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     IMM-3166-96

ENTRE :

     YURY BARAYEV,

     RAISA BARAYEVA,

     YELENA BARAYEVA,

     POLINA BARAYEVA,

     requérants,

     - ET -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MCKEOWN

     Les requérants, résidents de l'Estonie, demandent que soit soumise à un contrôle judiciaire la décision datée du 19 juillet 1996 par laquelle un agent des visas a refusé leur demande de résidence permanente au Canada au motif que le requérant principal n'avait pu obtenir le minimum de 70 points d'appréciation qui est nécessaire pour avoir le droit d'immigrer.

     Les requérants ne contestent pas les points d'appréciation que l'agent des visas a attribués aux facteurs 1 à 8 énoncés à l'annexe I du Règlement sur l'immigration (le Règlement), y compris les deux points d'appréciation que l'agent des visas a accordés au titre de la connaissance qu'avait le requérant principal de la langue anglaise. La question est de savoir si l'agent des visas a commis une erreur dans son appréciation de la " personnalité ", soit le neuvième facteur de l'annexe I.

     Les requérants font valoir que l'agent des visas a pris en compte des critères non pertinents et erronés au moment d'examiner la capacité linguistique sous le facteur nE 9 et, aussi, en disant que le requérant principal [TRADUCTION] " n'avait pas eu l'initiative de se renseigner sur les camions et les moteurs fabriqués à l'Ouest ".

     L'agent des visas a exprimé les préoccupations suivantes au sujet de la personnalité des requérants :

     [TRADUCTION]         
     16. Je me souciais de la motivation, de l'esprit d'initiative et de l'ingéniosité du requérant. Ce dernier n'était pas entré en contact avec d'éventuels employeurs au Canada. Il semblait être disposé à se fier à son consultant pour qu'il lui trouve un logement loué au Canada.         
     17. En outre, même si j'ai alloué le maximum de points au titre de l'expérience, je me souciais du fait que le requérant n'avait pas eu l'initiative de se renseigner sur les camions et les moteurs fabriqués à l'" Ouest ".         
     18. Je me souciais aussi de sa faculté d'adaptation. Bien que le requérant soit né en Estonie et que son épouse ait vécu dans ce pays pendant les 13 dernières années au moins, ni l'un ni l'autre ne parlaient l'estonien, et ce, même si depuis les quatre ou cinq dernières années, l'estonien était la seule langue nationale et officielle. Même si dans certaines régions de l'Estonie, dont celle où résidaient le requérant et sa famille, il est possible de vivre en russe, le requérant a montré qu'il était peu capable de s'adapter à la situation qui règne présentement en Estonie.         
     19. Selon l'annexe I du Règlement sur l'immigration, le facteur de la " personnalité " est le reflet de la capacité personnelle de l'individu et des personnes à sa charge de pouvoir s'établir avec succès au Canada. À cet égard, Mme Barayeva n'a été d'aucune aide pour ce qui est de faire augmenter les points généraux relatifs à ce facteur. Même si elle avait l'intention d'émigrer au Canada et avait vécu en Estonie durant de nombreuses années, elle ne parlait ni l'anglais ni l'estonien. Ce fait dénote à la fois un manque de motivation, d'esprit d'initiative et de faculté d'adaptation. Ni la profession qu'elle exerce à l'heure actuelle ni celle qu'elle envisage d'exercer au Canada n'étaient en demande, et elle n'avait pas indiqué qu'elle avait essayé de communiquer avec d'éventuels employeurs au Canada, ce qui, là aussi, dénote un manque de motivation, d'esprit d'initiative et d'ingéniosité.         
     20. Pour toutes les raisons qui précèdent, je suis d'avis qu'un nombre de deux points d'appréciation reflète avec justesse la capacité du requérant et de sa famille de s'établir avec succès au Canada.         

     Le requérant fait remarquer qu'en plus de ce qu'il a déclaré dans son affidavit, l'agent des visas a indiqué dans ses notes informatiques [TRADUCTION] : " ANGLAIS FAIBLE ". À mon avis, il n'essayait pas d'utiliser de nouveau l'anglais comme élément de doute sous le facteur de la " personnalité ", ou n'essayait pas de compter deux fois cet élément. L'agent des visas a ajouté [TRADUCTION] : " L'ABSENCE TOTALE DE CONNAISSANCE DE L'ESTONIEN SEMBLE AUSSI INDIQUER QU'IL LUI MANQUE L'ESPRIT D'INITIATIVE, L'INGÉNIOSITÉ ET LA MOTIVATION QUI SONT NÉCESSAIRES POUR OBTENIR DES POINTS ÉLEVÉS AU TITRE DE LA PERSONNALITÉ ". Les requérants font valoir qu'il aurait fallu traiter de l'aptitude linguistique au facteur no 8. S'il était question de l'anglais au facteur no 9, il s'agirait d'un double comptage, mais s'il est fait référence à une autre langue, c'est selon moi au facteur no 9 qu'il convient de le faire. Dans des circonstances comme celles dont il est question en l'espèce, l'agent des visas fait état de l'incapacité de parler l'estonien en rapport avec la faculté d'adaptation du requérant principal à la vie au Canada. Bien que je ne sois pas d'accord avec l'agent des visas sur ce point, il était loisible à ce dernier de tirer cette conclusion, qui n'est pas inique ou arbitraire.

     Le requérant a aussi laissé entendre qu'en traitant du fait que le requérant ne s'était pas renseigné sur les camions et les moteurs fabriqués à l'Ouest, l'agent des visas comptait deux fois l'expérience. Il est évident que l'agent des visas a employé ces mots au paragraphe no 17 en rapport avec la motivation, l'esprit d'initiative et l'ingéniosité du requérant, et non en rapport avec l'expérience, ce qu'il convient de faire sous le facteur de la " personnalité ". Là encore, ma conclusion aurait été différente pour ce qui est du fait de se renseigner sur les camions et les moteurs fabriqués à l'Ouest, mais je ne puis dire qu'il s'agit là d'une conclusion que l'agent des visas ne pouvait tirer, ou qu'elle était inique ou arbitraire.

     Il m'est impossible aussi de souscrire à l'argument du requérant selon lequel il aurait fallu traiter de ces deux questions en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement. Selon moi, l'agent des visas a traité à juste titre de ces questions sous le facteur nE 9 de l'annexe I, et il l'a fait en rapport avec les conditions relatives au facteur de la " personnalité ". Les critères qui se rapportent à la " personnalité ", à l'annexe I du Règlement , sont les suivants :

     Des points d'appréciation sont attribués au requérant au cours d'une entrevue qui permettra de déterminer si lui et les personnes à sa charge sont en mesure de s'établir avec succès au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables.         

     Je suis d'accord avec ce qu'a déclaré le juge Mahoney dans l'arrêt Zeng c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 167, à la p. 171 (C.A.F.) :

     Il n'est pas nécessaire de reproduire la multitude de conditions qu'il faut respecter pour obtenir des points d'appréciation sous la rubrique de l'emploi réservé. Le fait est que c'est que cela aussi est prévu par le Règlement. Le défaut ou le refus d'avoir un emploi réservé fait perdre 10 points au requérant; le fait pour l'agent de tenir compte une seconde fois de ce défaut en appréciant la personnalité du requérant ne constitue pas un exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire, et le juge de première instance a commis une erreur en se contentant de dire qu'il aurait été préférable que l'agent agisse autrement. C'était une erreur. Qui plus est, la compétence linguistique, le fait d'avoir un emploi réservé et la situation familiale ne sont pas des " qualités semblables " aux qualités dont on doit tenir compte pour apprécier le neuvième facteur.         

     Dans Zeng, la question en litige consistait à savoir s'il fallait prendre en compte l'anglais au neuvième facteur, et non si le peu de motivation dont on fait preuve en négligeant d'apprendre la langue du pays où l'on travaille pendant un certain nombre d'années pouvait être pris en considération. Comme je l'ai déclaré plus tôt, l'agent des visas ne traitait pas de l'aptitude linguistique, mais plutôt de la faculté d'adaptation de la personne au pays, dans le cas où cette personne ne soit pas disposée à prendre l'initiative d'apprendre la langue du pays où elle travaille. Il est loisible à l'agent des visas de tenir compte de ce fait. Comme je l'ai indiqué plus tôt, je ne serais pas arrivé à la même conclusion que l'agent des visas au sujet du manque d'initiative des requérants sur ce plan, mais il lui était loisible d'adopter le point de vue opposé.

     Le requérant a déclaré aussi que l'agent des visas avait omis de tenir compte de documents pertinents. Il a fait savoir à l'agent des visas qu'il s'était renseigné sur le fait de souscrire au RAMO et d'obtenir un numéro d'assurance sociale et, au lieu de considérer cela comme un élément positif, l'agent des visas a estimé que le requérant avait répondu à la mauvaise question et l'a pénalisé pour cela. Là encore, il était loisible à l'agent des visas de penser cela, et je ne relève là aucune erreur. Au vu de toutes les observations faites dans cette affaire, et compte tenu du dossier tout entier, je suis persuadé que la position de l'agent des visas n'était pas manifestement déraisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

     Il m'a été demandé de certifier la question suivante :

     [TRADUCTION]         
     Le jugement qu'a rendu la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 350 (1re inst.), rév. [1994] 1 C.F. 639 (C.A.F.), rév. [1995] 1 R.C.S. 725, a-t-il obvié au jugement de la Cour fédérale dans l'arrêt Zeng c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 167 (C.A.D.), en ce sens que le défaut, pour un requérant du statut d'immigrant, d'améliorer ses compétences linguistiques ou professionnelles peut être pris en compte dans l'appréciation du neuvième facteur de la colonne 1 de l'annexe I du Règlement sur l'immigration, tant que l'appréciation est liée à la capacité du requérant de s'établir avec succès au Canada de façon indépendante d'un point de vue économique?         

Selon moi, cette question ne règle pas l'affaire en question et je ne suis pas disposé à la certifier.

     (Signature) " William P. McKeown "

                             Juge

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

29 avril 1997

Traduction certifiée conforme :         
                         F. Blais, LL.L.

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ DE LA CAUSE :          YURY BARAYEV, RAISA BARAYEVA,
                         YELENA BARAYEVA, POLINA BARAYEVA
                         - et -
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
NE DU GREFFE :                  IMM-3166-96
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              11 avril 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

en date du 29 avril 1997

ONT COMPARU :

     Me Dan Miller                  pour les requérants

     Me Brian Frimeth                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Me Dan Miller                  pour les requérants

     Avocat et procureur

     Toronto (Ontario)

     Me George Thomson                  pour l'intimé
     Sous-procureur général
     du Canada
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