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Date : 20230925

Dossiers : IMM-3859-21

IMM-3860-21

Référence : 2023 CF 1290

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2023

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

MICHELLE MABUYA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Michelle Mabuya, une citoyenne du Zimbabwe, tente de devenir résidente permanente du Canada. En 2008, sa sœur aînée et elle ont été incluses comme personnes à charge dans la demande de résidence permanente de leur mère. Le statut séropositif de Mme Mabuya a retardé le traitement de cette demande; sa mère, Mme Paulina Tshuma, a donc retiré son nom de la demande en 2011. Mme Tshuma a réussi à obtenir la résidence permanente.

[2] En 2018, Mme Tshuma a tenté de parrainer Mme Mabuya afin qu’elle obtienne la résidence permanente en tant que membre de la catégorie du regroupement familial. En 2020, un agent des visas à Pretoria, en Afrique du Sud, a informé Mme Mabuya qu’elle ne pouvait pas être considérée comme appartenant à la catégorie du regroupement familial parce qu’elle était alors âgée de 28 ans et n’était plus un enfant à charge. L’agent a également demandé des renseignements biométriques et un certificat de police de l’Afrique du Sud. Mme Mabuya n’a pas fourni les renseignements demandés.

[3] Mme Mabuya a retenu les services d’une nouvelle avocate, qui a fourni à l’agent des observations et de la documentation soulignant les facteurs d’ordre humanitaire favorables à Mme Mabuya.

[4] En 2021, l’agent a rejeté la demande de Mme Mabuya parce que cette dernière n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial, que les facteurs d’ordre humanitaire sur lesquels elle s’était fondée n’étaient pas convaincants et qu’elle n’avait pas fourni les renseignements biométriques et le certificat de police qui avaient été demandés.

[5] L’avocate de Mme Mabuya a demandé à l’agent de réexaminer la demande, expliquant que le défaut de présenter les renseignements exigés était un oubli. L’agent a refusé.

[6] Mme Mabuya a présenté deux demandes de contrôle judiciaire des décisions de l’agent, soit celle concernant la demande de parrainage et celle relative à la demande de réexamen subséquente. Conformément à une ordonnance rendue par le juge Michael Manson le 21 avril 2023, j’ai instruit les deux demandes au cours de la même séance. Mme Mabuya soutient que la décision de l’agent de rejeter sa demande de parrainage ainsi que sa décision de rejeter sa demande de réexamen étaient toutes deux déraisonnables. En ce qui concerne la demande de parrainage, Mme Mabuya allègue que l’agent n’a pas tenu adéquatement compte des facteurs d’ordre humanitaire. Pour ce qui est de la demande de réexamen, Mme Mabuya soutient que l’agent n’a tenu compte ni de son explication concernant le défaut de présenter les renseignements requis ni des éléments de preuve supplémentaires qu’elle a fournis. Elle me demande d’annuler les décisions de l’agent.

[7] Je suis convaincu que la décision de l’agent de rejeter la demande de parrainage était déraisonnable parce que l’agent a fait abstraction d’importants éléments de preuve à l’appui de la demande de Mme Mabuya. J’accueillerai la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse relative à cette décision et j’ordonnerai qu’un autre agent réexamine la demande de parrainage. Il n’est pas nécessaire que j’examine la demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à la demande de réexamen.

[8] La seule question à trancher est celle de savoir si la décision de l’agent concernant la demande de parrainage était déraisonnable.

II. La décision de l’agent

[9] L’agent a fait remarquer que Mme Mabuya serait probablement interdite de territoire au Canada pour des motifs sanitaires, du fait qu’elle est séropositive, et que c’est pour cette raison que sa mère l’a retirée de la demande de résidence permanente qu’elle a présentée en 2008.

[10] L’agent a conclu que Mme Mabuya n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial parce qu’elle était âgée de plus de 22 ans et qu’elle ne répondait donc pas à la définition d’« enfant à charge » prévue sous-alinéa 2b)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (voir l’annexe pour les dispositions citées). Mme Mabuya avait soutenu qu’elle était néanmoins une enfant à charge parce qu’elle avait été laissée seule au Zimbabwe, qu’elle était incapable de subvenir à ses propres besoins et qu’elle dépendait du soutien financier de sa mère (s’appuyant sur le sous-alinéa 2b)(ii) du Règlement). Toutefois, l’agent a fait remarquer que Mme Tshuma avait volontairement retiré Mme Mabuya de sa propre demande de résidence permanente. Par conséquent, Mme Mabuya vit de manière indépendante depuis plus de 20 ans, durant lesquels elle a poursuivi ses études et trouvé un emploi. Pour démontrer qu’elle dépendait de sa mère, Mme Mabuya s’est appuyée sur des virements de fonds par celle-ci et la visite de cette dernière au Zimbabwe.

[11] S’agissant des facteurs d’ordre humanitaire, l’agent a examiné l’objectif de réunification de la famille et le préjudice psychologique causé par une longue séparation entre Mme Mabuya et sa mère. Toutefois, une fois de plus, l’agent a souligné que Mme Tshuma avait décidé il y a longtemps de retirer sa fille de sa demande de résidence permanente; la séparation de la famille était une conséquence de cette décision. Les facteurs d’ordre humanitaire auraient pu être invoqués à ce moment-là, mais ne l’ont pas été.

[12] L’agent a également examiné l’affirmation selon laquelle Mme Mabuya vivrait de la discrimination et des difficultés économiques si elle restait au Zimbabwe. Cependant, l’agent a souligné que peu d’éléments de preuve avaient été fournis pour soutenir ces allégations. En fait, Mme Mabuya a été en mesure d’entreprendre des études postsecondaires et de trouver un emploi en tant que commis à la saisie des données.

[13] Mme Mabuya a une demi-sœur cadette qui est née et a grandi au Canada. L’agent a examiné l’intérêt supérieur de la sœur cadette de Mme Mabuya, qui était alors âgée de 17 ans. Toutefois, étant donné que les deux sœurs n’ont jamais vécu ensemble, l’agent a accordé peu de poids à ce facteur.

[14] De façon générale, l’agent a conclu que Mme Mabuya avait soulevé des facteurs d’ordre humanitaire valides, mais qu’elle ne les avait pas étayés à l’aide de suffisamment d’éléments de preuve.

[15] Enfin, l’agent a fait remarquer que Mme Mabuya n’avait pas fourni les renseignements biométriques et le certificat de police demandés.

 

III. La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

[16] Le ministre soutient que la décision de l’agent n’était pas déraisonnable. La demande de Mme Mabuya a été rejetée principalement parce qu’elle n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve relatifs à des facteurs d’ordre humanitaire favorables. De plus, l’agent a adéquatement tenu compte du fait que Mme Tshuma avait volontairement retiré Mme Mabuya de sa demande de résidence permanente et que c’était cette décision qui avait causé la séparation et les difficultés. Enfin, le ministre soutient que l’agent a raisonnablement tenu compte du fait que Mme Mabuya n’a pas fourni les renseignements biométriques et le certificat de police demandés.

[17] Je ne suis pas d’accord avec le ministre. La décision de l’agent ne tenait pas adéquatement compte des facteurs d’ordre humanitaire sur lesquels Mme Mabuya s’était fondée. Dans les observations présentées à l’agent, Mme Mabuya avait indiqué ce qui suit :

  1. La famille a vécu d’importantes difficultés en raison d’une longue séparation, exacerbée par l’incapacité de voyager durant la pandémie de COVID-19;

  2. Si Mme Mabuya avait été jugée interdite de territoire pour des motifs sanitaires et que son nom n’avait pas été retiré de la demande de sa mère, cette dernière aurait également été interdite de territoire et n’aurait pas réussi à obtenir la résidence permanente;

  3. Les personnes séropositives font face à de la discrimination et à de la stigmatisation généralisées au Zimbabwe;

  4. La situation économique et politique du Zimbabwe est instable;

  5. La sœur cadette de Mme Mabuya a grandi au Canada sans vraiment avoir la possibilité de rendre visite à celle-ci ou d’apprendre à la connaître.

[18] Les motifs pour lesquels l’agent a rejeté la demande de Mme Mabuya reposent largement sur le fait que Mme Tshuma a retiré le nom de sa fille de sa demande de résidence permanente de 2008. Il a affirmé que la séparation familiale qui a suivi était le résultat de la décision délibérée de laisser Mme Mabuya au Zimbabwe. En réalité, cette décision découle de circonstances contraignantes; Mme Tshuma a dû présenter la demande en son nom seulement pour qu’elle soit accueillie. Quoi qu’il en soit, les difficultés liées à la séparation n’étaient pas moins graves parce qu’elles résultaient d’un choix difficile.

[19] Le reste de la décision de l’agent ne tenait pas compte des autres facteurs d’ordre humanitaire pertinents. Plus particulièrement, l’agent a accordé peu de poids à l’intérêt supérieur de la sœur cadette de Mme Mabuya, alors que cet élément doit être pris en compte, conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Le fait que les deux filles sont séparées depuis longtemps a amené l’agent à penser que peu de difficultés découleraient d’une plus longue séparation. Ce raisonnement ne concorde pas avec l’obligation de l’agent d’accorder un poids considérable à l’intérêt supérieur de l’enfant et d’être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt (Baker c Canada, [1999] 2 RCS 817 au para 75).

[20] Dans l’ensemble, j’estime que l’agent a traité de manière déraisonnable les facteurs d’ordre humanitaire sur lesquels Mme Mabuya s’est fondée; le raisonnement de l’agent n’était pas transparent, intelligible ou justifié.

IV. Conclusion et dispositif

[21] L’agent a traité de manière déraisonnable les facteurs d’ordre humanitaire présentés à l’appui de la demande de résidence permanente de Mme Mabuya. L’agent s’est grandement fondé sur le fait que la mère de Mme Mabuya avait décidé de retirer le nom de cette dernière de sa demande, et il n’a pas tenu compte des difficultés qui ont découlé de ce choix difficile. Par conséquent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire et j’ordonnerai qu’un autre agent réexamine la demande de parrainage. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune question n’est énoncée.

Annexe

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

Immigration and Refugee Protection Regulations (SOR-2002-227)

Définitions

Interpretation

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

2. The definitions in this section apply in these Regulations.

[…]

[…]

enfant à charge L’enfant qui :

dependent child, in respect of a parent, means a child who

[…]

[…]

(b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

(i) il est âgé de moins de vingt-deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait

(i) is less than 22 years of age and is not a spouse or common-law partner

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35, 35.1 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35, 35.1 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35, 35.1 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35, 35.1 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.


 

JUGEMENT dans les dossiers IMM-3859-21 et IMM-3860-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire présentée dans le dossier IMM-3860-21 est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Il est inutile de rendre une décision concernant la demande de contrôle judiciaire présentée dans le dossier IMM-3859-21.

  3. Une copie de la présente décision sera versée dans les dossiers IMM-3859-21 et IMM-3860-21.

  4. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

blank

« James W. O’Reilly »

blank

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIERS :

IMM-3859-21 ET IMM-3860-21

INTITULÉ :

MICHELLE MABUYA c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

st. john’s (T.-N.-L.)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JUILLET 2023

jUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

DATE DES MOTIFS :

LE 25 SEPTEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Jasleen Kaur Johal

POUR LA DEMANDERESSE

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

South Asian Legal Clinic of Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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