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Date : 20230925

Dossier : IMM-7078-22

Référence : 2023 CF 1291

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2023

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

ADIJAT KUBURAT APENA
STEPHEN OLUWADEMILADE ALATISE
SEBASTIAN IREMIDE ALATISE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En 2014, Mme Adijat Kuburat Apena a été soumise à des rituels inhumains par des membres de sa famille élargie au Nigéria. Elle craignait qu’après sa naissance, son fils aîné soit lui aussi soumis au même traitement. Pour éviter un préjudice potentiel à son fils, elle s’est cachée, puis a fui aux États-Unis, où elle a donné naissance à son deuxième fils. La famille a alors demandé l’asile au Canada au motif que Mme Apena et son fils aîné craignaient d’être victimes de mauvais traitements au Nigéria.

[2] En 2021, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que Mme Apena et son fils n’étaient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution au Nigéria ni au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. La famille a porté en appel la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu qu’il n’existait qu’une simple possibilité que la famille de Mme Apena utilise la force pour faire subir des rituels à son fils aîné ou causer à Mme Apena d’autres préjudices. La SAR a conclu qu’ils n’étaient pas exposés à un risque de persécution ou à une possibilité sérieuse de subir de mauvais traitements au Nigéria.

[3] De plus, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en ne procédant pas à une analyse des « raisons impérieuses ». Cette analyse doit être faite lorsqu’une personne qui a été victime de persécution grave par le passé soutient que, même si la source de la persécution n’existe plus, il existe des raisons impérieuses pour lesquelles elle ne devrait pas être renvoyée dans son pays d’origine. En d’autres termes, la demanderesse doit d’abord établir à la fois qu’elle et son fils ont eu, à un moment ou à un autre, qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger et que les motifs de la demande d’asile n’existent plus, compte tenu des conditions dans le pays. Ce n’est qu’à ce moment-là que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada effectue une analyse des raisons impérieuses. La SAR a estimé que les conditions au Nigéria n’avaient pas changé depuis que Mme Apena avait fui le pays et que la disposition relative aux raisons impérieuses ne s’appliquait donc pas.

[4] Mme Apena soutient que la conclusion de la SAR, selon laquelle il n’était pas nécessaire d’examiner s’il existait des raisons impérieuses pour lesquelles elle ne devrait pas retourner au Nigéria, était déraisonnable. Elle me demande d’annuler la décision de la SAR et d’ordonner à un tribunal différemment constitué de la SAR de procéder à un nouvel examen de son appel.

[5] Je ne vois aucun motif pour annuler la décision de la SAR. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la conclusion de la SAR selon laquelle il n’était pas nécessaire d’examiner la question des raisons impérieuses n’était pas déraisonnable.

II. La décision de la Section d’appel des réfugiés au sujet des raisons impérieuses était-elle déraisonnable?

[6] Une personne exposée à de la persécution par le passé n’a pas droit à l’asile si « les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus » (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], art 108(1)e); voir l’annexe pour les dispositions citées). Cependant, la LIPR prévoit une exception lorsque la personne a des raisons impérieuses de « refuser de se réclamer de la protection du pays qu’[elle] a quitté » (art 108(4)).

[7] L’exception permet de reconnaître que les personnes qui ont subi de la persécution par le passé pourraient, à juste titre, ne pas vouloir retourner à l’endroit où elles ont subi ce mauvais traitement, même si le risque de préjudice n’est plus présent. Dans ce cas, il faut examiner s’il existe des raisons impérieuses pour lesquelles ces personnes ne devraient pas être obligées de retourner dans leur pays d’origine (Binda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1211 au para 7).

[8] Il faut répondre à deux questions avant d’examiner la question des raisons impérieuses. Tout d’abord, il faut examiner si la demanderesse a été exposée à de la persécution par le passé. Si c’est le cas, il faut alors analyser si la source de persécution a cessé d’exister.

[9] Dans la présente affaire, la SPR et la SAR ont répondu à la première question par la négative, quoique de façon implicite. La SPR et la SAR ont certes décrit les rituels douloureux qui ont été infligés à Mme Apena, mais elles ont aussi conclu qu’elle aurait pu refuser de s’y soumettre. La SAR a cité le témoignage de Mme Apena selon lequel elle n’avait jamais vu personne être forcé de participer aux rituels qu’elle a subis; sa croyance selon laquelle elle aurait pu y être soumise de force si elle avait refusé d’y participer n’était qu’une hypothèse. Par conséquent, la SAR n’a pas conclu que Mme Apena avait subi de la persécution par le passé.

[10] La SAR a répondu à la deuxième question par la négative. Les motifs pour lesquels Mme Apena et son fils aîné ont demandé l’asile existent toujours, puisque les membres de leur famille les recherchent toujours.

[11] Je souligne que la SAR a concentré son analyse sur la deuxième question et n’a pas répondu explicitement à la première. Il aurait été préférable qu’elle tire une conclusion claire sur la question de la persécution antérieure, la première question, avant d’examiner la deuxième question, soit si la source de persécution avait cessé d’exister. Il faut répondre à la deuxième question uniquement si la réponse à la première question est affirmative. Si la réponse aux deux questions est affirmative, il faut examiner la question des raisons impérieuses.

[12] Je conclus que la décision de la SAR n’était pas déraisonnable; ses motifs étaient intelligibles, justifiés et transparents. Les circonstances dans lesquelles une évaluation des raisons impérieuses doit être menée étaient tout simplement absentes. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Conclusion et dispositif

[13] La façon dont la SAR a traité la question des raisons impérieuses n’était pas déraisonnable puisque les circonstances dans lesquelles une évaluation des raisons impérieuses doit être menée étaient absentes. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune ne sera énoncée.


 

JUGEMENT dans le dossier IMM-7078-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est soulevée.

en blanc

« James W. O’Reilly »

en blanc

Juge


 

Annexe

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Rejet

Rejection

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants:

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

[…]

. . .

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

Exception

Exception

108. (4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

108. (4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7078-22

INTITULÉ :

ADIJAT KUBURAT APENA ET AL. c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUILLET 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

DATE DES MOTIFS :

LE 25 SEPTEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Alison Pridham

POUR LES DEMANDEURS

Idorenyin Udoh-Orok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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