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Date : 20230914


Dossier : IMM-2823-22

Référence : 2023 CF 1241

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 14 septembre 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

ARMAN SHIDFAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] M. Arman Shidfar [le demandeur], citoyen de l’Iran, a mis sur pied une entreprise de pièces automobiles en Ontario. Il a demandé un permis de travail dans le cadre du Programme de mobilité internationale en tant que candidat dans la catégorie des entrepreneurs ou travailleurs autonomes cherchant à exploiter une entreprise, au titre de l’alinéa 205a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

[2] Dans une décision du 10 mars 2022, un agent d’immigration [l’agent] au Haut-commissariat à Ankara, en Turquie, a rejeté la demande de permis de travail du demandeur.

[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale et que la décision de l’agent est raisonnable. Par conséquent, je rejetterai la demande.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[4] Le demandeur soulève les questions qui suivent :

  1. L’agent a manqué à l’équité procédurale;

  2. La décision était déraisonnable.

[5] Le demandeur soutient que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, et les parties conviennent que les questions se rapportant à la décision sur le fond sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10 et 23.

[6] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable commande la retenue, mais demeure rigoureux : Vavilov, aux para 12-13. La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif qui s’applique, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94 et 133-135.

[7] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Les erreurs que comporte une décision ou les doutes qu’elle soulève ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ni accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

[8] En matière d’équité procédurale, la cour de révision doit déterminer si la procédure observée par le décideur était équitable compte tenu de toutes les circonstances, y compris la nature des droits fondamentaux en jeu et les conséquences pour la ou les personnes concernées : Gordillo c Canada (Procureur général), 2022 CAF 23 au para 63.

III. Analyse

[9] Les dispositions se rapportant à une demande de permis de travail figurent à l’article 205 du RIPR, lequel prévoit notamment :

Intérêts canadiens

Canadian interests

205 Un permis de travail peut être délivré à l’étranger en vertu de l’article 200 si le travail pour lequel le permis est demandé satisfait à l’une ou l’autre des conditions suivantes :

205 A work permit may be issued under section 200 to a foreign national who intends to perform work that

a) il permet de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents;

(a) would create or maintain significant social, cultural or economic benefits or opportunities for Canadian citizens or permanent residents;

[10] Comme l’a confirmé la Cour dans la décision Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1002 [Wang] au paragraphe 21, l’agent peut examiner le caractère suffisant du plan d’affaires proposé lorsqu’il examine si l’entreprise projetée apportera des avantages importants au Canada.

a. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale

[11] Le demandeur soulève plusieurs préoccupations relatives à l’équité procédurale :

  • a.L’agent n’a pas fourni de motifs;

  • b.L’agent n’a pas fourni au demandeur une lettre d’équité procédurale l’invitant à répondre aux doutes qu’il avait;

  • c.Il y a eu manquement au droit du demandeur à ce que sa demande soit traitée sans retard indu;

  • d.Le droit du demandeur à un décideur juste et impartial et son attente légitime à cet égard n’ont pas été respectés.

[12] Je rejette tous les arguments avancés par le demandeur relativement à l’équité procédurale.

[13] En premier lieu, je souligne que, en droit, le caractère suffisant des motifs donnés ne constitue pas une question d’équité procédurale. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, des motifs ont été fournis sous la forme de notes versées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC].

[14] Dans ses notes versées au SMGC, l’agent a fait état de plusieurs réserves concernant l’emploi que le demandeur prévoyait exercer :

[traduction]

Il existe de nombreux fournisseurs de pièces automobiles bien établis au Canada.

J’ai des réserves quant aux estimations de ventes et aux projections de bénéfices, quant à l’absence d’un lieu de travail physique pour les deux employés prévus et quant au manque d’espace pour l’entreposage des pièces.

Les avantages seraient limités à quelque 66 000 $ pour deux employés sans aucun détail fourni ou intégré quant au lieu de travail physique, et aucune précision n’est donnée quant à l’endroit d’où ces employés travailleraient.

Après avoir soupesé les facteurs propres à la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée.

[15] Comme le défendeur, je suis d’avis que les motifs donnés en l’espèce répondent aux préoccupations soulevées, à savoir si le plan d’affaires proposé par le demandeur était viable et s’il représente un avantage pour le Canada.

[16] De plus, je rejette l’argument avancé par le demandeur selon lequel l’agent aurait dû lui envoyer une lettre d’équité procédurale faisant état de ses préoccupations. Comme l’a affirmé la Cour dans la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2021 CF 790 [Singh] :

[9] […] Bien qu’il existe une obligation d’équité à l’égard des demandeurs dans des affaires de permis de travail, cette obligation n’oblige pas l’agent à aviser le demandeur d’une préoccupation qui découle directement de la loi ou d’exigences connexes (Masam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 751 au para 11; Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 au para 37). Il incombe aux demandeurs de fournir tous les renseignements nécessaires à l’appui de leur demande et les agents n’ont pas à aller chercher ces renseignements.

[17] Dans le même ordre d’idées, dans la décision Zargar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 905, au paragraphe 14, la Cour a réitéré le principe qui suit :

De plus, la conclusion selon laquelle le plan d’affaires n’était pas suffisant au regard de certains indicateurs clés relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent. De même, l’agent n’était pas tenu d’informer la demanderesse que son plan d’affaires était insuffisant (Igbedion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 275 au para 16).

[18] En l’espèce, les lacunes relevées dans les notes versées au SMGC, notamment l’absence d’un lieu de travail physique, découlent du plan d’affaires présenté par le demandeur et se rapportent directement aux exigences énoncées dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et aux exigences connexes définies par le RIPR et le Programme de mobilité internationale. Après avoir appliqué les décisions Singh et Zargar, et à la lumière de la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 483 au paragraphe 40, je conclus que l’agent n’était pas tenu de faire connaître ses réserves au demandeur avant de rendre sa décision finale.

[19] En outre, je rejette l’argument avancé par le demandeur quant au manquement à l’équité procédurale en raison du retard indu dans le traitement de sa demande.

[20] Dans la décision Almuhtadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 712, le juge Ahmed a énoncé les principes qui s’appliquent à ce sujet :

[32] Un délai peut être jugé déraisonnable si les critères suivants sont remplis (Thomas c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 164 au para 19, citant Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33, 159 FTR 215 (CF 1re inst.) (Conille) au para 23) :

1. le délai est à première vue plus long que ce que la nature du processus exige;

2. le demandeur n’en est pas responsable;

3. l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

[…]

[37] Le caractère raisonnable du délai dépend des faits de l’espèce; la jurisprudence n’est utile pour préciser ce qui constitue un délai déraisonnable que dans la mesure où elle fournit certains paramètres généraux (Tameh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 288 au para 52). Il n’existe pas de délai fixe qui servirait de limite à ce qui est raisonnable (Bhatnager c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 CF 315, [1985] ACF no 924 (CF) au para 4). Cela étant dit, notre Cour a déjà considéré comme déraisonnable un délai de deux ou trois ans, ou même un délai plus long (Dragan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 211 au para 55).


 

[21] Selon les notes versées au SMGC, en réponse à une question du demandeur quant à l’avancement de sa demande, l’agent des visas a fourni les explications suivantes pour le retard :

[traduction]

Veuillez prendre note que votre demande est en attente de traitement. Étant donné que nous ne fournissons que les services essentiels, des temps de traitement plus longs sont à prévoir.

En raison de l’incidence du coronavirus (COVID‑19) sur nos activités, nous ne pouvons pas traiter les demandes normalement ni fournir de temps de traitement exacts.

[22] J’estime que l’explication citée plus haut justifiait le retard de façon raisonnable.

[23] De plus, comme le souligne le défendeur, la Cour a rejeté des arguments similaires ressortissant à l’équité procédurale concernant les retards, comme il est mentionné dans la décision Zargar, au paragraphe 12. J’estime que l’analyse effectuée par la Cour dans la décision Zargar s’applique aussi à la présente affaire.

[24] Enfin, l’argument de partialité avancé par le demandeur semble reposer sur les autres arguments relatifs à l’équité procédurale, que j’ai déjà rejetés. De plus, le demandeur ne renvoie à aucun élément de preuve pour appuyer cet argument et, pour cette raison, il ne satisfait pas au critère élevé requis pour établir une crainte raisonnable de partialité : Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369.

b. La décision était raisonnable

[25] En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision de l’agent, le demandeur conteste diverses conclusions qui y sont tirées : a) la conclusion selon laquelle le plan d’affaires n’est pas viable parce qu’il y a des entreprises de pièces automobiles bien établies au Canada; b) les réserves de l’agent relativement aux estimations des ventes et aux projections de bénéfices; c) les réserves de l’agent quant à l’absence de lieu de travail physique.

[26] J’estime que les arguments avancés par le demandeur correspondent à un désaccord avec les conclusions de l’agent et ne soulèvent aucune erreur susceptible de contrôle. L’agent a examiné les éléments de preuve et a expliqué pourquoi il avait conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la loi. L’analyse de l’agent était suffisante et raisonnable dans le contexte d’une demande de permis de travail : Wang, au para 21 et Zargar, au para 19.

[27] Plus particulièrement, au paragraphe 19 de la décision Wang, la juge McDonald a souligné ce qui suit :

[19] La demanderesse conteste également le fait que l’agent a noté qu’elle n’avait pas fourni d’adresse commerciale ni de plan d’achat de propriété. Dans sa demande de permis de travail, la demanderesse indique que le « [l]ieu prévu de l’emploi au Canada » est [traduction] « à déterminer ». Bien que la demanderesse ait inclus une adresse dans son plan d’affaires de 2018, il était raisonnable pour l’agent de noter l’absence de lieu prévu de l’emploi dans son formulaire de demande de 2020.

[28] De même, en l’espèce, le demandeur n’a pas inscrit de lieu d’emploi physique pour son entreprise de pièces automobiles dans le plan d’affaires. Étant donné la nature de l’entreprise, j’estime qu’il est raisonnable que l’agent ait souligné l’absence de lieu de travail physique pour les employés et l’absence d’espace pour l’entreposage des pièces automobiles pour justifier le rejet de la demande de permis de travail du demandeur.

[29] À l’audience, le demandeur a soulevé trois arguments supplémentaires :

  • a.Les Lignes directrices pour les entrepreneurs ou travailleurs autonomes demandant uniquement la résidence temporaire - [R205(a) - C11] - Programme de mobilité internationale [Lignes directrices C11] ont été modifiées [traduction] « considérablement » en novembre 2022. L’agent s’est appuyé sur les nouvelles lignes directrices pour rendre sa décision sans donner au demandeur la possibilité de mettre à jour son dossier.

  • b.Selon les Lignes directrices C11, les considérations relatives aux avantages importants reposent sur l’appréciation de la viabilité du plan d’affaires proposé. Par conséquent, si le plan d’affaires est viable, le demandeur remplit les considérations relatives aux avantages, ce qui était le cas du demandeur en l’espèce.

  • c.L’agent des visas à Ankara n’avait pas l’expertise et les connaissances voulues pour apprécier la demande présentée par le demandeur et aurait dû l’apprécier uniquement en fonction de la preuve relative à la provenance des fonds et des antécédents professionnels du demandeur, comme l’a indiqué le Centre de traitement des demandes [le CTD] à Edmonton.

[30] Je rejette ces arguments supplémentaires, car ils ne sont pas fondés.

[31] Même si le demandeur prétend que des changements « considérables » ont été apportés aux Lignes directrices C-11, il n’est pas en mesure de souligner les aspects des lignes directrices qui ont été modifiés ou en quoi ceux-ci auraient eu une incidence sur l’appréciation de sa demande par l’agent. Après avoir examiné les nouvelles Lignes directrices C-11, postdatées de novembre 2022, et les avoir comparées aux extraits des anciennes Lignes directrices C-11 figurant dans les documents présentés par le demandeur, je conviens avec le défendeur qu’il n’y a aucun changement important qui aurait pu avoir une incidence sur le demandeur. Plus précisément, les deux versions des Lignes directrices prévoient que le demandeur démontre que le travail « est susceptible de créer une entreprise viable qui profitera aux travailleurs canadiens ou aux résidents permanents ou aura des effets économiques positifs » et que le demandeur a pris des mesures pour mettre en œuvre le plan d’affaires, notamment en louant des locaux.

[32] L’argument avancé par le demandeur selon lequel le motif relatif aux avantages repose sur l’existence d’un plan d’affaires viable a un double effet. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse d’un motif ou de deux motifs distincts, les réserves exprimées par l’agent se rapportent à ses deux préoccupations quant à la viabilité du plan d’affaires et quant à l’absence d’avantages importants.

[33] Enfin, j’estime que le CTD d’Edmonton n’a pas donné d’indications quant à la façon dont la demande de permis de travail aurait dû être traitée. Le CTD n’a fait que renvoyer le dossier du demandeur à Ankara parce qu’il était [traduction] « complexe et exigeait des connaissances locales pour l’examen de la provenance des fonds et des antécédents professionnels du demandeur ». Autrement dit, le CTD à Edmonton s’est fié au personnel à Ankara pour l’examen de deux éléments du dossier du demandeur, au moyen de ses connaissances locales, mais n’a pas indiqué que ces éléments étaient les seuls critères à remplir en l’espèce.

IV. Conclusion

[34] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[35] Il n’y a aucune question aux fins de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2823-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question aux fins de certification.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2823-22

 

INTITULÉ :

ARMAN SHIDFAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AOÛT 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Afshin Yazdani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Afshin Yazdani

YLG Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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