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Date : 20231205


Dossier : IMM-11781-22

Référence : 2023 CF 1634

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2023

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE:

BAIYAN WU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vue d’annuler la décision par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) a conclu, le 19 octobre 2022, que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations, en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] La présente demande sera rejetée pour les motifs énoncés ci‑dessous.

[3] Pour situer le contexte, j’expose en détail la progression des événements dans la demande, notamment en ce qui concerne les antécédents de service militaire du demandeur. Au mieux, le demandeur a fourni ces renseignements au compte-gouttes, seulement après les nombreuses demandes faites par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) au cours de plusieurs mois.

[4] Le demandeur est un citoyen chinois. En 2019, il a entamé une demande de résidence permanente avec son épouse, parrainée par sa belle-fille (la répondante), qui l’a aidé à préparer sa demande. Dans le cadre de sa demande, le demandeur a fourni plusieurs documents et rempli le formulaire IMM 5669 (l’Annexe A). Dans le formulaire de l’Annexe A, les demandeurs doivent indiquer s’ils ont servi dans les forces armées d’un pays, ce à quoi le demandeur a répondu « non ».

[5] Le 23 janvier 2020, IRCC a demandé le certificat du demandeur figurant dans le registre des ménages (le hukou) ainsi qu’un formulaire de l’Annexe A mis à jour. Là encore, le demandeur a répondu « non » à la question de savoir s’il avait servi dans l’armée. Le dossier certifié du tribunal révèle que le demandeur n’avait pas inclus le hukou dans sa demande initiale, ce qui est maintenant contesté.

[6] En juin 2020, IRCC a demandé le hukou une seconde fois, ainsi qu’un formulaire de l’Annexe A mis à jour.

[7] En septembre 2020, le demandeur a fourni le hukou et un nouveau formulaire de l’Annexe A. Le hukou indiquait que le demandeur avait [traduction] « quitté le service actif ». Sur le formulaire, le demandeur a répondu « oui » à la question relative au service militaire. Il a indiqué qu’il avait servi dans l’Armée de la libération populaire de 1976 à 1990 et que pendant ces 14 années de service, il ne détenait aucun grade militaire.

[8] En décembre 2020, le demandeur a été invité à remplir le formulaire IMM 5546 (Détails sur le service militaire). En janvier 2021, IRCC a reçu les tableaux de service militaire, qui indiquaient que le demandeur s’était engagé dans l’armée comme volontaire, qu’il détenait le grade de sergent professionnel et que son titre était celui de chef d’escouade culinaire.

[9] En mars 2021, IRCC a demandé au demandeur un livret militaire notarié et ses documents de démobilisation, documents qu’elle a reçus en mai 2021. Le certificat de retraite notarié indiquait que le demandeur avait servi dans l’armée, qu’il détenait le grade de sergent spécialiste de la marine et qu’il occupait le poste d’opérateur radio.

[10] En juin 2021, en raison des différences entre le livret militaire notarié et la déclaration du demandeur, une lettre d’équité procédurale (la LEP) a été envoyée. La LEP faisait état des réserves d’IRCC relatives au fait que le demandeur avait fait une présentation erronée sur ses antécédents, car il a omis de déclarer qu’il avait été opérateur radio pendant son service militaire. La LEP offrait au demandeur l’occasion d’expliquer les différences entre sa demande et son livret militaire et décrivait les conséquences découlant d’une fausse déclaration.

[11] En réponse à la LEP, la répondante du demandeur a indiqué qu’elle et ce dernier [traduction] « n’essayaient pas de cacher la vérité sur le passé militaire du demandeur », que « c’était un malentendu » et « une erreur de bonne foi ». Elle a fourni une copie notariée du rapport de promotion militaire, qui indiquait que le demandeur s’était engagé dans l’armée en tant qu’opérateur radio en janvier 1977. Le demandeur a ensuite été transféré à l’escouade des transmissions en décembre 1979 et promu à l’escouade culinaire en décembre 1980.

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Par ailleurs, la jurisprudence reconnaît qu’une conclusion de fausse déclaration a de plus grandes conséquences qu’un simple refus de visa. Par conséquent, les motifs du décideur doivent « refléter les enjeux pour l’intéressé et tenir compte de la perspective de ce dernier » (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1441 au para 7, citant Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 au para 27, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019 CSC 65 au para 133).

[13] Le demandeur a soutenu que l’agent a commis une erreur, car il n’a pas expliqué en quoi la fausse déclaration était importante. De plus, le demandeur a soutenu que l’agent a omis de prendre en considération l’ensemble des circonstances et des explications fournies, puisque la répondante a indiqué que la fausse déclaration constituait une erreur de bonne foi. En outre, le demandeur a soutenu que dans sa demande initiale, la répondante avait fourni le hukou, ce qui signifie que les éléments de preuve pertinents étaient déjà inclus. Par conséquent, l’agent aurait pu examiner le hukou, qui mentionnait qu’il avait servi dans l’armée chinoise.

[14] En guise de contexte, je souligne que la décision Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 reconnaît que l’article 40 fait l’objet d’une interprétation large. L’objectif de cet article est « de prévenir les fausses déclarations et préserver l’intégrité du processus d’immigration » (Wang, au para 15). Par conséquent, il incombe au demandeur de s’assurer que sa demande est complète et exacte (Wang, au para 15). Le demandeur « a une obligation de franchise et de fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point quand il présente une demande d’entrée au Canada » (Wang, au para 16).

[15] L’exception relative aux fausses déclarations (ou erreurs) de bonne foi « est restreinte et s’applique uniquement dans des circonstances véritablement extraordinaires » (Wang, au para 17). Dans la décision Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1454, le juge en chef Crampton a mentionné que l’exception ne s’applique que lorsque [traduction] « (i) le demandeur croyait honnêtement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important, (ii) cette croyance était raisonnable; (iii) il était impossible pour le demandeur d’avoir connaissance de la fausse déclaration » (Kaur, au para 26). Par conséquent, [traduction] « il ne suffit pas que le demandeur démontre qu’il croyait subjectivement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important. Il doit également démontrer que cette croyance était objectivement raisonnable » (Kaur, au para 26).

[16] Je conclus que l’agent a jugé de façon raisonnable que l’erreur du demandeur, soit la non‑divulgation de ses antécédents de service militaire, constituait une fausse déclaration. L’agent a aussi constaté les différences dans les titres d’emploi et les grades du demandeur. Ce dernier a incorrectement indiqué qu’il n’avait pas servi dans l’armée malgré ses 14 années de service dans les rangs de celle‑ci. De plus, l’agent a raisonnablement conclu qu’il ne s’agissait pas d’une erreur commise de bonne foi. Il a examiné l’explication de la répondante, qu’il n’a pas trouvé convaincante, et il a noté [traduction] « [j]e suis convaincu que les formulaires et les instructions fournis aux clients depuis le tout début du processus sont assez clairs. Par conséquent, je pense qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne qui a servi 14 ans dans l’armée comprenne qu’elle doit déclarer ces 14 années de service militaire en réponse à la question : “Avez-vous déjà servi dans les forces armées d’un pays?” ».

[17] En outre, même si le demandeur croyait honnêtement qu’il ne faisait pas de fausse déclaration, cette croyance n’était pas objectivement raisonnable. Comme je le mentionne plus haut, l’agent a conclu que les formulaires étaient clairs dès le début puisqu’ils comportaient une question directe sur le service militaire. Étant donné que le demandeur avait un long passé dans l’armée, il était raisonnable pour l’agent de conclure que celui‑ci aurait dû traiter de cette question, d’autant plus que dans l’Annexe A, qu’il a soumise deux fois, il a répondu « non ».

[18] Par ailleurs, tout comme dans l’affaire Wang, le demandeur avait connaissance des renseignements en question. Il ne s’agissait pas de renseignements dont la connaissance échappait à sa volonté. Le demandeur connaissait ses antécédents militaires, dont ses différents rôles et grades. En revanche, dans l’affaire Jean‑Jacques c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 104, le demandeur n’était pas au courant de l’existence de certains renseignements. Par conséquent, sur le fondement de la jurisprudence, l’exception restreinte ne s’applique pas (Wang, au para 25).

[19] Fait important à noter, le demandeur n’a pas non plus fourni de son propre gré les renseignements en cause. Tout comme dans l’affaire Wang, les renseignements pertinents n’ont été fournis qu’après de nombreuses demandes d’IRCC. Par conséquent, la Cour peut opérer une distinction entre la présente affaire et les précédents sur lesquelles le demandeur s’appuie, notamment les décisions Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117 et Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 931. Dans ces affaires, les demandeurs avaient commis des erreurs dans leurs demandes, mais les agents disposaient par ailleurs des renseignements requis.

[20] En l’espèce, le demandeur soutient qu’une situation similaire s’est produite, au motif que le hukou a été envoyé avec sa première demande. Cependant, je constate qu’aucun élément de preuve n’étaye cette affirmation, si ce n’est l’affidavit de la belle‑fille du demandeur. Je n’accorde aucun poids à cette explication, puisqu’elle a été fournie après coup et non à la suite des demandes répétées d’IRCC concernant le hukou. Les renseignements sur les antécédents de service militaire du demandeur n’ont été communiqués qu’après les multiples demandes faites par IRCC. La jurisprudence reconnaît qu’un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été « mise au jour » par les autorités d’immigration (Wang, au para 19).

[21] Enfin, quant à la question de savoir si la fausse déclaration était importante, je conclus que la décision de l’agent à ce sujet était raisonnable. Une fausse déclaration n’a pas à être « décisive ou déterminante » pour être importante (Wang, au para 18). Plutôt, « pour décider si une fausse déclaration est importante, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‑tend » (Wang, au para 36).

[22] Le demandeur soutient que l’agent ne lui a pas expliqué en quoi sa fausse déclaration avait eu une incidence sur l’application de la LIPR. Dans ses notes, l’agent souligne qu’il existait une différence [traduction] « énorme » entre les déclarations du demandeur, à savoir qu’il [traduction] « n’a pas servi dans l’armée, a servi en tant que volontaire, sans grade, a été chef d’escouade culinaire et sergent spécialiste de la marine en tant qu’opérateur radio ». Il ajoute que [traduction] « si on n’avait pas insisté et demandé à de nombreuses reprises des éléments de preuve supplémentaires, on aurait manqué des renseignements essentiels concernant les antécédents du client, ce qui aurait entraîné une erreur dans l’évaluation de son admissibilité au Canada ».

[23] La jurisprudence reconnaît que des renseignements complets et exacts sur les antécédents professionnels permettent aux responsables de l’immigration de faire des enquêtes relatives à l’admissibilité d’un demandeur (voir Song c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 72 au para 27 citant AA c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1066). Je conclus que, contrairement à l’agent dans l’affaire Song à laquelle le demandeur fait référence, l’agent traite clairement de l’importance de la fausse déclaration; en effet, il souligne que celle‑ci aurait pu avoir une incidence considérable sur sa compréhension des antécédents du demandeur, ce qui aurait également influencé son évaluation de l’admissibilité du demandeur.

[24] Par conséquent, étant donné le service militaire du demandeur, ses antécédents étaient très utiles à l’évaluation de son admissibilité. Je conclus que l’agent a expliqué de façon raisonnable en quoi la fausse déclaration du demandeur aurait pu risquer d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[25] La décision de l’agent est raisonnable et le contrôle judiciaire est rejeté.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-11781-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11781-22

 

INTITULÉ :

BAIYAN WU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 NOVEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 DÉCEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Le sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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