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Date : 20231121


Dossier : T-1132-22

Référence : 2023 CF 1539

Montréal (Québec), le 21 novembre 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

SUZY COHEN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Suzie Cohen, est une travailleuse autonome dans le domaine du cinéma. Elle travaille comme scénariste, réalisatrice et productrice indépendante pour le cinéma et la télévision depuis plus de quarante ans.

[2] Mme Cohen demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’Agence du revenu du Canada [l’Agence] le 4 mai 2022 et rejetant, suite à un deuxième examen, ses demandes dans le programme de prestation canadienne sur la relance économique [PCRE]. Mme Cohen demande à la Cour (1) de considérer et constater qu’elle remplit les deux critères d’admissibilité à la PCRE; et (2) par conséquent, d’annuler le remboursement de PCRE demandé et de recevoir la PCRE qu’elle n’a pas perçue.

[3] Dans sa décision du 4 mai 2022, l’agent chargé du deuxième examen [l’Agent] informe Mme Cohen qu’elle est inadmissible à la PCRE. L’Agent conclut, comme l’agent chargé du premier examen l’avait fait, que Mme Cohen n’a pas gagné au moins 5 000.00 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande de PCRE. L’Agent ajoute que Mme Cohen n’a pas non plus subi une baisse de 50% de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

[4] Mme Cohen soulève plusieurs motifs au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. Elle allègue d’abord que la décision de l’Agence est déraisonnable parce que (1) cette dernière ne tient pas compte de la réalité du travail d’auteur; (2) le revenu déclaré a été versé pour des droits d’auteur et non pour du financement de son film et qu’il est ainsi un revenu personnel et intellectuel ne couvrant pas les dépenses qu’elle a encourues pour le film; (3) l’Agence ne pouvait examiner les déclarations de revenu des années antérieures vu les incertitudes et fluctuations d’une année à l’autre dans le secteur du cinéma; (4) l’Agence n’a pas demandé clairement des informations sur les dépenses; (5) Mme Cohen a encouru des dépenses, mais elle a six ans pour les reporter et, selon la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), ch 1 (5e suppl), elle n’est pas tenue de les déclarer.

[5] Mme Cohen soulève aussi des questions d’équité procédurale et soumet que : (1) les deux contrats déposés devant la Cour sont nécessaires pour adresser le deuxième motif soulevé par l’Agence au sujet de la baisse de 50% de revenus; (2) Mme Cohen n’a pas pu répondre au sujet de ce deuxième motif; (3) il existe une crainte de partialité dans le processus décisionnel de l’Agence dû à une méconnaissance du travail de cinéaste.

[6] Le Procureur général du Canada [PGC] répond en substance que la décision est raisonnable et qu’il n’y a pas eu de bris des principes d’équité procédurale.

[7] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de conclure en l’admissibilité ou non de Mme Cohen à la PCRE, ni de considérer de nouveaux arguments et de nouvelles preuves portant sur cette admissibilité. Le rôle de la Cour est simplement de déterminer, à la lumière de la preuve et des arguments qui ont été mis devant l’Agent, si sa décision est raisonnable et si le processus était conforme aux principes d’équité procédurale (Lalonde c Agence du revenu du Canada, 2023 CF 41 au para 3).

[8] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Cohen sera rejetée. En bref, Mme Cohen ne m’a pas convaincue, tel que son fardeau l’exige, que la décision de l’Agence en lien avec le premier des deux critères d’admissibilité cités, soit qu’elle n’a pas gagné au moins 5 000.00 $ (avant impôts) est déraisonnable. Ainsi, et puisque les critères d’admissibilité à la PCRE sont cumulatifs, cette conclusion suffit pour disposer de la demande; il n’est pas nécessaire de déterminer si les arguments que Mme Cohen soulève à l’encontre de la conclusion de l’Agent sur le deuxième des critères cités sont fondés.

II. Contexte

[9] La PCRE fait partie d’un ensemble de mesures introduites par le gouvernement du Canada en réponse aux impacts de la pandémie de COVID-19. Cette prestation était disponible pour toute période de deux semaines comprise entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021 pour les salariés et travailleurs indépendants admissibles qui ont subi une perte de revenus en raison de la pandémie de COVID-19 (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 2 [Aryan]).

[10] Les critères d’admissibilité à la PCRE sont prévus au paragraphe 3(1) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, ch 12 art 2 [Loi]. Ainsi, pour être admissibles à la PCRE, les salariés ou les travailleurs indépendants devaient avoir gagné au moins 5 000.00$ de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de leur demande. De plus, les salariés ou travailleurs indépendants devaient aussi, notamment, avoir subi une baisse de 50% de leur revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID‑19.

[11] Au niveau fiscal, depuis au moins 2015, Mme Cohen déclare des pertes d’entreprise ou reçoit des remboursements d’impôt. En 2020, lorsqu’elle produit sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2019, Mme Cohen déclare un revenu d’entreprise brut de 5 030.00$, duquel elle déduit des dépenses, et déclare donc un revenu d’entreprise net négatif de 11 467.00$ une fois ces dépenses déduites.

[12] Débutant en janvier 2021, Mme Cohen demande des prestations de PCRE pour 16 périodes de deux semaines. Vers le mois de mai 2021, son dossier est sélectionné par l’Agence pour un premier examen de son admissibilité à la PCRE.

[13] Le 18 août 2021, l’Agence informe Mme Cohen qu’elle est inadmissible à la PCRE pour toutes les périodes demandées au motif qu’elle n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande.

[14] Le 10 septembre 2021, Mme Cohen présente une demande de redressement de sa déclaration d’impôt pour l’année d’imposition 2019 et affirme alors avoir déclaré par erreur ses dépenses. Ainsi, pour l’année 2019, Mme Cohen déclare plutôt un revenu net de travailleur indépendant de 5 030.00$.

[15] Le 13 septembre 2021, Mme Cohen demande un deuxième examen de son dossier d’admissibilité à la PCRE auprès de l’Agence.

[16] Les entrées et les notes enregistrées par les agents de l’Agence dans le cadre de leurs interactions avec Mme Cohen ne font pas mention d’une discussion sur la diminution de 50% de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

[17] Le 2 mai 2021, l’Agent consigne les notes dans son rapport de deuxième examen et il indique que Mme Cohen a confirmé avoir eu des dépenses et a confirmé avoir deux ans pour les reporter.

[18] Le 4 mai 2022, l’Agence informe Mme Cohen qu’elle est inadmissible à la PCRE pour les périodes 9 à 26. L’Agent conclut, comme le premier agent l’avait fait, que Mme Cohen n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. L’Agent ajoute que Mme Cohen n’a pas subi une baisse de 50% de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

[19] Le 3 juin 2022, Mme Cohen dépose sa demande de contrôle judiciaire. Avec son dossier, elle dépose aussi devant la Cour, à titre de nouvelle preuve, une copie d’un contrat signé le 15 octobre 2019 avec K-Films Amérique et une copie d’un mandat signé avec Esperanza Productions signé le 28 octobre 2020.

[20] Lors de l’audience, Mme Cohen présente des faits et des explications qui n’apparaissent pas au dossier et elle confirme qu’ils n’ont pas été présentés à l’Agent.

III. Questions en litige

[21] Compte tenu des représentations des parties, la Cour doit déterminer (A) si la nouvelle preuve (deux contrats) et les faits et explications qui n’étaient pas devant l’Agent peuvent être considérés dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire; (B) la norme de contrôle applicable; (C) si Mme Cohen a démontré que la décision de l’Agent de rejeter les demandes de PCRE de Mme Cohen est déraisonnable; (D) si les principes d’équité procédurale ont été respectés dans le cadre du deuxième examen; ( E ) si la demande de contrôle judiciaire doit être accordée; et (F) si le remède demandé par Mme Cohen est approprié dans la mesure où la Cour fait droit à sa demande de contrôle judiciaire.

IV. Analyse

A. Admissibilité de la nouvelle preuve

[22] Mme Cohen tente de présenter à la Cour deux nouveaux documents aux fins de démontrer qu’elle respecte le critère d’admissibilité à la PCRE et qu’elle a subi une baisse de 50% de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19. Lors de l’audience, elle tente aussi d’ajouter des explications et des faits qui n’étaient pas devant le décideur.

[23] En règle générale, les documents et informations dont ne disposait pas le décideur ne sont pas admissibles lors du contrôle judiciaire devant la Cour. Tel que le souligne le juge Gascon dans sa décision Lavigne c Canada (procureur général du Canada) 2023 CF 1182 [Lavigne], il est bien établi que, lors d’un contrôle judiciaire, la règle générale veut que la Cour de révision ne puisse examiner que les documents dont disposait le décideur administratif, à quelques exceptions près (Gittens c Canada (Procureur général), 2019 CAF 256 au para 14; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [AUCC] aux para 19-20; Aryan au para 42; Kleiman c Canada (Procureur Général), 2022 CF 762 aux para 25-26; Ntuer c Canada (Procureur Général), 2022 CF 1596 au para 12 [Ntuer]; Lalonde c Canada (Agence du revenu), 2023 CF 41 au para 23). Ainsi, ces exceptions s’appliquent notamment aux documents qui : 1) fournissent des renseignements généraux susceptibles d’aider la Cour de révision à comprendre les questions en litige; 2) font état de vices de procédure ou de manquements à l’équité procédurale dans la procédure administrative; ou 3) font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur (Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 98; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 23–25; AUCC aux para 19–20; Nshogoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1211 aux para 16–18).

[24] Mme Cohen dépose ces deux contrats et ajoute des faits et des explications pour tenter de démontrer qu’elle satisfait aux critères d’admissibilité à la PCRE. Ces éléments ne se qualifient pas au titre de l’une de ces exceptions précitées, ils ne sont donc pas admissibles et ils ne seront pas considérés.

B. La norme de contrôle

[25] Je suis d’accord avec les parties qu’il convient d’utiliser la norme de la décision raisonnable pour contrôler la décision du 4 mai 2022 (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]; He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20; Lajoie c Canada (Procureur général), 2022 CF 1088 au para 12; Aryan aux para 15–16).

[26] La décision, pour être raisonnable, « […] doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Afin d’infirmer la décision sous examen, cette Cour « […] doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100).

[27] Le rapport de deuxième examen de l’Agent fait partie des motifs de la décision (Aryan au para 22; Larocque c Canada (Procureur général), 2022 CF 613 au para 17; Mathelier-Jeanty c Canada (Procureur général), 2022 CF 1188 au para 20).

C. Le caractère raisonnable de la décision

(1) Position des parties

[28] Mme Cohen allègue que la décision de l’Agence est déraisonnable parce que (1) cette dernière ne tient pas compte de la réalité du travail d’auteur; (2) le revenu de 5030.00$ a été versé pour des droits d’auteur et non du financement de son film et est ainsi un revenu personnel et intellectuel ne couvrant pas les dépenses qu’elle a encourues pour le film; (3) l’Agence ne pouvait examiner les déclarations de revenu des années antérieures vu les incertitudes et fluctuations d’une année à l’autre dans le secteur du cinéma; (4) l’Agence n’a pas demandé clairement des informations sur les dépenses; (5) elle a eu des dépenses, mais elle a six ans pour reporter ses dépenses et, selon la Loi de l’impôt sur le revenu, elle n’est pas tenue de les déclarer.

[29] Le PGC répond que la décision de deuxième examen est raisonnable : elle prend appui sur l’entièreté de la preuve qui était à la disposition du décideur à ce moment et applique le texte de la Loi.

(2) Cadre juridique

[30] La Loi met en place la PCRE, une prestation offerte afin de fournir un soutien du revenu, pour toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, aux salariés et aux travailleurs indépendants admissibles qui ont été directement touchés par la pandémie de COVID‑19 (Aryan au para 2).

[31] L’article 3 de la Loi prévoit les critères d’admissibilité d’une personne à la PCRE. Les alinéas 3(1)(d) et (e) exigent entre autres que la personne ait gagné au moins 5 000 $ de revenus provenant notamment d’un emploi ou d’un travail qu’elle exécute pour son propre compte en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. L’alinéa 3(1)(f) exige que la personne n’exerce pas d’emploi –ou de travail à son compte– ou qu’elle ait subi une baisse de 50% de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à ses revenus hebdomadaires moyens en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la demande, pour des raisons liées à la COVID-19, sauf quelques exclusions (alinéa 3(1)(f)).

[32] Le paragraphe 3(2) de la Loi confirme par ailleurs que le revenu de la personne qui exécute un travail pour son propre compte est « son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner ».

[33] L’article 6 de la Loi prévoit que le demandeur doit fournir au ministre de l’Emploi et du Développement social tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande. Le fardeau incombe ainsi à celui qui demande des prestations d’établir qu’il satisfait les critères de la Loi.

(3) Discussion

[34] Compte tenu de la preuve au dossier et du cadre législatif applicable, Mme Cohen n’a pas démontré que l’Agent a effectué une application déraisonnable de la Loi, ni que l’Agent a ignoré ou mal interprété la preuve que Mme Cohen a soumise ou la réalité du travail de Mme Cohen.

[35] L’Agent a appliqué la Loi et a déterminé que Mme Cohen (1) n’a pas démontré qu’elle a gagné au moins 5 000.00 $ de revenus en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de la demande de PCRE; et (2) n’a pas subi une baisse de 50% de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

[36] D’abord, rien n’indique que l’Agent devait considérer des critères qui ne sont pas prévus dans la Loi ou que la réalité du travail d’auteur constitue une exception à l’application des critères statutaires.

[37] Ensuite, Mme Cohen soumet que l’Agent a mal interprété le chèque car celui-ci démontrait que son revenu provenait de droit d’auteur plutôt que du financement pour son film et que, par conséquent, elle n’avait pas de dépenses associées à ce revenu. Selon les éléments du dossier, Mme Cohen n’a pas, dans le cadre du processus de demande de PCRE, indiqué la source précise de son revenu, c’est-à-dire, que celui-ci provenait de droit d’auteur plutôt que de financement ou indiqué que les dépenses qu’elle a encourues n’étaient pas associées à ce revenu. Les notes consignées au dossier relèvent par ailleurs que Mme Cohen a été questionnée sur les raisons pour lesquelles elle a enlevé ses dépenses de sa déclaration d’impôt et a répondu qu’elle avait deux ans pour les reporter, sans mentionner de droit d’auteur ou de distinction dans l’attribution des dépenses à un type de revenu.

[38] Au surplus, et à tout évènement, Mme Cohen n’a pas établi que la distinction qu’elle souhaite maintenant faire devant la Cour a une incidence sur la décision que l’Agent était appelé à prendre (Vavilov au para 126). En effet, rien n’indique que le revenu provenant de droit d’auteur ne serait pas un revenu d’emploi indépendant selon le paragraphe 3(2) de la Loi, que les dépenses doivent être associées à un type de revenu pour le calcul du revenu net ou que les dépenses ne lui sont pas associées dans ce cas-ci (voir par exemple, Boudreau c Canada (Procureur général), 2023 CF 567; Lai v Canada (Attorney General), 2023 FC 367). Mme Cohen ne conteste pas avoir encouru les dépenses en 2019 et sa déclaration d’impôt consigne le montant de revenus de 5030.00$ au titre d’un revenu d’entreprise.

[39] Enfin, contrairement à la prétention de Mme Cohen, l’Agent pouvait considérer que Mme Cohen a initialement déclaré des revenus nets d’entreprise négatifs en 2019, et qu’elle a déclaré des dépenses depuis 2015, pour appuyer sa conclusion – initialement une perte de 11 467 $ en 2019 et une perte de 14 772 $ en 2020. À la lumière des éléments de preuves au dossier, l’Agent s’est raisonnablement fondé sur les avis de cotisations de 2015 à 2020 pour déterminer que Mme Cohen a encouru des dépenses en 2019 (voir par exemple, Aryan au para 35; Ntuer au para 27; Showers c Canada (Procureur général), 2022 CF 1183 aux para 25-26 [Showers]).

[40] J’ajoute que l’argument de Mme Cohen selon lequel elle n’est pas tenue de déclarer ses dépenses selon les lois fiscales fédérales n’est pas déterminant pour les fins d’une demande de PCRE. La Loi indique clairement que la personne qui exécute un travail pour son propre compte doit gagner au moins 5 000.00 $ de revenus nets et que ce revenu est défini comme « son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner » (paragraphe 3(2) de la Loi).

[41] Comme le Juge Gascon l’a souligné dans Lavigne (au para 37), même si Mme Cohen pouvait modifier ses déductions de dépenses au niveau fiscal, je ne suis pas persuadée qu’il était déraisonnable pour l’Agent de conclure qu’un amendement fiscal fait dans le but de se rendre admissible à la PCRE n’a pas pour effet de modifier le fait que les revenus nets ne dépassaient pas le seuil de 5 000.00 $. En d’autres termes, il n’était pas déraisonnable, dans les circonstances particulières du dossier, de ne pas cautionner le choix fiscal de Mme Cohen.

[42] Mme Cohen ne m’a donc pas convaincue qu’elle n’était pas tenue de soustraire ses dépenses de son revenu d’entreprise brut, dans le cadre du calcul lié à une demande de PCRE, et qu’il était en conséquence déraisonnable pour l’Agent de prendre en compte ses dépenses encourues en 2019 (Lavigne) dans le calcul du revenu net.

[43] Les conclusions de l’Agent sont supportées par le dossier. La preuve démontre que Mme Cohen a confirmé à trois reprises, lors des discussions téléphoniques avec un agent, avoir encouru les dépenses pendant la période visée, soit lors de la production de sa déclaration de revenus initiale pour l’année d’imposition 2019 dans laquelle elle déclare une perte de 11 467.00$ : lors de sa conversation téléphonique du 2 mai 2022 avec l’Agent dans laquelle elle mentionne qu’elle avait des dépenses, mais qu’elle avait deux ans pour les reporter, et lors de sa conversation téléphonique en date du 8 juin 2021 avec l’Agent dans laquelle elle mentionne qu’il y a beaucoup de dépenses pour produire un film. Devant cette Cour, Mme Cohen confirme aussi qu’elle a bien encouru ses dépenses, mais elle soumet qu’elle n’est pas obligée de les déduire dans l’année et qu’il était déraisonnable de les considérer pour calculer son revenu net.

[44] Considérant ce qui précède, les conclusions de l’Agent par rapport aux revenus de Mme Cohen sont raisonnables et justifiées compte tenu de toute la preuve au dossier. Je suis ainsi d’avis que l’Agent a pris en considération la preuve versée au dossier et que sa décision est raisonnable (Vavilov au para 126).

[45] Le fardeau incombait à Mme Cohen d’établir qu’elle satisfait, selon la prépondérance des probabilités, les critères de la Loi (Cantin c Canada (Procureur général), 2022 CF 939 au para 15; Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 aux para 37, 55) et il est raisonnable de conclure, compte tenu du dossier, qu’elle n’a pas satisfait son fardeau.

[46] Par conséquent, je suis satisfaite que les motifs fournis dans le rapport de l’Agent justifient la décision de manière transparente et intelligible. Ils permettent à la Cour de comprendre le fondement sur lequel repose la décision et confirment qu’aucun fait pertinent et déterminant n’a été omis (Vavilov aux para 16—17, 85). Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, ce n’est pas le rôle de la Cour de révision d’apprécier à nouveau les éléments de preuve au dossier (Vavilov au para 125) et Mme Cohen n’a pas établi que l’intervention de la Cour est justifiée.

D. Manquement à l’équité procédurale

[47] Tel que l’a reconnu Mme Cohen à l’audience, les critères d’admissibilités sont cumulatifs et ils doivent tous être satisfaits pour établir l’admissibilité. Ainsi, puisque je conclus que la décision sur le premier critère cité est raisonnable, je n’ai pas besoin d’examiner les allégations liées au deuxième critère cité et à l’équité procédurale (Wangchuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1320 au para 21).

V. Conclusion

[48] La décision de l’Agent possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité et n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Aucun dépens ne seront accordés (Showers au para 32).


JUGEMENT dans le dossier T-1132-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucun dépens n’est accordé.

« Martine St-Louis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1132-22

 

INTITULÉ :

SUZY COHEN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 novembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Suzy Cohen

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Samantha Jackmino

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice Canada

Montréal, QC

 

Pour le défendeur

 

 

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