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Date : 20231011


Dossier : T‑952‑22

Référence : 2023 CF 1356

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 11 octobre 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

FARHAT J. KHALID

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Farhat J. Khalid [la demanderesse] a demandé la prestation canadienne de relance économique [la PCRE] pour 28 périodes de deux semaines comprises entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021, et a reçu la PCRE pour 18 périodes de deux semaines comprises entre le 27 septembre 2020 et le 5 juin 2021.

[2] Le 18 octobre 2021, l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a informé la demanderesse qu’elle n’était pas admissible à la PCRE pour les périodes demandées, soit du 27 septembre 2020 au 23 octobre 2021 [la première décision].

[3] Le 25 octobre 2021, la demanderesse a sollicité un examen de la première décision. Un autre agent de l’ARC [l’agent] a procédé à un deuxième examen de la demande de PCRE. Le 11 avril 2022, il a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE [la deuxième décision] parce qu’elle n’avait pas fourni suffisamment de documents pour démontrer que ses revenus provenant d’un emploi ou d’un travail exécuté pour son compte s’élevaient à au moins 5 000 $ en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle elle a présenté sa demande [les conditions d’admissibilité].

[4] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la deuxième décision au motif que l’agent n’a pas tenu compte du revenu qu’elle tire d’un logement annoncé sur Airbnb. Pour les motifs exposés ci‑après, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Questions préliminaires

[5] Trois questions préliminaires ont été soulevées. Premièrement, le défendeur qu’il convient de désigner est le procureur général du Canada et non l’ARC. L’intitulé sera modifié en conséquence.

[6] Deuxièmement, le défendeur a déposé une version caviardée du dossier de demande [le dossier] afin de protéger les renseignements personnels et confidentiels de la demanderesse. J’ordonnerai au greffier de remplacer le dossier déposé par la demanderesse par la version caviardée déposée par le défendeur.

[7] Troisièmement, le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait pas tenir compte des éléments de preuve supplémentaires présentés par la demanderesse, car ils n’étaient pas à la disposition de l’agent. Les éléments de preuve supplémentaires sont les suivants :

  • pièce B : lettre de la demanderesse adressée à l’ARC, datée du 7 mai 2022;

  • pièce C : avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2019, daté du 10 mai 2022;

  • pièce D : état des résultats des activités d’une entreprise, daté du 23 avril 2022.

[8] Comme l’a fait observer le défendeur, la Cour devrait tenir compte des nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas à la disposition du décideur seulement lorsque ces nouveaux éléments 1) contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; 2) portent à l’attention de la Cour des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve; et 3) font ressortir l’absence de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright] au para 20.

[9] Les pièces en question sont postérieures à la deuxième décision. La demanderesse n’a pas établi que les exceptions mentionnées dans la l’arrêt Access Copyright pourraient s’appliquer en l’espèce. Je juge donc que les pièces B, C et D joints à l’affidavit de la demanderesse sont inadmissibles.

III. Analyse

A. Cadre législatif

[10] La loi habilitante de la PCRE est la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la Loi].

[11] Selon l’article 3 de la Loi, pour être admissible à la PCRE, une personne doit :

  • dans le cas d’une demande présentée à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2020, avoir touché des revenus qui s’élevaient à au moins cinq mille dollars provenant d’un emploi ou d’un travail qu’elle a exécuté pour son compte, pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle a présenté sa demande (art 3(1)d) de la Loi);

  • dans le cas d’une demande présentée à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2021, avoir touché des revenus qui s’élevaient à au moins cinq mille dollars provenant d’un emploi ou d’un travail qu’elle a exécuté pour son compte, pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle a présenté sa demande (art 3(1)e) de la Loi).

[12] Les sous-alinéas 3(1)d)(i) à 3(1)d)(iv) de la Loi précisent que les revenus, pour qu’ils soient pris en compte dans l’évaluation de l’admissibilité à la PCRE, doivent provenir d’un emploi, d’un travail que la personne exécute pour son compte ou de certaines allocations et prestations gouvernementales prévues par la Loi.

[13] Les agents de l’ARC s’appuient également sur un document intitulé « Confirmation de l’admissibilité à la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE), et à la Prestation canadienne de la relance économique pour proches aidants (PCREPA), et à la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique (PCMRE) » [les lignes directrices de l’ARC] pour déterminer si une personne est admissible à la PCRE. Il y est expressément indiqué que « [l]e revenu de pension, [le] revenu de location, l’aide sociale et l’indemnisation des accidents du travail ne comptent pas comme un “revenu d’emploi” ou de “travail indépendant” » [non souligné dans l’original, caractère gras ajouté].

B. La décision est raisonnable

[14] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]), soit une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse : Vavilov, aux para 12‑13. Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou toutes les préoccupations à l’égard d’une décision qui justifient une intervention.

[15] La demanderesse affirme qu’en 2019, elle a touché un revenu total de 10 361 $ provenant d’un bien locatif ainsi qu’un revenu de 5 490,42 $ provenant d’un travail exécuté pour son compte à partir de la plateforme Airbnb. Elle mentionne qu’elle a déclaré par erreur son revenu tiré d’Airbnb à titre de revenu de location, mais que cette erreur a ensuite été corrigée. Par conséquent, elle soutient que ses revenus s’élevaient à plus de 5 000 $, ce qui était conforme aux conditions d’admissibilité.

[16] Après avoir examiné les déclarations de revenus de la demanderesse pour les années d’imposition 2019 et 2020 ainsi que les autres documents qu’elle avait déposés, l’agent a conclu qu’elle n’était pas admissible à la PCRE, puisque ses revenus provenant d’un emploi ou d’un travail exécuté pour son compte étaient de 0 $ en 2019 comme en 2020.

[17] L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment de documents pour démontrer qu’elle répondait aux conditions d’admissibilité et que le revenu de location tiré d’Airbnb n’était pas une source de revenu admissible aux fins de la PCRE.

[18] La demanderesse soutient que l’ARC n’a pas pu tenir compte de l’avis de nouvelle cotisation de 2019, daté du 10 mai 2022, qui montre que son revenu d’entreprise ou tiré d’un travail exécuté pour son compte s’élevait à 5 480 $. Elle fait aussi valoir qu’elle a informé l’ARC, dans sa demande visant à obtenir un deuxième examen, que son revenu tiré d’une entreprise ou d’un travail exécuté pour son compte, c’est‑à‑dire celui tiré d’Airbnb, s’élevait à 5 040 $ pour l’année 2019.

[19] Enfin, la demanderesse avance qu’il s’agissait d’une situation d’urgence sans précédent, que la réglementation n’était pas clairement définie à ce moment‑là et que les sources de revenus admissibles étaient imprécises.

[20] À l’audience, la demanderesse a affirmé qu’avant 2019, elle déclarait son revenu de location et celui tiré d’Airbnb ensemble, car elle ne savait pas qu’elle devait déclarer ce dernier séparément. Après s’être rendu compte de son erreur, elle a immédiatement commencé à déclarer le revenu tiré d’Airbnb séparément. Elle a aussi rappelé qu’elle avait fourni à l’ARC l’état des résultats montrant que son revenu tiré d’Airbnb s’élevait à plus de 5 000 $, mais que l’agent n’en avait pas tenu compte.

[21] Je conclus que les observations de la demanderesse ne révèlent aucune erreur susceptible de contrôle dans la deuxième décision. La demanderesse s’oppose simplement à la conclusion de l’agent selon laquelle le revenu tiré d’Airbnb n’est pas un revenu admissible.

[22] Dans le rapport du deuxième examen, l’agent a indiqué avoir reçu les documents que la demanderesse avait déposés avec sa demande de révision. Il a souligné que ces documents étaient des [traduction] « copies des déclarations de revenus de 2019 et de 2020 montrant le sommaire de son revenu de location associé au revenu tiré d’Airbnb ». Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, l’agent a bien tenu compte de sa lettre datée du 25 octobre 2021 et de l’état de son revenu de location pour l’année 2019 avant de conclure que le revenu tiré d’Airbnb n’était pas admissible aux fins de la PCRE.

[23] Le défendeur soutient – et je suis d’accord avec lui – que l’agent s’est appuyé sur le dossier de preuve et les observations de la demanderesse afin de rendre la deuxième décision. Rien n’indique que l’agent s’est mépris sur un élément important du dossier de preuve ou sur une observation de la demanderesse ou qu’il n’en a pas tenu compte.

[24] À l’audience, la demanderesse a fait valoir qu’elle ne connaissait pas le fonctionnement de la PCRE au moment d’en faire la demande et qu’aucune réglementation concernant le calcul des revenus n’était alors en place. Elle a ajouté que la réglementation est entrée en vigueur soudainement et que des milliers de personnes se sont retrouvées prises au piège, car elles devaient désormais rembourser la somme reçue au titre des prestations. La demanderesse a également fait remarquer que, contrairement au gouvernement canadien, les gouvernements d’autres pays comme les États-Unis et le Royaume‑Uni n’ont jamais imposé de telles conditions d’admissibilité.

[25] Je suis sensible à la situation de la demanderesse, mais il ne m’appartient pas de commenter les choix politiques du gouvernement canadien en réponse à la situation d’urgence sans précédent causée par la pandémie, notamment l’adoption d’une approche de type [traduction] « payons maintenant et posons des questions plus tard » concernant l’évaluation de l’admissibilité à la PCRE. De plus, je fais observer que la condition relative au revenu minimal de 5 000 $ était déjà en vigueur lorsque la PCRE a été lancée. Même si la demanderesse peut être d’avis que le gouvernement aurait dû fournir davantage de précisions sur les conditions à respecter, il reste que la Loi est claire quant aux sources de revenus admissibles et que les lignes directrices de l’ARC fournissent de l’information additionnelle sur l’interprétation des conditions d’admissibilité.

[26] Je suis consciente du fait que la plupart des contribuables n’ont possiblement pas lu la Loi ni les lignes directrices de l’ARC avant de présenter une demande de PCRE. Les agents de l’ARC sont néanmoins tenus de respecter le cadre législatif. Le défendeur a d’ailleurs fait remarquer que la Cour a confirmé la possibilité pour les agents de l’ARC de s’appuyer sur ces lignes directrices dans l’évaluation de l’admissibilité à la PCRE et aux autres prestations d’urgence : Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 43.

[27] Enfin, dans la décision Smeele v Canada (Attorney General), 2023 CF 21, malgré des faits différents de ceux en l’espèce, la Cour a jugé, au paragraphe 18 de ses motifs, que la conclusion de l’agent selon laquelle un revenu tiré d’Airbnb n’est pas une source de revenu admissible était raisonnable.

[28] Compte tenu des motifs exposés précédemment, je juge que l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant que la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE.

IV. Conclusion

[29] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[30] Aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGMENT dans le dossier T‑952‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié de manière à désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur.

  3. Le greffier doit remplacer le dossier initial présenté par la demanderesse par la version caviardée présentée par le défendeur.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑952‑22

 

INTITULÉ :

FARHAT J. KHALID c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 SEPTEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Saled Khalid

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Colin McArthur

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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