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Date : 20231201


Dossier : IMM‑11836‑22

Référence : 2023 CF 1618

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

JENNIFER WOPHILL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision rendue le 24 janvier 2023 [décision], par laquelle un agent [agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a refusé de réexaminer un rejet antérieur de la demande de résidence permanente de la demanderesse.

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑dessous, la présente demande est rejetée, parce que les arguments de la demanderesse ne minent pas le caractère raisonnable ou l’équité procédurale de la décision.

II. Contexte

[3] La demanderesse, qui est une citoyenne du Nigéria, a présenté en 2011 une demande de visa de résident permanent dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral); dans sa demande, elle a inscrit 15 points parce qu’elle a un parent admissible qui est un résident permanent du Canada. Le 2 février 2022, un agent d’IRCC a rejeté la demande, parce qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse avait droit à ces 15 points. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve étayant l’existence d’un lien entre elle et les personnes qu’elle a décrites comme ses frères et sœurs dans sa demande. La demanderesse a demandé l’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de cette décision, mais la Cour fédérale a rejeté sa demande.

[4] Le 4 mai 2022, la demanderesse a déposé une demande de réexamen du rejet de sa demande de résidence permanente en invoquant de nouveaux éléments de preuve, y compris des actes de naissance des personnes qu’elle a décrites comme ses frères et sœurs. Le 24 janvier 2023, dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, l’agent a rejeté la demande de réexamen.

III. La décision visée par le contrôle judiciaire

[5] L’agent a communiqué la décision à la demanderesse par voie de lettre portant la date du 24 janvier 2023, dans laquelle il lui a fait savoir que sa demande de réexamen avait été examinée et qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs justifiant la réouverture de sa demande de résidence permanente. Les notes de la même date consignées dans le Système mondial de gestion des cas indiquent que l’agent a reçu et examiné la demande de réexamen de la demanderesse, qu’il estimait qu’il n’y avait aucune erreur de droit et que, par conséquent, il ne rouvrirait pas la demande, car la décision portant refus demeurait inchangée.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[6] La demanderesse soulève les questions suivantes aux fins d’examen par la Cour :

  1. La décision est‑elle raisonnable sur le fond?

  2. L’agent a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

[7] La question de l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Comme l’indique sa formulation, la première question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

V. Analyse

A. La décision est‑elle raisonnable sur le fond?

[8] La demanderesse soutient principalement que la décision n’est pas raisonnable, parce que l’agent n’a pas évalué les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés avec la demande de réexamen et n’a pas expliqué pourquoi ces éléments n’étaient pas suffisants pour lui permettre d’accueillir la demande de réexamen et d’en arriver à une décision favorable sur la demande de résidence permanente. Selon la demanderesse, les nouveaux éléments de preuve étaient convaincants et corrigeaient les lacunes que comportait sa demande sur le plan de la preuve, de sorte qu’il n’était pas raisonnable de la part de l’agent de rejeter sa demande de réexamen.

[9] Comme le défendeur le fait valoir, cet argument pose problème parce qu’il ne tient pas compte du fait que le processus de réexamen d’une décision administrative comporte deux étapes : a) d’abord, le décideur détermine s’il exercera ou non le pouvoir discrétionnaire de réexaminer la décision précédente, et b) si le décideur répond par l’affirmative à la première question, il procède au réexamen en question. À la première étape, il n’y a aucune obligation générale de faire droit à la demande de réexamen lorsque de nouveaux éléments de preuve sont présentés. Le demandeur doit plutôt démontrer que le réexamen est justifié dans l’intérêt de la justice ou en raison de l’existence de circonstances exceptionnelles. L’examen des nouveaux éléments de preuve n’a lieu qu’à la deuxième étape, soit le réexamen proprement dit, lorsque la décision de procéder à un réexamen est prise à la première étape (voir l’arrêt Hussein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 44 [Hussein] aux para 55, 57).

[10] La demanderesse soutient que la thèse du défendeur ne tient pas compte du paragraphe 54 de la décision Hussein, où il est expliqué que le décideur doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes pour décider d’exercer son pouvoir discrétionnaire de procéder à un réexamen. La demanderesse ajoute que le paragraphe 56 de la décision Hussein démontre que, dans cette affaire‑là, la conclusion selon laquelle les intérêts de la justice ne justifiaient pas un nouvel examen était fondée sur le fait que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas vraiment nouveaux et avaient déjà été examinés. En se fondant sur cette décision, la demanderesse soutient que l’évaluation des nouveaux éléments de preuve devrait faire partie de l’analyse à la première étape du processus de réexamen.

[11] Je ne puis souscrire à cette interprétation de l’arrêt Hussein, car elle va manifestement à l’encontre de l’explication que la Cour donne au paragraphe 57, selon laquelle l’examen de la nouvelle preuve a lieu à la deuxième étape. La partie de l’analyse présentée dans l’arrêt Hussein que la demanderesse invoque montre plutôt que le décideur dans cette affaire‑là a refusé de procéder au réexamen parce que les éléments de preuve n’étaient pas vraiment nouveaux. Cependant, cette analyse est différente d’un examen de la valeur probante des nouveaux éléments de preuve, que l’agent aurait dû faire en l’espèce, de l’avis de la demanderesse.

[12] Subsidiairement, la demanderesse fait valoir que l’agent a effectué des analyses tant à la première qu’à la deuxième étape du processus de réexamen et que, par conséquent, il était tenu d’effectuer un examen approfondi des nouveaux éléments de preuve et d’expliquer pourquoi cette preuve n’était pas suffisante pour permettre d’accueillir la demande de résidence permanente. Il s’agit du type de conclusion que le juge Diner a tirée dans l’arrêt Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1202 [Gill], aux para 15 à 17. Dans cette affaire‑là, le défendeur a fait valoir que l’agent s’est arrêté à la première étape et a refusé de réexaminer la demande de résidence permanente pertinente. Cependant, la Cour a conclu que l’agent avait entrepris une analyse sur le fond des nouveaux éléments de preuve et que, dans ce contexte, il avait fourni des motifs inadéquats pour justifier le rejet de la demande.

[13] Dans la décision Gill, la conclusion du juge Diner selon laquelle l’agent était passé à la deuxième étape du processus était fondée sur le fait que l’agent avait examiné le caractère suffisant des nouveaux éléments de preuve, notamment en envoyant au demandeur un courriel relatif à l’équité procédurale et en évaluant ensuite les explications et la documentation à l’appui fournie en réponse (voir le para 16).

[14] En revanche, dans la présente affaire, l’agent mentionne simplement dans sa décision que, après avoir reçu et examiné la demande de la demanderesse, il estimait qu’il n’y avait pas d’erreur de droit et que, par conséquent, il ne rouvrirait pas la demande et la décision portant refus demeurait inchangée. La demanderesse invoque la mention par l’agent du fait qu’il a examiné sa demande pour faire valoir qu’il a effectué une analyse sur le fond des nouveaux éléments de preuve. En l’absence d’indications semblables à celles qui sont mentionnées dans la décision Gill, selon lesquelles l’agent a entrepris un examen sur le fond des nouveaux éléments de preuve proposés, je ne crois pas que cette mention par l’agent étaye l’interprétation que la demanderesse préconise.

[15] En conséquence, je conviens avec le défendeur que l’agent n’a pas dépassé la première étape du processus de réexamen et qu’il n’était donc pas tenu d’effectuer une analyse sur le fond des nouveaux éléments de preuve proposés ni d’expliquer pourquoi cette preuve n’étayait pas un résultat favorable dans la demande de résidence permanente.

[16] À mon avis, les arguments de la demanderesse ne minent pas le caractère raisonnable de la décision.

B. L’agent a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

[17] L’analyse exposée plus haut permet également de trancher l’argument de la demanderesse au sujet de l’équité procédurale. La demanderesse soutient que, avant de conclure que les nouveaux éléments de preuve étaient insuffisants pour lui permettre de faire droit à sa demande de résidence permanente, l’agent devait lui faire part de son doute selon lequel les éléments de preuve étaient considérés comme des éléments manquant de crédibilité ou comme des éléments par ailleurs insuffisants et devait lui donner l’occasion de dissiper ce doute. Comme il est expliqué plus haut, l’agent n’a pas effectué une analyse sur le fond des nouveaux éléments de preuve ni n’a conclu qu’ils manquaient de crédibilité ou étaient insuffisants. En conséquence, sans commenter la question de savoir si ce type de situation donnerait lieu à une obligation d’équité procédurale semblable à celle que la demanderesse invoque, j’estime qu’il est évident qu’aucune obligation de cette nature n’existe au vu des faits de la présente affaire.

[18] Enfin, au soutien de ses arguments relatifs à l’équité procédurale, la demanderesse tente d’invoquer la théorie de l’attente légitime. Cependant, cette théorie constitue un facteur à prendre en considération dans une analyse relative à l’équité procédurale lorsqu’un décideur administratif a déclaré, ou indiqué par sa conduite passée, qu’il suivrait une certaine procédure pour prendre une décision (voir l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 94). La demanderesse n’a relevé aucune indication de cette nature sur laquelle elle se fonde en l’espèce. Je suis d’avis que cette doctrine ne s’applique pas dans les circonstances de la présente affaire.

VI. Conclusion

[19] Après avoir examiné les arguments de la demanderesse et conclu à l’absence d’erreur susceptible de contrôle judiciaire en ce qui a trait au fond de la décision ou à l’équité du processus qui a mené à celle‑ci, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier aux fins d’un appel et aucune ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑11836‑22

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑11836‑22

 

INTITULÉ :

JENNIFER WOPHILL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 novembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge SOUTHCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er DÉCEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Abayomi Ogayemi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mariam Shanouda

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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