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Date : 20230608


Dossiers : T-1623-16

T-1624-16

Référence : 2023 CF 779

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION

demanderesses/défenderesses reconventionnelles

et

PHARMASCIENCE INC.

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

et

LABORATOIRE RIVA INC.

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS

I. Introduction

[1] La présente ordonnance porte sur les dépens et les débours payables à la suite du jugement par lequel j’ai accueilli les demandes reconventionnelles déposées par les défenderesses Teva Canada Limited, Pharmascience Inc. et Laboratoire Riva Inc. (collectivement, PMS), Apotex Inc. et Mylan Pharmaceuticals ULC. J’ai également statué que les revendications invoquées par les demanderesses (collectivement, Lilly) contenues dans les lettres patentes canadiennes no 2,226,784 [le brevet 784] étaient invalides pour cause de portée excessive et d’insuffisance et j’ai rejeté les actions en contrefaçon de brevet introduites par Lilly contre chacune des défenderesses en ce qui concerne le brevet 784 (2022 CF 1398). J’ai réservé la question des dépens, autorisé les parties à déposer des observations écrites à cet égard, puis j’ai adjugé les dépens relatifs à la requête relative au ouï-dire à Lilly conformément à l’article 407 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. Les parties PMS et Lilly ont déposé des observations écrites au regard des dépens relatifs au procès sommaire.

[2] Je dois donc statuer sur le montant des dépens à adjuger et décider quelle partie y a droit.

[3] Comme les défenderesses ont eu gain de cause durant le procès sommaire, je vais adjuger les dépens à PMS et, pour les motifs qui suivent, je vais les attribuer sous forme d’une somme globale qui équivaut aux dépens selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B pour une somme de 82 403,87 $, laquelle correspond à 80 000 $, taxes comprises, et aux débours de 2 403,87 $. Ce montant tient compte de la déduction des dépens associés à la requête sur le ouï-dire adjugés en faveur de Lilly (1 084,80$).

II. Thèses des parties

[4] PMS sollicite une ordonnance lui adjugeant :

  • a)la somme de 114 179,57 $, au titre des dépens selon l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B des Règles (98 640,00 $), des taxes (13 135,70 $) et de la totalité de ses débours (2 403,87 $, taxes comprises);

  • b)à titre subsidiaire, la somme au titre de 89 753,49 $, des dépens selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B des Règles (77 024,00 $), des taxes (10 325,62 $), et de la totalité de ses débours (2 403,87 $);

c) les intérêts après jugement au taux de 6,9 %, calculés à compter de sept jours suivant la date de la décision sur les dépens.

[5] PMS se fonde sur l’affidavit souscrit par Mme Dawn Trach, technicienne juridique au cabinet d’avocat Aitken Klee LLP. Mme Trach, qui n’a pas été contre-interrogée, produit, notamment, deux mémoires de dépens, l’un préparé conformément à l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B et l’autre préparé conformément à l’échelon supérieur de la colonne IV du même tarif (pièces A et B), qui confirment les montants, ainsi qu’une copie des reçus qui correspondent aux débours énumérés dans les mémoires de dépens (pièce J).

[6] PMS prétend que l’adjudication des dépens fondée sur l’échelon supérieur de la colonne V est justifiée en l’espèce, compte tenu des facteurs suivants énoncés dans le paragraphe 400(3) des Règles : 1) le résultat de l’instance 2) l’importance et la complexité des questions en litige 3) la charge de travail; 4) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance.

[7] PMS signale que la Cour a récemment adjugé des dépens selon l’échelon supérieur de la colonne V dans des litiges relatifs à des brevets similaires à l’espèce, et renvoie aux décisions Swist c MEG Energy Corp, 2021 CF 198 [Swist], Bristol-Myers Squibb Canada Co c Pharmascience Inc, 2021 CF 354 [Bristol-Myers Squibb], et Gilead Sciences, Inc v Canada (Ministre de la santé), 2016 CF 870. PMS avance que les facteurs susmentionnés permettent de conclure que l’application de l’échelon supérieur de la colonne V est tout autant appropriée en l’espèce.

[8] À titre subsidiaire, elle convient que l’échelon supérieur de la colonne IV l’est également. Elle renvoie aux propos tenus par le juge Rennie au paragraphe 11 de l’arrêt Apotex Inc c Shire LLC, 2021 CAF 54 selon lesquels l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif est « habituellement choisi dans les contentieux en matière de propriété intellectuelle ».

[9] Dans leurs observations préliminaires et finales présentées lors du procès sommaire, les défenderesses ont proposé que l’adjudication des dépens se fasse suivant le prononcé de la décision, alors que Lilly réclamait des dépens majorés. Il n’est pas clair si Lilly renvoyait alors, par le mot « majorés », à des dépens prévus au tarif, mais supérieurs à ceux énoncés à la colonne III, ou à des dépens supérieurs à ce même tarif.

[10] Dans tous les cas, Lilly fait valoir, dans ses observations écrites sur les dépens, que la Cour ne devrait pas adjuger les dépens réclamés par PMS selon la colonne V du tarif B, qu’elle qualifie de majorés, compte tenu du rôle secondaire tenu par celle-ci au cours du procès sommaire. Lilly plaide que la Cour devrait adjuger les dépens selon l’échelon supérieur de la colonne III, ou, à titre subsidiaire, selon des valeurs qui ne sont pas plus élevées que celles inscrites à la colonne IV. Elle demande également une réduction des dépens du procès sommaire qui correspond aux dépens adjugés en sa faveur dans le cadre de la requête relative au ouï-dire, qui s’élèvent à 1 084,80 $, que je vais accorder à Lilly.

[11] Lilly dépose l’affidavit souscrit par Mme Kathy Paterson, technicienne juridique chez Borden Ladner Gervais LLP, qui produit, notamment, deux mémoires de dépens relatifs aux dépens afférents au procès sommaire. Ainsi, l’un est calculé conformément à l’échelon supérieur de la colonne III du tarif B, et correspond au montant de 38 665,12 $ (37 346,05 $ avec, en sus, les débours de 2 403,87 $, taxes comprises, moins les dépens adjugés en faveur de Lilly sur la requête relative au ouï-dire) et l’autre est calculé conformément à l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, et correspond au montant de 53 765,53 $ (52 446,46 $ avec, en sus, les débours de 2 403,87 $, taxes comprises, moins les dépens adjugés en faveur de Lilly sur la requête relative au ouï-dire) (pièce F et I), un mémoire de dépens afférent à la requête relative au ouï-dire, qui correspond au montant de 1 084,80 $ (pièce E), et divers échanges entre les avocats des parties.

[12] Lilly plaide que les chefs 5, 6, 10-11, 13, 14 énoncés dans le mémoire de dépens de PMS prévoient des sommes qui ne devraient pas être adjugées, et qu’elle a déduites de son propre mémoire de dépens.

[13] Lilly fait donc valoir que les dépens devraient être adjugés selon l’échelon supérieur de la colonne III du tarif B, moins les divers chefs qu’elle propose d’écarter, pour la somme de 37 346,05 $, taxes comprises. À titre subsidiaire, elle avance que les dépens ne devraient pas être plus élevés qu’un montant qui correspond à l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, moins les divers chefs qu’elle propose d’écarter, pour un montant de 53 765,53 $, taxes comprises.

[14] En résumé, Lilly convient que PMS a droit à un montant prévu à l’échelon supérieur de la colonne III étant donné que 1) les requêtes en procès sommaire dans les litiges relatifs aux brevets justifient une adjudication de dépens moins élevés (Janssen Inc c Apotex Inc, 2022 CF 107 [Apotex]; Janssen Inc c Pharmascience Inc, 2022 CF 62 [Pharmascience]; Mud Engineering Inc c Secure Energy (Drilling Services) Inc, 2022 CF 943 [Mud]); 2) les décisions citées par PMS, à savoir Shire, Swist et Bristol-Myers Squibb, ne permettent pas d’effectuer une comparaison appropriée; (3) le montant et le barème des dépens réclamés sont injustifiés puisqu’ils contrecarrent la finalité de l’adjudication des dépens et qu’il n’existe pas de preuve corroborant le fait que PMS a déboursé les frais majorés réclamés. Ces facteurs donnent à penser qu’une adjudication des dépens plus élevée que ceux prévus à la colonne III constituerait un gain fortuit ou une source de profit; 4) les défenderesses ont inutilement accru la longueur et la complexité de l’instance; 5) les défenderesses ont manifestement accompli des travaux redondants; 6) l’adjudication de dépens plus élevés que ceux prévus à la colonne III est exceptionnelle et rien en l’espèce ne permet de s’écarter de la procédure habituelle.

[15] Plus précisément, Lilly fait valoir que la jurisprudence qui reconnaît le caractère raisonnable et approprié de l’échelon supérieur de la colonne IV s’applique seulement aux litiges instruits sous forme de procès complets (voir par exemple Shire et Allergan Inc. c. Sandoz Canada Inc. 2021 CF 186 [Allergan]). Lilly renvoie également aux trois décisions précitées (c.‑à-d Apotex, Pharmascience et Mud) pour prétendre qu’une forme de « norme » a émergé de la jurisprudence quant aux instances relatives aux brevets pharmaceutiques instruites sous forme de procès sommaires, qui porte que l’adjudication des dépens doit se faire selon la colonne III, et qu’il n’existe donc pas d’assise jurisprudentielle justifiant de s’écarter de la colonne III dans de telles circonstances.

[16] Lilly plaide que la finalité de l’adjudication des dépens fait pencher la balance en faveur d’une adjudication des dépens selon la colonne III dans la présente instance. Plus particulièrement, elle affirme que le facteur qui prédomine dans l’adjudication des dépens est le caractère raisonnable et l’équité (Bristol-myers Squibb Canada Co. c Teva Canada Limitée, 2016 CF 991 au para 5) et qu’il serait déraisonnable d’exiger d’elle qu’elle indemnise les défenderesses pour les frais abusifs qu’elles réclament, comme les honoraires de plusieurs avocats.

[17] Enfin, Lilly convient que PMS devrait avoir le droit de recevoir les débours de 2 403,87 $, taxes comprises, et s’en remet à la Cour en ce qui a trait à la question des intérêts après jugement. Toutefois, si des intérêts sont accordés, elle demande un délai de 30 jours suivant la date du présent jugement avant qu’ils ne commencent à courir pour pouvoir disposer du temps de payer.

III. Principes généraux en matière de taxation des dépens

[18] Le droit relatif aux dépens n’est pas une science exacte. Pour adjuger les dépens, les tribunaux tentent d’établir un juste équilibre entre trois objectifs principaux : l’indemnisation, l’octroi d’incitatifs en vue d’un règlement et la dissuasion quant à une conduite abusive dans une instance. À cet égard, le paragraphe 400(1) des Règles prévoit que la Cour « a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ».

[19] Le paragraphe 400(3) des Règles établit une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte par la Cour pour la taxation des dépens. En ce qui concerne le montant, l’article 407 des Règles précise que les dépens visés par cette règle générale sont, par défaut, taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B (Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc, 2002 CAF 417 au para 9 [Consorzio del Prosciutto]). Toutefois, le vaste pouvoir discrétionnaire de la Cour comprend le pouvoir d’ordonner une taxation des dépens en vertu d’une autre colonne du tarif B ou de déroger au tarif (Philip Morris Products S.A. c Marlboro Canada limitée, 2015 CAF 9 au para 4).

[20] Le paragraphe 400(4) des Règles autorise la Cour à fixer les dépens et à adjuger une somme globale au lieu de taxer les dépens conformément au tarif B.

[21] En ce qui concerne la somme globale, son adjudication est de plus en plus privilégiée par les tribunaux parce que cette formule fait épargner aux parties temps et argent en plus de contribuer à la réalisation de l’objectif des Règles des Cours fédérales consistant à apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (article 3 des Règles) (Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 au para 11 [Nova]). Lorsqu’il peut adjuger les dépens sous forme de somme globale, le tribunal n’a pas à faire une analyse détaillée et les audiences portant sur l’adjudication des dépens ne se transforment pas en exercice de comptabilité (Nova, au para 11). Dans l’arrêt Nova, la Cour d’appel fédérale ajoute qu’il « peut convenir d’adjuger une somme globale dans des affaires relativement simples ou encore dans des affaires particulièrement complexes où un calcul précis des dépens serait inutilement laborieux et onéreux : Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 157 au para 11 »; Nova, au para 12). Au paragraphe 15 de l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 157, la Cour d’appel fédérale a déclaré que « […] la Cour devrait, lorsqu’elle adjuge une somme globale tenant lieu de dépens taxés, s’inspirer le plus possible des normes établies dans le tableau du tarif B ».

[22] Par conséquent, une somme globale peut être adjugée selon un montant qui s’apparente aux valeurs du tarif ou qui correspond à des « dépens majorés », c.-à-d. des dépens qui sont supérieurs aux valeurs du tarif, souvent calculés selon le pourcentage des frais judiciaires effectivement engagés. Il n’est pas utile de se pencher sur les questions relatives à l’adjudication des dépens hors tarif puisqu’il n’en est pas question en l’espèce.

[23] En ce qui concerne les débours, « [l]orsque l’avocat ne connaît pas le montant des débours, il convient généralement de fournir par affidavit à la Cour la preuve qu’ils ont effectivement été engagés et qu’ils étaient raisonnablement requis » (Nova, au para 20). Conformément à ce qui est indiqué au paragraphe 1(4) du tarif B, aucun débours n’est taxé ou accepté aux termes du tarif B à moins qu’il ne soit raisonnable et que la preuve qu’il a été engagé par la partie ou est payable par elle n’est fournie par affidavit ou par l’avocat qui comparaît lors de la taxation. La Cour d’appel fédérale a réitéré ce principe, affirmant qu’une partie est autorisée à recouvrer les débours lorsque ceux-ci sont raisonnables et nécessaires au déroulement de l’instruction (Exeter c Canada (Procureur général), 2012 CAF 153 au para 13, citant Merck & Co. c Apotex Inc., 2006 CF 631).

IV. Application aux faits de l’espèce

A. Dépens pour chaque défenderesse

[24] PMS soutient que chaque défenderesse (Apotex Inc., Mylan Pharmaceuticals ULC, Teva Canada Limited et elle-même) est en droit de se voir adjuger ses propres dépens et Lilly n’a pas contesté ce principe au cours de la présente instance. Je suis d’accord avec PMS. Dans des circonstances analogues, où des instances séparées ont été réunies, la Cour a statué que les défendeurs avaient chacun droit à l’adjudication séparée de leurs dépens (Packers Plus Energy Services Inc c Essential Energy Services, 2020 CF 68; Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2023 CF 3 aux para 37-40). Par conséquent, je suis convaincue que PMS a droit à l’adjudication de ses propres dépens.

B. Somme globale

[25] Le paragraphe 400(4) des Règles prescrit que la Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B. Après avoir examiné les circonstances de l’espèce et les facteurs pertinents, je suis persuadée qu’il est justifié d’adjuger une somme globale au titre des dépens. Comme l’a énoncé la Cour d’appel fédérale au paragraphe 11 de l’arrêt Nova, l’adjudication d’une somme globale permet d’apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » à l’instance (article 3 des Règles) et permet d’éviter les analyses détaillées et les exercices de comptabilité.

C. Barème des dépens

[26] Les défenderesses ont eu gain de cause sur presque toutes les questions de fond lors du procès sommaire. La Cour a accueilli la requête en procès sommaire présentée par les défenderesses et a rejeté l’action déposée par Lilly en ce qui a trait au brevet 784, après avoir conclu que celui-ci était invalide pour cause de portée excessive et d’évidence.

[27] Je conviens avec PMS que l’espèce faisait intervenir un certain niveau de complexité technique et a exigé des parties un dur labeur. Les défenderesses ont allégué la portée excessive, l’insuffisance et l’inutilité. Les revendications invoquées relatives au brevet 784 étaient directement associées aux sels physiologiquement acceptables de tadalafil ou de methyltadalafil. L’une des questions centrales du procès sommaire était de savoir si un sel physiologiquement acceptable de tadalafil peut être fabriqué. Les affidavits souscrits par trois experts ont été produits lors de l’audience; tous les experts ont été contre-interrogés durant le procès sommaire. L’audience a duré cinq jours. Comme la Cour l’a souligné dans le passé, les questions de brevets possèdent une complexité inhérente (Pollard Banknote Ltd c Babn Technologies Corp., 2016 CF 1193 au para 13; Teva Canada Limited c Janssen Inc, 2018 CF 1175 au para 14), et c’est particulièrement le cas des litiges relatifs aux brevets pharmaceutiques.

[28] Lilly et PMS soulèvent des questions afférentes à leur conduite respective. J’accorde une valeur neutre à ce facteur. Chaque partie a défendu avec vigueur les intérêts de sa cliente et je ne vois rien qui justifie de sanctionner l’une d’elles en particulier pour sa conduite au cours de la présente instance. Comme l’a fait observer récemment le juge Grammond : « mon rôle, au moment d’adjuger les dépens, n’est pas d’effectuer une autopsie détaillée du procès et de critiquer en rétrospective les décisions stratégiques prises par les parties » (Bauer Hockey Ltd c Sport Maska Inc (CCM Hockey), 2020 CF 862 au para 32).

[29] Les défenderesses en l’espèce sont des concurrentes. Lilly a choisi d’intenter plusieurs poursuites contre plusieurs défenderesses et chacune d’entre elles était en droit de se faire représenter par un avocat différent – et il était raisonnable pour elles de faire ce choix. D’ailleurs, la partie perdante ne devrait pas [traduction] « dire à la partie gagnante comment elle aurait pu obtenir gain de cause en en faisant moins ou en dépensant moins » (Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2018 CF 1067, au paragraphe 24).

[30] Je ne souscris pas à la thèse de Lilly selon laquelle une « norme » aurait été créée. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de décider de la colonne appropriée ou du niveau des dépens en l’espèce, et je ne peux concevoir que la jurisprudence pourrait créer une « norme » qui entraverait l’exercice dudit pouvoir discrétionnaire (paragraphe 400(1) des Règles); Betser-Zilevitch c Petrochina Canada Ltd, 2021 CF 151 au para 9; Guest Tek Interactive Entertainment Ltd c Nomadix, Inc, 2021 CF 848 au para 17 [Guest Tek]). En outre, les décisions sur lesquelles Lilly s’est appuyée ne sont pas déterminantes en l’espèce parce qu’elles ne semblent pas avoir traité de questions d’invalidité, n’ont pas décrit en détail les observations des parties relatives aux dépens et n’ont pas signalé si des observations à ce sujet avaient été produites. De plus, les juges n’ont pas motivé leurs décisions d’adjuger les dépens selon la colonne III du tarif. Je prends également note que d’autres décisions, dépourvues d’analyses quant à la colonne III, ont fait état de l’adjudication de sommes globales, apparemment supérieures aux valeurs inscrites au tarif, et qui ont été accordées dans des litiges relatifs aux brevets instruits sous forme de procès sommaire (Steelhead LNG (ASLNG) Ltd. c ARC Resources Ltd, 2022 CF 998 au para 93; ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc., 2020 CF 486 aux para 179‑181.

[31] Lilly ne m’a pas convaincue que la jurisprudence qui retient la colonne IV comme étant celle qui est raisonnable et appropriée aux affaires de propriété intellectuelle ne peut pas s’appliquer aux litiges relatifs aux brevets instruits sous forme de procès sommaire suivant la présentation d’une requête en ce sens. Je fais observer que, au titre de l’article 407 des Règles, les valeurs prévues à la colonne III sont celles qui s’appliquent, sauf si la Cour en décide autrement, et que la jurisprudence a conclu qu’une telle approche est souvent jugée inappropriée du fait qu’elle ne vise qu’à fournir une indemnisation partielle dans les « cas d’une complexité moyenne ou habituelle » (Allergan, au para 25). L’appréciation des divers facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles aboutit régulièrement à la conclusion selon laquelle l’échelon supérieur de la colonne IV constitue un niveau approprié de dépens dans des litiges relatifs aux brevets (Shire; Allergan, au para 26; Guest Tek au para 18). Ces caractéristiques comprennent notamment « une complexité supérieure à la moyenne, des parties averties, des notes d’honoraires d’avocat qui dépassent largement ce qui est prévu par la colonne III du tarif B » et « incit[ent] les parties à prendre des décisions efficientes dans la conduite de l’instance judiciaire » (Allergan, aux para 25-26, citant Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada SRI, 2020 CF 505 au para 4). Retenir l’argument avancé par Lilly voulant qu’il existe une sorte de norme qui préconise le recours à la colonne III dans les procès sommaires en propriété intellectuelle entraînerait, outre l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour, le fait de supposer que les procès sommaires en propriété intellectuelle sont, par défaut, d’une complexité moyenne. Quoique les procès sommaires puissent atténuer l’effet des considérations relevées par le juge en chef dans l’affaire Allergan, je ne suis pas convaincue qu’ils diminuent nécessairement ou toujours entièrement la complexité d’un litige relatif à un brevet pharmaceutique au point où les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) ne peuvent être répertoriés et examinés.

[32] Je ne souscris pas non plus à l’argument de Lilly portant que PMS aurait dû produire la preuve selon laquelle ses clients avaient engagé les « frais majorés » réclamés. PMS sollicite l’adjudication des dépens selon le tarif et Lilly n’a porté à mon attention aucun précédent qui me persuade qu’une partie doit démontrer qu’elle a déboursé les frais réclamés en vertu du tarif.

[33] PMS cite un certain nombre d’affaires où la Cour a adjugé des dépens selon l’échelon supérieur de la colonne V dans des litiges complexes relatifs à des brevets. Toutefois, je ne peux pas conclure qu’elle a suffisamment justifié son argument pour me convaincre d’adjuger les dépens selon la colonne V. PMS a reconnu dans ses observations que les dépens calculés selon l’échelon supérieur de la colonne IV sont appropriés, et, compte tenu des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles examinés plus haut, je me fonderai sur les montants calculés en vertu de la colonne IV.

[34] Les parties ont toutes deux produits en preuve des mémoires de dépens et je conviens avec Lilly que certains des chefs de dépens sont irrécouvrables. Après avoir déduit les dépens relatifs à la requête relative au ouï-dire, je vais statuer que l’adjudication finale des dépens se chiffre à 80 000 $, taxes comprises.

D. Débours

[35] PMS réclame le total des débours, à savoir la somme de 2 403,87 $, taxes comprises, et Lilly ne conteste pas ce montant.

[36] Je suis convaincue que les débours réclamés par PMS sont raisonnables et ont réellement été engagés. Par conséquent, je vais accorder à PMS des débours de 2 403,87 $, taxes comprises.

E. Intérêts

[37] Lilly admet, et j’en conviens, qu’un taux d’intérêt de 5 % est approprié. Je vais accorder le délai de 30 jours réclamé par Lilly avant que les intérêts ne commencent à courir.

V. Conclusion

[38] Pour les motifs qui précèdent, j’adjugerai donc à PMS des dépens totalisant 82 403,87 $, honoraires, débours et taxes compris.


ORDONNANCE DANS LES DOSSIERS T-1623-16, T-1624-16

LA COUR ORDONNE que :

  1. Les dépens adjugés en faveur de Lilly dans le cadre de la requête relative au ouï-dire sont déduits des dépens adjugés en faveur de PMS pour le procès sommaire.

  2. PMS a droit à des dépens totalisant 82 403,87 $, honoraires, débours et taxes compris.

  3. Cette somme portera intérêt au taux de 5 %, à compter de 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés dans le cadre du présent jugement sur les dépens.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Frédérique Bertrand-Le Borgne


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS

 

DossierS :

T-1623-16 et T-1624-16

 

INTITULÉ :

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION et PHARMASCIENCE INC. et LABORATOIRE RIVA INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 octobre 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2023

COMPARUTIONS :

Chantal Saunders

Beverley Moore

Adrian Howard

Pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION

Marcus Klee

Aleem Abdulla

Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle

PHARMASCIENCE INC.

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION

Aitken Klee LLP

Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle

PHARMASCIENCE INC.

 

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