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Date : 20230925

Dossier : T-198-23

Référence : 2023 CF 1287

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2023

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

Wei Chen

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Wei Chen a occupé un appartement avec Mme Xin Shao pendant six mois, en 2020. Ils avaient conclu un accord sur le partage des repas : Mme Shao achetait les produits d’épicerie et M. Chen cuisinait. Mme Shao payait M. Chen 400 $ par mois pour ses services. Lorsque l’accord a pris fin, M. Chen a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, dans laquelle il affirmait avoir travaillé 140 heures pour Mme Shao au cours de ces six mois. Il a fourni à la Commission de l’assurance-emploi du Canada des reçus et un relevé d’emploi.

[2] La Commission a rejeté la demande de prestations de M. Chen. Elle a conclu que le relevé d’emploi n’était pas valide et que M. Chen n’avait pas été un employé.

[3] M. Chen a engagé plusieurs procédures devant le Tribunal de la sécurité sociale, en vue d’obtenir l’annulation de la décision de la Commission. Dans le cadre de l’appel interjeté par M. Chen à la division générale du Tribunal, la membre du Tribunal a demandé à la Commission d’obtenir une décision de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) sur la question de savoir si M. Chen était un employé et, par conséquent, admissible aux prestations. L’ARC a conclu que M. Chen n’était pas un employé ni un travailleur indépendant. La division générale s’est fondée sur cette décision pour rejeter l’appel interjeté par M. Chen.

[4] M. Chen a ensuite interjeté appel à la division d’appel du Tribunal, qui a conclu que M. Chen n’avait pas eu droit à une audience équitable devant la division générale. La division d’appel a renvoyé l’affaire à la division générale pour un nouvel examen.

[5] Après le nouvel examen, la division générale a conclu qu’elle était liée par la conclusion de l’ARC selon laquelle M. Chen n’était pas admissible aux prestations. Elle a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour s’écarter de la décision de l’ARC et que le seul recours dont disposait M. Chen était d’interjeter appel de la décision de l’ARC.

[6] M. Chen a tenté une nouvelle fois d’interjeter appel. La division d’appel du Tribunal a rejeté la demande de permission d’interjeter appel de M. Chen, parce que son appel n’avait aucune chance de succès. Comme la division générale et la division d’appel étaient liées par la décision de l’ARC, le seul recours viable dont disposait M. Chen était d’interjeter appel de la décision de l’ARC.

[7] M. Chen demande maintenant le contrôle judiciaire de la dernière décision rendue par la division d’appel du Tribunal. À l’audience de la présente demande, M. Chen a mis un grand soin à présenter minutieusement ses arguments dans sa langue seconde. Il espérait avoir l’aide d’un interprète, mais celui-ci n’était pas disponible. Lorsque j’avais de la difficulté à comprendre M. Chen, je l’interrompais pour lui demander des précisions. Il a soulevé de nombreux arguments devant moi concernant la compétence du Tribunal, l’équité des diverses procédures, l’appréciation de sa preuve et les réponses du Tribunal à ses arguments. J’estime que ces questions peuvent toutes être tranchées en répondant à une seule question : la décision de la division d’appel était-elle déraisonnable?

[8] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la division d’appel n’était pas déraisonnable. Elle a exercé sa compétence conformément au mandat que lui confère la loi, a tenu une audience équitable, a pris en compte la preuve dont elle disposait et a répondu adéquatement aux arguments de M. Chen. Je devrai donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

II. La décision de la division d’appel

[9] La division d’appel a examiné les diverses questions soulevées par M. Chen (lesquelles sont semblables à celles qu’il a soulevées devant moi). Elle a conclu que la division générale avait le droit de demander à la Commission d’obtenir une décision de l’ARC et que la division générale était liée par cette décision. La division générale n’a pas renoncé à exercer sa compétence, elle s’est conformée, comme il se doit, à la décision de l’ARC.

[10] M. Chen a exhorté la division d’appel à reconnaître que sa décision antérieure, qui avait renvoyé l’affaire à la division générale, avait implicitement pris acte de la compétence de cette dernière, laquelle est indépendante de celle de l’ARC, pour trancher la question de savoir s’il avait droit aux prestations. Autrement, il était inutile de renvoyer l’affaire à la division générale. La division d’appel a expliqué qu’elle avait renvoyé l’affaire, parce que la division générale avait donné à M. Chen jusqu’au 28 février 2022 pour présenter des observations écrites. Toutefois, la division générale a rendu sa décision le 8 février 2022, avant que M. Chen ait la possibilité de présenter ses arguments. En se fondant sur cette situation injuste, la division d’appel a renvoyé l’affaire afin que M. Chen ait véritablement la possibilité de présenter ses observations. Après l’audience, la division générale a conclu que seule l’ARC pouvait rendre une décision sur la rémunération assurable et que la Commission et elle-même seraient liées par cette décision. Par conséquent, le seul recours dont disposait M. Chen était d’interjeter appel de la décision de l’ARC.

[11] Devant la division d’appel, M. Chen a également fait valoir que la division générale avait préjugé sa cause, parce qu’elle avait déclaré, au début de l’audience, qu’elle n’avait pas compétence pour modifier la décision de l’ARC. La division générale ne lui a pas donné la possibilité de prouver qu’il avait été employé en 2020 et qu’il était admissible aux prestations. La division d’appel a fait remarquer, encore une fois, que la division générale ne pouvait pas se prononcer sur la question de savoir si M. Chen était admissible aux prestations, étant donné que l’ARC avait déjà décidé qu’il ne l’était pas. La division générale n’a pas préjugé la cause de M. Chen; elle a simplement expliqué qu’elle ne pouvait pas lui accorder la réparation qu’il demandait. Dans le même ordre d’idée, la division générale n’a pas fait fi de la preuve de M. Chen.

[12] M. Chen a également fait valoir que l’audience devant la division générale était inéquitable parce que son interprète était incompétent et qu’il n’avait pas été autorisé à appeler son témoin (l’employeuse prétendue). La division d’appel a conclu que M. Chen tentait, en fait, d’attaquer indirectement la décision de l’ARC devant la division générale. Une meilleure interprétation et des éléments de preuve supplémentaires ne pourraient pas changer le fait que la division générale était liée par la décision de l’ARC.

[13] Enfin, M. Chen a soutenu que la division générale avait conclu à tort qu’elle avait compétence pour demander à la Commission d’obtenir une décision de l’ARC. Il a fait valoir que la Commission pouvait le faire seulement de sa propre initiative, et non à la suite de la demande de la division générale. La division d’appel a fait remarquer que les dispositions législatives n’imposaient aucune restriction quant au moment où une demande de décision peut être faite à l’ARC ni quant à la façon de le faire; la Commission peut faire la demande de décision « à tout moment » (la division d’appel a renvoyé aux paragraphes 90(1) et (2) ainsi qu’à l’article 90.1 de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23. Voir l’annexe pour les dispositions citées).

[14] La division d’appel a conclu que l’appel de M. Chen n’avait aucune chance de succès et a donc rejeté la demande de permission d’interjeter appel.

III. La décision de la division d’appel était-elle déraisonnable?

[15] M. Chen présente de nombreux arguments pour appuyer sa demande de contrôle judiciaire. Certains arguments portent sur la décision de la Commission de rejeter sa demande de prestations. Par exemple, il soutient que la Commission n’a jamais examiné sa preuve documentaire et n’a pas mené une enquête en bonne et due forme; de fait, elle a commis de nombreuses erreurs.

[16] D’autres arguments portent sur les décisions du Tribunal. M. Chen affirme que la division générale a commis une erreur en ne respectant pas son engagement d’examiner ses observations. De plus, l’audience devant la division générale était, dit-il, insatisfaisante; elle a été ajournée plusieurs fois et il n’a pas été autorisé à présenter son témoin. Lorsque la division d’appel a renvoyé l’affaire à la division générale, elle n’a pas mentionné que la décision de l’ARC avait force obligatoire; elle n’a pas non plus examiné les questions ni la preuve. Pourtant, elle a conclu, par la suite, que la décision de l’ARC était immuable.

[17] De plus, M. Chen soutient qu’aucune des divisions du Tribunal n’a agi de manière impartiale ou indépendante; au contraire, après avoir ordonné à la Commission de demander une décision à l’ARC, le Tribunal s’en était simplement remis à cette décision au lieu de rendre sa propre décision.

[18] Malgré les nombreux arguments de M. Chen, la seule décision en cause, en l’espèce, est la deuxième décision de la division d’appel mentionnée précédemment, et la seule question est de savoir si cette décision était déraisonnable. Les décisions rendues par la Commission, la division générale et la première membre de la division d’appel ont toutes été écartées par la deuxième décision de la division d’appel.

[19] Je conclus que la deuxième décision de la division d’appel n’était pas déraisonnable. La division d’appel a examiné les circonstances factuelles de la demande de prestations de M. Chen, les questions d’équité que ce dernier avait soulevées, le cadre légal dans lequel le Tribunal avait exercé sa compétence et la nature obligatoire des décisions de l’ARC. Le fait que la division d’appel se soit fondée sur la décision de l’ARC, comme elle était tenue de le faire, ne dénote pas un manque d’impartialité ou d’indépendance. Dans l’ensemble, les motifs de la division d’appel étaient transparents, justifiés et intelligibles, et répondaient aux observations de M. Chen. Sa conclusion n’était pas déraisonnable.

IV. Conclusion et dispositif

[20] Je conclus que la décision de la division d’appel de rejeter la demande de permission d’interjeter appel de M. Chen n’était pas déraisonnable. Ses motifs étaient transparents, justifiés et intelligibles, et répondaient aux observations de M. Chen. Par conséquent, je devrai rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Chen.


 

JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-198-23

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

En blanc

« James W. O’Reilly »

En blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Lyne Paquette, traductrice

 


 

Annexe

Loi sur l'assurance-emploi, LC 1996, c 23

Employment Insurance Act, SC 1996, c 23

Demande de décision

Request for ruling

90. (1) La Commission, de même que tout employé, employeur ou personne prétendant être l’un ou l’autre, peut demander à un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada autorisé par le ministre de rendre une décision sur les questions suivantes:

90. (1) An employer, an employee, a person claiming to be an employer or an employee or the Commission may request an officer of the Canada Revenue Agency authorized by the Minister to make a ruling on any of the following questions:

(a) le fait qu’un emploi est assurable;

(a) whether an employment is insurable;

(b) la détermination de la durée d’un emploi assurable, y compris ses dates de début et de fin;

(b) how long an insurable employment lasts, including the dates on which it begins and ends;

(c) la détermination de la rémunération assurable;

(c) what is the amount of any insurable earnings;

(d) la détermination du nombre d’heures exercées dans le cadre d’un emploi assurable;

(d) how many hours an insured person has had in insurable employment;

(e) l’existence de l’obligation de verser une cotisation;

(e) whether a premium is payable;

(f) la détermination du montant des cotisations à verser;

(f) what is the amount of a premium payable;

(g) l’identité de l’employeur d’un assuré;

(g) who is the employer of an insured person;

(h) le fait qu’un employeur est un employeur associé;

(h) whether employers are associated employers; and

(i) le montant du remboursement prévu à l’un ou l’autre des paragraphes 96(4) à (10).

(i) what amount shall be refunded under subsections 96(4) to (10).

Délai

Time limit

90. (2) La Commission peut faire la demande de décision à tout moment, et toute autre personne, avant le 30 juin suivant l’année à laquelle la question est liée.

90. (2) The Commission may request a ruling at any time, but a request by any other person must be made before the June 30 following the year to which the question relates.

Règlements des questions

Determination of questions

90.1 Si, au cours de l’examen d’une demande de prestations, une question prévue à l’article 90 se pose, le fonctionnaire autorisé de l’Agence du revenu du Canada rend une décision sur cette question comme le prévoit cet article.

90.1 If a question specified in section 90 arises in the consideration of a claim for benefits, a ruling must be made by an authorized officer of the Canada Revenue Agency, as set out in that section.


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-198-23

INTITULÉ :

WEI CHEN c PGC

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JUILLET 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :


LE 25 SEPTEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Wei Chen

POUR LE DEMANDEUR

 

Sandra Doucette

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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