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Date : 20230920


Dossier : IMM-4789-22

Référence : 2023 CF 1255

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2023

En présence de madame la juge Turley

ENTRE :

JOBAYED HOSSAIN

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Aperçu

[1] Le demandeur, un citoyen du Bangladesh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a conclu qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le demandeur a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve à la SAR en application du paragraphe 110(4) de la LIPR. Pour l’essentiel, la SAR a refusé de les admettre parce qu’elle a conclu qu’ils étaient [traduction] « trop fortuits pour être crédibles » et qu’ils n’avaient aucune valeur probante. Pour ce qui est des nouveaux éléments de preuve qu’elle a admis, la SAR a refusé de tenir une audience parce qu’ils ne répondaient pas aux trois critères du paragraphe 110(6) de la LIPR.

[3] Sur le fond, la SAR a conclu qu’il n’y a pas assez d’éléments de preuve crédibles pour étayer l’allégation du demandeur selon laquelle il craint avec raison d’être persécuté. Le témoignage du demandeur était trop flou, peu fiable et contradictoire à l’égard de plusieurs facteurs importants relatifs à sa demande et la preuve documentaire ne suffisait pas pour remédier aux lacunes dans la preuve.

[4] Le demandeur conteste la décision de la SAR selon laquelle les nouveaux éléments de preuve sont, pour la plupart, inadmissibles. Il prétend que la SAR a mal appliqué les critères prévus par la loi et a manqué à son obligation d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas tenu de voir-dire pour déterminer l’admissibilité. Il soutient en outre que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience sur le fond après avoir admis certains des nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4). Qui plus est, il conteste le caractère raisonnable de la décision de la SAR quant à la crédibilité pour plusieurs motifs.

[5] Pour les motifs qui suivent, je ne vois aucune erreur dans l’interprétation et l’application qu’a faites la SAR des paragraphes 110(4) et (6) de la LIPR ni aucun manquement à l’équité procédurale. La conclusion défavorable de la SAR en matière de crédibilité, qui repose sur une accumulation d’incohérences et de contradictions dans la preuve du demandeur, était tout à fait raisonnable. La présente demande sera rejetée.

II. Le contexte

A. La demande d’asile du demandeur

[6] Le demandeur est arrivé au Canada en janvier 2018, muni d’un permis d’études. En novembre 2018, il a présenté une demande d’asile fondée sur ses opinions politiques. Le demandeur prétend craindre d’être persécuté par la Ligue Jubo [Jubo League; JL], l’aile jeunesse de la Ligue Awami [Awami League] — le parti au pouvoir au Bangladesh, et par l’armée bangladaise.

[7] Le demandeur soutient qu’il a adhéré au Parti libéral-démocrate [Liberal Democratic Party, LDP] en janvier 2017 après que son père, un chef des Fusiliers du Bangladesh [Bangladesh Rifles, BDR], a été injustement emprisonné en 2016 pour avoir refusé de dévoiler des renseignements concernant un incident survenu en 2009 dans le cadre duquel des membres des BDR ont tué des membres de l’armée.

[8] Le demandeur affirme que, en tant que membre du LDP, il a assisté à des réunions, recruté des jeunes et organisé une conférence où il a pris la parole le 1er mai 2017. En outre, il soutient que des membres de la JL l’ont attaqué chez lui le 15 mai 2017. Il a été hospitalisé et sa mère a porté plainte à la police, qui n’a rien fait.

[9] À la suite de deux autres incidents allégués avec des membres de la JL — le premier lorsqu’ils ont menacé la mère et la sœur du demandeur en juin 2017 et le deuxième en juillet 2017 lorsque le demandeur a été battu et a dû être hospitalisé —, le demandeur a quitté Dhaka pour se rendre à Sylhet.

[10] Le demandeur prétend que des membres de la JL se sont présentés à sa résidence à Sylhet le 14 octobre 2017, mais il n’y était pas.

[11] Après cela, le demandeur est déménagé à Chittagong et est resté chez Riad Hossain, un ami journaliste. Le demandeur affirme que, le 30 octobre 2017, son ami a publié un article sur le père du demandeur et qu’il y a nommé le demandeur. Le lendemain, l’armée est venue à sa recherche et il s’est enfui à Comilla.

[12] Le demandeur soutient que son père l’a appelé de la prison pour lui conseiller de quitter le Bangladesh parce que l’armée était à sa recherche.

B. La décision de la SAR

(1) Admission de nouveaux éléments de preuve

[13] Le demandeur a tenté de présenter sept documents en tant que nouveaux éléments de preuve devant la SAR, soit : (i) un affidavit de Riad Hossain daté du 17 décembre 2021; (ii) une déclaration de Kabir Hossain, un journaliste, datée du 17 novembre 2021; (iii) un billet de blogue rédigé par Kabir Hossain et daté du 5 décembre 2021 portant sur une entrevue avec le demandeur; (iv) un rapport daté du 6 décembre 2021 qui a été déposé au poste de police de Hazaribagh; (v) un premier rapport d’information daté du 7 décembre 2021; (vi) une copie du billet de blogue écrit par Kabir Hossain soumis au tribunal et (vii) un mandat d’arrestation délivré le 13 décembre 2021 : motifs de la décision de la SAR datée du 29 avril 2022 [les motifs de la SAR], au para 14. De même, le demandeur a tenté de présenter ses propres affidavits datés des 13 novembre 2021 et 3 mars 2022.

[14] La SAR a admis les affidavits du demandeur et l’affidavit de Riad Hossain au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR. Elle a toutefois refusé de tenir une audience sur le fond en application du paragraphe 110(6), car ces nouveaux éléments de preuve ne répondaient pas aux trois critères prescrits par la loi. La SAR a conclu que les éléments de preuve : (i) ne soulevaient pas de question importante quant à la crédibilité du demandeur; (ii) n’étaient pas essentiels pour la prise de sa décision; et (iii) n’étaient pas suffisants pour justifier que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas : motifs de la SAR, au para 30.

[15] La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve relatifs au billet de Kabir Hossain publié en décembre 2021 concernant l’entrevue qu’il a réalisée avec le demandeur en novembre 2021 ainsi que les documents relatifs à la plainte à la police et le mandat d’arrestation (énumérés aux points (ii) à (vii) du paragraphe 13 des présentes), parce qu’elle a conclu qu’ils n’étaient pas crédibles et que leur valeur probante était insuffisante. En se fondant sur la jurisprudence de notre Cour, la SAR a conclu que le moment d’obtention et le contenu de ces nouveaux éléments de preuve étaient « suspicieusement commode[s] », de sorte qu’ils étaient « trop fortuits pour être crédibles » : motifs de la SAR, aux para 21-27.

[16] La SAR a établi, selon la chronologie des événements, que le demandeur avait participé à l’entrevue pour créer des éléments de preuve en vue de son appel à la SAR pour faire état du risque auquel il serait exposé :

[22] Dans son affidavit, présenté dans le dossier d’appel de novembre 2021, l’appelant signale qu’il fournira des documents judiciaires concernant son père et lui. Plus précisément, il fournira une ordonnance du tribunal à son égard. Il ne l’a toutefois pas fait. Il a plutôt fourni des éléments de preuve au sujet du blogue et des documents de la police. Le moment de l’entrevue qui a mené au blogue est important. Dans son affidavit de mars 2022, l’appelant reconnaît avoir accordé une entrevue au journaliste en novembre 2021. Autrement dit, il a fait une entrevue après la présentation du dossier d’appel et, au lieu de fournir les documents du tribunal pour son père et une ordonnance du tribunal le concernant, il a plutôt fourni cette preuve.

[17] Fait important, la SAR a déclaré que, même s’ils avaient été admis au dossier, les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas modifié pas sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas démontré le risque auquel il serait exposé. Cela est attribuable au laps de temps considérable (quatre ans) entre le moment où il a quitté le Bangladesh et le risque auquel il serait exposé : motifs de la SAR, au para 64.

(2) Nombre de conclusions défavorables en matière de crédibilité

[18] Pour en arriver à sa décision quant à la crédibilité, la SAR a procédé à une évaluation indépendante des éléments de preuve et des arguments, notamment à un examen des transcriptions de l’audience de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SAR a conclu, à la lumière de son examen approfondi, que le témoignage du demandeur « était trop vague et contradictoire au sujet de questions fondamentales pour être crédible » : motifs de la SAR, au para 34.

[19] La SAR a tiré les conclusions suivantes quant à la crédibilité :

(i) L’imprécision des réponses du demandeur à l’égard de questions clés, notamment quant aux politiques du LDP, ne concordait pas à la participation au LDP qu’il prétendait avoir, dont sa présence à des rencontres, le recrutement de jeunes membres et l’organisation d’une conférence : motifs de la SAR, aux para 35-38.

(ii) Compte tenu de la prétendue participation du demandeur à titre d’organisateur de la conférence du LDP tenue en mai 2017, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il en sache davantage au sujet des conférenciers et des sujets : motifs de la SAR, aux para 42-43.

(iii) La confusion générale et le manque de cohérence dans les éléments de preuve concernant diverses adresses militent contre la crédibilité du demandeur : motifs de la SAR, aux para 39-42, 53‑54.

(iv) Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve probants qui démontraient que l’agression dont le demandeur avait été victime était liée à ses activités politiques : motifs de la SAR, au para 44.

(v) La preuve concernant les discussions que le demandeur aurait eues avec deux groupes de défense des droits de la personne était vague et peu fiable. En outre, l’omission de ces deux rencontres de son exposé circonstancié constituait « une omission importante » : motifs de la SAR, au para 45.

(vi) Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles concernant un article d’octobre 2017 qui faisant référence au demandeur. En l’absence d’éléments de preuve crédibles, il est peu probable que l’armée se soit rendue chez l’ami à Chittagong en raison de l’article : motifs de la SAR, aux para 49-50.

(vii) Des récits vagues au sujet d’événements qui sont survenus après le départ du demandeur ne sont pas suffisants pour établir qu’il existe un risque de persécution : motifs de la SAR, au para 51.

(viii) La lettre du LDP n’est pas crédible parce que l’adresse du LDP est la même que celle du demandeur, et elle ne contient pas de renseignements sur des événements importants comme la conférence de mai 2017 : motifs de la SAR, aux para 39-40, 42, 53.

(ix) Le témoignage du demandeur concernant sa fuite de Comilla n’est pas cohérent : motifs de la SAR, au para 57.

(x) Compte tenu des conditions de détention au Bangladesh, il est peu probable que le père du demandeur ait eu accès à un téléphone pendant son emprisonnement et qu’il ait averti le demandeur que les autorités le cherchaient : motifs de la SAR, aux para 58-61.

[20] Compte tenu de l’effet cumulatif de ces préoccupations quant à la crédibilité, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer la demande du demandeur. Elle a conclu « qu’il est peu probable que les événements décrits par l’appelant se soient produits » et « qu’il est improbable qu’il y ait un risque potentiel de préjudice » : motifs de la SAR, au para 62.

(3) Aucun risque futur

[21] La SAR a rejeté l’argument du demandeur selon lequel la SPR a commis une erreur en n’évaluant pas sa crainte de persécution de fait de son appartenance à sa famille. Elle a déclaré qu’il existe un laps de temps considérable entre le moment où le demandeur a quitté le Bangladesh et le risque auquel il serait exposé. Elle a souligné que sa dernière action avait été un article de journal paru en 2017 et qu’il avait quitté le pays en avril 2018, plus de quatre ans plus tôt : motifs de la SAR, aux para 63-64.

[22] Qui plus est, la SAR a déclaré que les éléments de preuve relatifs aux menaces continues de la part des agents du préjudice n’étaient pas crédibles : motifs de la SAR, au para 64. Elle a notamment conclu que les éléments de preuve étaient vagues et insuffisants pour établir qu’il existait un risque futur de persécution : motifs de la SAR, au para 51. Néanmoins, la SAR a conclu que même si les allégations étaient crédibles, le laps de temps considérable entre le moment où le demandeur avait quitté le Bangladesh milite contre la probabilité qu’il eût eu une crainte fondée de persécution : motifs de la SAR, au para 64.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[23] Le demandeur énonce ainsi les questions en litige :

A. Est-ce que la SAR a porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale lorsqu’elle a soulevé une nouvelle question en appel sans lui donner la possibilité d’y répondre?

B. Est-ce que la SAR a porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience à la lumière des nouveaux éléments de preuve?

C. Est-ce que la SAR a porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en ne procédant pas à une analyse distincte au titre de l’article 96 de la LIPR?

D. Est-ce que la décision de la SAR était raisonnable?

[24] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la majorité des questions qu’il soulève ont trait à l’équité procédurale. Le fond de la majorité des arguments du demandeur est plutôt susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. J’estime qu’il est plus approprié de formuler ainsi les questions que la Cour doit trancher :

A. Est-ce que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a refusé d’admettre de nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR et, plus particulièrement :

(1) Est-ce que la SAR a mal interprété les critères applicables à l’admission de nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4)?

(2) Était-il injuste de la part de la SAR de ne pas tenir d’audience pour trancher la question de l’admissibilité des éléments de preuve?

B. La SAR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a refusé de tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR après avoir admis de nouveaux éléments de preuve?

C. Est-ce que la décision de la SAR était raisonnable et, plus particulièrement :

(1) La SAR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a remis en question l’authenticité de la preuve documentaire?

(2) La SAR a-t-elle exigé d’autres éléments de preuve corroborants?

(3) La SAR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer l’allégation du demandeur selon laquelle il craignait avec raison d’être persécuté?

[25] La question énoncée au point A(2) en est une d’équité procédurale — le processus suivi par la SAR pour en arriver à sa décision quant à l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve était-il équitable : Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1145 [Mohamed] au para 9; Homauoni v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1403 [Homauoni] au para 17.

[26] Les allégations de manquement à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon une norme qui s’apparente à celle de la décision correcte : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique] au para 54. La cour de révision doit évaluer si la procédure suivie par le décideur était équitable dans les circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35.

[27] Les questions énoncées aux points A(1) et B ont trait à l’interprétation et à l’application qu’a faites la SAR des paragraphes 110(4) et (6) de la LIPR. Ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 [Singh (2016)] aux para 23, 29, 74; Mohamed, au para 8; Homauoni, au para 16; Abdulai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 173 au para 22; Akinyemi‑Oguntunde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 666 au para 15.

[28] La norme de la décision raisonnable s’applique aussi aux questions énoncées aux points C(1) à (3), qui portent sur les conclusions de la SAR en matière de crédibilité et l’appréciation générale de la preuve : Vavilov, aux para 125-126. Urbieta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 815 au para 14; Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6.

[29] Comme l’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Pour qu’une décision résiste à un examen minutieux, elle doit posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » : Vavilov, au para 99.

IV. Analyse

A. La SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a refusé d’admettre de nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4)

[30] Le demandeur conteste le refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve liés au blogue de décembre 2021 et aux documents d’arrestation (dont il est question précédemment au paragraphe 13) du demandeur au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR. Il soutient que la SAR : (i) a appliqué incorrectement les critères prescrits par la loi lorsqu’elle a conclu que les éléments de preuve étaient inadmissibles; et (ii) a manqué à son obligation d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas tenu de voir-dire pour établir leur admissibilité.

[31] Je ne crois pas que la SAR a commis une erreur à ces égards. Avant d’examiner ces questions, je dois présenter le cadre législatif.

[32] Selon la règle générale, la SAR procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la SPR : LIPR, paragraphe 110(3).

[33] L’exception à cette règle est énoncée au paragraphe 110(4) de la LIPR, qui dispose que la SAR peut admettre de nouveaux éléments de preuve dans des circonstances limitées :

Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

[34] Outre ces critères prescrits par la loi, la SAR doit prendre en considération les critères pertinents de nouveauté, de pertinence et de crédibilité énoncés dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza] : Singh (2016), aux para 38-49.

[35] Lorsque la SAR admet de nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4), elle peut exercer son pouvoir discrétionnaire de tenir une audience si les éléments de preuve : (i) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; (ii) sont essentiels pour la prise de la décision; et (iii) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas : LIPR, paragraphe 110(6). Les trois critères doivent être réunis pour que la SAR tienne une audience : Singh (2016), aux para 48, 51, 71.

(1) La SAR n’a pas commis d’erreur dans son interprétation et son application du paragraphe 110(4)

[36] Le demandeur soutient que la SAR a mal interprété le paragraphe 110(4) parce qu’elle a apprécié la crédibilité des nouveaux éléments de preuve pour en déterminer l’admissibilité. Il prétend que cela a [traduction] « ajouté un nouveau critère » au paragraphe 110(4) qui [traduction] « n’est pas envisagé dans la LIPR ou dans la jurisprudence » : mémoire des faits et du droit du demandeur [le mémoire du demandeur], aux para 23, 26.

[37] Or, l’argument du demandeur n’est pas fondé. La jurisprudence appuie manifestement l’approche de la SAR. Comme il est indiqué précédemment, la Cour d’appel fédérale a déclaré, dans Singh (2016), qu’en plus des critères exprès du paragraphe 110(4), la SAR doit tenir compte des critères implicites d’admissibilité énoncés dans Raza, notamment la crédibilité, la pertinence et la nouveauté : Singh (2016), aux para 38-49.

[38] En appliquant les critères pertinents, la SAR a conclu que les éléments de preuve liés au billet rédigé par Kabir Hossain en décembre 2021 et les documents d’arrestation du demandeur n’étaient pas admissibles parce qu’ils étaient « trop fortuits pour être crédibles » et qu’ils n’avaient pas de valeur probante. La SAR a conclu que le moment d’obtention et le contenu de ces documents étaient « suspicieusement commode[s] » :

Après que l’appelant a indiqué à la SAR qu’il y aurait d’autres éléments de preuve, il y a eu un contact entre le journaliste et l’appelant, et le journaliste a écrit un blogue qui soutient l’appel de l’appelant. Ce moment est suspicieusement commode.

En outre, le contenu de la preuve est suspicieusement commode. Lorsque l’appelant n’a pas pu obtenir la preuve documentaire promise concernant la cause de son père et une ordonnance du tribunal à son égard, il a participé à une entrevue afin qu’un blogue soit rédigé. Puis, la police l’a cherché.

Motifs de la SAR, aux para 25-26.

[39] L’approche de la SAR est conforme à la jurisprudence de notre Cour selon laquelle des éléments de preuve peuvent raisonnablement être considérés comme étant douteux selon le moment suspect auquel les événements ont eu lieu : Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 572 au para 44; Idugboe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 334 aux para 21-25; Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 296 aux para 32‑36; Meng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 365 au para 22.

(2) Il n’était pas inéquitable de rendre une décision en matière d’admissibilité au titre du paragraphe 110(4) sans tenir d’audience

[40] Le demandeur affirme que la SAR aurait dû tenir un voir-dire pour trancher la question de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve avant de les rejeter au motif qu’ils manquaient de crédibilité. Il n’y a pas de fondement législatif qui permet à la SAR de tenir une audience pour établir l’admissibilité d’éléments de preuve.

[41] La SAR ne peut tenir une audience que lorsque de nouveaux éléments de preuve sont admis en application du paragraphe 110(4) et que ceux-ci satisfont aux critères prescrits par la loi pour la tenue d’une audience selon le paragraphe 110(6) : Singh (2016), aux paras 48, 51, 71; Gunasinghe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 400 au para 33; Rehman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 783 [Rehman] au para 44; Mohamed, aux para 19-22.

[42] Comme l’a indiqué le juge Ahmed dans la décision A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 61 [AB] :

[17] Compte tenu de la jurisprudence, les demandeurs ont présenté une conception erronée de l’application des paragraphes 110(4) et 110(6) de la LIPR. Rien n’oblige la SAR à tenir une audience pour évaluer la crédibilité d’un nouvel élément de preuve; c’est lorsqu’une preuve par ailleurs crédible et admise soulève une préoccupation importante quant à la crédibilité générale du demandeur qu’il devient pertinent de tenir une audience. Une « conclusion concernant la crédibilité » relativement à l’admissibilité d’un nouvel élément de preuve n’équivaut pas à une appréciation de la crédibilité des demandeurs. [Souligné dans l’original.]

[43] Notre Cour a conclu que le refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve en raison de leur manque de crédibilité sans tenir d’audience ou sans donner d’avis quant à ses préoccupations concernant les nouveaux éléments de preuve ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale : Rehman, aux para 45-49; Marquez Obando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 441 aux paras 25-28; Mohamed, aux para 10-23.

[44] Lorsqu’il a conclu que la SAR n’a pas manqué à ses obligations au titre de l’article 110 de la LIPR ou à son obligation d’équité procédurale en ne tenant pas d’audience avant de décider que les éléments de preuve ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4), le juge McHaffie a fait la déclaration suivante dans la décision Mohamed :

[22] …. Cependant, même si l’obligation d’équité nécessiterait une audience dans ces circonstances, ce que je n’ai pas à trancher, les dispositions législatives régissant la procédure d’un tribunal l’emportent sur toute obligation en common law, en l’absence d’une contestation constitutionnelle : Ocean Port Hotel Ltd. c Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781, au paragraphe 22. Le paragraphe 110(6) est la seule disposition législative qui permet à la SAR de tenir une audience. Le paragraphe 110(3) prévoit que la SAR doit par ailleurs procéder sans tenir d’audience. Cette exigence de la loi supplante toute exigence d’équité procédurale imposée par la common law qui pourrait autrement s’appliquer. Comme cela a été le cas dans l’arrêt Singh (2016), aucune contestation constitutionnelle du régime d’appel énoncé à l’article 110 de la LIPR n’a été soulevée dans l’affaire qui nous occupe : Singh (2016), aux para 61-63.

[45] De même, aucune contestation constitutionnelle de l’article 110 de la LIPR n’a été soulevée en l’espèce. La SAR n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas d’audience avant de décider que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas crédibles et qu’ils étaient donc inadmissibles au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR.

[46] Quoiqu’il en soit, cette question est, au bout du compte, purement théorique parce que la SAR a conclu que même si ces éléments de preuve avaient été admis, ils ne modifieraient pas la conclusion selon laquelle le laps de temps milite contre la probabilité d’un risque de persécution : motifs de la SAR, au para 64.

B. La SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a refusé de tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) après avoir admis de nouveaux éléments de preuve

[47] Le demandeur prétend que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a refusé de tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) à l’égard d’un nouvel élément de preuve qu’elle a admis (l’affidavit de Riad Hossain). Il soutient que si une audience avait été tenue, il [traduction] « aurait pu fournir une explication raisonnable relativement à l’adresse de M. Hossain, qui différait du témoignage du demandeur » : mémoire du demandeur, au para 33.

[48] Comme la Cour d’appel fédérale l’a dit, « la tenue d’une audience n’est pas automatique dès lors qu’une nouvelle preuve est admise devant la SAR » : Singh (2016), au para 71. Néanmoins, les nouveaux éléments de preuve doivent satisfaire aux trois critères énoncés au paragraphe 110(6), soit qu’ils : (i) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; (ii) sont essentiels pour la prise de la décision; et (iii) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas : Singh (2016), aux para 48, 51.

[49] Le demandeur n’a pas traité des trois critères. Il n’aborde que la crédibilité : il allègue que la SAR s’est appuyée sur la preuve pour jeter le doute sur sa crédibilité en raison de la divergence entre son témoignage et l’adresse de Riad Hossain : mémoire du demandeur, au para 35. Bien que la SAR ait admis l’affidavit de Riad Hossain, elle a établi que cet élément de preuve a une « valeur probante minime » : motifs de la SAR, au para 20. Dans cette optique, je ne crois pas que la SAR a utilisé la preuve pour jeter le doute sur la crédibilité du demandeur. En effet, la preuve ne permettait pas de surmonter les préoccupations de la SPR.

[50] Pour satisfaire aux deuxième et troisième critères, le demandeur devait démontrer que les éléments de preuve provenant de Riad Hossain constituaient des « éléments de preuve documentaire essentiels et déterminants » : Mohamed, au para 12.

[51] Dans Singh (2016), la Cour d’appel fédérale a ainsi expliqué le fardeau qui incombe au demandeur de satisfaire aux trois critères :

[71] Or, tel que mentionné plus haut, la tenue d’une audience n’est pas automatique dès lors qu’une nouvelle preuve est admise devant la SAR. Encore faut-il que cette nouvelle preuve satisfasse aux trois critères énoncés au paragraphe 110(6) de la LIPR. En l’occurrence, on n’a même pas tenté de démontrer en quoi le Diplôme était déterminant pour établir la crédibilité de l’intimé et de quelle façon il viendrait pallier les diverses lacunes de son témoignage identifiées par la SPR et confirmées par la SAR. Faut‑il le rappeler, la SPR a conclu que le récit de l’intimé était défaillant à plusieurs égards : il s’est contredit quant au moment précis où son père a été victime d’une attaque cardiaque, ni ses allégations de torture ni la condition médicale dans laquelle se trouverait son père ne sont corroborées par la preuve médicale, et il a présenté en preuve des documents frauduleux et altérés, en plus de ne faire aucune démarche pour obtenir des documents probants et acceptables permettant d’établir son identité. Compte tenu de tous ces facteurs, il est loin d’être acquis que le Diplôme serait essentiel pour trancher la demande d’asile de l’intimé et justifierait que cette demande soit accordée. [Non souligné dans l’original.]

[52] De même, en l’espèce, la SPR et la SAR ont rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de l’effet cumulatif de nombreuses conclusions quant à la crédibilité. On ne saurait affirmer que la préoccupation de la SPR et de la SAR quant à l’adresse de Riad Hossain était [traduction] « déterminante » pour établir la crédibilité du demandeur.

[53] Lorsqu’elle a refusé de tenir une audience relative aux nouveaux documents qu’elle a admis au dossier, la SAR a appliqué les trois critères prescrits par la loi de façon raisonnable. Elle a conclu que les documents (i) ne soulevaient pas de question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur puisqu’ils existaient déjà; (ii) ils n’étaient pas essentiels à la prise de décision, mais faisaient plutôt partie des nombreux éléments à considérer; et (iii) ils n’étaient pas suffisants pour justifier que la demande d’asile soit accordée ou refusée parce qu’ils ne fournissaient que quelques détails : motifs de la SAR, au para 30.

C. La décision de la SAR était raisonnable

[54] La question déterminante dont la SPR et la SAR étaient saisies était la crédibilité. Bien que la SAR ait confirmé les conclusions de la SPR, elle s’est livrée à un examen approfondi et détaillé de la preuve pour en arriver à une appréciation indépendante de la crédibilité du demandeur : motifs de la SAR, aux para 31-69.

[55] Il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la SAR quant à son appréciation de la crédibilité : Aldaher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1375 au para 23; Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178 [Sary] au para 23; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 22; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558 au para 11. Comme le juge Gascon l’a indiqué, « [l]es questions de crédibilité sont au cœur même de la compétence de la SAR » : Sary, au para 23.

[56] Le demandeur s’attache à tort aux conclusions individuelles quant à la crédibilité de la SAR. Il appert manifestement de la jurisprudence établie que la SAR n’est pas tenue d’examiner isolément les incohérences, contradictions et omissions. Elle peut plutôt s’appuyer sur une accumulation de celles-ci pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité : Hirimuthugoda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 784 au para 11; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 22; Sary, au para 19; Quintero Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262 au para 1.

[57] C’est précisément ce que la SAR a fait en l’espèce — elle a fondé sa décision en matière de crédibilité sur une appréciation générale de la preuve :

[62] Lorsque j’examine l’effet cumulatif des préoccupations mentionnées ci-dessus relatives à la crédibilité au sujet de questions fondamentales, j’estime qu’elles sont suffisantes pour conclure qu’il est peu probable que les événements décrits par l’appelant se soient produits. Les questions de crédibilité sont en soi suffisantes pour conclure qu’il est improbable qu’il y ait un risque potentiel de préjudice.

(1) La SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a mis en question l’authenticité de la lettre du LDP

[58] Le demandeur avance deux arguments distincts quant à l’analyse qu’a faite la SAR de la lettre du LDP. D’abord, il soutient que la SAR aurait dû lui permettre de donner suite à ses préoccupations relatives à l’authenticité de la lettre parce qu’il s’agissait d’une nouvelle question. Il affirme ensuite que la SAR a commis une erreur parce qu’elle n’a pas appliqué la présomption de régularité. Je ne souscris pas à ces arguments.

(a) La crédibilité et l’authenticité de la lettre du LDP ne constituent pas de nouvelles questions

[59] La conclusion de la SAR ne soulève pas de nouvelle question parce que la SPR a dû se pencher sur l’authenticité et la crédibilité de la lettre du LDP : motifs de la décision de la SPR datée du 20 juillet 2021 [les motifs de la SPR], aux para 27-29.

[60] La SPR a examiné la lettre, mais elle ne lui a accordé aucun poids parce l’adresse indiquée dans l’en-tête était la même que l’adresse personnelle du demandeur. La SPR a expressément interrogé le demandeur à cet égard; elle a toutefois dit que ses réponses n’étaient pas crédibles et a conclu que ses réponses [traduction] « changeaient en fonction de la difficulté qui lui était soumise » : motifs de la SPR, au para 28. En outre, la SPR n’a pas pu établir la provenance de la lettre sans les pièces d’identité de l’auteur, bien qu’elle ait demandé au demandeur de lui fournir ces renseignements. La SPR a constaté que l’auteur n’était pas, selon le cartable national de documentation sur le Bangladesh, un membre de la direction du LDP : motifs de la SPR, au para 29.

[61] La SAR a fondé sa conclusion selon laquelle la lettre du LDP n’était pas crédible, et vraisemblablement pas authentique, sur les difficultés liées aux adresses que la SPR avait déjà soulevées. Qui plus est, la SAR a conclu que la lettre ne faisait pas référence à des renseignements importants, notamment la conférence de mai 2017 que le demandeur avait censément organisée : motifs de la SAR, aux para 39-42, 53. Dans les circonstances, il est tout simplement erroné de qualifier l’authenticité et la crédibilité de la lettre du LDP comme étant de [traduction] « nouvelles questions » que la SAR était tenue d’aborder avec le demandeur.

(b) La lettre du LDP n’est pas un document de l’État

[62] Je rejette l’argument du demandeur selon lequel la lettre du LDP, qui aurait été rédigée par un dirigeant du parti politique de l’opposition au Bangladesh, devrait être présumée authentique, sauf preuve du contraire.

[63] Il ressort clairement de la jurisprudence de notre Cour que la présomption d’authenticité s’applique aux documents de l’État délivrés par une autorité publique compétente : Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 576 [Liu] au para 85; Jele c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 24 au para 40; Adesida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CC 256 au para 19; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133 au para 10; Manka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 522 au para 8; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 756 au para 17.

[64] Comme le juge Norris l’a expliqué dans la décision Liu, la présomption repose sur le principe de la courtoisie :

[85] Ce principe n’est qu’un prolongement, à titre de courtoisie, de la présomption de régularité — c.-à-d. « omnia praesumuntur rite et solemniter esse acta donec probetur in contrarium », ou « toute chose est présumée être faite conformément à la règle et dans le respect de la formalité à moins de preuve du contraire » — aux agissements des États étrangers : voir Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII au par. 5 (CF).

[65] La SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle n’a pas appliqué la présomption d’authenticité à la lettre du LDP.

(2) La SAR n’avait pas besoin d’autres éléments de preuve corroborants

[66] Le demandeur se méprend sur la décision de la SAR; il soutient que cette dernière [traduction] « avait besoin d’autres éléments de preuve corroborants » concernant la conférence du LDP en mai 2017 et l’article rédigé en octobre 2017. La SAR a conclu, à l’égard des deux questions, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et elle a déclaré que des éléments de preuve corroborants « auraient aidé » : motifs de la SAR, aux para 43, 49.

[67] J’estime que les décisions que le demandeur a invoquées se distinguent de l’espèce. Dans ces décisions, la SAR avait conclu que l’absence de documents corroborants minait les allégations du demandeur : Khamdamov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1148 aux para 11, 16. Amarapala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 12 [Amarapala] aux para 3, 11. Dans le cas qui nous occupe, la SAR ne s’est pas appuyée sur un manque de corroboration pour douter de la crédibilité du demandeur.

[68] En ce qui concerne la conférence du LDP en mai 2017, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles qui démontraient que le demandeur avait été un organisateur. La SAR a déclaré qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur, en tant qu’organisateur, connaisse des détails généraux, notamment le nom des conférenciers et des renseignements sur ce dont ils ont parlé. Lorsqu’il s’est fait poser des questions sur les sujets abordés, le demandeur a donné une réponse très vague et a dit qu’ils portaient sur le gouvernement qui faisait « de mauvaises choses » sans plus de détails. La SAR a dit que des éléments de preuve corroborants, comme une affiche, « auraient pu permettre de clarifier cette question » : motifs de la SAR, au para 43.

[69] En outre, la SAR a constaté que la lettre du LDP ne faisait pas référence à la conférence. Elle a toutefois indiqué clairement qu’elle ne tirait pas de conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur en l’absence de cette preuve, mais que des « éléments de preuve corroborants auraient été utiles » : motifs de la SAR, au para 43.

[70] La SAR a aussi conclu que la preuve relative à un article faisant référence au demandeur publié en octobre 2017 était contradictoire. Lorsqu’il s’est fait poser des questions sur l’article, le demandeur a répondu qu’un seul journal l’avait publié. Son exposé circonstancié faisait toutefois référence à plusieurs publications qui avaient employé son nom. De même, les cartes d’identité du journaliste posaient problème. La SAR a déclaré que « des éléments de preuve corroborants qui auraient pu fournir plus de détails et appuyer l’existence de l’article auraient été utiles » : motifs de la SAR, au para 49.

(3) Absence de preuve crédible pour étayer la crainte fondée de persécution du demandeur

[71] Je rejette l’argument du demandeur selon lequel la SAR ne s’est pas penchée sur la question de savoir s’il a établi qu’il a une crainte fondée d’être persécuté au sens de l’article 96 de la LIPR. Après s’être livrée à un examen approfondi de la preuve, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer la demande d’asile du demandeur : motifs de la SAR, aux para 33, 62, 66-69. Les éléments de preuve concernant des questions fondamentales étaient trop vagues et incohérents qu’il était « peu probable que les événements décrits par l’appelant se soient produits » : motifs de la SAR, au para 62.

[72] Il incombe au demandeur d’asile de démontrer une revendication crédible : Gamalathge Don c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1086 au para 16; Amarapala, au para 12. Je souscris à la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de produire suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer sa demande d’asile :

[69] L’appelant a eu amplement l’occasion de fournir des éléments de preuve crédibles et suffisants pour appuyer sa description des événements qui se seraient produits; il ne l’a pas fait. Il a eu droit à une audience qui a duré plus de deux séances et à un appel devant la SAR. Il y a eu suffisamment d’occasions de fournir des éléments de preuve probants. Comme il ne l’a pas fait, je conclus que l’appelant n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

[73] Bien que la SAR eût conclu que la preuve relative aux menaces continues n’était pas crédible, elle a affirmé que même si ces allégations étaient crédibles, le laps de temps considérable entre les activités de l’appelant et un risque de préjudice milite contre la probabilité qu’il ait une crainte fondée de persécution : motifs de la SAR, au para 64.

[74] En alléguant qu’il craint avec raison d’être persécuté en tant que [traduction] « membre d’une famille BDR », le demandeur invoque de nouveaux éléments de preuve que la SAR a déclarés inadmissibles : mémoire du demandeur, au para 52. En outre, il soutient qu’il a produit [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve pour établir un lien » : mémoire du demandeur, aux para 58, 62. Essentiellement, le demandeur prie la Cour de déterminer de nouveau l’admissibilité et la suffisance des éléments de preuve présentés à la SPR et à la SAR. Comme le souligne la Cour suprême, « [l]es cours de révision doivent également s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur’ » : Vavilov, au para 125.

V. Conclusion

[75] La SAR n’a pas mal interprété et mal appliqué les paragraphes 110(4) et (6) de la LIPR. Elle a agi de façon raisonnable lorsqu’elle a refusé d’admettre, en raison d’un manque de crédibilité, de nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4). En outre, la SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience avant d’établir que les nouveaux éléments de preuve étaient inadmissibles. La SAR a aussi agi de façon raisonnable lorsqu’elle a refusé de tenir une audience en application du paragraphe 110(6) parce que les nouveaux éléments de preuve qu’elle a admis ne satisfaisaient pas aux trois critères prescrits par la loi.

[76] Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans l’évaluation de la SAR, qui a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer une crainte fondée de persécution. La décision de la SAR possède les caractéristiques nécessaires de transparence, de justification et d’intelligibilité.

VI. Les questions proposées aux fins de certification

[77] Le demandeur propose la certification de trois questions :

(i) La SAR a-t-elle la compétence et l’obligation de tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) lorsque le tribunal a l’intention d’introduire de nouvelles préoccupations liées à la crédibilité qui n’ont pas été soulevées pendant l’audience initiale de la SPR relative à la demande d’asile, et ces préoccupations sont directement liées à la preuve admise au dossier au cœur de l’appel?

(ii) La SAR est-elle légalement tenue de défendre les principes d’équité procédurale et de justice naturelle, y compris l’obligation de tenir un voir-dire, lorsque le tribunal tente d’apprécier la crédibilité de nouveaux éléments de preuve produits pendant un appel dans le cadre de son appréciation de l’admissibilité des éléments de preuve?

(iii) Quel est le seuil fondamental d’équité procédurale auquel un appelant a droit dans le cadre d’une procédure devant la SAR, notamment lorsque le tribunal choisit d’intégrer des facteurs qui ne sont pas prévus dans la loi, tel qu’il est indiqué dans Raza et Singh, pour présenter de nouvelles préoccupations liées à la crédibilité tout en appréciant l’admissibilité d’éléments de preuve qui ont été récemment produits pendant l’appel?

[78] Je constate d’abord que le demandeur n’a pas observé les Lignes directrices consolidées pour les instances d’immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté de la Cour datées du 29 juin 2023 [les Lignes directrices]. Selon le paragraphe 36 des Lignes directrices, « [s]i une partie entend proposer une question à certifier, la partie opposée doit en être informée au moins cinq jours avant l’audience, pour que les parties s’entendent sur le libellé de la question proposée. » Le demandeur a soumis les questions proposées à la Cour et à l’avocate du défendeur le vendredi 25 août 2023, soit trois jours avant l’audience prévue.

[79] Le défendeur a fait valoir que le demandeur avait eu amplement de temps pour proposer des questions à certifier conformément aux Lignes directrices. Pour expliquer l’inobservation des Lignes directrices, l’avocat du demandeur a dit que l’audience avait d’abord été fixée au 31 août 2023. Il avait donc consigné le 25 août 2023 comme date à laquelle les questions à certifier devaient être proposées. Comme aucun avis n’a été communiqué conformément aux Lignes directrices, j’ai donné au défendeur l’occasion de soumettre des observations écrites pour donner suite aux questions proposées aux fins de certification.

[80] Même si le demandeur n’a pas observé les Lignes directrices, j’ai décidé d’examiner les questions proposées.

[81] Une question certifiée doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Canada (Citoyenneté et Immigration) c Laing, 2021 CAF 194 au para 11; Reyes c Canada, 2017 CAF 130 [Lewis] au para 36. Pour qu’une question soit d’importance générale, elle ne peut pas avoir déjà été tranchée dans la jurisprudence. La Cour d’appel fédérale souligne que « toutes les questions certifiées à bon droit ne bénéficient d’aucune source jurisprudentielle » : Lewis, au para 39.

[82] En outre, un point qui n’a pas à être tranché ne saurait jamais soulever une question dûment certifiée : Lai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21 au para 10. Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire : Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 aux para 46, 47; Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 aux para 15, 35; Lewis, au para 36.

[83] À mon avis, les questions dont la certification est proposée ne respectent pas les critères de certification.

[84] Les première et deuxième questions soulèvent des questions qui ont déjà été tranchées dans la jurisprudence. Les deux portent sur l’interprétation et l’application du paragraphe 110(6) de la LIPR et les circonstances dans lesquelles la SAR peut tenir une audience. Comme il est indiqué précédemment, la Cour d’appel fédérale a tranché ces questions dans l’arrêt Singh (2016), qui a été appliqué de la même façon par notre Cour.

[85] La SAR ne peut tenir une audience que s’il y a de nouveaux éléments de preuve par l’effet combiné des paragraphes 110(3), (4), et (6) de la LIPR : Singh (2016), au para 51.

[86] En outre, la deuxième question ne soulève pas [traduction] « de question qui doit être déterminante quant à l’issue de l’appel ». La SAR a conclu que même si les documents concernant le blogue et la plainte à la police avaient été admis en preuve, ils n’auraient pas modifié la conclusion selon laquelle il n’y avait pas de risque de persécution compte tenu du laps de temps considérable depuis que le demandeur avait quitté le Bangladesh. Par conséquent, la question de savoir si la SAR a manqué à l’équité procédurale parce qu’elle n’a pas tenu de voir‑dire est purement théorique. L’issue aurait été la même.

[87] Les deuxième et troisième questions ne constituent pas des questions qu’il convient de certifier parce qu’elles ne transcendent pas les intérêts des parties au litige. Les critères relatifs à l’équité procédurale sont fonction des faits : Vavilov, au para 77; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC) [Baker] aux para 21-28.

[88] En outre, la troisième question ne devrait pas être certifiée parce qu’elle soulève une question qui a déjà été tranchée. La portée et le contenu précis de l’obligation d’équité procédurale doivent être établis en fonction du raisonnement de la Cour suprême dans Baker.

[89] Par conséquent, je refuse de certifier les questions proposées.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4789-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Anne M. Turley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4789-22

INTITULÉ :

JOBAYED HOSSAIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 août 2023

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE TURLEY

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 20 septembre 2023

COMPARUTIONS :

Washim Ahmed

POUR LE DEMANDEUR

Allison Grandish

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

OWS Law

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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