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Date : 20231031


Dossier : IMM-8669-22

Référence : 2023 CF 1445

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2023

En présence de l’honorable madame la juge Rochester

ENTRE :

ABDELKRIM DJABOUR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Abdelkrim Djabour, est citoyen de l’Algérie. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 15 août 2022, rejetant son appel et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant sa demande d’asile. La SAR a conclu qu’il n’est pas reconnu comme ayant qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Décision].

[2] Le demandeur allègue craindre pour sa vie aux mains d’un individu nommé [monsieur A.] et de son gang, car il a fait une plainte à la police contre monsieur A., ce dernier l’ayant attaqué. Cela a mené à une peine de 18 mois d’emprisonnement et à une amende pour monsieur A. Le demandeur soutient qu’il est en danger compte tenu des menaces et du harcèlement de la part de monsieur A. et de son gang à la suite de l’arrestation de monsieur A. par les policiers. La question déterminante pour la SPR et la SAR est celle de la disponibilité de la protection de l’État. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve clairs et convaincants réfutant la présomption selon laquelle l’État algérien est en mesure d’offrir une protection adéquate.

[3] Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR sur la protection de l’État sont déraisonnables au motif qu’elle i) n’a pas adopté une approche contextuelle comme il se doit pour évaluer s’il a réfuté la présomption de protection de l’État; ii) n’a pas raisonnablement tenu compte du profil de monsieur A.; iii) n’a pas accordé l’importance voulue au fait que le personnel de sécurité de son lieu de travail avait appelé la police, mais en vain; et iv) a exigé sans raison valable que le demandeur épuise toutes les voies de protection.

[4] Après avoir examiné le dossier dont la Cour est saisie, y compris les observations écrites et orales des parties, ainsi que le droit applicable, le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que la Décision est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Norme de contrôle

[5] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est celle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige de la retenue, mais elle est rigoureuse (Vavilov aux para 12-13). À ce titre, il s’agit d’une approche empreinte de retenue, surtout en ce qui concerne les conclusions de fait et l’appréciation de la preuve. La cour de révision ne devrait pas modifier les conclusions de fait, sauf circonstances exceptionnelles, et il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier ou de réévaluer la preuve examinée par le décideur (Vavilov au para 125).

III. Analyse

[6] Comme il a été mentionné précédemment, la question à trancher en l’espèce est celle de la protection de l’État. Le point de départ de l’analyse de la protection de l’État est la présomption selon laquelle les États sont capables de protéger leurs propres citoyens. La SAR a fait référence à juste titre à la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689 [Ward], où il a été confirmé que « [e]n l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique […] il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur » et qu’il faut « confirmer de façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection » (Ward aux pp 724-725).

[7] Le critère pour réfuter la présomption de protection de l’État est bien établi. Un demandeur d’asile qui cherche à réfuter la présomption de protection de l’État doit présenter des éléments de preuve pertinents, fiables et convaincants qui convainquent le décideur, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate (Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 30; Nugzarishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 459 au para 32 [Nugzarishvili]). Autrement dit, le demandeur d’asile qui demande l’asile doit démontrer qu’il a épuisé toutes les voies de protection objectivement raisonnables pour obtenir la protection de l’État ou qu’il aurait été objectivement déraisonnable pour lui de le faire (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 aux para 46, 57; Arango c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1016 au para 14; Nugzarishvili au para 34).

[8] Comme l’a souligné l’avocat du demandeur au cours de l’audience, plus un État est démocratique, plus un demandeur d’asile doit avoir cherché à épuiser les voies de protection qui s’offrent à lui (Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF No 1376 au para 5 (CAF); XY c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 444 au para 26). En l’espèce, la SAR a conclu, à la lumière de la preuve objective figurant au dossier, que l’État algérien est à la fois disposé et apte à offrir une protection à ses citoyens. Le demandeur n’a pas contesté cette conclusion en contrôle judiciaire.

[9] Ce que le demandeur conteste, c’est l’analyse de la SAR au moment d’évaluer s’il a réfuté la présomption de protection de l’État. Le demandeur soutient que la SAR n’a pas adopté une approche contextuelle et qu’elle aurait dû tenir compte des facteurs énoncés dans Gonzalez Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 234 [Gonzalez] au paragraphe 37, à savoir :

1. La nature de la violation des droits de la personne;

2. Le profil du présumé agresseur des droits de la personne;

3. Les efforts que la victime a déployés pour obtenir la protection des autorités;

4. La réponse des autorités aux demandes d’assistance; et

5. La preuve documentaire disponible.

[10] Le demandeur met en relief le profil de monsieur A, la gravité des blessures subies par le demandeur lors de son agression, les appels à la police par le personnel de la sécurité sur les lieux de travail du demandeur ainsi que les menaces proférées par monsieur A et son gang. Le demandeur affirme que, compte tenu de ces circonstances particulières, il a réussi à réfuter la présomption de protection de l’État.

[11] Le défendeur soutient que le demandeur n’a tout simplement pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que la protection de l’État est inadéquate. Plus particulièrement, le défendeur souligne que le demandeur n’a pas dénoncé aux policiers le harcèlement et les menaces à la suite de l’arrestation de monsieur A. Le demandeur a témoigné, lorsqu’on lui a demandé s’il avait pensé retourner voir la police pour signaler les menaces, qu’il [traduction] « n’avait pas pensé à ça » et qu’il « n’était pas retourné ». Le défendeur s’appuie sur la décision Memia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 349 [Memia] et plaide que le demandeur ne peut reprocher à la police de ne pas avoir offert de protection alors que le demandeur n’a pas signalé le crime. Le défendeur ajoute que les policiers se sont montrés réceptifs à l’égard du demandeur. Lorsque le demandeur a déposé son rapport de police pour l’agression, monsieur A. a été arrêté le lendemain et condamné dans les mois qui ont suivi son arrestation.

[12] Je suis d’accord avec l’assertion du défendeur selon laquelle la protection de l’État ne peut être réfutée lorsqu’elle n’a pas été testée (Camacho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 830 au para 9; Memia au para 21). En l’espèce, la SAR a souligné le fait que le demandeur n’a jamais signalé le harcèlement et les menaces à la police.

[13] Le demandeur soutient que le personnel de sécurité de son lieu de travail a appelé la police à plusieurs reprises et qu’elle n’est jamais venue. Ainsi, de l’avis du demandeur, la SAR aurait dû tenir compte de cet élément comme si le demandeur avait lui-même appelé la police. Le demandeur avait témoigné qu’un responsable de la sécurité, non nommé, avait fait des appels à la police et il avait attendu trois à quatre heures au bureau, mais que personne n’est venu.

[14] La SAR a expressément tenu compte des appels du personnel de sécurité, mais elle a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants expliquant pourquoi il n’avait pas personnellement demandé la protection de la police ni porté plainte relativement aux menaces proférées par monsieur A. et son gang. Dans la Décision, la SAR a examiné en détail le témoignage du demandeur quant à la raison pour laquelle il n’a pas demandé l’aide de la police. Après avoir examiné le dossier, en particulier le témoignage du demandeur et ses observations à la SAR quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas porté plainte à la police, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse.

[15] La SAR a également tenu compte de tous les arguments présentés par le demandeur concernant la preuve documentaire, le profil de monsieur A., ses antécédents de récidive, la nature des menaces et la gravité des blessures subies par le demandeur à la suite de l’agression. Par conséquent, j’estime que, malgré l’argument contraire du demandeur, la SAR a adopté une approche contextuelle telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Gonzalez. La SAR a examiné les facteurs susmentionnés ainsi que les arguments soulevés par le demandeur.

[16] Comme je l’ai indiqué précédemment, il n’appartient pas à la Cour, en matière de contrôle judiciaire, d’apprécier de nouveau la preuve et de tirer une nouvelle conclusion (Vavilov au para 125). Dans les cas où la SAR est appelée à évaluer et à soupeser un certain nombre de variables, il y aura généralement place au désaccord quant au poids à accorder à chaque élément de preuve. Un simple désaccord sur ces questions ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire (Gadiaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1255 au para 15).

[17] Après avoir examiné les arguments soulevés par le demandeur, je ne suis pas persuadée que la Décision est déraisonnable. Le demandeur n’est manifestement pas d’accord avec le poids accordé par la SAR au fait que le demandeur n’a pas demandé personnellement l’aide de la police et aux raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait. Toutefois, la SAR pouvait, en se fondant sur le dossier dont elle était saisie, accorder le poids qu’elle a accordé à cet élément de preuve. Son analyse qui en découle n’est pas déraisonnable. En outre, bien que le demandeur soutienne, subsidiairement, qu’il était déraisonnable, compte tenu du contexte, de s’attendre à ce qu’il porte plainte à la police, cela équivaut encore une fois à un simple désaccord avec l’analyse des facteurs contextuels effectuée par la SAR. À mon avis, le demandeur n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle.

[18] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la Décision dans son ensemble satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans Vavilov. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question grave de portée générale pour la certification n’a été proposée par les parties et je conviens qu’une telle question ne se pose pas.


JUGEMENT au dossier IMM-8669-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée; et

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8669-22

INTITULÉ :

ABDELKRIM DJABOUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC) et TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 OCTOBRE 2023

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 31 OCTOBRE 2023

COMPARUTIONS :

Me Fernand Bali

Pour le demandeur

Me Sherry Rafai Far

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Fernand Bali

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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