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Date : 20231023


Dossier : IMM-3203-22

Référence : 2023 CF 1401

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

SAAD JAAFAR SAL SALMAN

AMAL ABDULKAREEM ABDULHASAN ABDULHASAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. RÉSUMÉ

[1] Les demandeurs sont des citoyens de l’Iraq. Saad Jaafar Sal Salman (le demandeur principal) est un musulman sunnite. Son épouse, Amal Abdulkareem Abdulhasan Abdulhasan (la codemanderesse) est une musulmane chiite.

[2] En octobre 2020, après être arrivés au Canada munis de visas de visiteur, les demandeurs ont demandé l’asile. Dans leurs demandes d’asile, les demandeurs affirmaient craindre avec raison d’être persécutés par Asaib Ahl Al-haq (l’AAH), une milice extrémiste chiite, et par le gouvernement iraquien. Les demandeurs soutiennent qu’ils ont été pris pour cibles après que le demandeur principal a refusé de verser un pot-de-vin à un agent des passeports et qu’il a dénoncé la corruption. Peu après cet incident, la codemanderesse a été victime d’une tentative d’enlèvement. Les demandeurs affirment que les deux incidents étaient liés.

[3] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés du Canada (la CISR) a instruit les demandes d’asile des demandeurs le 8 septembre 2021. Dans une décision datée du 6 octobre 2021, la SPR a rejeté les demandes d’asile au motif que les demandeurs n’étaient pas crédibles en ce qui a trait à un élément important de leurs demandes, à savoir le lien entre l’incident survenu au bureau des passeports et la tentative d’enlèvement.

[4] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. Dans une décision rendue le 11 mars 2022, la SAR a rejeté l’appel. La SAR était d’accord avec les demandeurs pour dire que la SPR avait commis une erreur en concluant que leurs témoignages n’étaient pas crédibles. Bien que la SAR ait convenu avec la SPR que le lien allégué par les demandeurs entre l’incident survenu au bureau des passeports et la tentative d’enlèvement était entièrement hypothétique, elle a conclu qu’il s’agissait non pas d’une question de crédibilité, mais plutôt d’une question d’insuffisance de la preuve produite par les demandeurs. Par conséquent, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés. Elle a également conclu que les demandeurs n’étaient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur profil de risque résiduel. En conséquence, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[5] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Ils soutiennent que la décision est déraisonnable à deux égards : premièrement, parce que la SAR a appliqué le mauvais critère en concluant qu’ils ne craignaient pas avec raison d’être persécutés; et, deuxièmement, parce que la SAR a fait fi ou n’a pas tenu compte d’éléments de preuve documentaire pouvant étayer les demandes d’asile des demandeurs fondées sur leur profil de risque résiduel.

[6] Comme je l’explique dans les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle à l’un ou l’autre de ces égards. La présente demande sera donc rejetée.

II. CONTEXTE

A. L’exposé circonstancié des demandeurs

[7] Les demandeurs ont vécu à Dubaï, aux Émirats arabes unis, pendant plus de 20 ans. Ils sont retournés souvent en Iraq, notamment en août 2018, pour aller rendre visite à la famille et renouveler leur passeport iraquien. Ils restaient avec des membres de leur famille dans le quartier Al-Mansour, à Bagdad.

[8] Le 12 août 2018, les demandeurs sont allés au bureau des passeports d’Al-Mansour à Bagdad pour vérifier le statut de leur passeport. Un agent a dit au demandeur principal que les passeports étaient prêts, mais il a ensuite commencé à le questionner au sujet de son travail et de son revenu à Dubaï. L’agent a dit au demandeur principal que, pour obtenir son passeport et celui de la codemanderesse, il devait lui offrir un cadeau de « remerciement ». L’agent a expliqué que, si quelqu’un voulait que quelque chose soit fait en Iraq, il devait verser un pot-de-vin. Le demandeur principal a refusé, accusant l’agent d’être corrompu, tout comme le gouvernement au pouvoir. L’agent a alors dit que le demandeur principal parlait comme un militant politique, qui avait été endoctriné par des pays sunnites comme les Émirats arabes unis, et que les gens comme lui qui vivent à l’étranger et qui reviennent pour causer des problèmes en Iraq doivent être arrêtés. Pendant cet échange, le demandeur principal a remarqué qu’un autre agent semblait enregistrer l’incident avec son téléphone. Finalement, les demandeurs ont pu récupérer leur passeport et ont quitté le bureau.

[9] Inquiets pour leur sécurité, les demandeurs ont décidé d’habiter ailleurs pendant le reste de leur séjour. Le 16 août 2018, le demandeur principal est retourné aux Émirats arabes unis. La codemanderesse est restée à Bagdad pour passer plus de temps avec ses sœurs.

[10] Le 2 septembre 2018, la codemanderesse et ses sœurs retournaient à la maison lorsqu’un VUS de couleur foncée s’est arrêté à côté d’elles. Un homme s’est précipité hors du véhicule en direction de la codemanderesse, lui a agrippé les mains et a tenté de la faire monter de force dans le véhicule. La codemanderesse et ses sœurs ont commencé à crier, ce qui a attiré l’attention de passants. L’agresseur est alors retourné dans le véhicule et a pris la fuite. La codemanderesse a décidé d’écourter sa visite et est retournée aux Émirats arabes unis deux jours plus tard.

[11] Selon le demandeur principal, après cet incident, il a communiqué avec un cousin, qui est un officier de l’armée iraquienne, pour voir s’il pouvait apprendre quoi que ce soit au sujet de l’agent des passeports. Le demandeur principal ne connaissait pas le nom de l’agent ni aucun autre renseignement personnel à son sujet, mais il a décrit à son cousin les caractéristiques physiques de l’homme et son rôle au sein du bureau. Le cousin a effectué des recherches et a découvert que l’agent avait des liens étroits avec l’AAH. Ce dernier est connu, a des liens avec des gens corrompus et est membre de la milice de l’AAH. Le demandeur principal en a déduit que l’AAH devait être responsable de la tentative d’enlèvement, compte tenu de qui s’était passé au bureau des passeports.

[12] L’emploi du demandeur principal aux Émirats arabes unis a pris fin le 31 mars 2020. En raison de la pandémie de COVID-19, les demandeurs sont restés aux Émirats arabes unis jusqu’en août 2020, quand ils ont pu partir pour le Canada.

B. La décision de la SPR

[13] La question déterminante pour la SPR était la crédibilité. La SPR a conclu que l’allégation des demandeurs portant que l’incident survenu au bureau des passeports et la tentative d’enlèvement étaient liés à l’AAH et/ou au gouvernement iraquien était [traduction] « purement hypothétique ». Bien que la SPR ait reconnu que les incidents se sont produits, elle n’a pas jugé crédible l’allégation portant qu’ils étaient liés à l’AAH ou au gouvernement. Bref, [traduction] « outre l’affirmation hypothétique des demandeurs d’asile, rien ne permet d’étayer l’allégation selon laquelle ces derniers ont présenté ou présenteront un intérêt pour l’AAH ou le gouvernement iraquien ». En outre, les demandeurs n’avaient corroboré d’aucune façon les liens allégués. Plus particulièrement, ils n’avaient fourni aucune preuve directe de la part du cousin du demandeur principal (le membre de l’armée iraquienne qui, selon les demandeurs, avait découvert un lien entre l’agent des passeports et l’AAH). La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient fait aucun effort raisonnable pour obtenir une preuve corroborante et n’avaient donné aucune explication raisonnable à cet égard. Par conséquent, l’absence de documentation corroborant les allégations au sujet du cousin du demandeur principal [traduction] « mine davantage la crédibilité des demandeurs d’asile ».

[14] La SPR a également tiré une conclusion défavorable du fait que les demandeurs n’ont pas demandé l’asile lorsqu’ils ont rendu visite à leur fils au Canada en août et en septembre 2019. Les demandeurs savaient que leur situation aux Émirats arabes unis n’était pas sûre et que, à un moment donné, ils seraient tenus de retourner en Iraq. Le fait qu’ils n’ont pas demandé l’asile au Canada plus tôt donne à penser qu’ils ne craignaient pas véritablement l’AAH ou le gouvernement de l’Iraq. Bien que cet élément à lui seul n’ait pas été important, [traduction] « compte tenu des autres doutes quant à la crédibilité des demandeurs d’asile, il mine davantage la crédibilité de ces derniers ».

[15] Enfin, la SPR a conclu que le profil de risque résiduel des demandeurs, soit le demandeur principal en tant que sunnite et les deux demandeurs en tant que ressortissants iraquiens revenant de l’étranger, ne les exposerait pas à un risque. En tirant cette conclusion, la SPR a souligné que des documents récents sur le pays (en particulier un rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni de janvier 2021 concernant les Arabes sunnites en Iraq) donnaient à penser que le simple fait d’être sunnite ne constituait pas, en soi, un motif justifiant l’octroi de l’asile.

C. L’appel des demandeurs devant la SAR

[16] Dans le cadre de leur appel, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait commis une erreur dans son évaluation de leur crédibilité concernant le lien entre l’AAH, le gouvernement iraquien et la tentative d’enlèvement. Selon les demandeurs, le fait que la codemanderesse ait été prise pour cible peu après l’incident survenu au bureau des passeports n’était pas une simple hypothèse. De façon plus générale, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait commis une erreur en concluant que le compte rendu des demandeurs était invraisemblable et en exigeant des éléments de preuve pour corroborer chaque élément de leur demande d’asile.

[17] En outre, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à leur crédibilité parce qu’ils n’ont pas demandé l’asile au Canada en 2019. Selon les demandeurs, compte tenu de l’emploi que le demandeur principal occupait depuis plus de 20 ans aux Émirats arabes unis, qui était leur unique source de revenus, il n’était pas déraisonnable pour eux de retourner là-bas après leur visite au Canada.

[18] Enfin, les demandeurs ont soutenu que la SPR n’avait pas évalué adéquatement l’incidence cumulative de l’identité musulmane sunnite du demandeur principal et de ses critiques franches à l’égard du gouvernement. De plus, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve pertinente sur les conditions dans le pays dans le contexte de leur profil de risque résiduel. De même, les demandeurs ont prétendu (en raison de nouveaux éléments de preuve) que la fiabilité du rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni sur lequel la SPR s’était appuyée avait été remise en question.

[19] Au soutien de leur appel, les demandeurs ont fourni deux nouveaux éléments de preuve. Le premier était une lettre non datée écrite à la main par le cousin du demandeur principal dans laquelle il décrivait ce qu’il avait appris au sujet de l’agent des passeports et des liens de celui-ci avec l’AAH. Entre autres choses, le cousin a confirmé que l’agent était chargé de planifier l’enlèvement de la codemanderesse afin de [traduction] « faire pression » sur le demandeur principal et finalement l’arrêter si le plan fonctionnait. L’autre nouvel élément de preuve était un communiqué de presse, daté du 3 juin 2021, concernant une décision récente du Tribunal supérieur (Chambre de l’immigration et du droit d’asile) du Royaume-Uni qui critiquait un rapport particulier du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni portant sur les demandeurs d’asile tamouls sri lankais.

D. La décision de la SAR

[20] La SAR a rejeté l’appel et a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[21] La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs. Les demandeurs ne contestent pas la présente décision relative au contrôle judiciaire.

[22] En ce qui concerne le bien-fondé de l’appel, la SAR a conclu que les demandeurs avaient établi leur crainte subjective de persécution en Iraq. La SAR a conclu qu’ils avaient produit des éléments de preuve crédibles et cohérents au sujet de l’incident survenu au bureau des passeports et de la tentative d’enlèvement. La SAR a reconnu la véracité de ces éléments de preuve, selon la prépondérance des probabilités. De plus, la SAR a convenu avec les demandeurs que la SPR avait commis une erreur en concluant que les éléments de preuve qu’ils avaient présentés au sujet du lien entre les deux incidents n’étaient pas crédibles.

[23] Néanmoins, la SAR a convenu avec la SPR que la croyance des demandeurs selon laquelle ils ont été pris pour cible par l’AAH et le gouvernement iraquien repose sur des conjectures et n’est pas suffisamment étayée par la preuve. En résumé, les éléments de preuve des demandeurs ne permettaient pas d’établir que l’incident survenu au bureau des passeports et la tentative d’enlèvement étaient liés. La SAR a conclu qu’il était plus probable que le contraire que la tentative d’enlèvement était une attaque aléatoire malheureuse.

[24] Enfin, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les éléments de preuve objectifs n’établissaient pas que les demandeurs étaient exposés à une possibilité sérieuse de persécution en Iraq en raison de leur profil de risque résiduel. En ce qui a trait aux éléments de preuve sur les conditions dans le pays (notamment le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni sur lequel s’est appuyée la SPR, ainsi qu’une version à jour du rapport), la SAR a conclu que le demandeur principal n’avait pas établi que son identité sunnite l’exposait à un risque. Bien que certains sunnites ayant un profil particulier « sont exposés à un risque élevé de préjudice », le demandeur principal n’était visé par aucun de ces profils (p. ex., le fait d’être associé à l’État islamique en Irak et en Syrie (l’EIIS) ou à l’État islamique en Irak et au Levant et d’être en âge de combattre). L’incident survenu au bureau des passeports n’était pas suffisant non plus pour établir que le demandeur principal avait un « profil de risque élevé » parce qu’il serait perçu comme un opposant au gouvernement. La SAR a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la codemanderesse était exposée à une possibilité sérieuse de persécution en raison de son mariage mixte.

III. NORME DE CONTRÔLE

[25] Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la décision de la SAR doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[26] Pour être jugée raisonnable, la décision « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). La cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid.). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve examinée par le décideur ni de modifier des conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Avant d’infirmer une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue qu’elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

IV. ANALYSE

A. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils craignent avec raison d’être persécutés?

[27] Comme il est mentionné plus haut, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que leur crainte de persécution future était objectivement fondée. Les demandeurs ne contestent pas la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’existence d’un lien entre l’incident survenu au bureau des passeports et la tentative d’enlèvement ou pour établir que les demandeurs seront pris pour cible par l’AAH ou le gouvernement iraquien parce qu’ils sont perçus comme des opposants politiques au gouvernement iraquien. Ils soutiennent cependant que la SAR a commis une erreur en évaluant leurs demandes d’asile fondées sur l’article 96 de la LIPR en se basant sur leur profil de risque, du fait qu’elle les a évaluées du point de vue de leur profil de « risque » et en se demandant s’ils étaient exposés à un « risque élevé de préjudice ». Selon les demandeurs, en procédant ainsi relativement à leurs demandes d’asile fondées sur l’article 96, la SAR a appliqué à tort un critère juridique qui s’applique uniquement aux demandes d’asile fondées sur l’article 97 de la LIPR.

[28] Je ne suis pas d’accord. La SAR a mentionné le critère relatif à la crainte fondée de persécution (la question de savoir si les demandeurs avaient établi, selon la prépondérance des probabilités, une possibilité sérieuse de persécution) à maintes reprises dans la décision. Je ne suis pas convaincu que la SAR appliquait un critère différent quand elle a conclu que le demandeur principal n’avait pas établi qu’il présentait un « profil de risque élevé ». Compte tenu du contexte de la décision dans son ensemble, il est clair qu’il s’agissait simplement d’une autre manière de dire que le demandeur principal n’avait pas établi que son profil faisait naître une possibilité sérieuse de persécution. Même si le terme « risque » ne figure qu’à l’article 97 de la LIPR et non pas également à l’article 96, à moins d’une autre indication qui donne à penser que le décideur n’a pas appliqué le critère approprié (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), la simple utilisation de ce terme relativement à une demande d’asile fondée sur l’article 96 ne mine pas le caractère raisonnable de la décision.

B. La SAR a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents?

[29] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en procédant à une analyse très sélective des éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation (le CND). Selon les demandeurs, la SAR n’a examiné que deux documents du CND pour arriver à la conclusion que les demandeurs ne sont pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution en Iraq en raison de leur profil de risque résiduel. Dans le cadre du contrôle, les demandeurs citent six éléments figurant dans le CND qui, affirment-ils, démontrent que les Arabes sunnites en Iraq sont victimes de violence et de mauvais traitements, qu’ils font l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires et qu’ils sont soupçonnés d’appuyer l’EIIS. Le fait que la SAR n’a pas traité des sources pouvant étayer la position des demandeurs mine le caractère raisonnable de sa décision de rejeter l’allégation relative à leur profil de risque résiduel.

[30] Pour les motifs exposés ci-après, je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur, comme le prétendent les demandeurs.

[31] Premièrement, les demandeurs affirment à tort que la SAR n’a tenu compte que de deux documents figurant dans le CND sur l’Iraq. En fait, la SAR cite six documents du CND. De plus, la SAR a mentionné trois des six documents que les demandeurs invoquent dans le cadre du contrôle.

[32] Deuxièmement, en appel devant la SAR, les demandeurs, à l’appui de leur prétention selon laquelle la SPR avait examiné de façon sélective les éléments de preuve figurant dans le CND, n’ont cité qu’un seul des six éléments de preuve qu’ils en invoquent maintenant en contrôle judiciaire. C’est devant la SAR, et non devant la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire, que les demandeurs devaient faire valoir leur argument en se fondant sur ces documents.

[33] Troisièmement, les demandeurs citent six éléments du CND à l’appui de leur observation selon laquelle la SAR a examiné le CND de façon sélective. Ces documents totalisent plus de 700 pages. Dans leurs observations écrites, les demandeurs n’ont pas relevé de citations précises qui, selon eux, constitueraient des parties importantes de ces documents. Ce manque de précision n’a pas joué en leur faveur.

[34] Quatrièmement, même s’ils ont ajouté quelques renvois précis lors de la plaidoirie, les demandeurs n’ont pas relevé, dans ces documents à l’appui, de parties dont l’importance à l’égard de leur allégation relative au profil de risque résiduel serait telle que le défaut de la SAR d’en traiter minerait le caractère raisonnable de la décision. Au contraire, les renseignements figurant dans les rapports sur lesquels les demandeurs s’appuient maintenant sont parfaitement compatibles avec l’analyse et les conclusions de la SAR.

[35] En résumé, la SAR a rejeté l’allégation relative au profil résiduel formulée par le demandeur principal parce qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur principal présentait un profil qui ferait naître une crainte fondée de persécution. Les demandeurs n’ont pas établi que la conception par la SAR des types de profils qui donneraient lieu à une crainte fondée de persécution chez les musulmans sunnites en Iraq est déraisonnable compte tenu des éléments de preuve sur les conditions dans le pays. Ils n’ont pas établi non plus que la SAR n’avait pas déraisonnablement fait fi d’aspects pertinents du profil du demandeur principal. Par conséquent, il n’y a pas lieu de modifier la conclusion de la SAR de rejeter l’allégation relative au profil de risque résiduel.

V. CONCLUSION

[36] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[37] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3203-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3203-22

 

INTITULÉ :

SAAD JAAFAR SAL SALMAN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 mars 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Emmanuel Abitbol

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grice & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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