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Date : 20231106


Dossier : IMM-6322-22

Référence : 2023 CF 1473

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

ALI MEHDIKHANI

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un citoyen de l’Iran âgé de 32 ans. Il a été admis à un programme d’études post-baccalauréales de deux ans en gestion et services techniques à l’Université polytechnique Kwantlen en Colombie-Britannique. Toutefois, un agent des visas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté sa demande de permis d’études.

[2] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Il soutient que la décision est déraisonnable et qu’elle a été rendue en violation de l’obligation d’équité procédurale.

[3] Comme je l’explique ci-dessous, je suis d’avis que la décision doit être annulée parce qu’elle est déraisonnable. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les questions relatives à l’équité procédurale que le demandeur a soulevées.

[4] Les parties conviennent, et je suis d’accord, que le fond de la décision de l’agent doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). Est déraisonnable la décision dont les motifs « ne justifient pas [le résultat] de manière transparente et intelligible » (Vavilov, au para 136). Pour annuler une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue qu’elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[5] Dans la décision Nesarzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 568 aux para 5-9, le juge Pentney a fourni un résumé utile des principes clés à appliquer dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions relatives à un permis d’études. En me fondant sur ce résumé et sur la jurisprudence citée dans la décision Nesarzadeh, j’énoncerais ces principes de la manière suivante :

  • Une décision raisonnable doit expliquer le résultat obtenu, compte tenu du droit et des faits principaux.

  • L’arrêt Vavilov cherche à renforcer une « culture de la justification » selon laquelle le décideur doit expliquer logiquement le résultat et tenir compte des observations des parties.

  • Le contexte administratif dans lequel la décision a été rendue doit être pris en considération. Les agents des visas reçoivent une avalanche de demandes, et leurs motifs n’ont pas besoin d’être longs ou détaillés. Toutefois, les motifs doivent exposer les principaux éléments de l’analyse de l’agent et répondre aux principaux aspects de la demande.

  • Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il satisfait aux exigences de la loi qui s’appliquent à l’obtention d’un permis d’études, y compris l’exigence de quitter le Canada à la fin du séjour autorisé.

  • Les agents des visas doivent prendre en considération les facteurs « d’incitation au départ » et « d’attirance » qui pourraient soit amener un demandeur à prolonger son séjour au-delà de la période de validité de son visa et à rester au Canada, soit l’encourager à retourner dans son pays d’origine lorsqu’il le doit.

[6] Dans la présente affaire, l’agent a rejeté la demande parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait démontré qu’il est un véritable étudiant qui poursuit activement des études. L’agent craignait plutôt que le demandeur [traduction] « ne cherche à entrer [au Canada] pour des motifs autres que parfaire sa formation » et qu’il ne quitte donc pas le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[7] L’agent a tiré cette conclusion pour les motifs suivants. Premièrement, les ressources financières et les actifs du demandeur n’étaient pas suffisants pour financer le programme d’études envisagé en raison du [traduction] « climat économique instable en Iran et des fluctuations des taux de change sur le marché international ». Deuxièmement, l’agent n’était pas convaincu que le coût du programme d’études envisagé constituait une dépense raisonnable étant donné les études antérieures et l’emploi actuel du demandeur. Troisièmement, bien que le demandeur ait déclaré qu’une promotion lui avait été offerte récemment au travail, cette promotion n’était pas confirmée dans sa lettre d’emploi. Quoi qu’il en soit, le demandeur n’avait pas expliqué la façon dont son employeur actuel gérerait son absence de deux ans ni en quoi le programme d’études envisagé améliorerait ses perspectives d’emploi en Iran.

[8] Le demandeur conteste le caractère raisonnable de la décision à plusieurs égards. Il n’est pas nécessaire que j’examine tous les motifs invoqués par le demandeur au soutien de sa demande de contrôle, car je conviens que la décision est déraisonnable à deux égards principaux.

[9] Premièrement, l’agent n’a pas justifié de manière transparente et intelligible sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas les ressources suffisantes pour financer ses études au Canada. Le demandeur a fourni des documents visant à établir que, d’après les taux de change actuels, il possédait des fonds suffisants. L’agent a accordé [traduction] « moins de valeur aux fonds censément disponibles » en raison de la « situation économique instable en Iran et des variations du taux de change ». La même phrase se retrouve exactement dans la décision faisant l’objet d’un contrôle dans l’affaire Roudehchianahmadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 626. Dans cette affaire, le juge Mosley a jugé (aux paragraphes 17 et 23) que les conclusions de l’agent concernant les fonds disponibles de la demanderesse n’étaient pas raisonnables compte tenu des motifs fournis parce que, notamment, l’agent avait mis un accent particulier sur ce facteur sans tenir compte d’autres facteurs qui auraient pu permettre à la demanderesse de financer ses études, indépendamment des incertitudes économiques. Le même raisonnement s’applique en l’espèce.

[10] Deuxièmement, en concluant que le demandeur ne retournerait pas en Iran à la fin de son séjour autorisé au Canada, l’agent a fait fi de circonstances pertinentes. Le demandeur a traité directement de cette question dans sa demande de permis d’études. Il a donné plusieurs raisons pour expliquer pourquoi il retournerait en Iran à la fin de ses études. Sa famille, ses meilleurs amis et des membres de sa parenté se trouvent en Iran. Ses parents vieillissent, et prendre soin d’eux est une priorité pour lui. Il a des actifs en Iran. Il a un emploi qu’il l’attend à son retour au pays. Il bénéficie d’une assurance en Iran et touchera une pension à sa retraite. Outre ces facteurs, il semblerait également, selon d’autres renseignements figurant dans la demande de permis, que le demandeur a des antécédents de voyage favorables, qu’il avait l’intention de venir seul au Canada et qu’il n’a pas de famille ici.

[11] L’agent n’avait pas à reconnaître que ces facteurs (séparément ou ensemble) permettaient de garantir que le demandeur retournerait en Iran à la fin de ses études. Toutefois, comme il a, de toute évidence, conclu que ces facteurs étaient insuffisants à cet égard, l’agent était tenu d’expliquer pourquoi. Or, la décision est muette à ce sujet. Dans ses motifs, l’agent n’examine pas de manière significative, voire pas du tout, les renseignements fournis par le demandeur concernant cette question fondamentale. Cette omission mine également le caractère raisonnable de la décision.

[12] Pour les motifs qui précèdent, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

[13] Enfin, les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale aux fins de certification au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6322-22

INTITULÉ :

ALI MEHDIKHANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

DATE DES MOTIFS :

LE 6 NOVEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Ramanjit Sohi

POUR LE DEMANDEUR

Brett Nash

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raman Sohi Law Corporation

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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