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     T-239-97

     OTTAWA (ONTARIO), LE 23 OCTOBRE 1997

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

E n t r e :

     MR. SAFETY CHECK SYSTEMS INC.,

     demanderesse,

     et

     BRAKE SAFE INC., SPECTRA PRODUCTS INC.,

     SPECTRA INC., GÉRALD THIBODEAU et TRACEY THIBODEAU,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

     LA COUR, STATUANT SUR LA DEMANDE présentée par les requérants, qui sont les défendeurs dans l'action principale, en vue d'obtenir, en vertu de l'article 469 des Règles, une injonction interlocutoire interdisant à la requérante et à ses dirigeants, administrateurs, employés et mandataires, de faire toute déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services des requérants et de poursuivre leur diffamation dans le commerce, et de faire de telles déclarations en contravention de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce :

     REJETTE la demande et ORDONNE que les dépens suivent l'issue de la cause.

     B. Cullen

                                         J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL. L.

     T-239-97

E n t r e :

     MR. SAFETY CHECK SYSTEMS INC.,

     demanderesse,

     et

     BRAKE SAFE INC., SPECTRA PRODUCTS INC.,

     SPECTRA INC., GÉRALD THIBODEAU et TRACEY THIBODEAU,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

     Les requérants, qui sont les défendeurs dans l'action principale, présentent une demande en vue d'obtenir, en vertu de l'article 469 des Règles, une injonction interlocutoire interdisant à la requérante et à ses dirigeants, administrateurs, employés et mandataires, de faire toute déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services des requérants et de poursuivre leur diffamation dans le commerce, et de faire de telles déclarations en contrevention de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

     La présente requête se rapporte à l'action principale, qui concerne la contrefaçon directe et indirecte du brevet que détient l'intimée sur un contrôleur boulonné de frein.

LES FAITS

     Les faits à l'origine de la présente affaire sont abondamment relatés dans les motifs que j'ai rendus le 30 septembre 1997 au sujet d'une requête présentée dans la même action1.

     Voici un résumé des principaux faits invoqués à l'appui de l'allégation de " déclarations fausses et trompeuses " formulée par les requérants contre l'intimée.

     L'intimée a écrit à quelques-uns des clients des requérants des lettres dans lesquelles elle affirmait qu'elle était propriétaire du brevet sur le contrôleur de frein et dans lesquelles elle déclarait que quiconque contrefaisait ce brevet en fabriquant, vendant ou utilisant un dispositif tombant sous le coup du brevet serait tenu de lui payer des dommages-intérêts ou de lui verser ses profits.

     Le requérant Gérald Thibodeau a envoyé le 26 février 1997 à la requérante une lettre dans laquelle il affirmait que l'intimée s'était livrée à des pratiques commerciales déloyales et interdites. L'avocat de l'intimée a envoyé des copies de cette lettre à trois compagnies qui étaient des clients actuels ou potentiels de Spectra Products Inc. et qui avaient présumément reçu la lettre de l'intimée mentionnée au paragraphe précédent.

     L'intimée a distribué des copies de réclames qui faisaient une comparaison entre son produit et des [TRADUCTION] " imitations de mauvaise qualité ". Le produit des requérants n'est pas expressément qualifié d'" imitation de mauvaise qualité ".

     Les requérants ont envoyé à l'intimée une lettre dans laquelle ils accusaient celle-ci de diffamation et de concurrence déloyale en vertu de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, en raison de cette publicité comparative.

     Les avocats de l'intimée ont envoyé à certains des clients et distributeurs des requérants des lettres d'opinion datées du 15 août 1997 dans lesquelles ils affirmaient que le brevet de l'intimée avait été contrefait et menaçaient de poursuites les responsables de cette contrefaçon en vue de faire respecter les droits que l'intimée détenait en vertu de son brevet.

ANALYSE

Injonctions interlocutoires : principes généraux

     J'ai exposé les principes régissant les injonctions interlocutoires dans les motifs susmentionnés2. Ces principes s'appliquent également à la présente requête, et il n'est pas nécessaire de les répéter. Il vaut toutefois la peine d'insister sur l'énoncé général suivant du droit et de le répéter : l'injonction interlocutoire constitue une réparation exceptionnelle qui ne devrait être accordée qu'avec beaucoup de prudence, étant donné qu'elle tranche des questions très importantes sans possibilité d'instruction complète et détaillée3. Des injonctions interlocutoires sont rarement prononcées dans les affaires de brevets, principalement parce que, dans la plupart des cas, l'octroi de dommages-intérêts constitue une réparation suffisante4.

Analyse

1. Question sérieuse à juger

     Il incombe aux requérants de démontrer qu'il y a une question sérieuse à juger. Pour résoudre la question préalable de savoir s'il existe une question sérieuse à juger, le tribunal procède à un examen très sommaire du fond de l'affaire.

     Les requérants soutiennent qu'il serait juste et équitable que la Cour ordonne à l'intimée d'arrêter d'envoyer aux clients des requérants la lettre qui a été déposée sous les cotes 13a), b) et c) et qu'elle leur ordonne d'arrêter de distribuer les tableaux comparatifs, étant donné qu'ils sont tous trompeurs et inexacts.

     L'intimée affirme pour sa part que toutes les affirmations contenues dans les documents susmentionnés sont vraies et exactes.

     J'ai examiné la lettre écrite par l'intimée le 26 février 1997 qui fait l'objet de la présente requête. Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée pour dire qu'il semblerait qu'en elles-mêmes, les affirmations contenues dans cette lettre ne sont ni fausses ni inexactes. Il se peut toutefois que les conséquences de l'envoi d'une telle lettre aux clients des requérants soit une question différente.

     J'ai examiné l'avis juridique contenu dans la lettre du 15 août 1997 qui a été rédigée par l'avocat de l'intimée et qui, je le répète, fait l'objet de la présente requête. Encore une fois, je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée pour dire qu'il semblerait qu'en elles-mêmes, les affirmations contenues dans cette lettre ne sont ni fausses, ni inexactes. Toutefois, les conséquences causées par l'envoi, par un cabinet d'avocats, d'une telle lettre aux clients des requérants peuvent, je le répète, constituer une question différente.

     J'ai également examiné les tableaux comparatifs que les requérants mentionnent. Les comparaisons portent sur la contrefaçon du brevet. Pour se prononcer sur ces tableaux comparatifs, le tribunal doit procéder à un examen sommaire du fond de la cause.

     Ainsi que je l'ai conclu au sujet de la requête que j'ai déjà entendue dans la présente affaire5, un examen très sommaire du fond de la cause m'amène à conclure qu'il y a plusieurs questions véritables qui doivent être tranchées en fonction des conclusions qui seront tirées au sujet des faits et de la crédibilité. En outre, il y a plusieurs questions juridiques complexes qui doivent être tranchées au sujet de la propriété ou de la copropriété, de la qualité d'inventeur et de la contrefaçon, pour n'en nommer que quelques-unes. La Cour ne peut se prononcer dans le cadre de la présente requête sur la crédibilité et sur les questions qui vont au coeur même de la contrefaçon. Il semble qu'il y ait peut-être même deux produits différents en litige en l'espèce. L'examen de ces questions exige la tenue d'un procès en bonne et due forme.

     J'estime qu'il y a peut-être une question sérieuse à juger en ce qui concerne la question de savoir si les activités de l'intimée contreviennent à l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce canadienne. Je suis d'accord avec l'avocat des requérants pour dire que notre Cour a compétence pour se prononcer sur cette disposition et sur tous les documents en litige dans la présente requête. Bien qu'elles puissent sembler sous certains aspects concerner une inexécution de contrat, les questions en litige en l'espèce sont néanmoins toutes manifestement liées au différend dont la Cour est saisie au sujet du brevet. Toutefois, en raison de la complexité de l'affaire, la Cour sera davantage en mesure de répondre à la question relative aux marques de commerce après avoir exposé en détail les faits en litige comme elle le ferait au procès et non de façon préliminaire, comme elle l'a fait en l'espèce.

     La question de savoir si les déclarations de l'intimée sont fausses et trompeuses est inextricablement liée aux questions qui doivent être tranchées au procès. Il n'est pas possible de dissocier les allégations des requérants du règlement de l'action principale. Il est impossible de se prononcer sur ces allégations sans résoudre l'action principale.

     Par ces motifs, je ne suis pas convaincu qu'il existe une question sérieuse qui doit, ou même qui pourrait, être tranchée de façon préliminaire. Néanmoins, comme je ne crois pas que la requête des requérants soit futile ou vexatoire, il est prudent d'examiner maintenant les deuxième et troisième volets du critère applicable en matière d'injonctions interlocutoires.

2. Préjudice irréparable

     Les requérants affirment que la perte d'achalandage imputable aux activités de l'intimée risque fort d'être irréparable. Les requérants affirment en outre qu'ils risquent de ne pas être en mesure de récupérer leur position sur le marché. En conséquence, les requérants subissent un préjudice irréparable en raison des agissements de l'intimée, et l'octroi de dommages-intêrets ne constitue pas une réparation suffisante pour les requérants.

     L'intimée soutient qu'elle a le droit d'informer les clients de son brevet, de l'identité du propriétaire du brevet et de l'avis donné par l'avocat de l'intimée au sujet de la contrefaçon. La solution de rechange à l'envoi de mises en demeure consisterait à intenter inutilement des procès.

     Rien ne permet de penser qu'un client n'achèterait pas le produit des requérants à l'avenir, c'est-à-dire après le procès, si les requérants obtiennent gain de cause.

     Aucun véritable élément de preuve n'a été soumis à la Cour pour démontrer la perte d'achalandage dont les requérants se plaignent.

     Conclusion " préjudice irréparable : Ainsi que je l'ai conclu dans la requête que j'ai déjà entendue dans la présente affaire6, il ne suffit pas pour le requérant de démontrer qu'il " risque fort " de subir un préjudice irréparable si l'injonction interlocutoire qu'il demande dans une affaire de brevet n'est pas prononcée. Le requérant doit démontrer qu'il " subirait effectivement " un préjudice irréparable7.

3. Prépondérance des inconvénients

     Il n'est pas nécessaire en l'espèce de se prononcer sur la question de la prépondérance des inconvénients, étant donné que la demande des requérants échoue sur le critère de la question sérieuse et sur celui du préjudice irréparable.

DISPOSITIF

     Il est légitime de se demander s'il ne vaut pas mieux laisser les forces du marché régler la question au lieu de " museler " l'intimée au moyen d'une ordonnance judiciaire. Indépendamment de la réponse à cette question, je crois qu'il n'y a pas lieu de prononcer une injonction interlocutoire lorsque l'objet de l'injonction est à ce point lié à l'objet d'une action dont le règlement oblige le tribunal à tirer des conclusions de fait et de droit complexes. Prononcer une injonction interlocutoire en pareil cas reviendrait à rendre jugement sur l'action principale sans avoir pu instruire celle-ci.

     Qui plus est, je crains que le fait de faire droit à la présente demande n'ouvre toute grande la porte à des demandes analogues chaque fois qu'une lettre est écrite ou que des données comparatives sont publiées et que le requérant ou l'intimé les considère injustes.

     Les requérants invoquent le code de déontologie et l'obligation qu'a l'avocat d'encourager le respect du public envers l'administration de la justice et d'essayer d'améliorer celle-ci. Toutefois, comme la présente affaire commande impérativement la tenue d'un procès en bonne et due forme, il serait prématuré de formuler des commentaires au sujet des incidences des déclarations publiques faites par l'avocat de l'intimée.

     Il incombe aux requérants de faire la preuve de l'existence d'une question sérieuse à juger, d'un préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients. Or, les requérants ne se sont pas acquittés de ce fardeau.


     En conséquence, la demande est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

OTTAWA (Ontario)      B. Cullen

Le 23 octobre 1997                                  J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-239-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Mr. Safety Check Systems Inc. c. Brake Safe Inc. et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      25 septembre 1997

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

    

     EN DATE DU 23 OCTOBRE 1997

ONT COMPARU :

Me Dan Hitchcock              pour la demanderesse
Me Eugene Gierczak              pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Riches, McKenzie & Herbert      pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Keyser, Mason, Ball              pour les défendeurs

Mississauga (Ontario)

__________________

1      Mr. Safety Check Systems Inc. c. Brake Safe Inc., Sprectra Products, Gérald Thibodeau et Tracey Thibodeau, (30 septembre 1997), no du greffe T-239-97 (C.F. 1re inst.).

2      Voir note 1.

3      Frank Brunckhorst Co. c. Gainers Inc., (1993), 46 C.P.R. (3d) 421 (C.F. 1re inst.).

4      Cutter Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories Ltd., (1980), 47 C.P.R. (2d) 53, à la page 55 (C.A.F.).

5      Voir note 1.

6      Voir note 1.

7      Syntex Inc. c. Novopharm Ltd., (1991) 36 C.P.R. (3d) 129, à la page 135 (C.A.F.).

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