Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230314


Dossier : T-386-21

Référence : 2023 CF 345

[TRADUCTION FRANÇAISE

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

2572495 ONTARIO INC.

 

demanderesse

et

VACUUM SPECIALISTS (1985) LTD., SAM AKL ET MOE HAMADIYA

 

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demanderesse, 2572495 Ontario Inc., qui exerce ses activités sous la raison sociale Vacuum Parts Canada (VPC), a déposé une requête en injonction interlocutoire pour que les défendeurs cessent de copier ses photos ou d’utiliser sa marque de commerce « VPC » ou son nom commercial « Vacuum Parts Canada ».

[2] VPC et les défendeurs, Vacuum Specialists (1985) Ltd. et Mohammad Hamadiya (ci‑après collectivement VS ou la défenderesse) [la requête en injonction interlocutoire de VPC ne vise pas Sam Akl, l’autre défendeur nommé] vendent des pièces d’aspirateur, notamment des composantes d’un système d’aspirateur central à usage résidentiel. Les parties annoncent et vendent leurs produits sur Amazon.ca, une plateforme de commerce en ligne qui permet à quiconque de chercher des produits et de les acheter sans avoir à se rendre en magasin.

[3] La demanderesse soutient que la défenderesse usurpe sa marque de commerce en [traduction] « associant » ses produits aux pages de produits de la demanderesse sur Amazon.ca, ce qui a pour effet de lier faussement la marque de commerce VPC aux produits vendus par la défenderesse. La demanderesse allègue également que la défenderesse viole ses droits d’auteur, car elle a copié ses annonces publicitaires, y compris des photos et des descriptions de produits. VPC affirme que les activités de la défenderesse lui coupent l’herbe sous le pied et lui cause un préjudice irréparable. Par conséquent, la demanderesse sollicite une injonction pour que cesse cette activité d’usurpation jusqu’à l’audience sur le fond.

[4] Pour les motifs qui suivent, la requête de la demanderesse sera rejetée.

II. Contexte

[5] Comme la présente affaire pourrait faire l’objet d’une audience sur le fond, mon résumé est bref. Il vise à fournir suffisamment de contexte pour que je puisse bien analyser la requête en injonction interlocutoire, sans toutefois me prononcer sur le fond de la demande.

[6] L’activité principale de VPC consiste en la vente en ligne, notamment sur Amazon.ca, de pièces et d’accessoires d’aspirateur. La preuve révèle que VPC vend des pièces à l’unité et en paquets préemballés. La personne qui désire remplacer une partie ou la totalité des accessoires de son système d’aspirateur central peut acheter auprès de VPC une seule composante ou encore un ensemble d’accessoires que VPC assemble et vend en paquets.

[7] Amazon comporte diverses caractéristiques qui, selon ses dirigeants, avantagent tant les vendeurs que les consommateurs, dont un système de classement des produits en fonction du volume de ventes. VPC affirme que ses produits figurent parmi les mieux cotés et que l’un d’eux est l’ensemble d’accessoires d’aspirateur le plus vendu au Canada sur Amazon.ca. VPC dit offrir une solide garantie pour ses produits et s’être bâti une entreprise florissante et une excellente réputation, en grande partie grâce à ses ventes sur Amazon.ca.

[8] VPC affirme qu’elle respecte les règles fixées par Amazon.ca pour les vendeurs qui utilisent la plateforme. Lorsqu’un nouveau produit est offert en vente sur sa plateforme, Amazon lui assigne un identifiant de produit unique, appelé Amazon Standard Identification Number (ASIN). Les autres vendeurs peuvent associer leurs produits à un ASIN existant s’ils proposent un produit identique. Il semble que la politique d’Amazon exige une telle association, sans doute pour éviter le dédoublement inutile d’inscriptions de produits identiques sur sa plateforme.

[9] Si les produits ne sont pas identiques, les vendeurs doivent demander leur propre ASIN pour leurs produits.

[10] VPC affirme qu’en mars 2019, VS a commencé à publier des annonces sur Amazon visant à offrir les mêmes produits que ceux offerts par VPC, mais à des prix moins élevés. Après que l’avocat de VPC ait envoyé des mises en demeure à VS, celle‑ci a mis fin à cette pratique. Toutefois, VPC affirme qu’en février 2021, elle a remarqué ce qu’elle considère comme un [traduction] « effort concerté » de la part de VS pour cibler les produits de VPC sur Amazon, en associant ses produits à ceux de VPC et en les offrant à meilleur prix. VPC affirme que le nombre total peut varier quotidiennement, mais qu’au moment du dépôt de ses documents en l’espèce, VS associait ses produits à environ 60 pages de produits de VPC. Par ailleurs, VPC soutient que VS semble avoir établi sa structure de prix de façon à ce que ses prix soient automatiquement inférieurs à ceux d’environ 55 de ces produits et égaux à ceux des cinq autres.

[11] VPC affirme que, en agissant ainsi, VS lui fait perdre des ventes et cause vraisemblablement de la confusion sur le marché, car les consommateurs ne savent pas que, même s’ils consultent des pages de produits montrant des pièces d’aspirateur de marque VPC, la commande sera en réalité honorée par VS. VPC fait remarquer que, lorsque VS s’associe à ses pages de produits, la seule différence est qu’une petite boîte de texte s’affiche dans la partie de la page où figure l’information relative à l’achat (juste en‑dessous des boutons d’achat jaunes « Ajouter au panier » et « Acheter maintenant »), indiquant que le produit sera livré par VS. VPC affirme qu’il arrive souvent que les consommateurs ne remarquent pas ce détail parce qu’ils sont concentrés sur les images et le texte détaillant le produit qu’ils achètent.

[12] VPC affirme que ces activités d’usurpation entachent grandement sa réputation, car elle n’a aucun contrôle sur la nature ou la qualité des produits que vend VS. Elle ajoute avoir reçu une plainte de la part d’un consommateur qui lui avait demandé de régler des problèmes concernant un produit qui avait en fait été vendu par VS.

[13] La défenderesse, VS, vend aussi des pièces et des accessoires d’aspirateur sur Amazon.ca et Bestbuy.ca, ainsi que dans trois magasins dans la région de Calgary, en Alberta. Elle exerce ses activités depuis les années 1970 et s’est constituée en société en 1985.

[14] VS reconnaît qu’elle a associé ses offres aux pages de produits de VPC sur Amazon, mais affirme qu’elle l’a fait simplement pour respecter la politique d’Amazon. Elle affirme que VPC associe elle aussi ses pages de produits sur les plateformes en ligne d’Amazon et de Best Buy. VS soutient que les deux entreprises en l’espèce se spécialisent dans le marché très concurrentiel de la vente d’accessoires et de pièces d’aspirateur, et que VPC tente de freiner la concurrence en invoquant ses droits de propriété intellectuelle précaires.

[15] En ce qui concerne l’association de ses produits, VS renvoie à la politique d’Amazon sur la propriété intellectuelle, qui permet expressément aux vendeurs d’associer leurs offres aux pages de produits existantes : « D’autres vendeurs peuvent proposer leurs offres sur les pages auxquelles vous avez ajouté vos images protégées par des droits d’auteur, y compris si vous ne vendez plus le produit en question. »

[16] En ce qui concerne l’alignement des prix, VS renvoie également aux politiques et pratiques d’Amazon, qui permettent aux autres vendeurs d’offrir des produits à un prix inférieur, tant que ce prix n’est pas sous le [traduction] « prix annoncé minimal » ou le [traduction] « PAM » du fournisseur. Elle indique qu’Amazon offre aux vendeurs le choix d’utiliser une fonction d’alignement des prix, grâce à laquelle tous les vendeurs liés au même ASIN sont avisés lorsqu’un autre vendeur réduit le prix de ce produit. Ainsi, tous les vendeurs peuvent décider de réduire le prix du produit en conséquence.

[17] VS affirme que toutes ses activités respectent les politiques d’Amazon et que VPC ne peut pas se plaindre, car elle a accepté de se conformer à ces mêmes politiques lorsqu’elle a commencé à utiliser la plateforme.

[18] De plus, VS indique que les allégations de VPC selon lesquelles elle usurpe sa marque de commerce et viole ses droits d’auteurs sont invalides ou peu étayées. Il n’est pas nécessaire d’examiner ces arguments pour trancher la présente requête en injonction interlocutoire.

III. Question en litige

[19] La seule question en litige à cette étape consiste à savoir s’il est juste et équitable d’accorder l’injonction interlocutoire que VPC sollicite contre VS.

IV. Analyse

[20] Le critère à trois volets bien connu qui s’applique aux requêtes en injonction interlocutoire a récemment été résumé par la Cour suprême du Canada au paragraphe 12 de l’arrêt R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 [SRC] :

À la première étape, le juge de première instance doit procéder à un examen préliminaire du bien‑fondé de l’affaire pour décider si le demandeur a fait la preuve de l’existence d’une « question sérieuse à juger », c’est‑à‑dire que la demande n’est ni futile ni vexatoire. À la deuxième étape, le demandeur doit convaincre la cour qu’il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction est rejetée. Enfin, à la troisième étape, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée.

[Notes de bas de page omises.]

[21] Les trois éléments du critère sont cumulatifs, mais la force d’un facteur peut compenser la faiblesse d’un autre (voir Monsanto c Canada (Santé), 2020 CF 1053 au para 50 [Monsanto]). Il est important de se rappeler qu’une injonction interlocutoire est une mesure de redressement en equity et qu’il convient de conserver une certaine latitude afin que la mesure puisse être efficace lorsqu’elle est nécessaire à la prévention d’un risque de préjudice imminent en attendant une décision sur le fond du litige. C’est ce que la Cour suprême du Canada a réaffirmé au paragraphe 1 de l’arrêt Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34, où elle a souligné qu’« [e]n définitive, il s’agit de déterminer s’il serait juste et équitable d’accorder l’injonction eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire ».

[22] Comme la discussion qui suit le fait ressortir, je ne peux conclure qu’il serait juste et équitable d’accorder l’injonction sollicitée par VPC, en grande partie parce que cette dernière n’a pas satisfait aux deux premiers volets du critère (la question sérieuse à juger et le préjudice irréparable).

A. Question sérieuse à juger

[23] Dans la plupart des affaires d’injonction interlocutoire, le seuil de la « question sérieuse à juger » n’est pas très élevé; on le résume souvent en disant que le juge doit simplement procéder à un examen préliminaire de l’affaire pour s’assurer que la demande n’est « ni futile ni vexatoire » (RJR – MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la p 337 [RJR – MacDonald]). Il y a des exceptions, par exemple lorsque l’injonction interlocutoire donnerait lieu à la même réparation que celle qui est demandée au procès, de sorte que l’accorder aura « pour effet d’imposer à une partie un tel préjudice qu’il n’existe plus d’avantage possible à tirer d’un procès » (RJR – MacDonald, à la p 338; Monsanto, aux para 44 et 56).

[24] Dans l’arrêt SRC, la Cour suprême du Canada a conclu que, lorsqu’une injonction interlocutoire mandatoire est sollicitée, la question à trancher est celle de savoir si la personne qui présente la demande a établi une forte apparence de droit. Elle a décrit l’injonction mandatoire de la façon suivante au paragraphe 15 :

Une injonction mandatoire intime au défendeur de faire quelque chose — comme de rétablir le statu quo —, ou d’autrement [traduction] « restaurer la situation », ce qui est souvent coûteux et pénible pour le défendeur et ce que de longue date l’equity a été réticente à faire.

[Renvois omis.]

[25] Dans l’arrêt SRC, la Cour suprême a décrit au paragraphe 17 ce qu’on entend par établir « une forte apparence de droit » :

Toutes ces formulations ont en commun d’imposer au demandeur le fardeau de présenter une preuve telle qu’il serait très susceptible d’obtenir gain de cause au procès. Cela signifie que, lors de l’examen préliminaire de la preuve, le juge de première instance doit être convaincu qu’il y a une forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, le demandeur réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance.

[26] Les parties ne s’entendent pas sur le critère à appliquer en l’espèce. La demanderesse soutient qu’elle cherche simplement à rétablir la situation telle qu’elle était avant que VS commence à redoubler d’efforts pour associer ses offres aux pages de produits de VPC et pour couper ses prix. Elle soutient qu’elle sollicite une ordonnance très ciblée, qui vise uniquement à empêcher VS de continuer à associer ses produits aux siens; elle ne cherche pas à empêcher VS d’annoncer ses propres produits sur Amazon en utilisant son propre ASIN.

[27] En revanche, VS affirme que VPC sollicite une injonction interlocutoire mandatoire, car elle demande à la Cour de rendre une ordonnance contraignant VS à prendre une mesure concrète, c’est‑à‑dire dissocier toutes les pages de produits qui sont associées à celles de VPC pour les produits qui ont le même ASIN.

[28] Bien que la question soulève des doutes, l’argument de la défenderesse est convaincant. J’estime que l’ordonnance sollicitée par VPC s’apparente en quelque sorte à l’injonction demandée dans l’arrêt SRC, qui a été jugée mandatoire.

[29] Dans cette affaire, la Couronne avait sollicité une ordonnance intimant à la SRC de retirer deux articles au sujet d’une affaire pénale qui avaient été publiés avant qu’une interdiction de publication soit prononcée. La SRC était d’avis qu’il s’agissait d’une injonction interlocutoire mandatoire parce que l’ordonnance l’obligerait à prendre des mesures concrètes pour retirer les renseignements de son site Web. La Cour suprême a souscrit à cet avis : « […] en l’espèce, cesser de diffuser les renseignements établissant l’identité de la victime requerrait qu’un employé de la SRC prenne les mesures nécessaires pour retirer ces renseignements du site Web de l’entreprise. » (SRC, au para 16.)

[30] La Cour suprême a souligné qu’il était nécessaire de regarder au‑delà des formalités du libellé de la demande sollicitant l’ordonnance « de manière à déceler l’essence de ce qui est recherché et, à la lumière des circonstances particulières de l’affaire, à déterminer [TRADUCTION] “quelles risquent d’être les conséquences pratiques de l’injonction” » (SRC, au para 16).

[31] Appliquant cette approche à l’affaire dont je suis saisi, je conclus que l’ordonnance sollicitée par VPC aurait pour effet d’obliger VS à supprimer le lien qui associe ses offres aux pages de produits de VPC. La preuve révèle que ces liens existaient au moment de l’audition de la demande, et rien n’indique qu’ils ont été supprimés dans l’intervalle. Pour se conformer à l’ordonnance sollicitée par VPC, VS devrait manifestement faire quelque chose et non s’abstenir de faire quelque chose; l’ordonnance est donc mandatoire : SRC, au para 16.

[32] En ce qui concerne la preuve et les arguments relatifs au premier volet du critère, je ne suis pas convaincu, au vu du dossier limité dont je dispose, que VPC a établi une forte apparence de droit, c’est‑à‑dire « une forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, [elle] réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans [sa demande] » (SRC, au para 17, en italique dans l’original).

[33] En clair, j’estime que les deux parties ont des arguments valables. VPC a probablement raison de dire que les consommateurs qui commandent des produits sur une page Amazon présentant des pièces d’aspirateur emballées dans des boîtes sur lesquelles la marque VPC est apposée ne remarqueront peut‑être pas que les produits commandés sont en réalité expédiés par VS. Une confusion pourrait en découler. Il semblerait aussi que VS a « copié-collé » sur ses propres pages les renseignements figurant sur les pages de produits de VPC, bien que, d’après ce que je comprends, il s’agirait d’une erreur qui se serait produite à quelques reprises seulement.

[34] D’un autre côté, VS n’a pas tort d’invoquer la politique d’Amazon sur la propriété intellectuelle et les autres politiques et pratiques auxquelles les parties ont consenti pour vendre leurs produits sur cette plateforme.

[35] À cette étape, je tiens à souligner que je ne me prononce pas définitivement sur le bien‑fondé des allégations des deux parties ni sur la solidité de la preuve qu’elles ont présentée. Cette décision reviendra au juge de première instance, si l’affaire fait l’objet d’une audience sur le fond. Je ne fais que tirer des conclusions à cette étape préliminaire de l’instance, au vu de la preuve et des observations des parties.

[36] À la lumière de ce qui précède, je ne peux pas conclure que la demanderesse a établi une forte apparence de droit, selon ce qu’exige le critère applicable aux injonctions interlocutoires mandatoires énoncé dans l’arrêt SRC.

B. Préjudice irréparable

[37] L’expression « préjudice irréparable » fait référence à la nature du préjudice plutôt qu’à son étendue ou sa portée; ce préjudice est généralement décrit comme un préjudice auquel il ne peut être remédié ou pour lequel un dédommagement adéquat ne peut être obtenu (RJR – MacDonald, à la p 341). Ce préjudice ne peut être fondé sur de simples conjectures et doit être établi au moyen d’éléments de preuve suffisamment probants : Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 31; Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 aux para 15‑16; Newbould c Canada (Procureur général), 2017 CAF 106 aux para 28‑29. En outre, la preuve doit démontrer qu’il est fort probable, et non simplement possible, que le préjudice se produise. Les circonstances de chaque affaire influeront évidemment sur la conclusion : voir l’analyse dans Letnes c Canada (Procureur général), 2020 CF 636 aux para 49‑58.

[38] VPC affirme, pour plusieurs raisons, qu’elle subira un préjudice irréparable si l’injonction interlocutoire n’est pas accordée. Tout d’abord, la défenderesse pourrait ne pas être en mesure de quantifier les ventes qu’elle a réalisées grâce à ses activités d’usurpation. Ensuite, les réductions de prix de VS, combinées à la politique de prix d’Amazon qui empêchera VPC d’augmenter ses prix si elle a gain de cause, ont pour effet d’affaiblir de façon permanente la structure de prix de cette dernière. Enfin, la réputation de VPC est entachée et ses produits perdent leur caractère distinctif sur le marché. VPC met également en doute la capacité de VS à payer des dommages‑intérêts après l’audience sur le fond, car elle vend ses produits à prix réduit.

[39] Je ne suis pas convaincu que VPC a démontré, au moyen d’éléments de preuve suffisamment probants, qu’elle subira un préjudice irréparable, comme l’exige la Cour d’appel fédérale.

[40] Pour ce qui est de la question des volumes de ventes, je reconnais que le témoignage de la défenderesse était plutôt vague quant à sa capacité de faire le suivi des ventes des produits qu’elle a associés aux pages de produits de VPC, mais ce témoignage a eu lieu à une étape très préliminaire du litige. La défenderesse est une entreprise établie depuis longtemps et visiblement prospère, et elle exerce ses activités tant dans des magasins traditionnels qu’en ligne. Il est raisonnable de déduire qu’elle est dotée de systèmes de comptabilité et de suivi pouvant générer ce genre de données qui pourront être présentées lors de l’audience sur le fond. De plus, la preuve révèle qu’Amazon exploite une plateforme en ligne sophistiquée, et puisque les seules ventes en cause sont celles qui ont été réalisées à l’aide de la plateforme d’Amazon, les renseignements au sujet de ces ventes seront vraisemblablement disponibles.

[41] La preuve sur la structure de prix d’Amazon et sur la possibilité qu’elle empêche VPC d’augmenter ses prix si cette dernière a finalement gain de cause est partagée. Les deux parties ont présenté des observations au sujet des politiques et des pratiques, mais aucune preuve ne démontre de façon claire ou convaincante qu’Amazon pourrait empêcher ou empêcherait VPC d’augmenter ses prix si elle décidait de le faire à l’issue de l’audience sur le fond.

[42] La preuve d’une atteinte à la réputation de VPC n’est pas convaincante. Il semble que certains consommateurs se soient plaints, dont un consommateur mécontent qui avait acheté l’un des accessoires d’aspirateur de VS et avait publié une mauvaise critique dans la section des commentaires sur une page d’Amazon liée à VPC. Toutefois, VS affirme que ce commentaire visait le produit, et non le vendeur.

[43] VS renvoie à des éléments de preuve qui démontrent que VPC a reçu des évaluations très favorables de la part de consommateurs. Elle ajoute que leur nombre a peut‑être même augmenté après qu’elle ait commencé à associer ses produits aux pages de produits de VPC. VPC n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que les activités de VS auraient eu un quelconque effet négatif important sur sa réputation, hormis les craintes et préoccupations qu’elle a exprimées – que j’estime authentiques, même si elles n’ont pas été établies par des éléments de preuve.

[44] Enfin, VPC dit craindre que VS, puisqu’elle réduisait ses prix, ne serait pas en mesure de verser les dommages‑intérêts qui pourraient être accordés à l’issue de l’audience sur le fond. Elle renvoie à la décision Arysta Lifescience North America, LLC c Agracity Crop & Nutrition Ltd., 2019 CF 530 [Arysta Lifescience].

[45] Je n’en suis pas convaincu. Tout d’abord, VS exerce ses activités depuis de nombreuses années, tant dans des magasins traditionnels qu’en ligne. VPC dit craindre l’effet des réductions de prix sur les résultats nets de la défenderesse, mais n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui. Compte tenu de la preuve concernant l’historique et la viabilité financière de VS, il n’y a aucune raison de tirer une conclusion négative du fait que cette dernière choisit de vendre certains produits à un prix inférieur à celui que VPC a fixé pour ses produits.

[46] J’estime également que la décision Arysta Lifescience ne s’applique pas en l’espèce. Dans cette affaire, une lacune dans la preuve avait soulevé des questions quant à savoir si la société assujettie à l’ordonnance était une entreprise solide (voir les paragraphes 47‑52). Aucune préoccupation du genre n’est soulevée en l’espèce.

[47] Pour tous ces motifs, je ne peux pas conclure que VPC a démontré qu’il est porté atteinte à sa réputation de telle sorte que la prise d’une mesure interlocutoire serait justifiée. Si elle peut établir une atteinte à sa réputation ou à la valeur de sa marque sur le marché lors de l’audience sur le fond, VPC pourra alors demander un dédommagement à cet égard.

C. Prépondérance des inconvénients

[48] À la troisième étape, « il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée » (SRC, au para 12). L’expression souvent utilisée est « prépondérance des inconvénients » (RJR – MacDonald, à la p 342). Les facteurs à prendre en compte dans l’évaluation de ce volet du critère sont nombreux et varient selon les circonstances de chaque affaire; c’est à cette étape que les considérations d’intérêt public peuvent entrer en jeu (RJR – MacDonald, aux p 342‑343).

[49] Compte tenu de mes conclusions à l’égard des deux premiers volets du critère, et en l’absence de preuve d’un autre facteur prédominant qui serait suffisant pour faire pencher la balance en faveur de VPC, je conclus que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de VS en l’espèce.

V. Conclusion

[50] Pour les motifs qui précèdent, je ne saurais conclure qu’il est juste et équitable d’accorder l’injonction interlocutoire sollicitée par VPC, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce. À première vue, il semble que les deux parties au litige aient des arguments valables sur le fond, qui pourront être examinés à l’audience sur le fond. De plus, VPC n’a pas établi, au moyen d’éléments de preuve suffisamment probants, qu’elle subira un préjudice irréparable si l’ordonnance n’est pas prononcée.

[51] Par conséquent, la requête en injonction interlocutoire de la demanderesse est rejetée.

[52] Il reste à examiner la question des dépens. La demanderesse soutient qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés relativement à la requête, et que cette question devrait plutôt être laissée au juge du procès. La défenderesse n’est pas de cet avis et fait valoir qu’il est normal que des dépens soient adjugés dans des affaires d’injonction interlocutoire. Les parties ont eu le temps de discuter de la possibilité de présenter des observations conjointes sur les dépens, mais n’ont pas été en mesure de s’entendre.

[53] Dans les circonstances, et en vertu du paragraphe 401(1) des Règles des Cours fédérales (les Règles), je conclus qu’il y a lieu d’adjuger les dépens, et il n’y a aucune raison de déroger à la pratique habituelle selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause. Par conséquent, la demanderesse verse à la défenderesse des dépens calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif, conformément à l’article 407 des Règles. Si les parties ne s’entendent pas sur une somme, elles peuvent présenter, dans les dix (10) jours suivant la présente ordonnance, de brèves observations d’au plus trois (3) pages, excluant le projet de mémoire de dépens, pour expliquer leur thèse respective.


ORDONNANCE dans le dossier T-386-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en injonction interlocutoire de la demanderesse est rejetée.

  2. La demanderesse verse à la défenderesse des dépens calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif. Si les parties ne s’entendent pas sur la somme, elles peuvent présenter, dans les dix (10) jours suivant la présente ordonnance, des observations d’au plus trois (3) pages, excluant le projet de mémoire de dépens.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karyne St-Onge, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-386-21

INTITULÉ :

2572495 ONTARIO INC. c VACUUM SPECIALISTS (1985) LTD., SAM AKL ET MOE HAMADIYA

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 mai 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 14 mars 2023

COMPARUTIONS :

James Wagner

Alistair Forster

POUR LA DEMANDERESSE

Elizabeth S. Dipchand

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silvergate Law

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Dipchand LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.