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Date : 20230120

Dossier : T-19-21

Référence : 2023 CF 97

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

demandeur

et

CORY LEONARD SCHLAUT

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une requête en jugement sommaire.

[2] La Canadian Canola Growers Association [la CCGA], une société sans but lucratif enregistrée sous le régime des lois du Manitoba, est l’une des nombreuses associations de producteurs qui gèrent les avances de fonds dans le cadre du Programme de paiements anticipés [le PPA], un programme fédéral de garanties de prêts exploité par Agriculture et Agroalimentaire Canada [AAC] au titre de la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, LC 1997, c 20 [la Loi]. La CCGA verse, dans le cadre du PPA, des avances de fonds aux éleveurs-naisseurs de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique.

[3] Le défendeur, M. Cory Leonard Schlaut, est l’un de ces éleveurs-naisseurs. Le 6 juin 2012, M. Schlaut a présenté à la CCGA une demande de paiements anticipés en vertu de la Loi pour l’année de production 2012-2013. Il a reçu de la CCGA, en juin et en décembre 2012, des paiements totalisant 223 825 $, moins les frais d’administration et une retenue.

[4] M. Schlaut devait avoir remboursé en totalité les paiements anticipés au plus tard le 1er avril 2014, soit la date de défaut de paiement. Il a réussi à faire porter divers montants au crédit de son compte en remboursement partiel des paiements anticipés, mais à la date de défaut, il n’avait pas remboursé en totalité la somme impayée. Il est donc devenu redevable envers la CCGA de la somme impayée équivalant au montant des paiements anticipés, plus les intérêts accumulés au taux préférentiel de la CIBC majoré de trois pour cent (3 %), calculés quotidiennement et composés mensuellement, conformément aux modalités de la demande et de l’accord de remboursement du PPA pour 2012-2013, documents qu’il avait signés afin de pouvoir recevoir les paiements anticipés.

[5] M. Schlaut n’ayant pas remboursé la CCGA, le ministre d’AAC [le ministre] a, le 27 janvier 2015, honoré la garantie prévue au paragraphe 23(1) de la Loi à l’égard des paiements anticipés et il a payé à la CCGA la somme due par M. Schlaut, qui totalisait à ce moment 221 176,10 $ en capital et intérêts. Lors du remboursement de la somme impayée à la CCGA, le ministre a été subrogé dans les droits de la CCGA à l’égard de la dette de M. Schlaut en vertu du paragraphe 23(2) de la Loi. Au 4 janvier 2021, la somme totale impayée, y compris les intérêts et les frais d’administration, mais moins les montants remboursés par M. Schlaut, totalisait 358 026,27 $.

[6] Comme le prévoit le paragraphe 23(4) de la Loi, toute poursuite visant le recouvrement par le ministre de la créance se prescrit par six ans à compter de la date à laquelle le ministre a été subrogé dans les droits de la CCGA, soit le 27 janvier 2015 en l’espèce. Le 6 janvier 2021, juste avant l’expiration du délai de prescription de six ans, le procureur général du Canada [le procureur général] a intenté l’action principale contre M. Schlaut pour une somme de 358 026,27 $, plus les intérêts accumulés depuis le 4 janvier 2021 au taux préférentiel de la CIBC majoré de trois pour cent (3 %), calculés quotidiennement et composés mensuellement.

[7] Dans sa défense, M. Schlaut n’a pas nié avoir reçu les paiements anticipés, mais il a affirmé que les documents qu’il avait dû signer étaient compliqués et qu’il ne les comprenait pas bien. Il a soutenu qu’il n’avait jamais consenti à être lié par les lois du Manitoba. Il s’est appuyé sur le principe contra proferentem pour affirmer qu’il n’avait jamais eu la possibilité de négocier les modalités de l’accord, et il a renvoyé vaguement à des préoccupations d’ordre public en Saskatchewan de même qu’à la notion d’iniquité pour justifier le rejet de l’action.

[8] Le seul argument de la défense de M. Schlaut qui était exposé de façon claire était la prescription. Plus particulièrement, M. Schlaut s’est appuyé sur la Loi sur la prescription, CPLM c L150, telle qu’elle s’appliquait au Manitoba à l’époque, pour déclarer subsidiairement que si le délai de prescription de six ans prévu par la Loi s’appliquait, le ministre n’avait pas intenté la présente action dans le délai prescrit.

[9] Le 30 juin 2022, le procureur général a déposé par écrit, au nom du demandeur, Sa Majesté le Roi du chef du Canada, en vertu du paragraphe 213(1) et de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], la présente requête en jugement sommaire par laquelle il sollicitait un jugement contre M. Schlaut pour la somme de 388 230,52 $ – y compris le capital et les intérêts accumulés en date du 22 juin 2022 – plus les intérêts et les dépens. En résumé, le procureur général affirme que la requête de Sa Majesté porte sur une somme déterminée et qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse.

[10] Opposé à la présente requête, M. Schlaut ne semble plus s’appuyer sur la Loi sur la prescription qui s’appliquait au Manitoba. Son argument principal contre le prononcé d’un jugement sommaire est que les documents déposés par le procureur général à l’appui de la présente requête ne suffisent pas à établir que le remboursement de la somme impayée à la CCGA – lequel donne effet aux droits de subrogation en faveur de la Couronne et marque le début du délai de prescription pour introduire l’action en recouvrement principale – a été fait le 27 janvier 2015. Par conséquent, il est impossible de déterminer, à partir du dossier, si l’action principale est prescrite. De plus, M. Schlaut soutient que les documents déposés à l’appui de la présente requête ne permettent pas de savoir de quelle façon les intérêts ont été calculés.

[11] Par ailleurs, M. Schlaut s’oppose à ce que la déclaration soit tranchée par voie de jugement sommaire puisque de nombreuses questions de fait sont prétendument en litige. Il affirme que le ministre a mal calculé la somme totale due au titre du PPA, y compris le montant des intérêts. En fait, il soutient qu’il ne peut pas accepter la somme actuelle de la dette impayée étant donné qu’il n’a pas reçu de calcul actuel des intérêts ni d’explications quant à la façon dont la somme impayée a été calculée au cours des dernières années. Il affirme donc ne pas être en mesure de calculer lui-même les intérêts faute de détails fournis par le procureur général. Enfin, il s’oppose à ce que la présente requête soit tranchée sur la base d’observations écrites en vertu de l’article 369 des Règles, soutenant que l’affaire a une trop grande incidence sur son gagne-pain pour être tranchée uniquement de cette façon. Il demande donc à la Cour de tenir une audience pour statuer sur la requête.

[12] Le manque de clarté des documents semble avoir attiré l’attention du procureur général, qui a demandé l’autorisation de remplacer une des pièces soumises à l’appui de la présente requête par une copie plus lisible; la Cour a rendu une ordonnance en ce sens le 7 septembre 2022, et M. Schlaut ne s’y est pas opposé. De plus, même s’il avait le droit de le faire, M. Schlaut a choisi de ne pas contre-interroger les déposants de la Couronne au sujet de leurs affidavits concernant le calcul des intérêts. Il n’a pas non plus produit d’éléments de preuve montrant un calcul différent des intérêts.

[13] En ce qui me concerne, je suis convaincu, au vu du dossier, que les intérêts à payer sur la somme avancée sont indiqués de façon claire dans les documents que M. Schlaut a signés au moment où il a présenté sa demande de paiements anticipés. De là, le calcul des intérêts n’est rien de plus que le résultat d’une équation mathématique, et M. Schlaut ne m’a pas montré en quoi le calcul fait par le ministre est incorrect. En l’espèce, dans son affidavit souscrit au nom du ministre, Mark De Luca mentionne clairement que les intérêts à payer sur la somme avancée sont indiqués au point 6.0 de la section sur les modalités contenue dans la demande de paiements anticipés signée par M. Schlaut. Les intérêts s’accumulent sur la somme impayée au taux préférentiel de la CIBC majoré de trois pour cent (3 %), calculés quotidiennement et composés mensuellement, à compter de la date à laquelle l’avance a été encaissée jusqu’à la date à laquelle l’avance, les intérêts et les frais de recouvrement sont remboursés en totalité. Les intérêts accumulés avant la date de défaut de paiement (soit le 1er avril 2014) s’élevaient à 22 989,80 $. Par conséquent, et selon l’affidavit souscrit par Shelley Warner au nom du ministre, les intérêts accumulés de la date de défaut de paiement jusqu’au 22 juin 2022 s’élevaient à 151 750,49 $. Par la suite, un tarif quotidien de 65,95 $ est appliqué; il s’agit du montant quotidien des intérêts réclamés par le ministre pour la période du 22 juin 2022 jusqu’à la date du jugement.

[14] Quoi qu’il en soit, toute prétendue incertitude de la part de M. Schlaut quant à la façon dont la somme totale due au ministre a été calculée aurait facilement pu être dissipée plus tôt, notamment en procédant à un contre-interrogatoire des déposants du ministre. Il ne suffit pas d’affirmer que les intérêts ont été [traduction] « mal calculés » sans fournir de preuve montrant en quoi ils ont été mal calculés. M. Schlaut ne peut pas se contenter d’affirmer qu’il existe une véritable question litigieuse; il doit présenter ses meilleurs arguments pour démontrer qu’il en existe une (Canmar Foods Ltd c TA Foods Ltd, 2021 CAF 7 aux para 27, 37).

[15] Je suis aussi convaincu, d’après l’affidavit de M. De Luca, que la date à laquelle le ministre a fait le paiement à la CCGA à titre de garantie sur les paiements anticipés reçus par M. Schlaut est effectivement le 27 janvier 2015. M. Schlaut n’a présenté aucun élément de preuve indiquant le contraire et il n’a pas non plus soulevé un doute notable quant au caractère suffisant ou à la crédibilité de la preuve documentaire présentée par le ministre pour justifier une conclusion selon laquelle il subsisterait une véritable question litigieuse concernant le délai de prescription. Je suis d’avis que le paragraphe 23(4) de la Loi s’applique indéniablement à la déclaration principale, ce que M. Schlaut ne conteste pas véritablement dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire.

[16] En ce qui concerne la question de savoir si l’affaire devrait être instruite sur la base d’observations écrites en vertu de l’article 369 des Règles ou si elle devrait faire l’objet d’un jugement sommaire, je ne puis être d’accord avec M. Schlaut. Premièrement, l’article 369 des Règles n’impose aucune restriction explicite au pouvoir discrétionnaire de la Cour de statuer sur une requête sur la base de prétentions écrites; par conséquent, la Cour dispose de la latitude nécessaire pour le faire (Jones c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CFA 279 au para 12). En l’espèce, l’affaire n’est pas complexe, et la crédibilité n’est pas en cause. Par ailleurs, je ne vois pas en quoi des observations orales seraient nécessaires, puisque les questions soulevées en l’espèce pourraient être tranchées d’une manière significative sans la tenue d’une audience en personne (Al Omani c Canada, 2016 CF 317 au para 8). Je suis très sensible à la situation de M. Schlaut; la déclaration principale aura sans aucun doute des répercussions financières sur son gagne-pain. Cependant, j’estime que la tenue d’un procès entraînerait un retard injustifié et une utilisation de ressources qui n’est pas nécessaire en l’espèce.

[17] Dans les circonstances, la défense présentée en réponse à la déclaration ne soulève aucune véritable question litigieuse, et je ne vois aucune raison de ne pas accueillir la présente requête en jugement sommaire. Le procureur général demande des dépens de 2 473,73 $ en guise de taxation, ce que j’estime raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier T-19-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La présente requête sera tranchée sur la base des prétentions écrites des parties en vertu du paragraphe 369(4) des Règles.

2. La requête en jugement sommaire présentée par le demandeur à l’égard de sa déclaration est accordée, et l’action principale du demandeur est maintenue.

3. M. Schlaut doit verser au demandeur la somme impayée de 388 230,52 $, plus les intérêts accumulés au tarif quotidien de 65,95 $ du 22 juin 2022 jusqu’à la date du présent jugement et les intérêts accumulés par la suite au taux annuel de cinq pour cent (5 %) conformément à l’article 3 de la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I-15.

4. M. Schlaut doit verser au demandeur des dépens de 2 473,73 $ plus les intérêts accumulés au taux annuel de cinq pour cent (5 %) à compter de la date du présent jugement.

« Peter G. Pamel »

Juge

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