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                                                                                                                                  Date : 20041105

                                                                                                                               Dossier : T-255-04

                                                                                                                   Référence : 2004 CF 1487

ENTRE :

                                                             ALAIN CHARRON

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         Cette demande de contrôle judiciaire vise la décision du Conseiller national de la gestion des peines de considérer la date du 28 juin 2001 comme étant celle du début de la peine du demandeur et d'appliquer les articles 11 et 11.1 de la Loi sur le transfèrement des délinquants, L.R.C. (1985), ch. T-15, à la détermination de la libération d'office de ce dernier.


[2]         En 1990, le demandeur a été accusé au Canada d'avoir commis l'acte criminel prévu à l'alinéa 465(1)c) du Code criminel et aux paragraphes 4(1) et (2) de la Loi sur les stupéfiants. Le demandeur s'est rendu aux Bahamas en février 1996 avec la permission des autorités canadiennes, mais a été arrêté par les policiers bahamiens le 17 février 1996 en vertu d'une demande d'extradition par les autorités américaines. À compter de cette date, et jusqu'à son extradition aux États-Unis le 18 juillet 2000, le demandeur est demeuré incarcéré aux Bahamas.

[3]         Le 19 mars 2001 le demandeur a plaidé coupable devant le juge Richard J. Arcara, de la United States District Court for the Western District of New York aux accusations sous les articles 843b et 846 du titre 21 du United States Code et de l'article 2 du titre 18 du United States Code, toutes reliées aux « controlled substance felonies » . Le 28 juin 2001, le juge Arcara a imposé au demandeur deux peines consécutives de 48 mois, expirant huit ans après la date d'incarcération du demandeur aux Bahamas.

[4]         Le 19 juin 2002, le demandeur a été transféré au Canada dans le cadre du Traité entre le Canada et les États-Unis d'Amérique sur l'exécution des peines imposées aux termes du droit criminel.

[5]         La Loi sur le transfèrement des délinquants (la Loi) s'appliquait au demandeur lors de son transfert des États-Unis au Canada en juin 2002 en regard de la peine de huit ans qui lui avait été imposée. La date d'expiration de cette peine était le 11 mars 2003, et la date de libération d'office était le 13 décembre 2002, ce qui n'est pas contesté.

[6]         Le 5 décembre 2002, le demandeur a plaidé coupable devant l'honorable juge Claude Parent, juge à la Cour du Québec, siégeant dans le district de Joliette, aux accusations de 1990 en vertu du Code criminel. Le 6 mars 2003, le demandeur a été condamné par le juge Parent à purger deux peines concurrentes de cinq ans, ainsi qu'à une amende de 75 000 $ pour chacun des chefs d'accusation ou, à défaut, des peines consécutives d'un an. Il appert donc que cette sentence fut imposée cinq jours avant la date d'expiration de la sentence de huit ans imposée aux États-Unis.


[7]         Le 29 mai 2003, le demandeur a reçu du Service correctionnel du Canada (le SCC), un document confirmant que sa date d'admissibilité à une libération d'office était le 10 avril 2006.

[8]         Le 5 décembre 2003 le demandeur a présenté une requête à Suzanne Godin de la gestion des peines de l'Établissement Leclerc pour connaître en vertu de quelle disposition de la Loi on appliquait la Loi sur le transfèrement des délinquants à cette nouvelle sentence globale. Madame Pauline Mailhot, dans sa réponse, a référé le demandeur à l'article 8 de la Loi sur le transfèrement des délinquants.

[9]         Le 22 décembre 2003, le demandeur, par son procureur, a fait parvenir une lettre au Conseiller national de la gestion des peines soumettant que la Loi sur le transfèrement des délinquants ne s'applique pas à sa nouvelle peine globale, que le début de sa peine est le 16 février 1996 et que la date de sa libération d'office est le 28 février 2004.

[10]       Le 8 janvier 2004, Me Michel Laprade, représentant le Conseiller national de la gestion des peines, SCC, a fait parvenir une lettre au procureur du demandeur dans laquelle il réitère que les articles 11 et 11.1 de la Loi sur le transfèrement des délinquants s'appliquent au demandeur et que la date de sa libération d'office doit être déterminée en conséquence, d'où la présente demande de contrôle judiciaire.

                                                             * * * * * * * * * * * *

[11]       Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :


11. Il est tenu compte pour le délinquant canadien transféré au Canada, au jour du transfèrement, du temps véritablement passé en détention et des remises de peine que lui a accordées l'État étranger dont un tribunal l'a condamné.


   11. A Canadian offender transferred to Canada shall, at the date of the transfer, be credited with any time toward completion of a sentence imposed by a court of a foreign state that, at that date, had actually been spent in confinement in the foreign state or that was credited, by the foreign state, towards completion of the sentence.


   11.1 (1) Si le délinquant canadien transféré au Canada est détenu dans un pénitencier, la date de sa libération d'office est celle à laquelle il a purgé la partie de la peine qu'il lui reste à purger conformément à l'article 11, moins_:

a) d'une part, toute réduction de peine que lui a accordée l'État étranger;

b) d'autre part, le tiers de la partie de la peine qu'il lui reste à purger, une fois déduite toute réduction de peine visée à l'alinéa a).


   11.1 (1) Where a Canadian offender transferred to Canada is detained in a penitentiary, the offender is entitled to be released on statutory release on the day on which the offender has served the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion of the sentence with which the offender was credited in accordance with section 11 less

(a) any credits, given by the foreign state, towards release before the expiration of the sentence; and

(b) one third of the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion referred to in paragraph (a).


   12. Sous réserve des articles 11 et 11.1, le délinquant canadien transféré au Canada est assujetti à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ou à la Loi sur les prisons et les maisons de correction, selon le cas, comme s'il avait été condamné au Canada et si la peine lui y avait été infligée.


   12. Subject to sections 11 and 11.1, a Canadian offender transferred to Canada is subject to the Corrections and Conditional Release Act or the Prisons and Reformatories Act, as the case may be, as if the offender had been convicted and the sentence imposed by a court in Canada.


[12]       Les dispositions pertinentes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. (1992), ch. 20, se lisent ainsi :


   127. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'individu condamné ou transféré au pénitencier a le droit d'être mis en liberté à la date fixée conformément au présent article et de le demeurer jusqu'à l'expiration légale de sa peine.

   [. . .]


   127. (1) Subject to any provision of this Act, an offender sentenced, committed or transferred to penitentiary is entitled to be released on the date determined in accordance with this section and to remain at large until the expiration of the sentence according to law.

   [. . .]


   (3) La date de libération d'office d'un individu condamné à une peine d'emprisonnement le 1er novembre 1992 ou par la suite est, sous réserve des autres dispositions du présent article, celle où il a purgé les deux tiers de sa peine.


   (3) Subject to this section, the statutory release date of an offender sentenced on or after November 1, 1992 to imprisonment for one or more offences is the day on which the offender completes two thirds of the sentence.


   139. (1) L'individu assujetti à une peine d'emprison-nement non encore expirée et qui est condamné à une peine d'emprisonnement supplémentaire est, pour l'application du Code criminel, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction et de la présente loi, réputé n'avoir été condamné qu'à une seule peine commençant le jour du début de l'exécution de la première et se terminant à l'expiration de la dernière à purger.

(2) Le présent article n'a pas pour effet de modifier la date fixée par le paragraphe 719(1) du Code criminel pour le début de l'exécution de chacune des peines qui, aux termes du présent article, sont réputées n'en constituer qu'une.


   139. (1) Where a person who is subject to a sentence that has not expired receives an additional sentence, the person is, for the purposes of the Criminal Code, the Prisons and Reformatories Act and this Act, deemed to have been sentenced to one sentence commencing at the beginning of the first of those sentences to be served and ending on the expiration of the last of them to be served.

   (2) This section does not affect the time of commencement, pursuant to subsection 719(1) of the Criminal Code, of any sentences that are deemed under this section to constitute one sentence.


[13]       La disposition pertinente du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, se lit comme suit :


719. (1) La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.

(2) Les périodes durant lesquelles une personne déclarée coupable est illégalement en liberté ou est légalement en liberté à la suite d'une mise en liberté provisoire accordée en vertu de la présente loi ne sont pas prises en compte dans le calcul de la période d'emprisonnement infligée à cette personne.

(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d'une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l'infraction.

719. (1) A sentence commences when it is imposed, except where a relevant enactment otherwise provides.

(2) Any time during which a convicted person is unlawfully at large or is lawfully at large on interim release granted pursuant to any provision of this Act does not count as part of any term of imprisonment imposed on the person.

(3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence.


                                                                * * * * * * * * * * * *

[14]       À mon sens, l'application de l'article 11 de la Loi, dans le présent contexte factuel, ne cause pas problème. Rien dans cette disposition ne fait obstacle à son application dès le jour du transfèrement du demandeur au Canada, de sorte que, de par l'effet de l'article 12 de la Loi, cette application de l'article 11 doit primer sur celle de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition. Les réductions et remises de peine prévues à l'article 11 sont crystallisées au moment du transfèrement international et ne peuvent être retirées lorsque le détenu se voit imposer une peine additionnelle après son retour au Canada (voir R. v. Bodenstein, [1998] O.J. no 982 (QL), confirmé par la Cour d'appel de l'Ontario (133 C.C.C. (3d) 127)). Ainsi, la date d'expiration de la peine imposée aux États-Unis demeure le 11 mars 2003.


[15]       Cependant, je ne peux souscrire à la prétention du défendeur voulant que le paragraphe 11.1(1) de la Loi, qui vise à déterminer la date de la libération d'office d'un délinquant canadien transféré au Canada et détenu dans un pénitencier, s'applique au présent cas, pas plus que je ne peux souscrire à celle du demandeur voulant que « le jour du début de l'exécution de la première » peine dont parle le paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, soit la date du début de son incarcération aux Bahamas plutôt que celle de l'imposition de sa peine aux États-Unis.

[16]       Une simple lecture du paragraphe 11.1(1) de la Loi, tant dans sa version française que dans sa version anglaise, révèle clairement que la disposition ne s'applique qu'en fonction de « la » peine dont parle l'article 11 et qui est la peine imposée par un tribunal de ltat étranger, et ce, à l'exclusion de toute autre peine.

[17]       Comme en l'espèce le demandeur s'est vu imposer au Canada, après son transfèrement, une nouvelle peine avant l'expiration de celle qui lui a été imposée aux États-Unis, la détermination de la date de sa libération d'office ne peut plus se faire en fonction du paragraphe 11.1(1) et, de par l'effet de l'article 12 de la Loi, c'est la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition qui doit s'appliquer. Or, l'application du paragraphe 139(1) de cette dernière loi fait que, pour l'application notamment du Code criminel et de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, le demandeur est réputé n'avoir été condamné qu une seule peine « commençant le jour du début de l'exécution de la première et se terminant à l'expiration de la dernière à purger » .


[18]       Le paragraphe 719(1) du Code criminel indique qu'une peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente, exception qui n'est pas pertinente dans le présent cas. Le paragraphe 719(3) permet cependant au tribunal de prendre en compte toute période que la personne condamnée a passée sous garde par suite de l'infraction. Dans une certaine mesure, c'est aussi le cas aux États-Unis où le Federal Bureau of Prison énonce clairement dans son Sentence Computation Manual que « in no case can a federal sentence of imprisonment commence earlier than the date on which it is imposed » . L'article 3585b du United States Code précise, par ailleurs, que « a defendant shall be given credit toward the service of a term of imprisonment for any time he has spent in official detention prior to the date the sentence commences . . . » .

[19]       Ainsi, de par l'application du paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, tenant compte tant du Code criminel canadien que du United States Code, le demandeur, en l'espèce, est réputé n'avoir été condamné qu une seule peine commençant le jour du début de l'exécution de la première, soit le 28 juin 2001, lorsque la première peine lui a été imposée aux États-Unis, et, compte tenu de l'application de l'article 11 de la Loi au profit du demandeur, se terminant à l'expiration de la dernière peine à purger, soit vers le 5 mars 2008 (il incombe aux gestionnaires des peines de faire cette dernière détermination de façon précise).

[20]       La date de libération d'office du demandeur doit être déterminée en appliquant le paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition et est celle où le demandeur aura purgé les deux tiers de sa peine réputée unique en vertu du paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition.

[21]       En conséquence, il est déclaré que la date de la libération d'office du demandeur est celle où il aura purgé les deux tiers de sa peine commençant le 28 juin 2001, la date de l'imposition de sa première peine aux États-Unis, et se terminant vers le 5 mars 2008, à l'expiration de sa deuxième peine.

[22]       Dans les circonstances, il n'y a pas d'adjudication de dépens.

                                                               

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 novembre 2004


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                   NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-255-04

INTITULÉ :                                                       ALAIN CHARRON c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 6 octobre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 5 novembre 2004            

COMPARUTIONS :

Me Josée Ferrari                                            POUR LE DEMANDEUR

Me Éric Lafrenière                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Josée Ferrari                                                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


                                                                                                                               Date : 20041105

                                                                                                                           Dossier : T-255-04

Ottawa (Ontario), ce 5e jour de novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

                                                             ALAIN CHARRON

                                                                                                                                      Demandeur

                                                                          - et -

                                          PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                        Défendeur

                                                               ORDONNANCE

La requête du demandeur n'est accordée que pour annuler la décision telle que rendue le 8 janvier 2004 par Me Michel Laprade, représentant le Conseiller national de la gestion des peines. Il est toutefois déclaré que la date de la libération d'office du demandeur est celle où il aura purgé les deux tiers de sa peine commençant le 28 juin 2001, la date de l'imposition de sa première peine aux États-Unis, et, compte tenu de l'application à son profit de l'article 11, à l'exclusion de l'article 11.1 de la Loi sur le transfèrement des délinquants, L.R.C. (1985), ch. T-15, se terminant vers le 5 mars 2008, à l'expiration de sa deuxième peine (il incombe aux gestionnaires des peines


de faire cette détermination précise dans le respect des motifs à l'appui de cette Ordonnance). Le tout, sans frais.

                                                                

                            JUGE

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