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Date : 20231116

Dossier : IMM-6457-22

Référence : 2023 CF 1510

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 16 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

PRECIOUS OLAEDO UZOMA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 27 mai 2022 qui a été rendue par un agent du Haut‑commissariat du Canada à Nairobi, au Kenya. Dans sa décision, l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse au titre du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

[2] Pour les motifs exposés ci-après, la demande sera accueillie.

[3] La demanderesse est citoyenne du Nigéria. Elle travaille depuis 2019 comme agente de bord basée à Lagos.

[4] En mars 2022, la demanderesse a présenté une demande de permis d’études au Canada pour suivre un programme de certificat d’études supérieures de un an au Collège Centennial, à Toronto. La demanderesse a fourni les documents suivants, accompagnés d’une lettre d’un consultant en immigration :

  • a)Le formulaire Demande de permis d’études présentée à l’extérieur du Canada, indiquant que la demanderesse possède un grade de l’Université de l’État d’Ebonyi. La demanderesse a demandé un permis d’études de un an pour fréquenter le Collège Centennial, à Toronto, de septembre 2022 à septembre 2023, les dépenses prévues de 25 239 $ (frais de scolarité), de 10 800 $ (logement et repas) et de 2 510 $ (autres) devant être assumées par la demanderesse elle‑même. Le total des frais s’élève à 38 549 $;

  • b)Une lettre du Collège Centennial adressée à la demanderesse et datée du 26 novembre 2021 montrant qu’elle a été admise à un programme d’études supérieures de un an (trois semestres) débutant en septembre 2022, dont les frais de scolarité s’élèvent à 25 238,93 $ pour les trois semestres. Dans la lettre, il est également indiqué que les frais de subsistance de la demanderesse s’élèveraient à environ 13 310 $ (10 800 $ pour le logement et les repas, plus les frais de transport et autres), plus une somme de 875 $ pour les livres et les fournitures, pour un total de 39 423,92 $;

  • c)Une déclaration d’intention de la demanderesse;

  • d)Une lettre de l’employeur de la demanderesse dans laquelle il témoigne de son appui au projet d’études, ainsi qu’une copie de son contrat de travail et un talon de paye indiquant son salaire mensuel;

  • e)Des copies de deux relevés bancaires de la demanderesse, un en dollars américains et l’autre en nairas nigérians;

  • f)Un [traduction] « affidavit de parrainage » provenant de l’oncle de la demanderesse, dans lequel il affirme posséder une entreprise (nommée dans l’affidavit) et se décrit comme un industriel et un fabricant de matériaux de construction. L’oncle affirme que, [traduction] « au fil des ans, [il a] pris l’éducation de [la demanderesse] sur [lui] et [s’est] engagé à lui fournir une aide dans divers aspects de sa vie jusqu’à ce qu’elle se marie ». L’oncle a grandement contribué au développement de la demanderesse et a décidé de l’aider à parfaire son instruction au moyen d’un programme d’études supérieures, et il a affirmé qu’il assumerait le coût de ces études au Canada, y compris le coût du logement et des vols durant la période d’études;

  • g)Des relevés bancaires personnels et d’entreprise de l’oncle de la demanderesse.

[5] Il est clairement expliqué dans la lettre d’accompagnement du consultant en immigration que la demanderesse présente une nouvelle demande de permis d’études et fournit des renseignements supplémentaires pour corriger les lacunes relevées dans une décision antérieure rendue par un agent. La lettre précise notamment que, après avoir payé des frais de scolarité de 8 900 $, la demanderesse possédait environ 35 000 $ en tout dans ses deux comptes bancaires et que son oncle était prêt à l’aider si elle avait besoin d’un [traduction] « financement d’urgence pour ses études ».

[6] Dans une lettre datée du 27 mai 2022, l’agent des visas à Nairobi a rejeté sa demande parce qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour [traduction] « compte tenu de [ses] actifs personnels et de sa situation financière ».

[7] Dans ses notes consignées le 27 mai 2022 dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), l’agent a écrit ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Compte tenu du plan d’études de la demanderesse, les documents fournis pour attester sa situation financière ne démontrent pas qu’elle disposerait de fonds suffisants. Je ne suis pas convaincu que les études proposées constitueraient une dépense raisonnable. Les relevés bancaires font état du dépôt ponctuel inexpliqué d’importantes sommes d’argent et de soldes instables, ce qui ne me convainc pas que le solde du compte bancaire a été gonflé en vue de la demande de visa, de façon à satisfaire aux exigences relatives à l’établissement financier et à la capacité de subvenir à ses besoins pour la première année d’études et les années subséquentes. La demanderesse fournit des relevés bancaires d’un tiers, mais ne précise pas ni n’étaye par des documents sa relation avec le titulaire du compte. Compte tenu de la documentation au dossier et des renseignements limités concernant la nature du lien entre la demanderesse et celui qui semble être son répondant sur le plan financier, je doute que les fonds fournis par le tiers soient suffisants et disponibles pour le programme d’études proposé. Après avoir soupesé les facteurs à prendre en considération dans la présente demande, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour ces motifs, je rejette la demande.

[8] La demanderesse demande à la Cour d’annuler cette décision au motif qu’elle est déraisonnable, suivant les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 563 [Vavilov].

[9] Comme en ont convenu les parties, il est bien établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : voir par exemple Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324 aux para 11-14; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 11. Dans la décision Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552 [Lingepo], la Cour a affirmé ce qui suit au paragraphe 13 :

La norme de contrôle applicable à la révision d’une décision d’un agent des visas refusant une demande de permis d’étude est celle de la décision raisonnable ([…] Vavilov […] aux para 10, 16-17 […]; Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282 au para 5 […]; Hajiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 71 au para 6). Même s’il n’est pas nécessaire d’avoir des motifs exhaustifs pour que la décision soit raisonnable étant donné les pressions énormes que subissent les agents des visas pour produire un grand volume de décisions chaque jour, la décision doit tout de même être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov au para 85). Elle doit aussi posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99).

[10] La cour de révision s’intéresse au raisonnement suivi par le décideur : Vavilov, aux para 83, 84 et 87. La cour n’examine pas si la décision du décideur était correcte ni ne se demande quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur : Vavilov, au para 83; Canada (Justice) c DV, 2022 CAF 181 aux para 15, 23.

[11] La partie 12 du RIPR régit la façon dont les étudiants, en tant que catégorie réglementaire de personnes, peuvent devenir résidents temporaires du Canada. Aux termes de l’article 213 du RIPR, l’étranger qui cherche à étudier au Canada doit, préalablement à son entrée au Canada, faire une demande de permis d’études. En application du paragraphe 216(1), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, certains éléments sont établis. Parmi ces éléments figure la nécessité pour l’étranger de remplir les exigences prévues à la partie 12 du RIPR : voir l’art 216(1)c).

[12] Aux termes de l’article 220 de la partie 12 du RIPR, l’agent ne délivre pas de permis d’études à l’étranger « à moins que celui-ci ne dispose, sans qu’il lui soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, de ressources financières suffisantes » pour acquitter les frais de scolarité des cours qu’il a l’intention de suivre, subvenir à ses propres besoins durant ses études et acquitter les frais de transport pour venir au Canada et en repartir. La Cour a statué que, si un demandeur ne remplit pas les exigences énoncées à l’article 220 du RIPR, l’agent doit rejeter la demande de permis d’études : Ohuaregbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 480 au para 23.

[13] Dans la demande en l’espèce, la demanderesse a affirmé que le seul motif pour lequel sa demande de permis d’études avait été rejetée était l’insuffisance de fonds, mais que sa demande remplit les exigences du RIPR et que, en particulier, les éléments de preuve qu’elle a elle‑même fournis établissent qu’elle dispose des ressources financières nécessaires pour payer les frais associés à son année d’études au Canada.

[14] La demanderesse a affirmé ce qui suit :

  • a)Elle a payé à l’avance 8 900 $ pour des frais de scolarité et avait environ 35 000 $ dans ses comptes bancaires personnels. Ainsi, même sans le soutien financier de son oncle, qui accepte de la parrainer, elle disposait de suffisamment de fonds pour assumer toutes ses dépenses, conformément à l’article 220 du RIPR;

  • b)Son oncle a fourni un affidavit où il confirme qu’il accepte de payer les dépenses liées aux études de la demanderesse au Canada, avec ses relevés bancaires à l’appui, et qu’il dispose de plus de 400 000 $ pour lui offrir un soutien;

  • c)L’agent a mal interprété les renseignements clairs figurant dans la lettre du Collège Centennial concernant la durée de son programme, selon les notes figurant dans le SMGC qui indiquent que l’agent a cru à tort que le programme d’études durait plus que un an. Par conséquent, l’agent s’attendait à ce que la demanderesse ait plus de fonds à sa disposition que ce qui était requis par l’article 220 du RIPR;

  • d)Dans ses notes du SMGC, l’agent n’a pas fait de lien entre son commentaire sur le [traduction] « dépôt ponctuel inexpliqué d’importantes sommes d’argent et [les] soldes instables » et un compte bancaire ou des dépôts ou soldes précis dans la preuve versée au dossier. La demanderesse a soulevé des préoccupations concernant le manque de transparence et l’absence d’explications au sujet de la preuve contraire à la décision (et a fait référence à la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), [1999] 1 CF F-66, [1998] ACF no 1425). La demanderesse a soutenu que ces commentaires ne pouvaient faire référence qu’aux comptes bancaires de son oncle et que les transactions qui y figuraient étaient expliquées par la nature de son entreprise, telle qu’elle était décrite dans son affidavit;

  • e)L’agent n’a pas tenu compte de la déclaration sous serment qu’elle avait fournie selon laquelle elle était la nièce du répondant ni de l’affidavit de ce dernier indiquant qu’il était son oncle, puisque les notes du SMGC indiquent que la demanderesse [traduction] « [a fourni] des relevés bancaires d’un tiers, mais [n’a pas précisé] ni [n’a étayé] par des documents sa relation avec le titulaire du compte ».

[15] Selon le défendeur, l’agent a rendu une décision raisonnable fondée sur le dossier. À l’audience, le défendeur a affirmé, à l’instar de la demanderesse, que la principale question à trancher pour l’agent concernait le caractère suffisant des ressources financières. Toutefois, la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de montrer qu’elle disposait des ressources nécessaires pour mener à bien ses études et qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[16] Le défendeur a affirmé que le fardeau qui incombait à l’agent de fournir des motifs n’était pas exigeant. La formulation de l’agent aurait pu être plus claire, mais la justification sous‑tendant la décision était manifeste (le défendeur a fait référence à Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 au para 35, et à Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 199 [Singh] au para 24).

[17] Le défendeur a soutenu que le lien qui unissait la demanderesse et son répondant n’était pas clair, comme l’indiquaient les notes de l’agent. Le défendeur a fait remarquer que la demanderesse et son répondant étaient respectivement la nièce et l’oncle, mais qu’il n’y avait aucun détail sur leur lien biologique ni sur la façon dont l’oncle avait soutenu la demanderesse dans le passé (selon ce qu’il laissait entendre dans son affidavit).

[18] Le défendeur a également soutenu qu’il ressortait du dossier que les relevés bancaires du répondant affichaient des paiements ponctuels et une instabilité, compte tenu des fluctuations dans les soldes et des importants dépôts et retraits effectués en une seule journée. Le défendeur a affirmé que la preuve contenue dans l’affidavit de l’oncle n’était pas suffisamment probante pour expliquer ces particularités.

[19] Le défendeur a fait remarquer que l’employeur de la demanderesse avait autorisé à cette dernière un congé d’études de deux ans, malgré le fait que son programme d’études durait un an, et que le consultant en immigration avait mentionné ce congé de deux ans. Le défendeur est donc d’avis qu’il était loisible à l’agent d’évaluer [traduction] « l’établissement financier et la capacité [de la demanderesse] de subvenir à ses besoins pour la première année d’études et les années subséquentes », comme il est indiqué dans le SMGC.

[20] Après avoir appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov, je conclus que la décision de l’agent était déraisonnable.

[21] Premièrement, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que le renvoi dans les notes du SMGC à l’exigence de montrer [traduction] « l’établissement financier et la capacité de subvenir à ses besoins pour la première année d’études et les années subséquentes » est problématique en l’espèce. Il est clairement indiqué dans le formulaire Demande de permis d’études présentée à l’extérieur du Canada et dans la lettre d’admission du Collège Centennial adressée à la demanderesse que son programme d’études est d’une durée de un an. Il est clair que l’agent devait se fonder sur ces sources pour établir la durée de la période d’études prévue au Canada. Il n’y a rien dans le SMGC qui laisse croire que l’agent a pu se fonder sur le congé de deux ans.

[22] Deuxièmement, la demanderesse a contesté l’affirmation selon laquelle elle a fourni des [traduction] « relevés bancaires d’un tiers » sans toutefois préciser ni étayer par des documents « sa relation avec le titulaire du compte ». Je conviens qu’il y a des éléments contradictoires dans cette affirmation. À première vue, le nom inscrit sur les relevés bancaires en question est le même que celui qui figure sur le compte de l’oncle. De plus, la demanderesse et l’oncle ont tous deux précisé dans leur affidavit respectif qu’ils ont une relation d’oncle et de nièce. L’agent n’a pas directement contesté la preuve selon laquelle la demanderesse et son oncle faisaient effectivement partie de la même famille. De fait, leurs relevés bancaires montrent également qu’il y a eu des virements de fonds à partir du compte de l’oncle et des dépôts équivalents dans le compte de la demanderesse, de même que des dépôts en argent dans son compte à elle, faits par son oncle, qui datent d’environ un an avant la présentation de sa demande de permis d’études.

[23] Troisièmement, l’agent a déclaré que [traduction] « les documents fournis à l’appui de sa situation financière ne démontrent pas qu’elle disposerait de fonds suffisants ». Toutefois, comme je l’explique ci‑après, les notes du SMGC ne fournissent aucune explication évidente de la façon dont l’agent est parvenu à cette conclusion en se fondant raisonnablement sur le dossier.

[24] Nul n’a contesté devant la Cour qu’il y avait, au moment où la demanderesse a présenté sa demande, 35 000 $ en tout dans ses comptes bancaires, soit environ 7 850 $ US et le reste en nairas nigérians. Ce fait était expressément et clairement indiqué dans la lettre d’accompagnement du consultant en immigration. La demanderesse avait déjà payé des frais de scolarité de 8 900 $ et avait reçu du Collège Centennial une estimation totalisant 39 000 $ pour les frais de scolarité et les autres dépenses. Ainsi, les observations de la demanderesse et la preuve versée au dossier indiquent toutes deux que la demanderesse avait à elle seule, à l’époque, des liquidités suffisantes pour payer les frais liés à son année d’études au Canada suivant l’article 220 du RIPR. Dans ce contexte, il incombait à l’agent de fournir une explication adaptée, aussi brève soit-elle, pour étayer sa conclusion à l’effet contraire, soit que la demanderesse ne disposait pas des fonds suffisants pour assumer les frais d’une année d’études au Canada. Voir par ex Motlagh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1098 [Motlagh] au para 22; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17; Vavilov, au para 128.

[25] Selon les notes du SMGC, les relevés bancaires font état du [traduction] « dépôt ponctuel inexpliqué d’importantes sommes d’argent et de soldes instables ». Toutefois, comme les parties l’ont fait ressortir dans leurs observations, les notes du SMGC sont ambiguës, puisqu’il est difficile de savoir de quels relevés bancaires il était question. Selon les observations orales de la demanderesse à l’audience et les observations orales et écrites du défendeur, cette déclaration portait sur les relevés bancaires de l’oncle, et non sur ceux de la demanderesse. Dans son mémoire, la demanderesse évoque les deux possibilités. Elle soutient d’abord que l’agent, en utilisant une formule type, n’a fourni aucune explication permettant de savoir quels dépôts ponctuels étaient problématiques dans le contexte de l’entreprise manufacturière de l’oncle et que l’agent n’a pas dû tenir compte de la nature de cette entreprise. La demanderesse soutient ensuite que l’agent n’a pas expliqué clairement où il avait constaté des dépôts de ce type dans ses relevés bancaires à elle et que toute réserve à ce sujet aurait pu être dissipée si l’agent avait examiné les éléments de preuve.

[26] L’ambiguïté inhérente à cet aspect des notes du SMGC soulève des doutes quant au respect des principes énoncés dans l’arrêt Vavilov que sont l’intelligibilité et la justification. J’examine toutefois ci-dessous les deux possibilités.

[27] Si cette partie des notes du SMGC renvoie aux relevés bancaires de l’oncle, il est possible d’en déduire qu’il n’y avait aucune justification claire étayant la conclusion de l’agent concernant le caractère suffisant et la disponibilité des ressources financières de la demanderesse pour acquitter les frais liés à ses études au Canada, outre une phrase qui reprenait essentiellement le libellé de l’article 220 du RIPR. En l’espèce, cela mettrait fin à l’analyse du caractère raisonnable de la conclusion effectuée au titre de l’article 220, compte tenu des liquidités dont disposait la demanderesse dans ses comptes.

[28] Toutefois, cette partie des notes du SMGC pourrait également renvoyer aux relevés bancaires de la demanderesse, ce que j’avais cru au départ avant d’examiner le dossier et de lire les observations des parties, étant donné que, ailleurs dans les notes du SMGC, il y a des mentions de relevés bancaires et de fonds d’un [traduction] « tiers ». Dans ce cas, il serait alors approprié d’interpréter l’expression [traduction] « dépôt ponctuel inexpliqué d’importantes sommes d’argent et de soldes instables » eu égard aux relevés bancaires de la demanderesse versés au dossier et en tenant compte du contexte institutionnel entourant les demandes de permis d’études : Vavilov, aux para 94-97; Lingepo, au para 13.

[29] Le relevé bancaire de 2021 du compte de la demanderesse en dollars américains comprend peu de dépôts et de retraits, et le compte affiche un solde stable d’environ 7 850 $ US pour la période de mai à décembre 2021. Le relevé bancaire de son compte du Nigéria, pour la période de janvier 2021 à janvier 2022, comprend de nombreux dépôts et retraits, effectués en nairas, ce qui ne semble pas inhabituel pour un compte personnel. Un examen attentif permet de constater qu’il semble y avoir eu dans le compte bancaire de la demanderesse des dépôts provenant de l’oncle, notamment plusieurs dépôts importants faits en janvier 2022, soit un mois ou deux avant la présentation de sa demande de permis d’études. Ces dépôts, bien qu’ils représentent des sommes considérables, concordent avec l’affidavit de l’oncle, dans lequel il disait qu’il fournirait un soutien financier à la demanderesse pour la poursuite de ses études supérieures; ainsi, il est possible de considérer que ces dépôts ont été [traduction] « expliqués » par la preuve qu’il a fournie. De plus, comme il est mentionné ci-dessus, l’oncle de la demanderesse semble aussi avoir fait d’autres dépôts, plus petits cependant, qui remontent à près de un an avant la présentation de la demande de permis d’études. Ces dépôts peuvent également être considérés comme [traduction] « expliqués », car ils concordent avec l’affirmation contenue dans l’affidavit de l’oncle, où il disait avoir déjà aidé financièrement la demanderesse. Cela dit, le dépôt le plus important qui a été effectué dans le compte en janvier 2022 provenait de la demanderesse elle‑même, et je reconnais que ce dépôt en particulier n’a pas fait l’objet d’une [traduction] « explication » précise dans son affidavit.

[30] Compte tenu de la preuve décrite ci-dessus, la phrase mentionnant un [traduction] « dépôt ponctuel inexpliqué d’importantes sommes d’argent et de soldes instables » n’explique pas raisonnablement, à elle seule, la conclusion selon laquelle la demanderesse ne disposerait pas de ressources financières suffisantes aux termes de l’article 220 du RIPR : voir Aniekwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1477 aux para 8, 11, 13-14. J’ajoute que la preuve ne permet pas de trancher avec certitude la question de savoir si cette phrase s’applique aux comptes bancaires de la demanderesse : voir Zeifmans LLP c Canada, 2022 CAF 160 aux para 9-11; Roodsari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 970 [Roodsari] aux para 19-21, 26-27. Je souligne que, dans l’affaire qui nous occupe, contrairement à l’affaire Roodsari, l’agent n’a pas soulevé de question quant à la provenance des fonds dans le compte de la demanderesse : voir Roodsari, aux para 29-33.

[31] Les notes du SMGC indiquent que le dépôt ponctuel inexpliqué d’importantes sommes d’argent et les soldes instables [traduction] « [n’ont pas convaincu l’agent] que le solde du compte bancaire a été gonflé en vue de la demande de visa ». L’agent a manifestement omis la négation et semblait vouloir dire que le solde du compte pourrait avoir été gonflé en vue de la demande de visa[1]. Cette affirmation, conjuguée au commentaire indirect de l’agent au sujet des renseignements limités démontrant la nature du lien entre la demanderesse et [traduction] « celui qui semble être son répondant sur le plan financier », fait ressortir la nécessité d’une explication adéquate et adaptée pour justifier le refus du permis d’études en l’espèce en raison de l’insuffisance des fonds à la disposition de la demanderesse. L’agent n’a pas expressément contesté le lien familial ni formulé de réserves au sujet du contenu de l’affidavit de l’oncle. Selon moi, si l’agent doutait de la preuve de l’oncle, de l’authenticité du soutien financier de l’oncle pour les études de sa nièce ou du lien de filiation entre eux en tant qu’oncle et nièce, il aurait fallu qu’il l’exprime clairement dans les motifs contenus dans ses notes du SMGC.

[32] Enfin, l’agent n’était pas convaincu que le programme d’études proposé constituait une [traduction] « dépense raisonnable ». Les parties n’ont présenté aucune observation directe à cet égard. Il est cependant difficile de savoir ce que cette affirmation signifie ou comment l’agent est parvenu à cette conclusion. Voir Singh, aux para 27-29; Motlagh, au para 25; Lingepo, au para 17; Caianda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 218 au para 5.

[33] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision par laquelle le permis d’études de la demanderesse lui a été refusé est déraisonnable. Dans ses notes du SMGC, l’agent n’a pas fourni, pour étayer sa décision, de justification fondée sur un raisonnement qui respectait les contraintes de la preuve et qui était adaptée à la position de la demanderesse et à la preuve au dossier concernant la disponibilité de ressources financières suffisantes : Vavilov, aux para 125-128.

[34] Bien que la présente demande ait été instruite avant la publication de l’arrêt Mason, il n’y a rien dans cet arrêt de la Cour suprême qui justifierait que les motifs soient différents en l’espèce : Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21.

[35] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6457-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent datée du 27 mai 2022 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6457-22

 

INTITULÉ :

PRECIOUS OLAEDO UZOMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUILLET 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE A. D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 novembre 2023

COMPARUTIONS :

Chimwi Oguchi

POUR LA DEMANDERESSE

 

Charles Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ugochukwu Udogu

Avocat et notaire public

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] En fait, il y a deux endroits dans les notes du SMGC où il aurait dû y avoir une négation : dans les affirmations [traduction] « […] ce qui ne me convainc pas que le solde du compte bancaire [n’]a [pas] été gonflé en vue de la demande de visa […] » et « […] je crains que les fonds fournis par le tiers [ne] seront [pas] suffisants et disponibles pour le programme d’études proposé […] ». Aucune des parties n’a présenté d’observations au sujet de ces omissions.

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