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Date : 20230922


Dossier : IMM‑12808‑22

Référence : 2023 CF 1280

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 22 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

MARYAM FARBOODI LANGAROODI

KEYVAN MOHAMMADI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, Maryam Farboodi Langaroodi (« la demanderesse principale ») et Keyvan Mohammadi (« le codemandeur »), sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er décembre 2022 par laquelle un agent des visas (« l’agent ») d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») a rejeté les demandes de visa de travail qu’ils ont présentées dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires et du Programme de mobilité internationale, respectivement.

[2] L’agent n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le pays à la fin de leur séjour, conformément au paragraphe 200(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »), compte tenu des compétences linguistiques de la demanderesse principale et du fait que la demande du codemandeur dépendait du sort de la demande de la demanderesse principale.

[3] Les demandeurs soutiennent que l’agent a rendu une décision déraisonnable, surtout en ce qui concerne les compétences linguistiques de la demanderesse principale en lien avec l’emploi proposé.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est raisonnable. La décision de l’agent est justifiée, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles auxquelles il était assujetti. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Faits

A. Les demandeurs

[5] La demanderesse principale et le codemandeur sont des citoyens de l’Iran âgés respectivement de 51 ans et 54 ans.

[6] La demanderesse principale a été gestionnaire dans le domaine de la conception et de la rénovation résidentielles pendant sept ans, à Damavand, en Iran, et le codemandeur a été gestionnaire de projets pendant 18 ans.

[7] Le 5 juillet 2022, la demanderesse principale a signé un contrat de travail avec l’entreprise KCM Construction Incorporated (« KCM Construction »), sise à Vancouver, où elle devait occuper le poste de constructrice de résidences. Elle devait entre autres planifier et préparer les horaires de travail, choisir et embaucher les sous‑traitants commerciaux et planifier et gérer les budgets.

[8] Le 10 août 2022, KCM Construction a obtenu une étude d’impact sur le marché du travail (« EIMT ») favorable. Le 1er septembre 2022, KCM Construction s’est enregistrée et pouvait donc embaucher des travailleurs étrangers temporaires en Colombie‑Britannique.

[9] Le 22 octobre 2022, IRCC a confirmé que les demandes de permis de travail des demandeurs avaient été reçues.

B. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] Dans une décision datée du 1er décembre 2022, l’agent a rejeté les demandes de permis de travail des demandeurs. La décision est en grande partie incluse dans ses notes, contenues dans le Système mondial de gestion des cas (le « SMGC), qui font partie des motifs de la décision.

[11] Il est indiqué ce qui suit dans les notes du SMGC :

[traduction]

Dossier examiné. La cheffe de famille souhaite obtenir un permis de travail en vertu d’une EIMT en tant que constructrice de résidences. Compte tenu de la nature du travail, le respect des exigences linguistiques est essentiel. La demanderesse principale a présenté ses résultats au test de l’IELTS, à savoir un niveau B1, une note globale de 5 et une note de 3,5 en lecture.

Compte tenu de ce qui précède et des documents dont je dispose, je ne suis pas convaincu que la demanderesse principale satisfait aux exigences de l’EIMT. Demande refusée.

Époux qui accompagne la demanderesse – la demande de permis de travail ouvert est refusée, compte tenu de ce qui précède.

II. Question et norme de contrôle

[12] La demande de contrôle judiciaire soulève une seule question, soit celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[13] La norme de contrôle n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (« Vavilov ») aux para 16-17 et 23-25). Je suis d’accord. Cela concorde également avec la norme de contrôle utilisée par la Cour fédérale à l’égard de décisions concernant des permis de travail (Choi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 577 au para 12; Toor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1143 au para 6; Baran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 463 aux para 15‑16).

[14] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, notamment le résultat et le raisonnement, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94 et 133‑135).

[15] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir que la décision souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de ce dernier (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

III. Analyse

[16] Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent est déraisonnable. Je ne suis pas d’accord. La décision de l’agent au sujet de la demanderesse principale est raisonnable, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles qui avaient une incidence sur celle-ci (Vavilov, aux para 99‑101). Par conséquent, la décision de l’agent à l’égard du codemandeur est raisonnable.

[17] Les demandeurs font valoir que, dans sa décision, l’agent n’a pas procédé à une analyse rationnelle pour parvenir à la conclusion que la demanderesse principale ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques relatives à l’EIMT. Les demandeurs soutiennent qu’il n’y a aucune « exigence » linguistique précise associée à une EIMT; que l’agent n’a pas expliqué clairement pourquoi la demanderesse principale n’était pas parvenue à établir qu’elle respectait les exigences linguistiques; et que les motifs de l’agent ne montrent pas clairement qu’il y a eu une évaluation linguistique et ne comprennent pas d’analyse détaillée du fait que la demanderesse principale n’est pas parvenue à convaincre l’agent qu’elle serait capable d’exercer les fonctions liées à l’emploi projeté. Les demandeurs font également valoir qu’aucun élément de preuve au dossier n’étaye la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse principale ne possède pas les compétences nécessaires en anglais pour pouvoir travailler.

[18] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en utilisant une déclaration générale pour justifier le rejet de leur demande et qu’il a fait abstraction d’éléments de preuve contradictoires, notamment le fait que les parents et les membres de la fratrie de la demanderesse se trouvent en Iran, le fait qu’elle possède des biens immobiliers en Iran et qu’elle est déjà venue au Canada auparavant. Les demandeurs allèguent que l’agent n’a pas suffisamment traité des aspects positifs des demandes, y compris les antécédents de voyage. En outre, les demandeurs soutiennent que le défendeur ne devrait pas tenter de [traduction] « combler les lacunes » dans le raisonnement déficient de l’agent.

[19] Le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable. Selon lui, il était raisonnable de la part de l’agent de juger qu’il était essentiel que la demanderesse principale respecte les exigences linguistiques si elle voulait effectuer les fonctions liées à l’emploi proposé et de conclure qu’elle ne respectait pas ces exigences, étant donné les résultats [traduction] « faibles » qu’elle a obtenus au test de l’International English Language Testing System (IELTS) et l’absence d’autres éléments de preuve pour étayer ses compétences linguistiques. Le défendeur soutient également que les demandeurs n’ont pas établi que l’agent avait fait abstraction ou mal apprécié certains éléments de preuve pour parvenir à la conclusion qu’ils ne quitteraient pas le Canada à la fin de leur séjour.

[20] Je suis d’accord avec le défendeur. Il incombait aux demandeurs de produire tous les documents pertinents pour obtenir ce permis de travail, et ils devaient présenter la meilleure preuve possible; il était raisonnable de la part de l’agent de conclure qu’ils ne l’avaient pas fait (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 483 au para 30, renvoyant à Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 aux para 42 et 47, Chamma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 29 au para 35 et Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 aux para 10 et 14). Le défendeur souligne à juste titre que, outre les résultats du test de l’IELTS, aucun élément de preuve ne permet de conclure que les compétences linguistiques de la demanderesse principale sont suffisantes pour le poste qu’elle souhaite obtenir. De plus, le défendeur a cité à juste titre à l’audience une décision de ma collègue la juge Kane dans laquelle elle a conclu qu’une note globale de 5 au test de l’IELTS indique que la personne possède des compétences de base en communication, et non des compétences lui permettant de communiquer efficacement (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 266 au para 34). L’agent était donc fondé de conclure que la note globale de 5 au test de l’IELTS produite en preuve était insuffisante pour considérer que la demanderesse principale respectait les exigences requises du poste.

[21] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la décision Bano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 568 (« Bano ») appuie leur observation selon laquelle les exigences linguistiques ne sont pas énoncées clairement dans les motifs de l’agent. Celui‑ci n’a pas imposé des exigences linguistiques plus élevées à la demanderesse principale, comme l’avait fait l’agent dans la décision Bano (au para 24); et la demanderesse principale n’avait pas non plus travaillé précédemment pour cet employeur, comme c’était le cas pour la demanderesse principale dans la décision Bano. L’agent a plutôt évalué le seul élément de preuve en matière de compétences linguistiques dont il disposait et a conclu de façon raisonnable que les résultats de la demanderesse principale n’étaient simplement pas assez élevés pour considérer qu’elle respectait les exigences linguistiques. Je conclus donc que la décision de l’agent à cet égard est justifiée à la lumière des éléments de preuve (Vavilov, aux para 99‑101).

[22] Je ne suis pas non plus d’accord avec les demandeurs pour dire que la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1036 (« Singh ») est pertinente. Dans la décision Singh, mon collègue le juge Mosley a conclu que, selon les directives d’IRCC applicables pour évaluer les compétences linguistiques d’un étranger qui présente une demande un permis de travail en vertu d’une EIMT, l’agent doit, en cas de refus, indiquer clairement dans les notes du système pourquoi le demandeur n’est pas parvenu à le convaincre qu’il serait capable d’occuper l’emploi envisagé (au para 29). Toutefois, il convient de rappeler que les motifs d’un décideur ne doivent pas être jugés au regard d’une « norme de perfection » ni être dissociés du contexte institutionnel dans lequel la décision a été rendue (Vavilov, au para 91). En l’espèce, dans le contexte d’une demande de permis de travail, l’agent a présenté une analyse suffisamment détaillée dans laquelle il a expliqué que les compétences linguistiques en anglais de la demanderesse principale étaient insuffisantes pour l’emploi en question compte tenu des éléments de preuve limités dont il disposait pour faire la preuve de ses compétences linguistiques en lien avec cet emploi. À cet égard, je juge que la décision de l’agent respecte clairement les contraintes juridiques et factuelles qui avaient une incidence sur celle-ci (Vavilov, aux para 99‑101).

[23] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les demandeurs n’ont pas établi que l’agent a fait abstraction ou a mal apprécié les éléments de preuve relatifs aux liens familiaux, aux biens et aux antécédents de voyage dans la décision concernant la demanderesse principale. Il est bien établi en droit que les agents des visas sont présumés avoir soupesé tous les éléments de preuve à leur disposition, sauf preuve du contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) au para 1). Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve (Vavilov, au para 125). Les demandeurs n’ont pas démontré que l’agent avait fait abstraction d’éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions (Kheradpazhooh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1097 au para 18). La décision de l’agent montre plutôt que la conclusion selon laquelle l’objectif du séjour des demandeurs au Canada n’était pas conciliable avec un séjour temporaire était fondée sur les compétences linguistiques de la demanderesse principale, et non sur les liens familiaux, les biens ou les antécédents de voyage des demandeurs. Les demandeurs ne font mention d’aucun élément de preuve qui contredirait cette conclusion et demandent plutôt à ce que les éléments de preuve sous‑tendant la conclusion, indépendamment des motifs de l’agent, soient appréciés à nouveau. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125).

IV. Conclusion

[24] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui avaient une incidence sur celle-ci. Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑12808‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑12808‑22

INTITULÉ :

MARYAM FARBOODI LANGAROODI ET KEYVAN MOHAMMADI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

le 20 septembre 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

LE 22 SEPTEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

Pour les demandeurs

Devi Ramachandran

Michelle Liu

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Avocats

Vancouver-Nord (Colombie-Britannique)

Pour les demAndeurs

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

pour le défendeur

 

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