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Date : 20231127


Dossier : IMM‑12529‑22

Référence : 2023 CF 1564

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ANANTHA RUPINI NEERANJAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue le 29 août 2022 relativement à un examen des risques avant renvoi [ERAR]. Dans cette décision, l’agent principal [l’agent] a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée en Malaisie.

[2] Comme je l’explique en détail dans les motifs qui suivent, la demande en l’espèce sera rejetée parce que les arguments de la demanderesse ne minent pas le caractère raisonnable de la décision.

II. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne malaisienne. En Malaisie, elle a été témoin et victime de violence familiale commise par ses parents et son frère. Elle est entrée pour la première fois au Canada en 1999, lorsqu’elle a rencontré son époux qui l’a parrainée. Elle est devenue résidente permanente le 24 septembre 2001. Les époux s’étant séparés en 2013, elle vit aujourd’hui avec ses deux enfants adultes, tous deux nés au Canada.

[4] En 2012, la demanderesse a été déclarée coupable de deux chefs de possession de biens criminellement obtenus de plus de 5 000 $, aux termes du paragraphe 354(1) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 [le Code]. Elle a également été déclarée coupable d’avoir participé aux activités d’une organisation criminelle au sens du paragraphe 467.11(1) du Code. La demanderesse a par la suite été déclarée interdite de territoire au Canada pour criminalité organisée au titre de l’alinéa 37(1)a) et pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le 11 décembre 2019, elle a été frappée d’une mesure d’expulsion du Canada.

[5] La demanderesse a présenté une demande d’ERAR en février 2020. Cette demande a été rejetée le 24 février 2021, mais, après que la Cour ait accordé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision, les parties en sont arrivées à une entente et la demande a été renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[6] Dans les observations qu’elle a présentées au soutien de sa demande d’ERAR, la demanderesse a affirmé qu’elle subirait de la discrimination dans presque tous les domaines de sa vie en raison d’une discrimination profondément enracinée à l’égard des femmes et des membres de la minorité indienne et hindoue en Malaisie. Elle a également soutenu qu’elle serait victime de discrimination parce qu’elle souffre de problèmes de santé mentale. En plus de ces observations, la demanderesse a présenté des éléments de preuve et des observations supplémentaires en date du 30 septembre 2022.

[7] Le rejet de la demande d’ERAR par l’agent est la décision qui fait l’objet du contrôle.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Au début de ses motifs, l’agent a expliqué que, comme la demanderesse a été jugée interdite de territoire pour criminalité organisée, elle est visée par l’alinéa 112(3)a) de la LIPR et, par conséquent, sa demande d’ERAR a été examinée uniquement au titre de l’article 97 de la LIPR.

[9] L’agent a fait remarquer que, puisqu’il y avait peu de preuve sur les conditions dans le pays se rapportant à la situation particulière et au profil de la demanderesse, cette dernière a présenté un rapport d’expert [le rapport] qui mentionnait qu’elle serait victime de discrimination dans les domaines de l’emploi, des services sociaux, des soins de santé et du logement, ainsi que dans la population en général.

[10] L’agent a convenu que la demanderesse souffrait de problèmes de santé mentale, mais a conclu que la menace à la vie au sens de l’article 97 de la LIPR ne doit pas résulter de l’incapacité du pays vers lequel elle serait renvoyée de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. Après avoir examiné la preuve sur les conditions dans le pays et le rapport pour évaluer si la Malaisie a des pratiques de persécution en ce qui a trait à l’accès aux soins médicaux, l’agent a jugé que les éléments de preuve ne suffisaient pas à démontrer que la demanderesse se verrait refuser des soins médicaux en raison de son profil. Il a conclu que la demanderesse pourrait se sentir découragée à l’idée de demander des soins en Malaisie, mais que la preuve ne suffisait pas à démontrer que des pratiques de persécution empêchaient l’accès à des soins médicaux.

[11] Pour apprécier la discrimination que la demanderesse pourrait subir en Malaisie du fait de son origine ethnique, l’agent a conclu, en se fondant sur le rapport, que la discrimination à l’égard de la population d’origine indienne en Malaisie ne s’apparente pas à de la violence généralisée. Il a aussi conclu que rien n’empêchait la communauté indienne de pratiquer des religions autres que la religion musulmane et que les hindous peuvent généralement vivre sans discrimination sociale au quotidien et pratiquer leur foi librement, sans ingérence officielle notable.

[12] Au sujet des perspectives financières de la demanderesse en Malaisie, l’agent a fait remarquer que la majorité des membres de la communauté indienne occupent généralement des emplois à faible revenu en raison de systèmes de traitement non préférentiel et du manque de possibilités économiques. En outre, la preuve démontrait que les ménages indiens dont le chef de famille est une femme ont le revenu moyen le plus faible. L’agent a reconnu qu’il s’agit là d’un problème, mais il a conclu qu’il existe des programmes générateurs de revenus destinés aux mères célibataires, comme la demanderesse.

[13] L’agent a par ailleurs conclu que d’autres programmes en place pourraient aider la demanderesse. En ce qui concerne ses problèmes de santé mentale, la demanderesse pourrait demander une carte OKU auprès du ministère des Services sociaux. L’agent a admis que ce processus de demande serait long, fastidieux et onéreux, mais il a jugé que le gouvernement avait néanmoins mis en place un système pouvant aider la demanderesse. Il a également souligné qu’il existe un programme gouvernemental de logements sociaux et à loyer modique pour les personnes ayant un handicap, quoique la disponibilité de ces logements est très limitée.

[14] Enfin, l’agent a relevé que la violence fondée sur le sexe demeure fort préoccupante en Malaisie, en particulier à l’égard des personnes pauvres et appartenant à une minorité ethnique. Il a néanmoins jugé que des options s’offrent à la demanderesse en cas de besoin. La demanderesse peut se prévaloir des recours prévus dans la Domestic Violence Act, une loi concernant la violence familiale, elle peut demander une ordonnance de protection d’urgence et elle peut chercher de l’aide auprès des maisons d’hébergement et des centres d’aide pour les victimes, quoique ces ressources ne suffisent pas à la demande.

[15] L’agent a jugé que, bien que la demanderesse était susceptible de faire l’objet de certaines formes de discrimination, cette discrimination n’équivaudrait pas à de la persécution, même en tenant compte de l’effet cumulatif. Pour qu’il y ait persécution, la discrimination doit être grave et répétée, et l’agent a conclu qu’elle n’était pas grave, même si elle pouvait s’avérer répétée. L’agent a en outre conclu que la discrimination à laquelle la demanderesse serait exposée ne constituait pas une violation soutenue et systémique des droits fondamentaux. La demanderesse n’avait pas démontré de manière satisfaisante qu’elle se verrait refuser des soins médicaux ou un logement en Malaisie, ou qu’elle ne serait pas libre d’y pratiquer sa religion. Pour ces motifs et compte tenu des ressources à la disposition de la demanderesse en Malaisie ainsi que des lois de ce pays visant à prévenir la violence fondée sur le sexe, l’agent a jugé que la discrimination en cause n’équivalait pas à de la persécution.

[16] L’agent a donc conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque de torture, de menace à sa vie ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités, au sens de l’article 97 de la LIPR, par son renvoi vers son pays de nationalité. Selon le dossier, l’agent a terminé cette partie de l’analyse dans la décision le 29 août 2022.

[17] Enfin, dans un addenda non daté intégré au document énonçant la décision, l’agent a examiné les observations complémentaires de la demanderesse. Il a tenu compte de la preuve déposée par la demanderesse, notamment le rapport d’un consultant en matière de douleur chronique, les dossiers de la patiente de l’unité externe de santé mentale de l’hôpital de Markham Stouffville ainsi que deux articles sur les soins en santé mentale et la stigmatisation sociale en Malaisie.

[18] Après avoir lu l’article intitulé Mental Disorders in Malaysia: an increase in lifetime prevalence, l’agent a estimé que la demanderesse n’avait pas suffisamment démontré que la Malaisie aurait recours à des pratiques de persécution en ce qui a trait aux soins médicaux auxquels elle aurait accès. De plus, l’agent a constaté que cet article mentionnait des efforts déployés pour lutter contre la stigmatisation sociale entourant les problèmes de santé mentale en Malaisie. Après avoir examiné le deuxième article, intitulé A qualitative exploration of the perspectives of mental health professionals on stigma and discrimination of mental illness in Malaysia, l’agent a conclu que, bien que la demanderesse soit susceptible de faire l’objet de discrimination en raison de ses problèmes de santé mentale, cette discrimination n’est pas suffisamment grave pour être assimilable à de la persécution, car elle ne consiste pas en la négation de droits de la personne fondamentaux.

[19] L’agent a rappelé l’existence de programmes de soutien financier et de logement et a déterminé que la discrimination dont la demanderesse pourrait faire l’objet diminuerait possiblement à l’avenir. Encore une fois, l’agent a conclu que la discrimination en Malaisie ne constitue pas de la persécution, même en tenant compte de l’effet cumulatif, et la demande d’ERAR a été rejetée.

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[20] La question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la décision était déraisonnable. Comme le laisse entendre cette formulation de la question en litige, la norme de contrôle qui s’applique à la révision du fond de la décision est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16‑17).

[21] Dans ses observations écrites, la demanderesse a soulevé la question de savoir si l’agent avait manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de tenir compte de la preuve supplémentaire qu’elle avait présentée. Cependant, à l’audition de la présente demande, l’avocate de la demanderesse a fait savoir qu’elle ne soulevait plus cette question.

V. Analyse

[22] La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en faisant abstraction de la preuve dans le rapport concernant la discrimination intersectionnelle dont elle ferait l’objet en Malaisie en raison de ses multiples caractéristiques identitaires, notamment les formes de discrimination et d’exclusion dans les domaines de l’emploi, du logement et des soins de santé, et en s’appuyant sur l’existence de programmes et de lois qui ne sont pas réellement accessibles ou pertinents au regard de la situation personnelle de la demanderesse.

[23] Comme le reconnaît la demanderesse, l’agent s’est fortement appuyé sur le rapport pour réaliser l’analyse sur laquelle repose la décision, mentionnant notamment que la preuve sur les conditions dans le pays présentait peu d’intérêt en ce qui concerne la situation particulière et le profil de la demanderesse. Par conséquent, il est évidemment impossible de conclure que l’agent n’a pas tenu compte du rapport, et il est difficile de conclure que l’agent a écarté les parties du rapport sur lesquelles s’appuient les observations de la demanderesse. En effet, l’agent cite précisément les parties du rapport qui décrivent la discrimination et l’exclusion dans les domaines de l’emploi, du logement et des soins de santé.

[24] Dans le même ordre d’idées, la demanderesse fait remarquer que l’agent s’est appuyé sur les explications figurant dans le rapport concernant les prestations gouvernementales liées à l’obtention d’une carte OKU, mais elle soutient qu’il a fait fi des lacunes de ce programme, qui sont aussi mentionnées dans le rapport. Toutefois, l’agent a expressément relevé que le processus pour obtenir une carte OKU est long, fastidieux et onéreux, observations qui sont clairement fondées sur les lacunes signalées dans le rapport. Il est donc impossible de conclure que cette preuve n’a pas été prise en compte. Étant donné que la demanderesse soutient que la preuve contenue dans le rapport n’appuie pas les conclusions de l’agent, je suis d’avis que l’argument de la demanderesse concerne l’appréciation de la preuve par l’agent, argument qui n’a rien à voir avec le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[25] En ce qui concerne la conclusion de l’agent quant à l’existence de programmes publics, notamment le programme gouvernemental de logements sociaux et à loyer réduit pour les personnes handicapées, la demanderesse soutient que l’analyse de l’agent était déraisonnable, puisque le fait que ces programmes existent ne signifie pas en soi qu’ils sont accessibles. À l’appui de cet argument, la demanderesse renvoie la Cour à la décision Camargo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1044 [Camargo] aux para 26‑31. Cependant, la décision Camargo comprend une analyse de la protection de l’État, qui exige qu’on tienne compte du caractère adéquat de la protection offerte sur le terrain, plutôt que des efforts déployés par l’État (voir le para 27). Je ne crois pas que cette décision s’applique en l’espèce de façon telle qu’elle rend déraisonnable le raisonnement de l’agent en l’absence de l’analyse du caractère adéquat de la protection offerte sur le terrain.

[26] Quant à l’incidence de ses problèmes de santé mentale, la demanderesse soutient que l’agent a conclu de manière déraisonnable que la preuve était insuffisante pour démontrer l’existence de pratiques de persécution en ce qui a trait à l’accès aux soins médicaux. Elle fait remarquer que le rapport indique que la Malaisie est un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, mais que, comme ce pays ne consacre aucun budget à la santé mentale, il y manque de services de santé mentale accessibles et abordables. La demanderesse renvoie la Cour à l’arrêt Covarrubias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 365 [Covarrubias], dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que l’exclusion de la protection prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR concerne les situations dans lesquelles le pays est incapable de fournir des soins médicaux adéquats parce qu’il a choisi de bonne foi, pour des raisons légitimes de politique et de priorités financières, de ne pas fournir de tels soins à ses ressortissants. S’il est possible d’établir l’existence d’un motif illégitime pour refuser les soins, comme des motifs s’apparentant à la persécution, cela peut suffire à se soustraire à l’exclusion (au para 41).

[27] J’accepte le principe relevé dans l’arrêt Covarrubias qu’invoque la demanderesse. Toutefois, la décision reconnaît la nécessité d’analyser les éléments de preuve objectifs pour déterminer si la Malaisie a des pratiques de persécution en ce qui a trait à l’accès aux soins médicaux. Les motifs de la décision citent précisément les parties du rapport sur lesquelles reposent les arguments de la demanderesse, mais indiquent que rien dans la preuve ne permettait de conclure à l’existence de pratiques de persécution. La demanderesse souligne que le rapport mentionne la stigmatisation des problèmes de santé mentale en Malaisie et soutient, en se fondant sur cette information, que les décisions du gouvernement malaisien en matière d’affectation des ressources en santé mentale constituent de la persécution. Cependant, l’agent fait également mention de cette partie du rapport dans sa décision. J’en viens donc encore à la conclusion que l’argument de la demanderesse concerne l’appréciation de la preuve par l’agent.

[28] En ce qui concerne l’analyse par l’agent des effets discriminatoires de l’appartenance ethnique et de la religion, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’elle ne courait pas le risque de subir des traitements cruels en l’absence de preuve que ces éléments de son profil l’exposeraient à de la violence. Cependant, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que toute preuve de violence serait pertinente en ce qui concerne la présente évaluation et qu’il serait donc approprié que l’agent en tienne compte. De plus, l’analyse n’a pas uniquement porté sur cet aspect. L’agent a par ailleurs fait remarquer que rien n’empêche la communauté indienne de pratiquer des religions autres que la religion musulmane et que le rapport indique que les hindous peuvent généralement vivre sans discrimination sociale au quotidien et pratiquer leur foi librement, sans ingérence officielle notable. L’analyse montre que l’agent a non seulement tenu compte du risque de violence, mais également de la possibilité d’une ingérence du gouvernement et d’une discrimination sociétale plus vaste.

[29] Quant aux considérations relatives au sexe, la demanderesse souligne que l’analyse de l’agent a reconnu que la violence fondée sur le sexe demeure fort préoccupante en Malaisie, en particulier à l’égard des personnes pauvres et appartenant à une minorité ethnique. Toutefois, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur lorsqu’il s’est appuyé sur les effets atténuants de la Domestic Violence Act concernant la violence familiale et sur l’existence de maisons d’hébergement pour les femmes qui ont besoin de protection. Elle fait valoir que l’agent ne savait pas si les recours prévus par la loi et ces ressources s’appliqueraient à elle, en particulier parce qu’elle retournerait en Malaisie en tant que femme célibataire avançant en âge, de sorte qu’elle serait plus susceptible d’être exposée à la violence communautaire qu’à la violence familiale.

[30] Je me range à l’avis du défendeur portant que, compte tenu en particulier des observations de la demanderesse concernant ses antécédents de violence fondée sur le sexe, il n’était pas inapproprié que l’agent mentionne ces recours et ces ressources. Je souligne aussi que, dans sa description de la violence fondée sur le sexe en Malaisie, le rapport présenté pour le compte de la demanderesse portait surtout sur la violence familiale.

[31] Enfin, pour en revenir à la position générale de la demanderesse quant à la discrimination dont elle serait victime en raison de ses multiples caractéristiques identitaires, la demanderesse affirme que l’agent n’a pas évalué de façon cumulative la nature intersectionnelle de la discrimination. Elle reconnaît que l’agent a indiqué que la discrimination mentionnée dans la décision n’équivaudrait pas à de la persécution, même en tenant compte de l’effet cumulatif. La demanderesse fait cependant valoir qu’il s’agit d’une simple affirmation, dépourvue d’analyse. Pour appuyer sa position, elle invoque la décision Kundukhashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1081 [Kundukhashvili] aux paragraphes 50 et 51, par laquelle la Cour fédérale a annulé une décision de la Section d’appel des réfugiés au motif de l’absence d’une analyse cumulative de l’incidence des divers aspects du profil de risque d’un demandeur d’asile (voir également Djubok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 497 [Djubok] aux para 18‑19).

[32] J’accepte le principe jurisprudentiel qu’invoque la demanderesse. Contrairement à ce que l’on voit dans la décision Kundukhashvili (voir le para 52), la section « Conclusion » de la décision de l’agent énonce explicitement qu’il avait tenu compte de l’effet cumulatif dans son analyse. À mon avis, il ne s’agit pas d’un énoncé déterminant si l’examen du raisonnement de l’agent révèle que ce dernier a analysé les éléments du profil de risque de la demanderesse isolément, comme dans l’affaire Djubok (voir le para 18). Cependant, mon examen n’appuie pas une telle conclusion. Les éléments de l’analyse de l’agent tiennent manifestement compte de l’intersectionnalité des affirmations de la demanderesse. Par exemple, l’agent a reconnu que la violence fondée sur le sexe demeure fort préoccupante en Malaisie, en particulier à l’égard des personnes pauvres et appartenant à une minorité ethnique. En effet, dans la conclusion de la décision, les divers aspects de l’identité de la demanderesse sur lesquels cette dernière appuie ses arguments sont mentionnés précisément.

[33] En outre, le raisonnement exposé dans la conclusion est intelligible et indique que l’agent a conclu que, bien que la discrimination à laquelle la demanderesse pourrait être exposée soit de nature répétée, elle n’est pas grave puisqu’elle ne représente pas une violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux. Lors de l’audition de la présente demande, la demanderesse a remis en question la pertinence de l’application par l’agent des droits de la personne à titre de norme pour l’évaluation de la persécution. L’avocate de la demanderesse a relevé que, dans la décision Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 450 [Liang], la Cour fédérale avait indiqué dans ses motifs que la persécution s’entend d’une violation soutenue ou systémique des droits de la personne fondamentaux (au para 17). Cependant, selon l’avocate de la demanderesse, la définition utilisée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] ACF no 601 (QL), citée au paragraphe 17 de la décision Liang, permet une interprétation plus large qui pourrait inclure une atteinte à la dignité personnelle qui ne constitue pas une violation des droits de la personne.

[34] La décision contestée ne comprend aucune analyse de ces jugements. Cependant, il existe suffisamment de précédents permettant d’interpréter la persécution comme étant une discrimination équivalant à une violation grave et répétée des droits de la personne fondamentaux (voir, par exemple, Liang, aux para 16‑19); Taib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 768 au para 20), de sorte que je ne relève aucune erreur dans cet aspect de l’analyse de l’agent.

[35] Après avoir examiné les arguments de la demanderesse et conclu que ces arguments n’entachent pas le caractère raisonnable de la décision, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑12529‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑12529‑22

 

INTITULÉ :

ANANTHA RUPINI NEERANJAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 novembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 novembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

 

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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