d’annuler les statuts de réfugiés, au sens de la Convention, des demandeurs. Elle a conclu que, devant la formation initiale de la SPR, les demandeurs avaient fait une présentation erronée de faits importants quant à un objet pertinent et avaient fait preuve de réticence à l’égard de ces faits, s’agissant de leur identité, leur citoyenneté et leurs antécédents personnels. La SPR a conclu qu’un lien de causalité unissait la présentation erronée de faits importants et la décision d’accorder l’asile aux demandeurs. Elle a également conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve objective suffisante pour réfuter les allégations du Ministre et qu’ils avaient plutôt continué de s’appuyer sur les éléments de preuve présentés auparavant, à la formation initiale de la SPR, quant à leur identité. La SPR a souligné que si sa formation initiale avait su que les demandeurs possédaient la citoyenneté suédoise, ceux-ci auraient été tenus de présenter leurs demandes d’asile à l’égard de la Suède et de prouver qu’ils ne pouvaient plus y vivre.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[10] Les demandeurs soulèvent plusieurs questions relatives au caractère raisonnable de la décision. Je les résume comme suit :

Était-il raisonnable que la SAR tienne compte de la citation de l’ASFC, tirée de l’article du Toronto Star, selon laquelle elle n’utilise pas de logiciel de reconnaissance faciale ?

La SPR a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion quant à la similarité entre les demandeurs et les ressortissants suédois au vu de la date d’entrée des demandeurs, ainsi que des dates de naissance et des noms des demandeurs mineurs ?

La SPR a-t-elle conclu à tort que les demandeurs avaient vécu en Suède pendant au moins cinq ans et que les demandeurs mineurs étaient nés en Suède et n’étaient jamais allés en Somalie ?

[11] Le défendeur avance que la norme de contrôle applicable à la décision est celle de la décision raisonnable et il souligne qu’il s’agit d’une norme de preuve qui requiert beaucoup de déférence : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [Vavilov]. Je suis d’accord.

[12] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur une évaluation respectueuse, mais aussi rigoureuse (Vavilov, aux para 12 ‑13). La cour de révision doit décider si la décision objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, tant en ce qui concerne son raisonnement que son résultat (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si la décision est raisonnable dépend du contexte administratif pertinent, du dossier soumis au décideur et de l’incidence de la décision sur ceux qu’elle vise (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[13] Pour démontrer qu’une décision est déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle contient une déficience suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Les erreurs et les réserves que soulève la décision ne justifient pas toutes l’intervention judiciaire. À moins de circonstances exceptionnelles, une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve qui a été présentée au décideur et ne doit pas modifier ses conclusions de fait (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100).

IV. Analyse

[14] Le Ministre peut présenter une demande prévue à l’article 109 de la LIPR (voir l’annexe A) en vue de faire annuler la décision d’accueillir la demande d’asile quand cette décision résulte « directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. » Si la SPR accueille la demande du Ministre d’annuler la décision, la décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile et la décision initiale est dès lors nulle.

[15] Pour apprécier la demande d’annulation, la SPR doit d’abord vérifier si la décision d’accueillir la demande d’asile résultait, directement ou indirectement, de la présentation erronée de faits importants quant à un objet pertinent, ou de réticences quant à ces faits. Si la SPR conclut que c’est bien le cas, elle doit ensuite examiner s’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte dans la décision initiale, pour justifier l’octroi de l’asile. Dans l’affirmative, la SPR peut rejeter la demande d’annulation, malgré les présentations erronées : Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 643 au para 36.

[16] La présentation erronée ou la réticence doivent porter sur un fait important quant à un objet pertinent. Autrement dit, les présentations erronées doivent être de nature à avoir eu une incidence sur la décision initiale d’octroi de l’asile : Canada (Sécurité publique et de la Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181 au para 7.

a. La SPR n’a pas commis d’erreur en tenant compte de la déclaration de l’ASFC figurant dans l’article du Toronto Star

[17] La SPR a décidé que, selon la prépondérance des probabilités, les photos des demandeurs et des ressortissants suédois correspondaient aux mêmes personnes. Elle a rejeté l’argument des demandeurs relatif au phénomène de « sosie » et aux lacunes des logiciels de reconnaissance faciale. Elle souligne d’ailleurs que, selon l’article du Toronto Star, l’ASFC niait avoir recours à des logiciels de reconnaissance faciale dans le cadre de ses programmes d’exécution de la loi en matière d’immigration. La SPR a également reconnu que les empreintes digitales auraient certes permis de prouver l’identité des demandeurs hors de tout doute raisonnable, mais que l’évaluation au titre de l’article 109 n’exigeait pas une cette norme de preuve.

[18] En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis l’erreur de ne pas remettre en question la déclaration de l’ASFC selon laquelle elle n’a pas recours à Clearview AI, une société qui fournit un logiciel de reconnaissance faciale. Les demandeurs soutiennent qu’il est « fort probable » que l’ASFC ait utilisé Clearview AI pour rapprocher les photos.

[19] Dans leurs observations écrites, les demandeurs s’appuient largement sur la décision que j’ai rendue dans l’affaire Barre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1078 [Barre]. À l’audience, toutefois, ils n’ont présenté aucune observation sur l’application de la décision Barre. En tout état de cause, invoquer la décision Barre est inutile. L’affaire Barre est à distinguer de l’affaire dont la Cour est saisie, tant au chapitre des faits qu’à celui des motifs.

[20] Dans l’affaire Barre, les demanderesses avaient présenté des éléments de preuve selon lesquels l’ASFC utilisait Clearview AI pour effectuer les comparaisons de photos. Le défendeur avait contesté ces éléments et avait fait valoir que le paragraphe 22(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), c P-21, permettait à l’ASFC de protéger les détails de son enquête. J’avais conclu que la SPR s’était appuyée à tort sur la Loi sur la protection des renseignements personnels pour admettre les comparaisons de photos sans exiger que le Ministre s’explique quant au privilège qu’il invoquait pour justifier son refus de communiquer les renseignements : Barre, aux para 7, 11. J’avais également conclu que la SPR n’avait pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires et que ses constatations quant aux ressemblances faciales n’étaient pas suffisamment étayées : Barre, au para 11. Aucune de ces circonstances ne s’applique ici.

[21] Les demandeurs soutiennent en outre que, comme dans l’affaire Barre, la SPR a jugé qu’il n’était pas nécessaire qu’elle remette en doute l’affirmation de l’ASFC selon laquelle elle n’utilise pas Clearview AI. Selon les demandeurs, cette conclusion est déraisonnable car la SPR l’a tirée sans s’appuyer sur les éléments de preuve, voire en en faisant fi.

[22] À mon avis, l’argument des demandeurs relève d’une mauvaise interprétation de la conclusion de la SPR. Plutôt que de conclure qu’il ne lui était pas nécessaire de mettre en doute l’affirmation de l’ASFC, la SPR a souligné que « l’allégation selon laquelle l’ASFC utilise la technologie de reconnaissance faciale est grave et repose sur des conjectures et non sur des faits ». En l’espèce, contrairement à l’affaire Barre, les demandeurs n’ont soumis aucune preuve de l’utilisation de Clearview AI par l’ASFC; le fait que l’ASFC nie publiquement y avoir recours ne saurait constituer la preuve qu’il l’a fait. En outre, je note que le commissaire de la SPR a demandé à l’avocat du Ministre comment les photos avaient été obtenues, ce à quoi l’avocat a répondu qu’il s’agissait de photos issues du SMGC [Système mondial de gestion des cas] et de photos obtenues auprès des autorités suédoises.

[23] En l’absence de preuve du contraire, j’estime que la SPR a raisonnablement conclu qu’elle n’avait « aucune raison de remettre en question ou de douter de la véracité de la déclaration faite par l’ASFC au Toronto Star ».

[24] Plus précisément, la SPR a souligné que le Ministre avait en fait donné des explications quant à la façon dont il était parvenu à ses conclusions et dont il avait obtenu les éléments de preuve : la communication avait été établie avec l’unité nationale de la Suède pour obtenir les éléments de preuve; il ne s’agit pas de « photos prises au hasard dans la rue ou des images tirées d’Internet ». La conclusion de la SPR était cohérente avec la preuve qui lui a été soumise.

b. Les conclusions de la SPR quant aux similarités entre les demandeurs et les ressortissants suédois étaient raisonnables

[25] Les demandeurs contestent les conclusions de la SPR quant aux comparaisons de photos, ainsi qu’aux comparaisons relatives aux noms et dates de naissance des demandeurs mineurs.

[26] La SPR a constaté que les photos des demandeurs et des ressortissants suédois correspondaient aux mêmes personnes. Les demandeurs avancent que les photos en question représentent des personnes tout à fait autres; ils soulignent divers traits faciaux pour affirmer qu’il était déraisonnable, de la part de la SPR, de conclure qu’il s’agissait des mêmes personnes.

[27] De plus, au soutien de leurs prétentions, les demandeurs renvoient aux décisions Hirsi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2023 CF 843 [Hirsi] et Arafa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 238 [Arafa]. Ils font valoir que, dans l’affaire Hirsi, la Cour a estimé que la comparaison de photos devait être effectuée avec soin et, en cas de menaces aux intérêts vitaux d’une personne, refléter ces enjeux (Hirsi, aux para 25-27). De plus, les demandeurs soutiennent que, dans l’affaire Arafa, la Cour a jugé déraisonnable que la SPR ne se penche pas sur les différences dans sa comparaison de photos (Arafa, au para 24). Les demandeurs prétendent que les décisions, rendues dans les affaires Hirsi et Arafa, mettent en garde contre les comparaisons de photos effectuées dans la hâte, de façon superficielle et sous l’influence de préjugés raciaux. De plus, ils soulignent que le processus est à la fois hautement subjectif et mal défini, de sorte qu’il doit être abordé avec précaution.

[28] Je conviens que des appréciations aussi subjectives que des comparaisons de photos doivent être menées avec prudence et vigilance, « du fait des risques que posent les préjugés raciaux inconscients ou implicites »: Omar c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2023 CF 1334 [Omar] au para 19. La jurisprudence ne donne pas pour autant à penser que les comparaisons de photos ne peuvent jamais être utilisées comme facteurs d’évaluation.

[29] En outre, la Cour a confirmé que la SPR était habilitée à procéder à des évaluations par comparaison de photos sans faire appel à un témoin expert : Sariam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2023 CF 1372 au para 42, citant Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 377 au para 10 et Olaya Yauce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 784 au para 9.

[30] Dans la décision Arafa, à laquelle renvoient les demandeurs, la Cour avait fini par confirmer la décision du tribunal d’annuler le statut de réfugié des demandeurs, en partie parce qu’elle avait conclu que l’apparence des deux groupes était identique.

[31] À l’audience, les demandeurs ont souligné que sur sa photo, la ressortissante suédoise adulte porte du maquillage, alors que la DA ne porte pas de maquillage sur la sienne. Ils ont soutenu qu’il était déraisonnable que la SPR passe ce genre de différence sous silence. Je ne suis pas d’accord. La présence ou non de maquillage n’a pas d’incidence sur l’analyse des traits faciaux — espacement des yeux, arête du nez et menton — effectuée par la SPR pour conclure que les traits étaient identiques. En outre, la SPR a tenu compte du fait que le « niqab » (qu’il convient en fait d’appeler un hijab) encadre le visage de la DA et de la ressortissante suédoise selon des dispositions légèrement différentes, ainsi que de la différence de luminosité.

[32] Bien que les parties n’aient pas soulevé la question, je note que la juge Turley a désapprouvé ce genre de descriptions, relatives aux traits du visage, formulées par un autre commissaire de la SPR, lorsqu’il s’agit de comparer des photos. Pour qualifier les descriptions, la juge les a dites « d’ordre général et de nature superficielle »: Omar, au para 21. Cependant, dans l’affaire Omar, la comparaison de photos a constitué le facteur décisif de la décision de la SPR, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En outre, dans la présente affaire, la SPR est allée au-delà des descriptions générales dans ses motifs.

[33] Finalement, la SPR a relevé certaines des différences mentionnées par les demandeurs, sinon toutes, avant de conclure qu’il y a bien une « ressemblance convaincante entre les sujets de ces photos ». La SPR a motivé sa conclusion en détail. Les demandeurs peuvent ne pas être d’accord avec la conclusion de la SPR, mais ils n’ont mentionné aucune erreur de raisonnement qui soit susceptible de contrôle.

[34] En ce qui concerne la date d’arrivée des demandeurs au Canada, ainsi que les dates de naissance et les noms des demandeurs mineurs, la SPR a retenu l’argument du Ministre selon lequel le fait que la date d’arrivée des demandeurs et les dates de naissance des demandeurs mineurs ne soient séparées que de quelques jours relevait de plus que de la [traduction] « simple coïncidence ». La SPR a aussi convenu que les demandeurs mineurs portaient les mêmes noms phonétiques que les ressortissants suédois.

[35] Les demandeurs ne traitent pas du fait que leur date d’arrivée soit à trois jours d’écart de celle des ressortissants suédois. Les demandeurs font valoir que le fait que des personnes aient des dates de naissance semblables [traduction] « n’a rien d’une coïncidence remarquable ». Ils invoquent le [traduction] « paradoxe de la date de naissance » pour affirmer qu’il est tout à fait possible que deux personnes soient nées à la même date ou à peu près à la même date. Ils ajoutent que, compte tenu du grand nombre de personnes qui entrent chaque jour au Canada par l’aéroport international Pearson de Toronto, le fait que les demandeurs mineurs aient des dates de naissance similaires ne constitue qu’une simple coïncidence. Pour ce qui est de la similarité des noms des demandeurs mineurs, les demandeurs allèguent qu’il s’agit, là encore, d’une coïncidence et élaborent sur le sujet d’autres cas analogues de noms présentant des ressemblances.

[36] Le défendeur soutient que ces similarités ne sont pas de simples coïncidences, qu’il s’agit plutôt d’une tentative de présentation erronée sur l’identité des demandeurs mineurs.

[37] Indépendamment de la question de savoir si ces similarités étaient ou non de simples coïncidences, la question dont je suis saisie est de savoir si la conclusion de la SPR, selon laquelle elles n’en étaient pas, est raisonnable. Pour conclure qu’il ne s’agissait pas de coïncidences, la SPR s’est appuyée en partie sur la décision Kallab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 706, dans laquelle la Cour souligne, au paragraphe 188 :

Le dictionnaire Oxford en ligne définit le terme « coïncidence » comme le concours remarquable d’événements ou de circonstances qui n’ont aucun lien de causalité apparent les uns avec les autres. Si l’intérêt personnel marqué du témoin s’allie aux prétendus événements fortuits, et qu’ils ne peuvent être corroborés de façon objective, la preuve a tendance à nuire à la crédibilité, simplement parce qu’il est remarquable que les événements se soient produits ensemble. En fait, les coïncidences peuvent également aider, en fournissant une valeur probante à un fait lorsqu’aucun intérêt personnel n’y est associé : Briand c Canada (Procureur général), 2018 CF 279, au paragraphe 61.

[38] La SPR a pris note des observations des demandeurs concernant les coïncidences, mais elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que ces « coïncidences » démontraient que les demandeurs étaient en fait des citoyens suédois. La SPR a également conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne sont pas entrés au Canada à la date déclarée dans leurs documents d’immigration, soulignant que les demandeurs n’avaient fourni aucune preuve de leur entrée le 9 octobre 2015. Cette conclusion est raisonnable. Les arguments des demandeurs reviennent à exprimer leur désaccord quant à la conclusion de la SPR, sans pour autant faire état d’une quelconque erreur susceptible de contrôle – et je n’en trouve moi-même aucune.

c. La conclusion de la SPR, relative à la citoyenneté des demandeurs et à leur résidence en Suède, était raisonnable

[39] La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs devaient avoir vécu en Suède en continu pendant au moins cinq ans et que les demandeurs mineurs étaient nés en Suède et n’étaient jamais allés en Somalie.

[40] Les demandeurs contestent cette conclusion; ils avancent que la SPR n’avait aucune preuve que les enfants étaient nés en Suède et que ce renseignement ne figure pas dans les messages échangés entre le Ministre et Europol. Ils soulignent que l’unité nationale de la Suède a répertorié les citoyens suédois comme ayant [traduction] « émigré » et qu’il n’y a aucune mention du pays de naissance des demandeurs mineurs. Les demandeurs soutiennent également que le Ministre n’a rien présenté qui confirme que les citoyens suédois adultes étaient mariés ou que les citoyens suédois mineurs étaient leurs enfants, comme un certificat d’état matrimonial ou des certificats de naissance. Les demandeurs plaident qu’en l’absence de ces éléments de preuve objectifs, il était injuste et déraisonnable, de la part de la SPR, de ne pas tenir compte de leur affirmation selon laquelle ils ne sont pas originaires de Suède et de conclure que les enfants sont nés en Suède.

[41] Les demandeurs soulignent aussi que les renseignements fournis par Europol montrent que Mursal Sallad Warsane est enregistré en tant qu’époux d’une certaine Deeqo Ismail Hassan, alors qu’il n’y a aucune mention de cette personne dans la décision.

[42] J’estime que ces observations ne sont pas fondées.

[43] Tout d’abord, la question de savoir avec qui Mursal Sallad Warsane est marié n’a aucune incidence sur la présente affaire. Les renseignements d’Europol indiquent que la mère des deux enfants est Dahabo Hassan Warsame et non Deepo Ismail Hassan, et que leur père est Mursal Sallad Warsane. L’absence de certificat de naissance des deux enfants suédois, dont les demandeurs adultes nient être les parents, ne mine pas le caractère raisonnable de la conclusion de la SPR quant à l’identité et au pays de naissance des demandeurs mineurs.

[44] Selon le défendeur, même si les demandeurs avaient obtenu leur statut de résidents permanents au Canada avant 2021, ils auraient pu attendre jusqu’en 2021 pour enregistrer leur émigration auprès des autorités suédoises. Je suis d’accord. L’un n’empêche pas l’autre.

[45] La décision de la SPR relativement à la nationalité suédoise des demandeurs et à leur résidence en Suède découle de ses conclusions fondées sur ses comparaisons de photos et d’autres similarités entre les demandeurs et les quatre ressortissants suédois. La SPR a en outre constaté l’absence de preuve relative à l’entrée des demandeurs au Canada le 9 octobre 2015. Au vu de l’ensemble de ces éléments, la SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs étaient entrés au Canada le 6 octobre 2015 leurs passeports suédois en main.

[46] En outre, la SPR a noté que, selon la loi intitulée Act on Swedish Citizenship (Loi sur la citoyenneté suédoise), une personne doit vivre en Suède sans interruption pendant au moins cinq ans avant de pouvoir obtenir le passeport suédois. La SPR a constaté que les passeports suédois allégués des demandeurs avaient été délivrés en août et septembre 2015 et elle a par conséquent retenu la thèse du Ministre selon laquelle les demandeurs avaient résidé en Suède au moins depuis août 2010. Ainsi, puisque les demandeurs devaient satisfaire à l’exigence de résidence pour obtenir la citoyenneté, la SPR a conclu qu’il était plus probable qu’improbable que les demandeurs mineurs soient nés en Suède et ne soient jamais allés en Somalie.

[47] Le raisonnement de la SPR répond aux caractéristiques d’intelligibilité, de transparence et de justification, à la lumière des éléments de preuve qui lui ont été soumis.

d. Observations finales

[48] Comme les demandeurs le soulignent à juste titre, la décision entraîne des répercussions importantes sur leurs vies puisqu’elle a conduit à l’annulation de leur statut de réfugiés et donc de leur statut au Canada.

[49] À l’audience, le défendeur a fait valoir que puisque le gouvernement suédois avait reconnu la citoyenneté des demandeurs, ces derniers pouvaient retourner en Suède. Je ne vois aucune garantie en ce sens dans le dossier dont je suis saisi. Si les autorités suédoises ont communiqué à l’ASFC les renseignements d’Europol relatifs aux quatre ressortissants suédois que le Ministre prétend être les demandeurs, ces renseignements ne contiennent rien permettant d’affirmer que les demandeurs seraient effectivement les ressortissants suédois en question.

[50] Toutefois, comme la jurisprudence l’a établi de longue date, le fardeau du Ministre consiste seulement à convaincre la SPR selon la prépondérance des probabilités — et non hors de tout doute raisonnable — que la personne, dont il conteste le statut, a fait de fausses représentations ou omis certains faits dans sa demande initiale : Nur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 636 au para 21. Ainsi, même si je devais conclure que la décision est raisonnable, cela ne signifierait pas que le Ministre a prouvé, hors de tout doute raisonnable, que les demandeurs sont les ressortissants suédois.

[51] Ainsi, dans la situation actuelle, les demandeurs risquent de se retrouver dans une situation précaire où leur avenir est incertain.

[52] Toutefois, étant donné que le raisonnement de la SPR présente une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle que justifient les contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85, je ne vois pas de motif pour modifier la conclusion de la SPR.

V. Conclusion

[53] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[54] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9360-22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, c 27)

Immigration and Refugee Protection Act (S.C. 2001, c. 27)

Annulation par la Section de la protection des réfugiés

Application to Vacate

Demande d’annulation

Vacation of Refugee Protection

109 (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109 (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

Rejet de la demande

Rejection of application

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

Effet de la décision

Allowance of application

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9360-22

 

INTITULÉ :

MOHAMED JAMA OSMAN, SAFA ABDIAZIZ JAMA, SIHAM MOHAMED JAMA, SAMIR MOHAMED JAMA c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 novembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge GO

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 6 décembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Jonathan Hidalgo Pinargote

 

Pour les demandeurs

 

Michael Butterfield

Pavel Filatov

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jonathan Hidalgo Pinargote

Chapnick & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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